• — Je sais bien qu’il n’est pas très élégant d’écouter aux portes, car comme le rappelait un vieil adage, connaître le contenu de l’assiette des voisins ne remplit pas les ventres affamés. Cependant, il est agréable de savoir ce qui se dit dans la nature afin de mieux l’appréhender et en comprendre les multiples arcanes. Savez-vous par exemple qu’il est indispensable, sans toutefois pousser l’observateur au voyeurisme excessif, d’aller à la rencontre des animaux qui nous effraient pour en secret apprendre à mieux les connaître et ainsi exorciser nos craintes ? Toujours est-il qu’il n’est aucune situation plus agréable que d’aller par les sentiers pour s’informer des nouveautés que dame nature a concoctées pour notre plus grand plaisir.

    On pourra me dire ce que l’on voudra, mais aucun feuilleton ne pourrait rivaliser avec les situations qui prennent naissance en même temps que l’aurore et dont le film est projeté sur le plus grand écran que l’homme n’ait jamais réalisé, le ciel.

    Ce sont, réunis en un même lieu, tous les spectacles du monde, tous les cinémas, les théâtres et les musiques de tous pays.

    Je vous le concède, il faut être patient pour saisir l’instant, la couleur ou le bruit jamais vus ou entendus au paravent. Ainsi, à peine apercevez-vous les premiers échanges d’un vieux couple de hérons que vous décidez de ne pas faire de bruit pour mieux entendre ce qu’ils ont à se reprocher. Tant pis si la nuit vous surprend, car dans la forêt, le peuple des ténèbres se mettra en route et vous pourrez deviner les belles histoires qu’il a à nous raconter. Mais pour l’heure, écoutons plutôt ce que la jeune aigrette reproche à son ami.

    — Je n’ai pas voulu écouter ma famille quand elle me disait qu’un jour je regretterais notre union. Les miens avaient deviné à l’instant où je fis les présentations que tu étais un oiseau sans ambition. Je vais t’avouer ce que les aînés m’avaient dit tout bas.

    — Il est bien vieux pour toi, tu vas t’ennuyer et vieillir à son rythme, c’est-à-dire beaucoup trop vite.

    — À cette heure, je connais bien des couples qui se rapprochent l’un de l’autre pour une nuit de rêves partagés. Je sais même que sous leurs ailes, afin que personne ne surprenne leur murmure, ils échangent des mots d’une infinie tendresse. Eux s’entendent à merveille. Ils ne sont pas comme toi à me tourner le dos, feignant de s’intéresser à une chose imaginaire à l’instant précis où j’ouvre le bec.

    Je n’ai jamais osé t’en parler avant, mais à pareille heure, tu sais aussi bien que moi qu’il n’est rien de nouveau dans notre marais que tu ne saches déjà.

    Veux-tu que je te dise ce que j’ai sur le cœur ?

    — Me donnes-tu le temps de te refuser de t’entendre ?

    — Je crois que tu manques d’enthousiasme, mon ami. Tu ne vis plus les jours, tu les subis lamentablement et tu te traînes accroché à leurs heures. 

    Moi j’ai envie que de nouveaux évènements frappent à ma porte et éclairent mon existence d’une lumière éclatante. Tu sais, j’ai l’ouïe fine et j’entends parfaitement ce qui se dit dans les environs. Avec délice, je me régale des récits de ceux de nos cousins qui reviennent de lointains rivages. Ce sont de merveilleuses histoires qui sentent bon le sable chaud et les alizés. Les plus gaillards prétendent qu’ils ont un nid dans chaque port ! Ils disent aussi que notre monde est immense et qu’il leur faut des jours et des nuits pour le traverser. Ils raillent aussi notre marais ; bien qu’il soit immense, il n’est qu’une goutte d’eau à l’échelle de notre planète, et ils en sourient.

    — Qu’est-ce qui te permet de croire que j’ignore tout cela ?

    De tous ceux qui ont l’audace d’affronter l’inconnu, je peux te dire avec certitude que beaucoup n’arrivent jamais à destination.

    Ce sont les prétentieux qui croient que l’espace leur appartient et qui ignorent les navires qui sillonnent les mers et les océans et sur lesquels ils pourraient se reposer.

    — Laisse-moi rire, mon ami ! Tu prétends cela parce que tu n’as pas le courage de les imiter !

    — Pas du tout. Apprends que du courage il en faut aussi pour accepter les contraintes de nos régions. Après tout, qui te dit que ce n’est pas leur faiblesse face aux éléments qui sont nôtres et qui les effraient qu’ils prennent la fuite chaque saison ?

    — Tu dis et tu penses ce qui arrange ta conscience, mon ami. Je te répète que j’aimerai connaître une fois dans ma vie l’ivresse de l’altitude. Je me laisserai griser par le vent s’insinuant entre mes plumes, créant la plus belle des musiques pour accompagner mon voyage. Je me laisserai porter par les courants, glissant sur l’air pour connaître les vrais plaisirs d’être enfin un oiseau à part entière.

    À tes côtés, en silence, j’ai souvent espéré un jour entrevoir ces marais qui s’abritent derrière une mangrove épaisse où la nourriture est si abondante que tu n’as que l’embarras du choix et où les crustacés donnent au plumage des couleurs nouvelles. Je crois bien mon ami que je vais me laisser séduire par le charme d’un jeune aventurier. Voilà déjà plusieurs saisons qu’il tente de me convaincre de le suivre lors d’un prochain vol.

    — Ton délire est terminé ? Je peux te dire quelques mots à mon tour ? Je connais tous ces oiseaux rares qui ne voient pas plus loin que le bout de leur bec. Ils sont prêts à tout pour séduire les jeunes écervelées de ton espèce qui pensent que la vie est un long fleuve tranquille et qui ne résistent pas dès que l’on parle d’horizons nouveaux. Ailleurs, c’est comme ici. Chaque jour, il faut manger et à chaque instant il te faut surveiller ton environnement si tu ne veux pas servir de mets à un caïman ou tout autre reptile. Les jours qui se lèvent et qui te disent que tu peux les traverser en restant allongé sur le sable fin à te reposer ne sont que des mirages.

    N’as-tu donc pas encore compris que si l’on t’a donné un long bec et de hautes pattes c’est pour fouiller la vase, et non pour faire des ronds de jambe ?

    — Tu sais que tu deviens désagréable quand tu veux ? Ce n’est pas parce que tu appartiens à la famille des hérons qu’il te faut passer ton existence à « héronronner » tranquillement !

    — Et toi, tu n’es qu’une jeune aigrette blanche, mais aigrie ! Sache ma chère amie, que si tu tiens à partir, je ne te retiens pas. Mais je t’aurais prévenue. Les jeunes qui ouvrent grand leur bec ne montrent pas qu’ils sont mieux équipés que nous. Ce n’est pas demain qu’ils leur pousseront des dents pour le garnir !

    De plus, je les connais ces jeunes produits du système. Ils se lassent vite et ton prétendant comme tant d’autres ne supportera pas longtemps tes jacasseries, car il n’a pas la patience que nous les anciens avons acquise au fil des ans.

    Il t’abandonnera sur quelques rivages inconnus et tu finiras tes jours loin des tiens et du ciel qui t’a vu naître. Enfin, si d’aventure tu venais à te retrouver seule et que tes forces sont suffisantes pour rejoindre notre vieux marais, ta place ne serait prise par aucune autre compagne.

    Je n’ai jamais su partager mon cœur au grès des caprices de l’âge. Maintenant, je ne saurais trop te recommander de dormir et laisser ton imagination voguer sur l’onde des rêves, les vrais, ceux qui ne font pas de bruit quand ils s’expriment et qui ravissent tout autant l’esprit lorsqu’ils te transportent sur d’autres continents

     

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  • Une âme sur un coeur— Comment vous dire en quelques mots le bonheur qui mit en transe la belle fleur haut perchée sur sa hampe impatiente de voir le calice libérer la corolle de la fleur sa voisine ? Elle sait que d’un instant à l’autre le jour s’enrichira d’une lumière nouvelle, celle des pétales sertis autour du cœur, lui faisant une ceinture dorée. Les mots qu’elle murmure sont inaudibles à mon oreille et j’imagine que seuls l’abeille ou le papillon ont le privilège d’assister aux échanges des unes ou des autres fleurs tapissant la prairie.

    À cet instant qui semble durer une éternité pour celle qui rougit de désir trop longtemps contenu, il est facile de mettre quelques paroles sur une impatience qui prend plaisir à mettre les nerfs à vif :

    — Allons ! Ma mie, cessez de vous montrer vertueuse ; dévoilez donc ce cœur que je sais être le plus merveilleux cadeau de la vie !

    Nul doute qu’à l’instant où vous serez éclose, on accourra de partout pour vous courtiser comme si vous étiez la représentante de toutes les reines et même celle des fées peuplant notre petit monde, venant discrètement nous frôler afin que nos parfums les embaument pour toujours. Je vous en supplie, belle voisine ; avant de vous laisser emporter par le tourbillon enivrant de la séduction, n’oubliez pas que vous êtes ma promise. À l’instant où vous le désirerez, si le vent vient à faiblir, nous ferons signe au papillon, afin qu’il vienne sans tarder sceller notre union sur l’autel de la destinée.

    Cet instant qui parait éphémère sera pour nous le moment le plus long, le plus merveilleux, car c’est alors que nous ne nous appartiendrons plus vraiment.

    Le papillon n’aura pas fini de déposer mon pollen sur votre cœur que vous serez alors mienne pour toujours. En échange de ce précieux amour, le vôtre rejoindra le mien me faisant devenir votre soumis à jamais. Devant le monde entier, je prête serment de ne pas vous abandonner, et de vous aimer aussi longtemps que dureront les saisons qui verront nos racines faire les efforts indispensables comme si elles voulaient se donner la main afin que nulle tempête ne vienne à nous séparer.

    J’aurais tant aimé poser mes pétales sur les vôtres comme si j’y déposais des milliers de baisers, en priant de toutes mes forces que les jours soient assez longs pour permettre à nos sentiments de passer de l’un à l’autre, afin que nos forces respectives soient ensuite traduites par le caractère exceptionnel de nos descendants. La nuit, alors que votre calice se refermera en projetant votre corolle sur votre cœur, je veillerai sur votre beauté fragile afin qu’aucun voleur de cœur ne soit tenté de s’approprier le vôtre.

    Dans la brume matinale, à l’heure où la nuit se travestit en rosée, je récolterai celle dans laquelle vous aurez pris votre bain. Je la conserverai par-devers moi aussi longtemps que le destin m’accompagnera, pour, quand la tristesse s’emparera de mon âme, poser délicatement mes lèvres sur le précieux nectar.

    Je redécouvrirai les fragrances subtiles d’un précédent printemps dans lequel vous fûtes pour moi un éther positif.

    À travers le Crystal je sentirai votre cœur battre la chamade, comme s’il voulait nous faire comprendre que même prisonnière, la vie reste toujours exaltante.

    Je sais bien que les plus belles histoires d’amour ont une fin. La nôtre n’échappera pas à la règle ô combien injuste ! Le temps viendra où je regarderai le soleil vous inonder de ses vertus et je verrai alors les abeilles gourmandes se délecter de votre nectar avant de le récolter et l’acheminer vers la ruche où il deviendra gelée royale.

    À l’instant où ce mot est prononcé, ma torture commence, car je devine que vous allez vous éloigner de moi et de notre amour nouveau.

    Vous n’êtes plus ma princesse. Pour d’autres, vous devenez la précieuse collaboratrice des reines.

    Ma si belle compagne des prés, vous voici élevée au plus haut rang.

    Afin que je reste encore un peu en votre compagnie, acceptez que l’insecte en mon cœur vole aussi mon âme et qu’il la dépose au plus près de la vôtre. Ainsi, par delà notre amour, nous partagerons l’existence des fleurs de la prairie.

    Ensemble, nous offrirons au monde les plus belles couleurs et les meilleures saveurs. Grâce à notre pouvoir magique, nous pourrons guérir les enfants les plus fragiles de la terre, en leur offrant des miels onctueux, éloignant la faiblesse et les maladies insidieuses.

     

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  • — Nous venons tout juste de nous éveiller, que l’on nous parle déjà du temps, de la vie, de l’existence et de tous autres qualificatifs pour nous faire comprendre que nous traversons une zone dangereuse qui ne nous appartient pas. C’est quelque chose que nous avons en commun et qu’en aucune façon nous n’avons le droit ni la prétention d’y changer quoi que ce soit. Mais en fait, de cette chose invisible qui occupe nos esprits jusqu’à la saturation, qu’en savons-nous exactement ?

    L’un d’entre nous l’a-t-il tenue entre ses mains, juste une fois, pour voir à quoi elle ressemblait ? A-t-elle une odeur, une couleur et même une saveur ?

    Quand on se frotte à elle, ressentons-nous une brûlure ou au contraire un froid si vif qu’il nous ferait trembler des pieds à la tête ? De cette vie que je qualifie souvent de merveilleuse, je n’en connais que les instants délicieux que je le lui vole. Cependant, elle ne se montre jamais rancunière. Plus je lui en prends, plus elle m’en accorde. On pourrait croire qu’entre nous c’est installé une sorte de jeu. Par contre, je peux vous certifier que jamais elle ne me demanda la moindre faveur. Sans doute est-elle trop fière pour cela.

    Sans un mot, elle me fait comprendre par certaines postures des végétaux ce dont elle a besoin. Si je ne m’exécute pas rapidement, elle attendra le moment opportun pour fabriquer ce qui lui manque. Même au cœur de ses souffrances elle nous montre qu’elle ne nous tient pas rigueur des mauvais traitements que nous lui infligeons. Elle détient un pouvoir extraordinaire. Connaissant nos faiblesses, elle prend les devants afin de s’adapter pour qu’un jour nous trouvions de quoi survivre aux dérèglements climatiques. Chaque jour je la rejoins et je lui parle comme si elle me comprenait. En a-t-elle le pouvoir ? Toujours est-il que ses offrandes sont toujours empreintes d’une immense douceur et elle me les tend sans jamais vraiment me regarder.

    Enfin, c’est juste un sentiment que j’éprouve, car je sais bien que la nature à milles paires d’yeux dissimulés un peu partout dans la forêt.

    Parfois, la vie nous laisse imaginer que ce qu’elle imagine elle le fait d’abord pour elle, car elle est sans doute la seule qui sache ce que vivre veut réellement dire. En l’observant avec patience, nous découvrons que ce n’est qu’après s’être servi qu’elle nous donne les graines de la connaissance, nous laissant le soin de les semer, afin qu’elles germent au fil des jours et grandissent jusqu’à la parfaite maturité de l’espérance.

    La vie que trop souvent nous ignorons en la galvaudant n’est cependant pas contraignante. C’est nous qui ne savons pas l’apprécier à sa juste valeur. Orgueilleux que nous sommes, à l’instar des meilleurs mets, nous aimerions la déguster en ignorant le plat qui le contient ainsi que les contraintes pour le réaliser. Pourtant, aussi vite faisons-nous à enchaîner les jours les uns à la suite des autres, notre vie d’homme ne sera jamais suffisamment longue pour en découvrir ses mystères, compter ses méandres et trouver la porte qui nous permettrait de sortir de ses nombreux labyrinthes.

    Il est à croire que des lacunes se sont glissées dans l’éducation que nous avons reçue. On a omis de nous dire que ce n’était pas sur nous-mêmes que nous devions laisser courir nos regards, mais sur cet autre personnage qui s’extrait de nos enveloppes pour aller toujours plus loin vers la vie.

    Nous sommes toujours à la recherche de la plénitude alors que nous nous prélassons en son sein. C’est comme si nous feignions d’ignorer la marmite dans laquelle nous mijotons à petit feu. Si nous tendions notre oreille, nous pourrions entendre chanter la vie. Elle nous murmurerait : « vous qui passez sans me voir », vous plairait-il enfin de comprendre que je ne suis pas votre ennemie, mais une amie qui ne vous veut que du bien ?

    Quoi que vous en pensiez, c’est moi qui vous donne votre premier souffle, et qui vous offre vos premières fleurs accompagnées de fragrances exquises. Si vous croyez qu’à l’instar des ombelles des fleurs de la pomme Rosa, elles meurent à l’instant où elles filent entre mes doigts, détrompez-vous, car c’est pour offrir une autre sorte de vie, un fruit savoureux qui enrichira votre esprit en flattant vos papilles.

    Nous, les hommes, nous nous décidons souvent trop tard à serrer les doigts pour retenir la vie lorsqu’elle s’écoule jusqu’au moment où elle vient à manquer.

     

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  •  Comme tous les grands-parents, nous sommes toujours très sensibles à la visite de nos enfants et de nos petits enfants. Avec les contraintes de la vie moderne, il est évident que les parents ne peuvent se libérer aussi souvent qu’ils le désireraient, ce qui fait que les uns et les autres ne se rencontrent pas aussi souvent qu’ils le désireraient.

    Mais pas seulement nous, qui arborons fièrement nos galons d’anciens. Parmi les petits enfants, il en est un qui n’a pas encore fait le pas dans la société qui le couperait progressivement du noyau familial.

    Il a le désir d’apprendre, et en lui la soif de la connaissance maintient la porte du savoir, grande ouverte. Alors, à chaque fois qu’il vient à notre rencontre, nous essayons de ne pas le décevoir.

    Il est curieux ?

    Cela tombe bien, nous ne nous lassons pas de parler.

    Ainsi, notre dernière conversation eut-elle un caractère solennel, car en son esprit, le thème tournait en boucle. Aussi, avant qu’il n’y fasse des dégâts, lui enjoignais-je de me dire ce qu’il avait sur le cœur qui lui confère une mine triste, lui, qui d’ordinaire est plutôt d’un naturel enjoué. Il ne fallut que peu de temps pour qu’il m’avoue son angoisse :

     — Maman m’a demandé de vous appeler moins souvent, parce que le téléphone coûte cher ! C’est parce que nous sommes devenus pauvres qu’elle me demande cela ?

     — La pauvreté te tourmente donc à ce point qu’elle te met dans cet état, lui demandais-je ? À mon avis, pour toi, il est encore un peu tôt pour comprendre ces notions de richesses ou de pauvreté. Vois-tu, pour toi, il est seulement l’heure de faire la part des choses entre tes désirs et tes besoins véritables. Il est vrai que les étals du monde sont immenses et qu’à leur surface trop de choses sont exposées à la vue de tous et surtout à celle des plus jeunes qui n’ont pas encore la notion de l’utile, de l’indispensable et du superflu. Mais ne pas avoir accès à l’une ou l’autre des convoitises ne signifie pas pour autant que ta famille s’appauvrisse.

    En ton foyer, par exemple, bien que la même somme d’argent y pénètre, pour chacun de nous, cependant, elle devient de moins en moins suffisante pour contenter les désirs de chacun.

    Alors ta maman, raisonnablement, fait le choix de pourvoir à l’indispensable avant d’accorder quelques pièces aux fantaisies.

    Tu ne manques de rien dont le ventre viendrait à souffrir, j’imagine ?

    Le toit de ta maison est toujours sur ta tête ?

    Lorsque tu rejoins ton lit, tu t’endors serein, car finalement rien d’essentiel ne t’a manqué ? Tu n’es donc pas tellement à plaindre que cela ! lui dis-je encore, comme pour le rassurer.

    Le vrai pauvre, c’est celui qui s’assoupit sans jamais trouver le vrai sommeil. Pour lui, les jours se succèdent avec une certaine hantise : celle de savoir, s’il trouve de quoi nourrir les siens. Pour lui, l’argent est pareil à une chose abstraite ou imaginaire. Il n’a pas le temps d’en éprouver le poids dans le creux de sa main, que déjà il s’est volatilisé. Le pauvre n’espère plus voir demain se matérialiser sur l’horizon.

    Il sait qu’il ressemblera à celui de la veille et qu’il lui faudra encore et toujours, en plus de chercher à manger, un endroit pour abriter son chagrin.

    Tu vois, lui dis-je encore ; nous avons bâti des sociétés dont on croyait qu’elles ne seraient visitées que par le bonheur. Hélas ! On croirait que les rues n’ont pas été tracées pour que les uns et les autres se rejoignent et s’unissent, mais dans le seul but de les diviser.

    Plus le temps passe et plus la pauvreté grandit. Même ceux qui se croyaient hier à l’abri du besoin sont aujourd’hui au bord du précipice, car la société qui était censée nourrir les hommes, a basculé de l’autre côté de la barrière.

    Il nous revient maintenant l’obligation de l’animer si nous voulons qu’elle survive à nos caprices. Et à ce petit jeu, je me demande combien de temps nos bras pourront tenir de telles charges.

    C’est pour cela que nous sommes obligés de faire des sacrifices et aussi des choix. Pour que demain il reste encore une part du gâteau que tu auras pris soin de conserver, malgré l’envie pressante qui te disait de la manger la veille, alors que sans doute tu n’avais déjà plus faim.

    Tant que tu pourras penser à demain avec sérénité, mon cher petit, tu ne seras pas plus pauvre qu’un autre. Tant que tes yeux brilleront d’amour, tu n’as pas de souci à te faire. Tant que dans ta maison rentreront les rires et le bonheur, les lendemains ne seront pas à redouter.

    Mais il existe aussi plusieurs sortes de pauvreté, comme il existe plusieurs façons d’être heureux.

    Et de cela, mon petit nous en reparlerons un autre jour, car pour l’instant ton cœur est sensible et il a besoin de grandir pour comprendre que parfois, il y a des pauvres qui sont plus riches que ceux qui ne sont que fortunés.

     

     

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  • — Ne te fâche pas si je te donne du « mon vieux ».

     Après tout, cela fait combien de temps que tu es resté absent ? Je ne crois pas me tromper si j’avance le demi-siècle, peut-être davantage, même !

    Tu imagines que tu nous reviens alors que la plupart de ceux que tu as connus sont déjà au paradis, tandis que certains sont passés par l’enfer, directement ? Dis-moi donc ce que tu es devenu pendant tout ce temps que nous ne savions pas de quel côté il nous fallait chercher pour trouver une trace !

     — Une trace, dis-tu ?

    Mais ma pauvre amie, ce n’est pas une, mais cent et peut-être mille qu’il vous fallait deviner. Je vais te dire :

    « En fait, j’aurai dû appartenir à la famille des papillons. J’ai butiné ici et là les cœurs s’offrant à ma gourmandise et mes désirs, parcourant les jours de l’aube au coucher du soleil. J’ai été un nomade à ma façon, plantant ma tente d’un côté puis d’un autre. C’est comme si j’avais voulu à tout prix trouver la source de la liberté ».

     — Cela t’a rapporté quoi, de courir en tous sens ? T’es-tu enrichi au moins ?

     — Voyons, ma belle, on ne va pas de par le monde pour s’enrichir au sens que la plupart des gens imaginent.

    La richesse que j’ai gagnée est immensément plus importante qu’une quelconque monnaie. Elle fut celle des peuples que j’ai croisés sur des chemins différents qui font comme une ronde autour du monde. Plus que chez nous, à la saison des foins, ou à celle des moissons, j’ai engrangé le savoir. Et sais-tu ?

    C’est le seul trésor qui ne supporte pas d’être enfermé dans un coffre-fort ! Seule la mémoire lui suffit, après être passée par les yeux et les oreilles.

    Les autres, ceux que tu nommes les « fortunés » ; j’en ai bien rencontré quelques-uns, effectivement. Cependant, les plus nombreux sont les gens modestes, ceux chez qui on mange toujours trop, et chez qui on est accueilli, non comme un roi, mais un véritable ami, devant lequel nulle génuflexion n’est obligatoire.

     — En cinquante années, je comprends que tu en as vu des gens ! Sont-ils vraiment si différents que par chez nous ?

     — Des amis, oui, j’en ai vu de toutes les couleurs ; j’ai rencontré les noirs qui m’ont dit que j’aurais pu être leur frère ; je me suis senti à l’aise chez les jaunes et les rouges m’ont accueilli comme l’un des leurs !

     — Pendant que monsieur allait des uns aux autres, puisque tu ne me le demandes pas, je vais te le dire quand même. Durant tout ce temps, moi, j’en ai vu des vertes et des pas mûres, si tu vois ce que je veux te dire. De ton côté, tu réussissais et moi, je tombais chaque jour davantage.

     — Tu sais, ma chère amie, nous avons tous une voie à suivre dans notre vie. Elle est différente pour chacun de nous et parfois, il nous est demandé de conjurer le sort lorsqu’il s’acharne sur nous. Il ne faut pas hésiter à se révolter contre soi-même lorsque l’on se rend compte que nous marchons jusqu’à nous épuiser alors qu’il nous semble que nous n’avons pas fait un pas en avant. Quand on a plus de fleurs à cueillir sur le bord de nos routes, personne ne nous interdit d’aller voir sur d’autres sentiers s’il n’y en a pas qui attendent notre passage pour éclore. Il en va ainsi pour le bonheur. Il ne se trouve que là où les fragrances séduisent le voyageur.

     — Tu aurais pu m’emmener malgré tout !

     — Comment l’aurais-je pu ? Souviens-toi ; tu ne voulais pas de l’incertitude. Tu ne désirais que ta maison et tes enfants accrochés à ton tablier, te rappelant ainsi le bon vieux temps où toi-même ne lâchais jamais celui de ta mère. Tu me disais qu’il n’y avait que chez toi que tu pouvais marcher à ton aise dans tes songes, alors que moi, je ne cherchais qu’à me rouler dedans comme on le fait d’une prairie alors que l’herbe est belle et grasse au temps du renouveau. Je voulais parcourir mes rêves comme on déguste un mets rare et fin. Te souviens-tu lorsque nous parlions des musiques du monde ? Je n’aurais su être heureux sans aller les écouter. Elles m’ont séduit et envoûté comme le serpent peut l’être de la flûte de son charmeur. Je me suis laissé bercer aux rythmes endiablés des tropiques qui rappellent à ton corps que tu existes et qu’il est fait pour se balancer comme la pirogue à son attache.

    C’est vrai, je n’ai pas eu le temps de faire fortune, car la vie est trop courte pour cela. Il y a tant d’autres façons de s’enrichir. Ma tête est pleine d’images de toutes les couleurs et sans doute plus nombreuses que toutes celles qui dorment dans les ouvrages s’ennuyant sur des rayons poussiéreux. Voilà, ma chère amie, ce que tu as perdu en restant loin derrière l’horizon qui cependant te tendait son fil chaque matin. Tu as laissé s’échapper le temps qui cependant te faisait signe qu’il aurait tant voulu que tu le serres très fort dans tes bras.

     — Mais tu n’as rien compris, mon ami !

    Ce n’est pas le temps que j’aurai voulu serrer ; c’était toi, grand nigaud !

     — Me l’as-tu demandé une seule fois ?

    Et puis nous n’étions que des amis. Nous fréquentions la même rue. Souviens-toi ; ne se disait-elle pas être notre université ? Nous étions trop proches pour que naisse entre nous un soupçon d’amour. Lui, il préfère que nous prenions notre temps pour le trouver et l’apprivoiser. Nous, il nous considérait comme des frères et sœurs, sans plus.

     — Peut-être as-tu raison, je ne sais pas ; je ne sais plus. De toute façon, le temps a fait son œuvre. Mais puisque te voilà revenu parmi nous, ne gâchons pas notre plaisir et trinquons à nos retrouvailles. Espérons seulement que nous aurons assez de jours devant nous, pour que chacun d’eux t’entende me raconter les choses du monde en même temps que les beaux rêves qui n’ont pas manqué de te visiter.

     

     

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