• – Tout avait commencé à l’instant où sur le vieux continent les frimas avaient accroché sur les rameaux dénudés, leurs habits aux teintes hivernales. Immanquablement, les anciens prétendaient alors :

    – Quand il en est des couleurs qu’elles perdent leur éclat et que les arbres abandonnent leurs dernières feuilles, crois-moi, c’est que l’an n’est pas loin de nous tourner le dos.

    – C’est l’instant où la forêt et l’année rassemblent leurs souvenirs, conscientes que là où elles iront, plus rien ne sera ; que la désolation cette triste saison que nous disons être celle de l’oubli. L’une, à regret, laisse le vent du nord emporter les sourires que les époques avaient déposés sur chaque ramure, alors que le temps s’était chargé d’effeuiller les jours en faisant disparaître le lendemain, l’espoir qui tentait de s’accrocher la veille. De cette année qui agonise, honteuse et fautive comme le furent les précédentes, elle vole aux hommes le meilleur de leur existence. Il ne survivra plus que quelques souvenirs ; bons ou mauvais, à l’instar des récoltes qui savent faire rire le meunier ou pleurer le faucheur.

    En fait, cette année dont on aime à dire qu’elle est ancienne, tant ses jours sont déformés telles des épaules ayant connu tant de charges trop lourdes, avait cependant bien essayé de nous imposer son rythme. Mais, comme ses aînées, à trop vouloir nous démontrer ses compétences, elle finit par s’épuiser sans jamais parvenir à nous faire entendre raison. Le temps qui l’avait vu prendre ses aises en avait souri, car il était le seul qui savait comment elle terminerait son existence. Il a le pouvoir de provoquer la déchirure dans le ciel par où tous les jours iront rejoindre le néant de l’univers. Chaque fois, c’est la même histoire qui se renouvelle, pourrait-il nous dire. Le Nouvel An, aussi orgueilleux qu’un fort ayant vaincu un faible, oublie trop facilement qu’il n’est que le valet qui est chargé de polir le verre de mon immense sablier.

    Il en va ainsi des années. Dans les brumes d’un soir, nous les voyons replier leurs jours, à la manière d’un accordéon essoufflé, tentant de jouer une dernière romance, dont on a oublié l’air et les paroles. Qu’importe, dans le jardin secret de nos âmes, les souvenirs se pressent afin d’être en bonne place sur le balcon qui accueillera nos joies nouvelles. En chacun des hommes accourant sur le seuil de l’an dernier né, des vœux se dessinent et ne désirent qu’une chose : vivre ! Ils espèrent qu’ils ne seront pas de banales lettres mortes se balançant tels des appels à l’aide dans une bouteille confiée à la mer, ne trouvant aucun rivage sur lequel la déposer. Cependant, de tous les souhaits patientant dans le cœur de chacun, il n’est pas demandé de sentiments irréalisables. Nous voudrions seulement que les malades guérissent et que les mal-aimés deviennent des enfants comme les autres.

    Nous serions heureux que la joie qui faisait les cent pas sur le seuil des maisons franchisse enfin la porte sans crainte d’y découvrir les pièces trop sombres. Serait-il utopique d’espérer qu’à travers le monde, en brisant leurs chaînes les esclaves et les innocents puissent retrouver la liberté, que les guerres écrivent un épilogue heureux et qu’enfin le droit d’aimer devienne une obligation pour tous les hommes et que le texte soit gravé sur le fronton de tous les monuments ? Serait-ce un fol espoir que de croire que le ciel enfin s’éclaircisse afin que les rayons du soleil chassent à tout jamais la noirceur qui s’était installée sur les chemins ? Il serait si agréable que nous pouvions découvrir les vraies douceurs de la vie que les années précédentes cachaient dans le fond de leur corbeille plutôt que de le distribuer !

    Ô ! Oui, mes chers amis ; comme il serait bon de voir pour une fois l’existence offrir ses plus beaux sourires, que rien ni personne ne pourraient effacer ; ni aujourd’hui ou demain, ni les ans suivants ! Je le reconnais bien volontiers. La magie des mots nous autorise les audaces les plus folles. Quelques lignes suffisent pour qu’il nous soit permis de redessiner les formes du monde, lui offrir de nouvelles couleurs, et autant de senteurs. Nous pourrions même écrire des chansons originales, dont chaque jour serait un couplet. Alors, que nous faut-il de plus pour lancer les premières esquisses d’une société dont nous aimerions qu’elle soit le modèle qui convienne à nos désirs ?

    Qu’attendons-nous pour tracer de belles routes sur le bord desquelles nous sèmerions les fleurs les plus odorantes et les plus colorées ? Combien de temps allons-nous encore laisser s’écouler pour déblayer les chemins anciens envahis par les ronces, avant de les recouvrir de mousses fraîches pour adoucir nos pas ! Abandonnons dans le giron de la dernière heure de cet an essoufflé les préjugés de toutes natures et laissons les rancunes se déchirer en lambeaux sur les branches épineuses de nos forêts. Elles n’ont pas leur place dans le nouvel espace qui, dans un instant, va dévoiler ses secrets et ses projets.

    Bonne et heureuse année ! Je ne vous souhaite pas d’autres richesses que celles qui laissent le cœur s’exprimer. Qu’elle soit témoin de votre réussite sentimentale et professionnelle et celle de la guérison des plaies qui saigneraient encore, et surtout quelle rayonne en chacun des jours que je souhaite qu’ils soient vôtres, puisqu’ils seront les plus doux ! Il en va ainsi, que nous avons besoin qu’une année s’enfuie, pour que nous comprenions qu’elle n’est que le prélude du renouveau qui fera revivre nos joies et éclore d’authentiques petits bonheurs. Pour autant, nous n’oublierons pas nos forces laissées en chemin. Ce qui fut inscrit dans la douleur ne pouvant s’effacer d’un revers de la main, nous nous efforcerons de faire cohabiter nos sentiments, afin que les meilleurs prennent le dessus des plus faibles.

    Ce ne sont que quelques lignes qui courent sur un clavier et qui vont s’envoler pour se poser sur le rebord de votre fenêtre. Puissent-elles vous parvenir emmitouflées dans la tendresse et la sincérité. À tous ceux qui passeront par cette page, je souhaite la santé, la joie et le bonheur, celui qui s’accroche à vous et qui plus jamais ne vous abandonne. À nouveau, j’adresse mes vœux les meilleurs pour tous les fidèles de ces billets, mais plus particulièrement cette année à ceux qui ont déposé leur sourire et leur amitié dans nos cœurs :

    Alors que la neige tombe d’un côté du monde, les koualis fleurissent dans notre forêt (arbres jaunes)

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  • – Cette année, qui s’apprête à en finir n’aura pas été celle que nous avions tant espérée. Bien que l’été essaya de nous faire oublier ses premiers faux pas, têtue, elle décida de maintenir son cap, refusant même de s’approvisionner en poudreuse généreuse. Drôle de préambule, me direz-vous, pour expliquer qu’à ce moment de l’année, plus personne n’attend rien de celle qui s’était cependant annoncée triomphalement. À propos de la neige et des froidures en tous genres, elle aurait prétendu qu’elle laisse le soin à celle qui lui succédera, de recouvrir d’un épais manteau blanc, les plaines et les montagnes, comme si elle refusait de cacher les nombreuses larmes et souffrances qui parcoururent ses jours.

    À cette époque où l’année s’en va, nous ne sommes pas sans nous poser une multitude de questions à son sujet. Tout d’abord ce qu’elle fut, puis ce que nous aurions souhaité qu’elle soit, mais surtout si nous ne sommes pas nous-mêmes responsables du désarroi dans lequel elle se trouve et qui la précipite vers la porte de sortie.  

    La neige, dis-je, n’aura pas eu la charge d’effacer les stigmates de toutes les blessures que nous avons pu infliger à cet an qui rapidement ne fut pas plus nouveau que ses prédécesseurs. S’il nous était possible de quantifier les cicatrices, nous nous apercevrions qu’elles furent nombreuses et quotidiennes, l’une poussant l’autre pour occuper la meilleure place. C’est qu’au moment où l’an s’en va, nous osons parfois nous retourner vers ce que nous allons laisser comme traces, en souhaitant qu’elles ne soient pas d’une tristesse à faire regretter nos actes.

    Bien souvent, à l’heure du bilan, certaines plaies en profitent pour se rouvrir afin que nous comprenions qu’elles n’ont rien oublié. Il en sera de même pour les mots blessants que nous aurions pu laisser échapper et qui sont toujours à la recherche d’une malheureuse victime. Je ne puis passer sous silence les larmes qui seront nombreuses et impossibles à éponger, en ces jours où l’esprit est encore englué dans les meurtrissures des cœurs et des corps.

    C’est un peu tout cela, une année qui s’essouffle, mais heureusement pour nous, pas uniquement tout cela. Si les souffrances furent légion, les attentes déçues, il y eut cependant de larges plages d’éclaircies. Nous le savons bien qu’un ciel ne reste pas indéfiniment bas et sombre. De temps en temps, lui aussi a besoin de se déchirer, pour se rassurer qu’au-dessus son plafond le firmament détient toujours l’immensité bleue, comme si elle était figée.

    À peine les premiers rayons d’un soleil que l’on croyait disparu apparaissent-ils, qu’immédiatement les souvenirs douloureux commencent à s’estomper. Nous les déposons devant notre porte afin que le vent les emporte et les dissémine le plus loin possible de nos maisons. Les sourires reviennent illuminer les visages et la sérénité retrouve sa place. C’est que nous ne sommes pas des enfants de la nature pour rien et d’elle, nous avons retenu certaines de ses leçons. Malgré nos lamentations, nous savons bien qu’en son sein, un désastre, n’est jamais une chose irrémédiable. Le désespoir passé, elle profite de l’accalmie pour laisser s’épanouir les premières fleurs. Mieux, elle leur donnerait l’éclat du soleil si celui-ci était encore caché par un épais brouillard.

    Pourquoi ces végétaux délicats et colorés plutôt qu’une autre variété ?

    Pour nous faire comprendre que même d’aspect fragile, elles ne manquent pas d’audace et ne craignent pas d’affronter des éléments beaucoup plus forts qu’elles. N’avez-vous jamais vu, au cours de votre existence, un faible obliger un puissant à reculer ? Les fleurs sont pareilles aux femmes qui parfois nous semblent courroucées, mais auprès desquelles nous fondons, à peine laissent-elles le sourire illuminer leurs yeux. Le courage que nous offrent ces plantes pour nous séduire nous suffit pour nous inciter à redonner vie à l’espoir qui s’affichera pour les lendemains.

    Il en est ainsi qu’il faut qu’une année honteuse s’enfuie pour que nous comprenions qu’elle est le prélude du renouveau qui s’efforcera de faire revivre nos joies et nos petits bonheurs. Pour autant, nous n’oublierons pas nos forces perdues en chemin. Ce qui fut inscrit dans la douleur ne pouvant s’effacer d’un revers de la main ; nous ferons seulement cohabiter nos sentiments pour que les meilleurs prennent le dessus des plus faibles. Préparons-nous à accueillir la nouvelle année en laissant nos cœurs offerts l’accepter comme si elle était la plus belle fleur, avec ses couleurs et la délicatesse qui l’accompagne.

     

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  • – Quand un beau matin tu te réveilles et que dehors les frimas s’accrochent à chaque chose, les revêtant d’habits nouveaux pour l’hiver, surtout les rameaux dénudés, crois-moi, c’est que décembre regarde l’an disparaître discrètement.

    – Ainsi me parlait l’ancien, assis près de la cheminée où les marrons finissaient de griller en gémissant dans une braise impérieuse. Dans les chaumières, les lamentations seront les mêmes, alors que personne n’aura pris soin de consulter son voisin.

    – Déjà ! Mais où vont donc ces années que nous voyons à peine passer, s’écrient les gens avec la même inquiétude dans la voix ! Nous avons le sentiment que les jours écoulés, celui présent et ceux de demain, se sont donné la main pour prendre de la vitesse, en laissant derrière eux les hommes qui n’ont de cesse de gémir. Alors, retrouvant leur bon sens, ils ne peuvent que comparer l’année qui leur tourne le dos, pareille à la forêt qui se dépouille.

    Chez l’une, les feuilles, à regret, se laissent emporter par le vent du nord de plus en plus froid, tandis que pour l’autre, c’est le temps qui se charge d’ôter un à un les jours et les espoirs qui les habitaient. Mais la comparaison s’arrête à la porte des maisons et à la lisière des bois.

    En forêt, méticuleusement s’entassent les couches végétales qui vont se transformer en un précieux humus dans lequel la vie de demain s’élaborera. On pourra dire que la régénération est en marche. Dans notre monde qui s’accroche désespérément à la surface de la planète, les jours qui se prêtaient à nous et dont nous avons dépensé toute la substance nous quittent dans l’intimité des soirs, sans que nous sachions ce qu’ils sont devenus.

    De tous ces ans ingrats qui s’écoulent en volant le meilleur de nos existences, ne survivront que quelques souvenirs, bons ou mauvais, à l’instar des récoltes, qui savent faire sourire le faucheur comme elles peuvent forcer à pleurer le meunier, les années où elles sont maigres, alors que la lourde meule sera privée de grain à moudre. Dans la nature, il en sera tout autre. Une lumière diffuse s’écorchant sur les ramures avant de toucher le sol suffit à faire s’enrichir les sous-bois dans lesquels s’activent en silence les milliards de micro-organismes. Nous, faibles humains, pour nous sentir à l’aise et être que ce que nous sommes, nous avons sans cesse besoin de plus de clarté ; il est à croire que les ténèbres nous effraient.  

    Au fur et à mesure que les arbres se décharnent, le soleil investit le sol des forêts, ravi de l’aubaine. Le contraste est saisissant. Quand, en nos esprits vieillissants s’installe une ombre grandissante, c’est le désespoir qui prend place. Dehors, il est agréable de voir la brume s’amuser avec les choses, nous laissant croire qu’elle donne vie à tout ce qu’elle touche et enveloppe, faisant respirer chacun des éléments se prêtant à son jeu. Pour nos délicates pensées, quand le brouillard nous environne et insiste pour nous habiter, nous devinons que c’est notre horizon qui se rapproche jusqu’au soir où nous pourrons le toucher. Dès lors, nous savons que nos souvenirs vont se faire discrets et disparaître un à un avant de réapparaître une dernière fois dans nos yeux d’enfants où ils se sont matérialisés, pour y faire vivre encore une fois nos rêves d’antan.

    Dans notre vie, nous sommes-nous posé une fois la question de savoir si nous pourrions renaître de nos cendres ?

    L’arbre, lui, en toute modestie traversera les ans et sans doute les siècles, pour quelques-uns, préparant saison après saison son renouveau, sa énième survivance. Quand pour nous l’heure du trépas aura frappé à notre porte, nous savons que le grand voyage nous conduira en un lieu secret où l’on entasse les années épuisées, sans que personne essaie un jour de venir constater si dans notre humus il y survivait quelques souvenirs. Il est vrai que nous avons toujours eu la fâcheuse habitude de tout garder jalousement au plus profond de nous-mêmes, ignorant que les plus beaux sentiments ne sauraient être enfouis. Ils sont faits pour être partagés et mieux, pour être offerts. Alors, puisque par delà nos vies nous ne pourrons rien emporter, avant qu’ils ne soient épuisés, nous devrions nous empresser de transmettre le meilleur de notre savoir, à la façon qu’a le terreau de la forêt de se nourrir de la mémoire du sol.

    Avant que l’an finisse, je fais serment de vous offrir mon amitié. Prenez-en soin, elle est un peu sauvageonne, et pour ceux qui sont loin du soleil, faites-lui une place auprès du feu, car elle n’est guère habituée aux rigueurs hivernales.

     

     

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    Naissance d'une légende  2.2 Bien que précaire, le calme était enfin revenu et chacun écoutait avec la plus grande attention. L’arbre mutant fit un effort et se lança dans le récit à la manière que l’on a de plonger dans la rivière, pour y disparaître à jamais, c’est-à-dire les poches pleines de désespoir.

    Un frémissement agita sa puissante ramure, qui eut pour effet de faire se précipiter vers le sol des dizaines de feuilles devenues trop âgées. Il nous demanda alors de ne pas l’interrompre et nous pria de le suivre à travers son récit, sur le layon qui conduit directement au temps de son enfance.

    — Très peu de personnages ont eu le privilège de conserver des souvenirs de cette époque lointaine, nous dit-il. Nous étions au temps de la démesure. Nous, arbres de toutes les forêts, nous étions si hauts, que l’on disait de nous que nous flirtions avec le ciel dans lequel étaient réfugiées les déesses qui s’étaient enfuies de la Terre, tandis que le gigantisme se mettait en place. Les animaux avaient des proportions telles, que lorsqu’ils se disputaient une proie, on croyait qu’un séisme était déclenché et marchait vers les protagonistes qui continuaient à s’écharper. D’autres espèces étaient si puissantes, qu’elles jetaient à terre les arbres contre lesquels elles se frottaient.

    Certains d’entre nous possédaient alors un port élégant et notre ramure se laissait courtiser par les rayons du soleil. Il n’en fallut pas tant pour que nous produisions une floraison éclatante, aux fragrances si enivrantes qu’elles affolaient les oiseaux géants qui venaient de très loin pour se délecter d’un nectar incomparable. Puis s’en suivait le temps des fruits. Ils étaient d’énormes figues dont tous les animaux volants raffolaient. Jaloux de ne pas avoir accès à ce festin posé sur des branches hors de portée, certains colosses nous bousculaient tant qu’ils finissaient par nous abattre et ainsi avoir nos récoltes à portée de dents.

    — Cela n’explique pas pourquoi ton joli tronc se prolonge d’une sorte de pied, demandai-je. Vos agresseurs, possédaient-ils les mêmes pieds ?

    — Ce n’est pas aussi simple, me répondit-il ; notre mère Nature assistant à notre destruction réalisa que malgré les soins apportés à la création, elle avait fait quelques erreurs. Elle s’empressa donc de les réparer, faisant en sorte que nous puissions échapper à ce qu’il convient de nommer un véritable massacre.

    Ainsi, nous a-t-elle ajouté des doigts dans le prolongement de notre tronc et elle nous recommanda de nous enfuir le plus loin possible de la région où, nous comptions tant d’ennemis.

    C’est pourquoi on peut rencontrer certains de mes pareils sur tous les continents, lorsque ceux-ci se séparèrent.

    — Mais alors, dis-je ; si tu es planté là depuis tout ce temps, comment se fait-il que les autres ne se plaignent que depuis si peu de jours ?

    — Tout cela est de ma faute, me dit le mutant en baissant sa ramure si basse qu’elle se trouvait presque au niveau du sol. Je ne suis pas si différent de mes voisins.

    Comme tout un chacun, il m’arrive d’avoir des moments de grande mélancolie et il se trouve que lorsque je suis dans de pareils états nostalgiques, il me prend l’envie de partir à la recherche du temps perdu. Je sais, ce n’est pas raisonnable, mais c’est plus fort que moi. Quand je compte les cernes qui me racontent combien fut longue la vie que j’ai traversé, des pensées noires envahissent mon feuillage et pénètrent mon cœur.

    Revenir de quelques pas en arrière me rassurerait, ajouta-t-il encore. Qui sait si je ne pourrais pas ainsi retrouver mes origines et le décor qui les accompagnait ? Tout au fond de mes racines, je reste persuadé que je ne suis pas à l’aise dans ton siècle. J’estime qu’il ne fait pas assez de place à l’espérance.

    – Tu n’as peut-être pas tort, répondis-je, mais tu oublies cependant les raisons qui vous ont poussé à l’exil !

    – Certes, continua-t-il, mais depuis, j’ai appris des choses nouvelles et je me sens suffisamment fort pour affronter tous les dangers ! J’ai compris qu’il me suffisait de mettre à disposition des animaux ne pouvant s’élever, des branches à leur niveau, pour qu’ils puissent déguster les fruits qu’elles porteront, afin de rendre heureux et repus, les uns et les autres. Voilà pourquoi j’entreprends un long voyage vers le passé. Je ne pensais pas effrayer ceux de mon entourage. Humblement, je leur demande de me pardonner.

    – C’est bien, mon ami, de t’excuser, mais en attendant, bien inutilement, tu perturbes un ordre établi depuis des siècles. Je dois t’avouer quelque chose qui t’aura échappé, continuai-je, et je suis sincèrement désolé d’avoir à te dire que le temps que tu veux retrouver n’existe plus. Le monde de tes ancêtres à disparu ! Il n’y a plus d’animaux gigantesques qui hantent les forêts qui depuis ont découvert la joie de vivre. Les dangers, s’ils sont toujours présents, ne résident plus dans les bois, mais dans des cités tentaculaires.

    Ce sont les hommes ! Ils sont détenteurs de petits cerveaux, mais sont doués d’une grande imagination et ne sont jamais rassasiés de faire ou d’inventer un nouveau mal. Si je puis me permettre de te donner un conseil, je te recommanderais de rester où tu es ; c’est là où tu te sentiras le plus en sécurité. Oublie le monde de tes origines, car même si tu pouvais le retrouver, je sais d’ores déjà que tu serais profondément déçu. Rien de ce que tu imagines dans tes rêves les plus fous ne ressemble à la réalité. Il ne subsiste rien depuis que le temps a fait son grand ménage. Penses-tu que tu puisses vivre seul au milieu de nulle part, avec pour unique compagnon l’oubli et le vide ? La misère que l’on supposait être installée durablement dans le cœur des hommes s’est aussi emparée des entrailles de la Terre. J’ai la mauvaise impression que nous consommons nos derniers siècles.

    Le monde n’en peut plus, mon ami ! Il est à bout de souffle. Crois-moi, profite du temps qui nous reste pour demeurer de bons voisins, et mets-le à profit pour vivre intensément chaque instant qu’il nous offre. La vie écoulée n’est plus qu’une brume qui stationne au-dessus de nos têtes. Elle attend qu’un vent puissant la transporte si loin que jamais nous ne la reverrons. Je ne suis pas devin, mon ami, et je n’ai aucun pouvoir. Mais je puis te dire que demain aussi sera agréable à vivre. Il le sera d’autant plus que ton imaginaire le souhaitera. Laisse-le inventer autant de magnifiques saisons qui installeront sur tes rameaux les plus belles fleurs avant qu’elles deviennent des fruits merveilleux et savoureux. Nous avons tous les moyens de voyager à travers les rêves qui nous rendent heureux. Nous avons en nous le pouvoir de changer la couleur noire en un extraordinaire camaïeu de verts, fils naturel de l’espérance.

    Rien ne peut nous obliger à pleurer lorsque le ciel sourit. Aucune force maléfique ne peut nous contraindre à succomber tandis que nous voulons vivre intensément chaque instant de l’existence. La lumière brille partout, même si son éclat est des plus modestes sous notre forêt. Elle est suffisante pour permettre à la vie de naître au milieu de l’humus qui est la mémoire du temps. Nous devons saluer chaque aube nouvelle, car elle nous apporte le baume qui guérit nos angoisses et fait disparaître de nos cœurs la haine qui voudrait s’installer. Et puis, si cela peut te réconcilier avec la vie, je puis en ce jour, t’affirmer que je ne toucherais pas une feuille de ta ramure. C’est à mon tour de te prier de rester parmi nous. J’ai tant besoin de toi pour exister ! J’aimerais seulement qu’après avoir arpenté les forêts, tu laisses ton pied aller à la rencontre des entrailles de la Terre, car c’est elle qui recèle les secrets de notre vie à tous.

    Si tu m’y autorises, je me permettrais de formuler un autre désir.

    Quand tu auras enfin retrouvé la sérénité, pour ajouter à ton nouveau bonheur, tu feras en sorte de ne pas faire trop d’ombre à ceux qui se pressent autour de toi. Chacun a droit à son espace de vie et sa part de lumière, car c’est en eux que réside le bonheur.

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  • — Il faut peu de choses pour que de l’imaginaire, naisse une histoire qui court pendant des siècles sous les grands bois, les savanes et les villages, s’arrêtant sur le seuil de chaque demeure.

    Comme toutes les pensées, à l’instant où elle voit le jour, elle ignore qu’elle sera suivie d’un premier mot qui jouera le rôle de la fondation de nombreuses lignes.

    Si nos paroles ne s’exportent pas au-delà de leur lieu d’apparition, il y a peu de chance pour qu’elle survive au temps. Il prend rarement en considération les appels à l’aide des uns ou des autres évènements qui naissent dans son giron. Mais, qu’un homme vienne à passer sur les lieux où se produit la nouvelle ou la matérialisation d’un phénomène particulier, la chose aura une chance de vivre et même de s’exporter au-delà de son milieu naturel. Mieux, il ira en s’amplifiant, chacun y apportant sa note personnelle afin de l’enjoliver alors que d’autres déroulent déjà une nouvelle route devant lui pour qu’il parcoure le monde.

    Notre Amazonie prête volontiers son décor d’une exceptionnelle beauté à tous ceux qui désirent faire vivre les choses qui paraissent inertes ou passives, alors qu’elles évoluent dans un milieu qui semble générer la vie. De plus loin où l’on peut remonter dans la mémoire, l’on découvre que les siècles ont été parcourus d’histoires dans lesquelles les animaux, les choses ou les végétaux ont revêtu les habits de l’homme. Animés, ils prirent plaisir à jouer avec les mots et pour notre plus grand émerveillement, ils enjambent les lignes, sautent de chapitre en chapitre. Il s’en trouve qui font sourire ; d’autres forcent le lecteur à verser quelques larmes, alors que certaines installent dans les esprits la crainte et parfois l’effroi. À l’instant où le griot ou le conteur interprète et mime les personnages auxquels ils donnent vie, il leur prête soudain un aspect si réel qu’ils semblent s’éveiller sous les yeux des spectateurs ébaudis. C’est alors que l’on se demande si les applaudissements sont adressés au narrateur ou aux personnages qui animent le conte.

    Qu’importe les gens à qui ils sont destinés. Incontestablement, ils sont réservés à chacun des acteurs, car, de toute évidence, sans le griot, bien des rêves, resteraient perdus dans l’Univers, à la recherche d’autres contes disparus avant d’avoir grandis, emportés par le chagrin de n’avoir pas connu la récompense des rires et de la joie qui s’installe dans les yeux et le cœur du spectateur ou de l’auditeur attentif. Les légendes ne naissent pas tout à fait par hasard. Elles ont un point commun avec la fumée, qui ne peut être sans le feu.

    Tenez, moi qui ai la chance quasi insolente de pouvoir parcourir les bois à longueur de journée, d’après ce que j’y découvre, je pourrai vous raconter mille histoires ou légendes différentes, si j’en avais le temps. C’est que la forêt est une chose vivante et qu’elle ne se lasse jamais de nous livrer ses sentiments et ses états d’âme.

    À peine les yeux se posent-ils sur un animal, un insecte ou un végétal d’apparence particulière qu’instantanément celui-ci me raconte son histoire qui fait s’animer le décor qui m’entoure. Ainsi, il y a peu de temps, au détour d’un layon, mon attention fut attirée par un remue-ménage peu ordinaire. L’air semblait prêt à exploser, les plaintes et les gémissements allaient grandissants, à la façon de ceux qui se libèrent enfin d’une colère trop longtemps contenue. Prudemment, mais curieux de nature, je me rapprochais.

    Lorsque la forêt manifeste, généralement c’est toujours aux hommes qu’elle adresse des reproches. Cependant, ce jour-là qu’elle ne fut pas ma surprise d’entendre que ce n’était pas après nous qu’elle nourrissait sa mauvaise humeur ; elle lançait des invectives à l’un des siens. Prise à partie par les autres résidents de la forêt, la malheureuse victime me regardait et à son air, je devinai qu’il me demandait de l’aider et de le défendre des menaces que ses voisins proféraient à son intention. C’est alors que je l’examinais de la tête au pied, que je compris qu’elle était différente de ses compagnons.

    Il était un arbre, certes, mais était encore affublé d’une ascendance animale. Réalisant ma surprise, il me dit avec suffisamment de tristesse dans le propos que l’on y découvrait un sanglot si long que l’on se doutait qu’il avait commencé un matin et depuis, il n’avait jamais pu s’éteindre :

    — Ainsi, toi aussi, tu vas te ranger de leur côté ? Ton comportement me laisse supposer que je ne puis compter sur toi pour justifier ma malheureuse personne auprès de mes amis les arbres !

    — Je ne puis te mentir, lui répondis-je ; ce n’est pas dans ma nature de ne pas dire ce que je pense. Mais ne t’en formalise pas pour autant.

    — Avant de décider de prendre part à un débat, il est bon d’en connaître les tenants et les aboutissants. Il est inutile d’essayer de démêler une pelote si l’on ne trouve pas le fil qui conduit à sa libération. Au cours de mes pérégrinations, j’ai croisé bien des arbres. J’ai vu des géants, des énormes et des malingres et même des nains. Le plus grand nombre avait leurs racines enfouies profondément dans la terre. D’autres les avaient en forme d’échasses afin de pouvoir vivre au-dessus des sols humides et d’autres encore étaient obligés de construire d’immenses contreforts pour conserver leur équilibre face aux coups de boutoir des vents déchaînés.

    Je le reconnais, dis-je en le regardant droit dans le fût. Un arbre au tronc prolongé de doigts, je ne l’avais jamais vu ! Je devine que les autres peuvent être effrayés et même qu’ils se posent des questions ! Serais-tu un mutant ?

    Il haussa les charpentes pour me faire comprendre que ce n’était sans doute pas le terme le mieux adapté. Affichant jusqu’à la feuille la plus éloignée un air réellement désolé, il me dit qu’il savait qu’il n’aurait pas assez d’une vie pour me raconter son histoire. Si tu veux que nous avancions, dis-je, tu pourrais commencer dès à présent ; ainsi ; les esprits s’apaiseraient et chaque matin je reviendrai écouter la suite de tes mésaventures, de telle sorte, qu’ensemble, nous pourrons remonter dans le temps et arriver à celui qui est la cause de tes malheurs. D’ailleurs, il y a longtemps que tu aurais dû commencer tes explications. Toi qui as traversé tant d’époques, tu devrais savoir qu’il n’est rien de plus désagréable pour ceux qui nous entourent d’avoir le sentiment qu’on leur cache quelque chose. C’est alors qu’ils inventent une l’histoire qui s’éloigne de la réalité, mais qu’ils apprécient, car ce sont eux qui l’écrivent comme s’ils en étaient les propriétaires, tandis qu’en fait, ils n’ont fait que voler ta vie. ( A suivre) .

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