• — Rassurez-vous ; la toile dont je tiens à vous vanter l’existence n’est pas celle qui nous relie en faisant le tour du monde et qui semble nous protéger d’une quelconque venue d’envahisseurs. De cette merveilleuse réalisation des hommes, je vous en ai déjà parlé très souvent et il me semble inutile de ressasser toujours les mots ainsi que le cortège d’idées, les accompagnants, même s’ils sont agréables à entendre et plus encore à écrire, et s’il est doux d’admirer les images qu’ils génèrent.  

    Celle à laquelle je fais allusion, c’est de la toute fine qui commence à l’aube de notre vie, alors que notre esprit possède déjà assez de force pour en lancer le premier fil. Dès lors, c’est un travail de tous les instants qu’il nous faudra produire et sans cesse adapter aux exigences de l’existence. Je ne sais pas si au long de vos déplacements il vous est arrivé d’admirer d’immenses toiles d’araignées qui parfois couvrent des buissons entiers. Elles sont merveilleuses à contempler dès que le jour montre ses premières couleurs sur l’horizon. Chez nous, il arrive qu’elles s’étendent sur plus d’une centaine de mètres et ce sont elles qui me soufflent les idées de ce jour.

    Pour revenir à celle de notre vie, au début elle ressemble à un cocon moelleux dans lequel nous percevons les premières émotions de la mère, la musique qui habite notre future maison et l’amour qui réside dans notre environnement. Puis nous commençons à trouver notre nid trop étroit même s’il est des plus douillets. C’est alors que l’existence nous fait signe de venir visiter les trésors qu’elle met à notre disposition. Tout juste arrivés dans notre Nouveau Monde et parce que nous commençons à nous y agiter, nous réalisons que l’assemblage de nos fils paraît bien fragile. Il nous faut bien vite le renforcer.

    Voilà que nous lançons à la hâte un fil puis un autre. Notre univers grandit et déjà l’envie de parcourir pour la première fois notre toile nous crie de partir à sa découverte. C’est alors qu’aux confins de notre trame nous apercevons des voisines. Quelques-unes d’abord ; puis des dizaines et des centaines, comme un village réuni autour de son clocher. Il nous vient à l’esprit que nous ne devons pas nous laisser déborder si nous voulons conserver le privilège de notre liberté. Rapidement, il nous faudra construire une toile plus grande et plus solide.

    Déjà en notre mémoire les premiers souvenirs s’organisent et nous font signe qu’ils désirent être préservés. Rien que pour eux, nous ferons en notre esprit des niches pour les protéger des agressions du temps. Afin de ne rien laisser échapper des beautés des jours, nous inventerons de nouvelles architectures pour qu’ils y demeurent à jamais et ne nous oublient pas. 

    C’est alors qu’au milieu de toutes les toiles qui nous entourent se dessine celle qui deviendra notre compagne. De nombreux fils seront tendus dans sa direction jusqu’au matin où elles seront définitivement reliées. Mais avant, nous aurons fait le nécessaire pour rendre notre nid douillet et séduisant. La nouvelle géométrie des trames s’unissant avec harmonie défie les lois de l’équilibre. La vie s’écoule en écoutant la musique du vent s’amusant à travers les fils.

    Si vous apercevez des fils qui pendent négligemment, ne vous étonnez pas. Ce n’est pas un oubli. Les heures nous avaient discrètement recommandé de faire ainsi, afin que les jeunes issus de notre amour ne se sentent pas prisonniers de leur nid et puissent, au jour qu’ils choisiront, s’évader vers d’autres contrées. Chaque aurore accrochera ses myriades de gouttelettes de rosée à la trame pour que les premiers rayons du soleil dessinent des arcs-en-ciel afin que la vie soit encore plus colorée. Nous serons alors au solstice de notre union.

    Un soir, jugeant que nos existences n’avaient plus rien à apprendre du temps qui avait écrit ses règles sur chacun de nos fils, nous resterons immobiles à regarder les fils doucement se replier. Ils ne formeront pas un nouveau cocon, mais un linceul élégant, celui que nous aurons tissé tout au long de la vie et qui nous gardera enlacés pour l’éternité.

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  • – Le panneau qui traduit la joie de vivre de celui qui habite en ces lieux nous en dit long sur l’existence heureuse du propriétaire du site. Il s’exprime en créole antillais. Chez nous, en Guyane, nous aurions écrit :

    – soley ka chofé ; la pli ka tombé ; van ka souflé ; mo toujou kontan, a sa ka fé mo plési !

    La traduction n’est sans doute pas obligatoire, car j’imagine que chacun a compris que quoi qu’il puisse arriver, notre homme est plus proche que jamais de l’état de béatitude. Après la lecture d’une telle déclaration, on demande toujours quelle philosophie on pourrait opposer à cette rage de vivre dans le bonheur. Quel que puisse être l’évènement, notre ami ne descend pas du nuage sur lequel il flirte avec l’extase et il ne craint pas de nous en informer. Comment ne pas entendre ce cri du cœur ?

    Il est à l’extrême des tourments que vivent et subissent les citadins, aucun évènement ne saurait l’émouvoir. Le temps, depuis toujours il en a fait son allié et il se contente des bienfaits qu’il dépose chaque jour devant sa porte. L’univers, il le connaît bien puisqu’il réside en son centre. Il est parfaitement inutile d’essayer de le convaincre d’adopter un autre style d’existence.

    Comment en est-il arrivé à cette hauteur de sagesse, puisque ce n’est pas sur les bancs de l’université qu’il l’a apprise ?

    Dans son milieu, on était déjà proche des choses de la nature et ce n’est pas par hasard qu’il a retenu les leçons des anciens. Ne disaient-ils pas précisément que pour se sentir bien sur la terre, on se devait d’être debout avant le soleil ? Sans trop savoir pourquoi, notre homme écouta ces recommandations et il n’en fut jamais déçu.

    Il n’avait encore jamais assisté à un spectacle plus beau que celui de l’astre luisant sortant de la mer et auquel il prenait part chaque matin. Il aimait, sans pouvoir expliquer clairement ses émotions, le moment où la boule de feu émergeait de l’océan. Il lui semblait que pendant quelques instants elle hésitait à s’accrocher à l’horizon, mais quand enfin elle avait réussi à se poser sur la ligne, de son observatoire, notre homme savourait ce moment où le soleil semblait sécher ses rayons avant de partir à la conquête de la montagne.

    Comment dire avec exactitude et sans tromper l’instant magique alors qu’il narguait le volcan, s’installant en son cratère avant d’aller enflammer la forêt voisine ? Ébahi, l’homme répétait inlassablement les mêmes phrases.

    – Celui qui m’offrira un plus beau cadeau que celui de la nature n’est pas encore de ce monde !

    Je ne puis imaginer qu’il n’existe une image plus merveilleuse, y compris dans les contes qui circulent autour de la Terre, affirmait-il ! Nos gangans (anciens) disaient qu’après avoir assisté au lever du Roi-Soleil, on pouvait disposer de sa journée et retourner se coucher si tel était notre désir.

    Soyons sérieux, répétait notre homme heureux : quand on vit un tel évènement et qu’il reste au fond des yeux de telles couleurs, comment pourrait-on songer à détourner son regard du jour qui commence sa course ?

    Alors que le soleil entame son long voyage dans un ciel qui dissipe ses nuages pour permettre de saluer l’astre luisant, notre homme se presse vers l’abattis afin d’y prélever les plantes pour les remèdes qu’il ne manque jamais de prendre chaque jour. Il attend avec patience que la rosée emprisonne l’âme des végétaux pour qu’elle ne soit pas tentée de partir vers d’autres horizons. Sans s’attarder en chemin, il retourne vers sa maison où il confectionnera le précieux thé qu’il avalera pour purifier le corps pour le tenir éloigné de toutes maladies.

    Les yeux fermés, il remerciera encore une fois le ciel ainsi que tous les esprits qui y résident pour cette nouvelle journée qui s’annonce aussi belle que toutes les précédentes. Peu importe à notre héros les secousses qui bouleversent la vie des autres hommes et de leur monde ; le vieux philosophe sera toujours le plus heureux puisqu’il n’a rien demandé, que la caresse du temps sur sa peau plissée comme un parchemin, alors qu’un rayon de soleil venu de la mer suffit à son bonheur.

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  • — La première chose que je vis en traversant dans mon dernier matin fut une goutte de rosée qui s’approchait dangereusement de l’extrémité du brin d’herbe qu’elle descendait lentement, presque à regret. Je pensais alors que c’était parce que je la regardais que la plante s’était mise à pleurer. Avait-elle deviné la tempête qui encombrait mon esprit depuis des jours ? Souffrait-elle donc à ce point qu’elle essaya de me le faire comprendre pour me dissuader d’exécuter mon projet ?

    De toute façon, il était trop tard. Oui mère ; quand tu liras ce feuillet je ne serai plus. Je te demande de ne pas m’en vouloir de prendre comme exemple la perle de rosée que je croisais ce matin.

    Elle fut la seule image de pureté qui se présenta à mon esprit. Cette pureté que j’avais intimement préservée et que l’on me vola avec brutalité !

    Mère, plus aucun autre désir ne m’anime que celui d’imiter la goutte de rosée qui profita d’un dernier rayon de lumière, se laissant glisser vers le sol pour y trouver refuge. Comme elle, je veux m’y fondre et m’y dissoudre à jamais, m’enfuir vers les entrailles de notre Terre afin que nul ne retrouve ma trace.

    Je n’ai qu’un désir. Oublier la tristesse de ce jour où le malheur entra sans frapper pour occuper notre maison, alors que personne ne l’avait invité. Nous n’étions que deux dans notre modeste logement et naturellement il choisit la plus jeune pour s’en délecter.

    Depuis quelque temps, j’avais compris que chez les hommes, il y avait deux mondes qui s’observaient et s’opposaient. Le premier était effrayant. Il était celui de la rue, avec sa violence, son mépris et son rejet pour toutes choses qui ne lui ressemblaient pas. Pour ne pas nous affoler et risquer de perdre ainsi ses proies, il laisse apparaître de temps en temps un sourire sur son visage afin que nous ne voyions pas la cruauté qui se profile derrière.

    Je crois qu’il est l’enfer sur la terre.

    L’autre monde était le mien. Il ressemblait à un écrin de douceur dans lequel innocemment j’avais enfoui mes secrets, mes espoirs et mon bonheur, jusqu’à ce terrible soir où il s’écroula en même temps que mes rêves. Pardonne-moi, mère, de t’abandonner en chemin. Je n’implore aucune pitié, je ne la mérite pas. Je voudrais seulement que tu comprennes que je ne ressemble plus à cet enfant que tu connus et qui a grandi trop vite à tes côtés, dans ses habits de poupées.

    Je savais que dans ton regard je ne serais jamais une autre que celle que tu berçais chaque soir, me racontant une vie que j’avais du mal à comparer avec celle qui était la mienne.

    Tu ne m’as pas vue grandir mère ; tu n’as pas réalisé combien j’étais désirable pour ceux qui ne voulaient rien partager de l’existence. J’étais la fleur dans la prairie que tous convoitaient, attendant l’heure où ils pouvaient la cueillir.

    J’ai encore une chose à me faire pardonner, maman. Je vais ravir ta place auprès de père dont tu me disais si souvent qu’il s’impatientait de toi. Je sais qu’il ne sera pas surpris, car de là où il est il n’a rien perdu de notre misérable existence. Désormais, il ne sera plus le seul à veiller sur toi et je devine qu’il n’y a qu’auprès de lui que je trouverai la paix, ultime remède à mon mal.

    Dans l’aube que je ne sentis ni fraîche ni tiède, comme si déjà je n’appartenais plus à ce monde, je regardais la goutte jusqu’à l’instant terrible où elle ne fit rien pour éviter sa chute. Je crus même que c’était elle qui se précipitait dans le néant, prenant soin de me fixer durant son interminable voyage.

    Ce que j’observais en elle comme on peut le découvrir dans une boule de Crystal ne m’effraya pas. Je compris simplement que nos destins étaient liés et qu’ils allaient s’unir en rejoignant le sol.

    Je te demande encore de ne pas me juger, mère. Tu sais, la vie n’est pas autre chose qu’une merveilleuse perle de rosée qui cherche le soleil pour y rayonner un instant. Mais pareille à elle, elle demeure très fragile. Elle glisse sur le fil délicat du temps où elle ne trouve rien pour s’y accrocher.

    Le mien était trop tendu, il avait toujours frôlé la rupture.

    Suis-je une égoïste qui ne voulut jamais accepter autre chose que ses rêves et qui ne supporta pas qu’on l’en prive violemment ?

    Seule l’éternité jugera !

    Adieu mère ; tu sais combien je t’ai aimé. Mais vois-tu, il me semble que le fleuve ralentit son cours, pour m’indiquer que l’instant est venu pour que je le rejoigne. Il va me conduire vers l’immense océan, cimetière de toutes les âmes perdues qui n’ont plus cru aux chants des sirènes.

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    — L’hiver avait été long et sévère. La neige recouvrait la campagne depuis des semaines et chaque jour elle rajoutait une couche à la précédente. Il devenait de plus en plus difficile de travailler dans la forêt. Pris dans une véritable tempête, ce jour-là il décida de redescendre vers la maison plus tôt que d’habitude. Il ne s’était même pas arrêté à l’endroit qu’il affectionnait, là où la vue sur les vallées était un enchantement pour les yeux, le spectacle étant reporté à plus tard, la scène étant complètement obstruée par la neige qui tombait dru et droit en l’absence de vent. En riant, il se disait qu’il ressemblait plus au père Noël qu’à un travailleur rentrant au bercail.

    Alors, pas encore prêts ; demanda-t-il en pénétrant dans la maison où la famille se pressait autour du bon vieux poêle à bois qui dévorait les bûches sans pour autant réussir à réchauffer la construction vétuste ? Mais ils y étaient habitués. Ils savaient que pour ne pas geler dans les chambres, il fallait supporter la température élevée de la seule pièce qui pouvait recevoir un moyen de diffusion de la chaleur. Elle comprit tout de suite ce qu’il avait voulu dire à l’instant où il s’était écrié qu’il fallait prendre la route. Il était ainsi, bourru et imprévisible. Par contre, quand il avait décidé quelque chose, dans l’instant qui suivait, il fallait déjà être partis.

    En un mot, ils allaient traverser tout le pays pour rendre de vieux parents heureux, quelle que fût l’heure à laquelle ils arriveraient. C’est qu’en ce temps-là il n’y avait pas de téléphone pour prévenir les proches d’une probable visite. C’était aussi bien comme cela, car en imaginant qu’ils ne pouvaient parvenir à leur fin, il n’y aurait personne de déçu.

    Il ne fallut qu’un instant pour que la famille se retrouve sur la route, et sans qu’il n’en ait prévenu personne, à quelques kilomètres plus loin, à un endroit où la vallée s’ouvrait sur la montagne, entre les frênes et les peupliers mis à nu par les rigueurs de l’hiver, il s’arrêta un instant. Le spectacle était grandiose. On devinait l’épais rideau de poudreuse qui élevait les sommets, jusqu’à les faire toucher le ciel. Il contempla encore une fois cette montagne majestueuse qui s’était révélée à lui avec simplicité. Elle s’était offerte à ses désirs et même ses caprices. Petit à petit, elle avait consenti à lui accorder quelques-uns de ses secrets et par amitié, il avait dénommé le mont qu’il visitait chaque jour « son picou ».

    Il n’était qu’une masse rocheuse qui s’élevait au-dessus des vallées venant mourir à ses pieds, mais il lui avait toujours imposé le respect. En ce jour particulier, il le contempla plus longuement, car il avait quelque chose d’inoubliable, avec son énorme bonnet de neige. On le croyait sorti directement des cieux. Alors, comme à chaque fois qu’un sentiment lui bouleversait l’esprit, ce fut une succession d’images qui visitèrent sa mémoire.

    Il le revit lorsqu’il se parait d’un camaïeu de verts pour confirmer que le printemps était bien installé et qu’il ne s’en fallait que de quelques jours pour que les clochettes des troupeaux investissant les alpages se mettent à carillonner. Les sons allaient être répétés par les montagnes qui se les renvoyaient en écho, faisant comme une symphonie pastorale en ces lieux qui sortaient d’une longue période de calme absolu. On savait alors que la fête avait installé ses lumières et ses flonflons pour toute la belle saison. La nature qui ne voulait pas être en reste, permettait aux fleurs de déployer calices et corolles bariolées se joignant à la musique et la douceur des jours.

    Était-ce une petite voix qui le fit s’arrêter à cet endroit pour admirer le picou se mirant dans la rivière ? Comme si le temps avait prédit l’avenir, dans l’eau il s’amusait à déformer l’image de la montagne, faisant semblant de l’effacer.

    À cet instant, il devina parce qu’il y avait souvent goûté, le silence absolu qui entourait les sommets, image un peu irréelle dans un monde bruyant et affairé autour des profits en tous genres.

    Il ne pouvait, sans toutefois l’expliquer, détacher son regard de cette masse imposante qui semblait attirer les nuages et qui l’avait si souvent invité à la méditation. Ce jour-là, il fut bien incapable de dire pourquoi il s’était arrêté à cet endroit pour admirer son compagnon, comme il le dénommait, à moins que ce soit lui qui l’eut appelé en secret, pour le retenir encore un instant.

    Plus tard, il comprit que les hommes devraient plus souvent écouter les petites voix qui leur soufflent des mots, car ce fut le tout dernier regard qu’il porta vers sa fière montagne.

    Il ne la revit jamais ; même pas en rêve !

    Depuis toujours, il avait pris l’habitude de ne jamais rouvrir le livre de sa vie à une page déjà écrite. Il préférait en noircir une nouvelle, car les feuilles blanches suggèrent aux mots nouveaux à se dégager des imaginations et aux images d’illustrer les jours qui aiment regarder par-dessus l’épaule de l’écrivain ce que l’on dit d’eux au fil des lignes.

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    — Nous avions traversé la vie comme on le fait du fleuve, en cherchant le courant favorable pour n’avoir pas à laisser trop d’énergie derrière nous. Le destin de chacun est ainsi fait que nous allions d’un bord à l’autre, parfois d’un rivage à celui ourlant des mers ou des océans. Contrairement à notre bonne vieille planète qui tourne sans s’essouffler, nos pas un matin nous ont commandé de nous arrêter. Il y a un terme à chaque chose et à chaque évènement et notre temps d’errance vint à s’épuiser.

    Nous en étions donc arrivés de notre vie à ce carrefour que le hasard avait mis là pour nous. Il n’avait rien d’extraordinaire, mais il devint le nôtre, car il nous rappelait que l’homme doit toujours être prêt à choisir une direction pour lancer ses pas en même temps que ses espoirs. Sans état d’âme particulier, nous déposâmes donc sur le seuil de celle qui allait devenir notre demeure, notre maigre bagage contenant pêle-mêle les souvenirs d’une vie besogneuse.

    Les ans qui nous avaient été octroyés arrivaient à leur terme et il devenait urgent de bâtir une maison pour protéger cette existence qui cherchait à s’enfuir. Notre parcours n’avait pas été plus exemplaire que celui des autres hommes. Ce fut une histoire simple, faite de milliers de petites choses reliées entre elles par des fils invisibles. Le créateur nous avait déposé sur la Terre un matin de printemps, alors que nous étions chacun à un bout du pays. Quand il comprit que nous étions faits l’un pour l’autre, entre nous il traça un chemin sur lequel il guida nos premiers pas. Le ruban semblait long, et de nombreuses saisons furent nécessaires avant que nos regards se croisent puis plongent dans les yeux pour y découvrir, dans l’un, une âme, alors que, dans l’autre, était une chose qui battait si fort que j’y reconnus un cœur !

    C’est alors que j’ai compris la belle histoire qu’avaient écrite mes pas dans la poussière du chemin. Elle parlait du matin de notre rencontre.

    Il nous fallut peu de temps pour admettre que nous allions devenir un couple pour les années dont le créateur voudrait bien nous accorder. Nous nous sommes aimés, et de ce beau fruit mûr qui s’appelle l’amour, de nombreux enfants vinrent grossir la joie qui ne nous quittait pas. Nous pensions qu’elle était notre première perle de rosée, celle qui permit à la famille de s’enraciner. Chaque année était plus lumineuse que la précédente. L’on crut à un printemps perpétuel. J’aurais voulu être un poète pour écrire les mots les plus justes, ainsi qu’un artiste-peintre pour trouver les couleurs du bonheur afin de le reproduire sur le papier, pour ne plus le quitter des yeux.

    Au fil des ans, nous dûmes rajouter des couverts autour de notre table. Nos enfants étaient nos matins clairs, tandis que les leurs devenaient comme autant de soleils faisant la fête au solstice d’été. Notre maison n’en était plus une, mais une grande et belle volière où les chants de nos oiseaux rivalisaient entre eux. Il était normal que les sourires habitent sous notre toit, puisque les pierres de notre bâtisse avaient été scellées avec le parfum de notre amour.

    À notre famille, il arriva ce qui se passe dans toutes les autres. Un jour, le dernier enfant regarda avec insistance le carrefour, puis sans hésitation, choisit la route qu’il voulait faire sienne. L’âge avait fini par nous rattraper. Élégamment, il nous murmura que l’heure de rester à l’ombre de notre bonheur était arrivée. Nous n’étions pas tristes, puisque tel est le destin de chacun !

    Jusqu’à cet instant terrible où notre nid s’écroula à nos pieds. La terre avait frémi précipitant avec violence nos rêves dans la poussière, nous jetant sur la route, comme au premier jour. Mais pour aller où ?

    Notre histoire nous avait conduits en ce lieu et nulle autre contrée ne nous offrira le temps de marcher pour construire une vie identique à celle qui fut si douce à notre amour.

    Alors, me tournant vers ma compagne je lui demandais de m’adresser des sourires, même s’ils lui faisaient mal, car sans eux je craignais que la nuit finisse par envahir mon esprit ; le désir en moi soudain fut si grand, d’aller rejoindre les vieilles pierres qui semblaient me faire des signes.

     

     

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