• Rêves et douceurs— J’ignore si c’est le bleu de l’azur qui tente mon esprit à s’évader, mais il me vient comme une envie de penser à autre chose, m’évader vers d’autres rivages, ne plus entendre la rumeur du monde sinon celle que le vent imagine et nous murmure à l’oreille.

    Il est vrai qu’en tous lieux, pourvu qu’ils soient loin des villes besogneuses et bruyantes, il est possible de trouver la béatitude, cet instant merveilleux qui nous laisse croire que notre esprit se libère de l’enveloppe charnelle. Soudain, il s’immobilise un instant au-dessus de nous avant de s’enivrer dans les airs à la source de la liberté.

    J’aurai pu fixer mon choix sur le sommet d’une montagne, l’endroit le mieux placé pour nous assurer que nous sommes sur le toit du monde, au plus près du ciel. Mes désirs auraient pu aussi me conduire à quelques pas d’une belle forêt ourlée de prairies vertes et douces, où à chaque instant une nouvelle fleur s’épanouirait et où les papillons ne finiraient jamais de danser.

    Mais je ne sais pas pourquoi j’ai laissé mon imagination me guider vers la côte, juste à un endroit où les éléments se rejoignent et s’épousent. Venues de loin, sans doute de l’autre côté de l’océan, les vagues s’allongent sur le rivage qui prête son sable pour adoucir le roulement de l’eau qui se confond en écume avant de retourner chercher une nouvelle respiration dans un prochain mouvement de l’océan.

    Seule, me voilà seule en un lieu qui pourrait ressembler au bout du monde, et où la musique ne ressemble à aucune autre. Elle est celle que le vent joue dans les palmes des cocotiers qui se balancent comme pour en rythmer la cadence.

    C’est une musique métisse, car elle vient de partout, empruntant la voie des airs avec la complicité des souffles céleste, visite les feuilles longues et souples avant de retomber en une pluie légère, se déposant partout autour de moi.

    La grève ressemblerait à un immense livre qui me prêterait ses pages. Sur le sable, comme pour exorciser mes pensées, j’écrirais toutes mes souffrances, mes peines de cœur et tous les autres maux qui tourmentent mes jours et hantent mes nuits. Ma page d’écriture terminée, pour une fois dans ma vie, j’assisterais à un miracle, car en un revers de la main j’effacerais les douleurs et réduirais les fantômes au silence les condamnant à l’exil.

    Avant que le mal s’écrive à nouveau, je tracerais bien vite une autre histoire dans laquelle l’héroïne serait chaque jour visitée par l’amour et la tendresse. Afin qu’aucune vague ne vienne effacer les mots, je les écrirai hors de leur portée, ainsi, depuis le ciel pourra-t-on lire, que la joie réside au bout du monde.

    Allongée sur la plage, ouvrant soudain les yeux sur le firmament témoin de mon bonheur, j’imaginerais ton visage, dessiné dans les nuages courant dans le ciel d’été. Je le devinerais courroucé à l’instant où il se rendrait compte que c’est le soleil qui caresse ma peau en s’y attardant plus que de raison, jusqu’à la rendre aussi dorée que celle des filles des îles.

    Comme c’est un jour où les folies me sont permises, l’alizé ne serait pas en reste. Il serait comme un jeune prétendant un peu fou, jouant dans mes cheveux défaits, se prêtant à ses caprices.

    Offerte sans retenue au regard de la nature, j’écouterais avec une profonde attention battre mon cœur. Je serais très émue, car pour la première fois, je sais qu’il ne parlerait qu’à moi, se désolant tout de même de ne pouvoir sortir de sa cage pour me montrer sa joie d’être si heureux de m’appartenir.

    Sentimentale comme je le suis, je sais que je ne pourrais retenir des larmes qui remplacent les mots quand ils ne savent pas expliquer l’extase. Je crois que ce sera alors la plénitude, celle qui visite les corps en paix, s’installant à tout jamais au plus profond des êtres.

    Si tel est votre désir, n’attendez pas pour confier vos songes au destin, il est le seul qui sache vous indiquer où trouver le bonheur, même sans sortir de chez soi. Il nous suffit de fermer les yeux, et en secret, pour nous, il dessine les plus beaux rêves.

    Amazone. Solitude

     

     


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    Dans nos cœurs, méres vous resterez— Dires que les années qui précédèrent les matins calmes, est sans doute un euphémisme, quand on sait qu’elles furent parcourues par la guerre et ses atrocités. Les souffrances furent telles, qu’elles contaminèrent les jours qui virent la paix s’installer, et même les ans qui suivirent. Le pays ayant été déchiré, séparé, fut long à se remettre de ses blessures. Les gens dont on espérait qu’ils seraient heureux de se retrouver après avoir reconquis la liberté n’en finirent pas au contraire à se diviser, entretenant un climat de suspicion plutôt que celui de la réunification. Les hommes cherchèrent un exutoire et ils le trouvèrent en la personne des plus faibles. Les jours sombres n’en finissaient plus de voir défiler dans leur morosité les femmes livrées à la vindicte populaire, le crâne rasé, parfois dans une nudité totale.

    Certains pensaient que les horreurs étaient enfin loin derrière eux, s’imaginant que la vie paisible pouvait définitivement reprendre ses droits et que le bonheur n’avait qu’à suivre les chemins tels des liens menant les hommes d’un village vers un autre.

    Mais c’était sans compter avec la haine et la rancune de certains individus. Ces femmes, qu’ils conduisaient comme un troupeau à travers les rues des villes et des villages, quels outrages avaient-elles commis pour mériter de tels châtiments ?

    Avaient-elles vendu des secrets à l’occupant ? Complaisamment, avaient-elles révélé des noms de personnes, révéler à l’ennemi des lieux stratégiques où que sais-je encore ?

    Non, rien qui mérita pareil outrage. Le crime que l’on dénonçait avait un caractère plus humain que ceux perpétrés par les hommes durant toutes ces années, y compris ceux qui s’érigeaient en juges afin de mieux dissimiler leurs propres trahisons.  

    Dans le bruit des canons, de la mitraille et des privations, un jour, ces femmes dont la plupart étaient des mères, un matin s’étaient réveillées lasses. Elles avaient osé dérober au temps un instant de bonheur. Elles avaient tendu la main, pour, de leurs doigts, écorcher un ciel bas et obstinément gris.

    Elles voulaient s’assurer que derrière ce rideau hideux il existait encore un morceau de ciel bleu et pour une fois, elles revendiquaient leur part.

    Dans le chaos qui régnait alors et où plus rien ne ressemblait à une quelconque logique, elles avaient fermé les yeux à la tristesse pour ne pas troubler l’amour fugace qui avait frappé à la porte de leur demeure.

    Qui sinon elles, étaient à même d’expliquer que les corps de femmes ne sont pas faits pour de l’existence, n’en connaître que les souffrances quotidiennes ?

    Qui aurait pu expliquer aux bourreaux que les yeux n’étaient pas que la source des larmes amères et que les frissons courant sur la peau pouvaient être générés par un sentiment plus noble que celui de la peur au ventre ?

    La soumission ; elles auraient pu révéler bien des secrets à son sujet. N’avaient-elles pas été soumises jusqu’à ce soir maudit où l’on vint chercher leurs hommes pour les livrer à une guerre qui n’était pas la leur ?

    Alors elles s’étaient effacées au profit de l’enfant dernier né qui pleurait au fond de son berceau ou du plus grand qui réclamait dans un sommeil agité le père absent.

    Bien sûr, qu’elles avaient juré fidélité pour le meilleur et pour le pire. Mais il n’était écrit nulle part que le pire devait être servi à tous les repas et ce jour paraissait loin, comme dans une autre vie où elles ne seraient jamais allées.

    Les promesses et les espérances avaient suivi les hommes dans les soirs de la guerre et bon nombre d’entre elles sont restées en des lieux inconnus et froids.

    Celles que l’on avait condamnées sans même prendre le temps de les juger défilaient sans rien dire, entre des rangées d’hommes dont les insultes fleurissaient le langage. Comme par magie, certains devenaient forts alors qu’au plus fort des combats, ils avaient disparu.

    D’autres se tenaient un peu en retrait, car ils savaient que quelques-unes de ces femmes humiliées pouvaient les reconnaitre. Ils étaient tels des chiens poltrons, aboyant avec la meute en prenant soin de ne pas approcher pour ne pas prendre les coups. Ils attendaient que la proie fût vaincue pour venir disputer leur part du festin. On prétend à juste raison que le temps épuise les souffrances jusqu’à leur totale disparition. Mais les plaies resteront toujours sensibles et se rouvriront à la première alerte.

    Femmes, qui avaient eu l’audace de lever les yeux au ciel, qui avaient affronté les tremblements de terre qui s’en sont suivis, vous devez savoir que vos sacrifices n’ont pas été vains. Quelque part autour du monde, il est des hommes qui se tiennent dans l’ombre, mais qui sont fiers de vous avoir aimées. Ces hommes ce sont vos enfants que l’on a si longtemps montrés du doigt. Eux n’étaient fautifs d’aucun délit, mais trop souvent on leur a fait supporter le poids de ces années douloureuses.

    La douleur ressemble en cela à la richesse, qu’elle est héréditaire et nous ne nous sommes pas crus autorisés à dilapider notre héritage. Sachez seulement, mères, que vous êtes dans nos cœurs et que vous y resterez à jamais.

    Amazone Solitude

     

     


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    Juste un peu d'eau

    — Nous traversions une année particulièrement étrange. Dans nos contrées, il est une expression ancienne, presque devenue une légende qui traduit à merveille ce qu’était notre climat, avant que les désordres commencent à se faire ressentir :

    — Chez nous, prétendaient les anciens, il y a deux saisons ; une durant laquelle il pleut et l’autre où il pleut moins !

    — Autant vous dire que de l’eau, il y en avait plus qu’il était nécessaire. Nous ne la gaspillions cependant pas, contrairement aux idées toutes faites, il n’était qu’à disposer son seau sous la gouttière pour qu’il se remplisse en moins de temps qu’il en faut pour le dire. Bref, l’eau du ciel était partout. Les fleuves et les rivières songeaient à agrandir leur lit afin de contenir leurs flots, les bananes étaient heureuses, car ce sont de grandes consommatrices du précieux liquide. Les tarots et autres dachines rayonnaient de bonheur au-dessus de leurs buttes de terre. Les oiseaux étaient heureux, car jamais une flaque ne manquait pour le bain quotidien. Au risque de se déstabiliser, les végétaux ajoutaient une couronne de branches, puis encore une autre et ne se privaient pas d’agrandir leurs feuilles afin de respirer plus confortablement.

    C’est alors au moment où personne ne songeait que cela put s’arrêter, que les saisons sèches devinrent plus précoces et s’allongèrent ostensiblement. Elles n’étaient commencées que depuis quelques jours que déjà les hommes lorgnaient le ciel pour surprendre le moindre signe annonciateur de pluie.

    — Elle sera courte cette année, plaisait-il à quelques-uns de le croire et d’en persuader leurs voisins !

    Personne n’osait répondre, mais tous haussaient les épaules comme pour dire que ce n’était pas une information à retenir.

    Les jours se succédaient et donnaient raison aux pessimistes. La nature gorgée d’eau depuis trop longtemps n’avait pas jugé utile de se préparer au pire. Des saisons sèches, croyait-on l’entendre dire, nous en avons connu de plus sévères ! Nous n’en sommes plus à une près !

    Mais elle avait beau s’appliquer une certaine méthode que connaissent bien les anciens, de jour en jour elle n’allait pas mieux. Pareille aux hommes et aux animaux qui suffoquaient, son tour vint qu’elle fut obligée de transpirer abondamment pour se protéger de la chaleur.

    Elle transpira tant, qu’avec désespoir elle vit certains végétaux mourir asphyxiés. D’autres arbres aux racines traçantes sur la couche d’humus qui ne se souvenait plus si elle avait connu l’humidité se laissèrent dépérir.

    Le cœur de la forêt suffoquant sous les rigueurs d’un climat nouveau ne battait plus qu’au ralenti. Il n’était pas une nuit au cours de laquelle on n’entendait pas des géants s’effondrer dans la plus grande douleur, entraînant à leurs suites des innocents qui avaient eu l’audace de penser qu’ils pouvaient réchapper à la catastrophe. Des arbres qui se vantaient d’avoir un feuillage persistant eurent la désagréable surprise de voir leurs feuilles jaunir et tomber sans même essayer de tourbillonner, serait-ce pour amortir leur chute.

    Les fruitiers étaient désespérés. Leurs fruits au demeurant pleins de promesses se desséchèrent sur les rameaux. Ils se laissaient tomber sur le sol dur en faisant un bruit mat, comme une dernière plainte avant d’être oubliée par les uns et les autres acteurs de la vie ; jusqu’aux oiseaux qui les dédaignèrent, car ils n’étanchaient pas leur soif.

    Quand à la terre, brulée et craquelée, elle ressemblait à un puzzle gigantesque, dont les pièces s’écartaient un peu plus chaque jour. Le sol semblait agoniser sous un ciel indifférent. Nous penchant au-dessus de la terre blessée, tendant l’oreille, on pouvait l’entendre gémir. Elle demandait pardon à l’astre luisant, pour avoir été orgueilleuse à l’époque où avec l’aide des alizés, elle laissait onduler à sa surface une fine, mais élégante tenue faite d’herbes hautes, semblables à la chevelure légère d’une jeune fille.

    Il ne faisait plus de doute que la terre lézardée, en échange d’une pluie, offrait en d’interminables souffrances, son âme au ciel, au zénith duquel, le soleil pavoisait, se montrant chaque jour plus intraitable. Il était fier de montrer à la face du monde qu’il était le seul qui savait se passer de l’aide de quelqu’un ou de quelque autre élément.

    Au long des pistes, la poussière rouge de la latérite accompagnait longtemps le pas des hommes. Dans le lit des criques, seuls quelques trous offraient un dernier refuge aux poissons qui se retrouvaient alors à la merci des aigrettes et autres butors. Dangereusement, les puits atteignirent leur niveau le plus bas et chaque seau tiré se devait d’être économisé comme s’il était le dernier de la saison. Les rares mares ne suffirent plus pour les ablutions des oiseaux. Les plus forts en interdisent l’accès aux plus faibles qui ne trouveront après le départ des égoïstes qu’une eau boueuse, impropre au lissage des plumes, comme pour calmer les gosiers asséchés. Il leur faudra donc user de ruses pour trouver la seule fontaine des environs qui ne soit pas tarie.

    Pareil à tous les hommes, je n’aime pas cette saison qui fait souffrir la nature plus que de raison et qui transforme tout ce qui a encore la prétention d’exister, en être lymphatique et sans imagination. Alors, en tous points de la région, des prières s’élèvent pour que cesse l’agression du soleil et qu’à sa place, le ciel réinvente les couleurs grises annonciatrices de la pluie.

    Qu’importe qu’elle soit douce et fine, violente ou orageuse, la saison de la mousson sera alors accueillie en héroïne, qui aura délivré la terre de son pire cauchemar.

     

     

    Amazone Solitude  

     

     

      


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  • L'heure du départ

    — Qu’elle fût belle cette aurore timide qui cachait sa lumière derrière un voile fin qui laissait deviner la dernière averse ayant lavé la nuit de ses poussières d’étoiles et d’autres rêves inachevés !

    C’était l’heure où les songes font place à la tendresse, avec dans le regard de la biche, quelque chose d’indéfinissable, où se mélangent l’émotion et la fierté de voir son enfant s’apprêter à rejoindre son territoire, cependant sans jamais tourner le dos à la merveilleuse forêt.

    — Laisse-moi une fois encore admirer ta belle silhouette, dit la biche à son faon, avec dans la voix un accent de tristesse qu’elle avait de la difficulté à dissimuler.

    Le temps a passé si vite ; sans cesse aux aguets afin que nul ne nous arrache l’un à l’autre, que je n’ai pas vu tes pattes s’assurer de même que ton corps, devenir bientôt celui d’un adulte. Mon cher petit ! Le temps d’aller vivre au loin de moi est désormais arrivé. 

    Si nos chemins réclament à ce que nous nous séparions n’est pas une idée de notre fait. Pour notre sauvegarde, nous devons diviser nos traces afin que nos poursuivants connaissent à leur tour le doute qui les affaiblira.

    Avant que tes pas légers ne te conduisent vers un lieu qui me semblera être à l’autre bout du monde, accepte que je te rappelle quelques règles indispensables si tu désires un jour, les retransmettre à ta descendance.

    Ne perds pas de temps en chemin à compter les jours, mais seulement à les apprécier ainsi que les bienfaits qu’ils ne manquent jamais de déposer aux quatre coins de nos forêts.

    Sans doute n’ai-je pas pris le temps qui était nécessaire pour t’enseigner les valeurs et les pièges de l’existence. Ne crains rien, car en chacun de nous est inscrit l’essentiel, comme si un inconnu, il y a très longtemps, y avait déposé le livre de la vie. Ce livre, tu devras le feuilleter et chercher la page correspondante à la question qui hantera ton esprit à l’instant précis.

    À aucun moment, tu ne devras céder aux chants des sirènes. N’oublie jamais que derrière chaque arbre qui peuplera ton éden, se cache une menace. Dans la savane où les fleurs apparaîtront sans repos, avant d’en cueillir une, prends soin de vérifier qu’elle n’est pas une chimère déguisée.

    Si tel était le cas, ne t’avise pas de respirer leurs parfums, ils sont autant de leurres qui désirent endormir ta vigilance.

    Chaque fois que tu te pencheras sur l’onde pour t’y désaltérer, ne reste pas à contempler ta silhouette en son miroir, car à l’instant où te voilà en déséquilibre, tu deviens vulnérable, une proie sans défense.

     Sous la forêt, tu resteras attentif aux chants d’oiseaux. Il serait bon que dès maintenant tu apprennes leur langage, car ils te renseigneront sur les dangers qui sans cesse rôdent.

    Prends soin du vent de toujours t’en faire un allié. Si tu n’y prenais garde, il pourrait transporter ton odeur si loin que les prédateurs n’auraient aucune difficulté à remonter jusqu’à toi en suivant le fil mis à leur disposition. Ne crains jamais tes pas et ne crains pas de de couper et recouper les gués et les ruisseaux qui effaceront tes traces et ainsi dérouteront les suiveurs.

    Encore une chose de la plus haute importance.

    Imitant le comportement de tous nos amis, ta confiance, tu ne devras jamais accorder à aucun homme dont tu croiseras le chemin ; dans son sillage demeurent souvent des envieux prêts à exposer ta tête dans leurs salons, devant laquelle ils se gausseront d’orgueil en te montrant du doigt.

    Une fois pour toutes, la naïveté, tu dois éloigner de ton caractère. Des compliments que l’on pourrait te faire tu prendras soin de ne pas les entendre et avant toute chose, l’agilité il te faudra entretenir, sautant par-dessus les fourrés, les fougères ainsi que les chablis, qui pourraient entraver la fuite devant le danger.

    Pour ta sécurité, il te faudra apprendre à reconnaître les rumeurs qui s’en donnent à cœur joie en circulant sous nos bois.

    Approche, mon enfant, viens encore plus près que je te donne une dernière accolade et que j’imprègne à jamais l’odeur de ton musc en ma mémoire afin que je sache où tu seras si un jour tu étais menacé.

    Il n’existe pas de prière pour les animaux, pas davantage de bénédiction. Il n’y a que des recommandations et des mises en garde contre le monde qui nous environne, car nous n’y avons pas que des amis.

    Ainsi parlait une biche à son faon, pressé de découvrir le monde afin qu’en compagnie de ses nouveaux amis ils puissent des jours en faire une fête perpétuelle.

     

     

    Amazone. Solitude. Copyright N° 00048010


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  • Chut ! la nuit s'installe

    — Voilà ! C’est fait ; depuis le matin, il nous l’avait promis et il n’est pas de ceux qui ne tiennent pas la parole donnée. Dans notre lointain petit coin du monde, le jour s’enfuit, mais avec en lui le sentiment du devoir accompli. La journée fut celle d’un ministre au programme toujours chargé. Toutefois, il fit de son mieux pour contenter tout le monde. Chaque élément se prêtant à ses caprices aura reçu son pesant de clarté et seules les fleurs fragiles sont restées sous les ombrages afin de ne pas ternir l’éclat de leurs pétales délicats.

    Sur la Terre, tout s’apaise, imitant l’enfant nouveau-né soupirant avant de s’endormir confiant, dans les bras de la mère aimante et attentive. Lentement, l’une après l’autre, non sans regret, les couleurs rejoignent leur place sur la palette. Le peintre peut bien attendre demain pour continuer les retouches du monde qu’il a ébauché depuis l’aube.

    L’herbe douce et parfois un peu folle sous les caresses du vent est heureuse de retrouver un peu de fraicheur. Elle va pouvoir remettre de l’ordre dans sa tenue en dehors du regard brûlant du soleil qui est prié d’aller briller ailleurs. Rancunier, il jure qu’il n’a pas dit son dernier rayon et promet de revenir très vite.

    — Je ne dors pas, crie-t-il aux Terriens ; je ne vous montre que mon mauvais côté ! S’il ne tenait qu’à moi, je vous priverais quelque temps de ma clarté ; ce faisant, vos pensées les rendrai-je sombres.

    Furtivement, sans rien déranger, le soir s’installe, et le couchant est pareil à la paix revenue sur le monde. C’est l’heure où la vie change de chemise. Le jour est semblable à l’ancienne lampe à huile dont il fallait rentrer la mèche pour baisser la clarté. C’est le moment où tout ce qui vit au grand jour doit sans tarder regagner sa demeure, son terrier ou son gîte où il restera attentif au souffle de la nuit. Malheur à l’oiseau dernier-né s’il est tombé du nid. Il fera le régal de l’un des « hôtes de ces bois ».

    L’homme doit se presser de quitter le layon s’il ne veut pas être rattrapé par les « Maskililis », ces petits hommes des bois venus d’on ne sait où et allant vers un pays que l’on ignore où il se trouve. On sait seulement que nul ne peut les croiser sans risquer de « démarcher », c’est-à-dire marcher à l’envers.

    Dans les eaux redevenues calmes, les poissons regagnent leurs roches et leurs trous. Il n’y aura plus de « demoiselle » à gober aujourd’hui. Doucement, la nuit enserre les choses et les êtres dans son voile fin et sombre. Dans les cases, l’heure de se rapprocher, de s’aimer ou de rêver a sonné, et les hommes parleront à voix basse pour ne pas incommoder la nuit qui réclame le silence, car elle n’aime pas être troublée.

    Il en sera des douleurs comme de la lumière ; elles iront en se faisant discrètes. Les arbres tendront leurs rameaux et leurs feuilles une dernière fois pour voler au temps encore un peu d’air frais avant d’expirer les mauvais effluves et relents du jour. Le fleuve se fait complice du ciel pour revêtir les couleurs du soir en retenant son flux. Il sait la lune coquette. Elle ne supporte pas de voir des rides ondulant sur son plus beau profil, tandis qu’au-dessus d’elle, les étoiles se disputent pour occuper la première place.

    C’est l’heure où les fleurs dispersent sans compter leurs parfums, dont je sais qu’ils sont comme le baume qui apaise, presque le médicament miracle qui endort la nature dans un dernier sourire, imitant le bonheur. Dans un instant, sans bruit, la nuit aura confondu la Terre et l’espace dans une même couleur, celle de l’oubli.

    Ce sera l’heure où sur l’onde les âmes des disparus flotteront et se presseront pour retrouver des lieux où ils avaient abandonné le bonheur. Discrets, ils feront le tour de nos demeures afin de trouver sur le rebord de notre fenêtre, à côté de l’assiette contenant leurs mets préférés, une parcelle de notre cœur et des étincelles de notre âme. 

     

    Amazone Solitude


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