• Marchant quelque part sous la forêt, un vieil homme parlait aux étoiles. Son pas était chancelant, ne cherchant plus à éviter les lianes et autres obstacles qui encombraient le layon laissé depuis quelque temps à l’abandon. On aurait dit que la nature n’attendait que le moment idéal pour refermer le sentier derrière lui. Reprenant souvent son souffle, effleurant les troncs de-ci de-là, il se faisait violence pour arriver à son endroit secret avant que la nuit ne fût complètement installée. Là où il se rendait, nul ne devait le surprendre en chemin et surtout il ne pouvait y être qu’à un instant précis.

    Celui où les âmes des ancêtres reprennent possession de la terre à la recherche de ceux qui doivent les rejoindre. Il n’aurait pu y être alors que la lumière se dessine sur l’horizon, car cette heure-là n’est réservée qu’à ceux qui aiment la venue d’un jour nouveau ou pour accueillir parmi les hommes les enfants derniers nés, et non ceux qui veulent se retirer.

    Son histoire avait commencé il y avait bien longtemps...

    Écoutons-le :

    – Alors que je n’étais encore qu’un jeune non-initié, bien que je ne comprenne pas grand-chose aux conversations des grands, j’entendais les anciens faire part de leurs observations de la nature ou de la vie passée. Ils s’adressaient aux membres du clan qui les écoutaient sans broncher, comme on reçoit la divine parole. Mon tour vint d’engranger un peu du savoir de nos sages qui avaient traversé l’existence dans la plus grande discrétion, mais sans jamais avoir perdu ni même oublié le moindre mot qui chantait les histoires merveilleuses, toujours plus passionnantes, qu’aucun autre conteur n’eut écrites dans les livres. Chez nous, aucun ouvrage relié n’arrivait jusqu’au village. Les feuilles sur lesquelles s’inscrivaient les légendes s’appelaient le ciel, où les nuages se chargeaient de tourner les pages après que les colibris aient déposé la ponctuation.

    Nos modestes recueils se nommaient « mémoire » de l’humanité. Ils vivaient au rythme de celui qui la nourrissait. L’histoire, on la comprenait en suivant le regard du conteur qui changeait à chaque nouvelle définition, se posant sur les uns ou sur les autres, transformé pour un instant en personnage fabuleux. Les gestes mimaient des situations ; le ton se faisait presque mielleux, montait ou descendait, sifflait ou roucoulait. Il se faisait également murmure, aussi doux que le pied épousant le sol du sentier, lorsque le danger se rapprochait à portée de vue, presque à être frôlé. Dans l’assistance, on percevait les frissons qui envahissaient chacun de nous quand les respirations se retenaient. Parfois, l’histoire était si triste, que le conteur lui-même laissait monter des larmes qui incrustaient des paillettes lumineuses dans ses yeux, s’attardant en roulant sous les paupières avant de s’accrocher dans un dernier geste de désespoir à un cil d’où la suivante la poussait, la précipitant au sol du carbet, qui s’empressait de la faire disparaître prestement, afin que les secrets d’un cœur meurtri enrichissent les entrailles de la Terre.

    Je me souviens de ce matin pluvieux qui avait succédé à un autre tout aussi mauvais. Bêtes et gens s’étaient réfugiés sous les carbets à guetter l’éclaircie qui se faisait attendre. Sans doute des hommes la détenaient-ils quelque part dans une contrée du monde, jusque-là ignorée de nous.

    Me voyant perdu dans mes pensées, un des nôtres, plus vieux que les plus anciens, s’approcha de moi et posa sa main sur mon épaule. Je n’éprouvais alors aucune crainte ou appréhension. Au contraire ; je sentis un sentiment étrange pénétrer en moi, à l’instant où il prit place dans les endroits les plus reculés de mon corps. Ce fut comme un immense bien-être qui s’installait en moi, une espèce de paix comme celle que les hommes appellent de tous leurs vœux.

    – As-tu découvert quelque chose de surprenant dans ce rideau de pluie que je remarque qu’aucun de tes traits ne s’est déplacé depuis ce matin, me dit le sage dans un murmure à peine audible ? Reconnais-tu dans ce brouillard dansant comme un voile agité par le vent, continua-t-il, un visage connu ou mystérieux ? Sens-tu approcher de chez nous un événement heureux ou malheureux ? Et encore sur un ton qui n’avait ni amplifié ni diminué comme s’il n’avait été qu’un trait continu :

    Vois-tu un homme essoufflé apportant la nouvelle du changement de saison ?

    – Me retournant vers le vieillard, je lui souris en regrettant de ne pas l’avoir jamais dévisagé auparavant.

    Il était beau, avec ses longs cheveux qui ressemblaient à des fils d’argent. Il n’avait pas de barbe, seulement un toupet qui semblait vouloir retenir un menton qui cherchait à se dérober. Sa peau avait la couleur des soirs au-dessus de la forêt. Elle paraissait satinée et chaque ligne l’ornant comme les sillons dans lesquels on sème la vie, auraient pu raconter l’avènement et la disparition de bien des lunes. Son visage était serein, avec une expression indéfinissable. Ses yeux dessinaient des fentes particulièrement étroites, s’étirant vers les tempes. Ils cherchaient sans doute à nous faire croire que nul événement ne l’avait jamais surpris. Ils n’étaient qu’à peine entre-ouverts comme s’ils voulaient filtrer la lumière du jour et des choses n’en retenir que les plus belles, à moins qu’ils fussent ainsi pour éviter que l’âme soit tentée de fuir. Un pinceau invisible avait tracé et enjolivé un sourire qui au fil de l’existence n’avait jamais brillé autrement que de ces mille éclats. Sa main était ferme, bien que prolongeant un bras décharné identique au corps à travers lequel les os s’affichaient sans pudeur ni retenue.

    Après avoir longuement dévisagé l’homme, je lui avouais que je désespérais d’arriver à ce point de sagesse qui me ferait deviner les pensées du monde. Puis je continuais avec un regard bienveillant, mais rehaussé d’audace.

    – Homme de bien et d’immense savoir que tu es, nul ici ne connaît ton âge véritable. L’ignorerais-tu toi-même que jamais nous n’en parlions ? Nous croyons seulement que le temps t’a choisi pour lui ressembler, à ce point qu’il s’est réfugié en toi pour durer davantage, et que l’on dit de lui que l’on ne sait d’où il vient, ni même où il va et encore moins depuis quand il souffle.

    – Ah ! Voilà donc la chose qui tracasse ton esprit, répondit le vieil homme.

    Le temps ! Je veux bien t’avouer un secret, mon jeune ami.

    Sur un ton à peine audible, mais avec dans la voix une douceur qui la faisait penser à un chant honorant la forêt dispensatrice de bienfaits il m’offrit la clef de l’énigme que je ne pouvais résoudre.

    – Si tu ne veux pas gaspiller la part du temps qui t’est réservée, ne cherche pas dans les étoiles ce que tes yeux ici bas ne sauraient voir, entendre ou comprendre. N’invente pas le parfum de la fleur avant qu’elle ne se soit éclose et ne laisse pas tes lèvres prononcer des paroles ou fredonner des airs dont tu ne connais pas la provenance, ni la signification. Sur la Terre, toutes les actions de l’homme doivent être suffisamment claires et distinctes pour être comprises de tous. À ce jour, continua le sage, je n’avais jamais confié à personne comment on pouvait voir le temps, le sentir et grandir avec lui sans avoir recours au décompte des jours qui s’enfuient dans les ténèbres qui les bousculent ou encore les nuits qui se meurent dans le premier rayon barrant le ciel. Je comprends la tristesse de ton ignorance qui s’accroche à toi tel le pou d’agouti ne cessant de démanger ta peau où il se tapit, si tu désires vraiment connaître l’histoire du temps, je ne te dis qu’un seul mot : tiens-toi prêt.

    Dès la pluie calmée, tu m’accompagneras à l’abattis, car il est l’heure qu’en ton esprit la tempête et la douleur s’apaisent.

    C’est quand le nouveau jour s’atténuera que tu seras riche de ta première leçon de vie. (À suivre).

    Amazone. Solitude.

     

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  • — Ce n’est pas parce que je vous tourne le dos que vous deviez en conclure que je suis fâché. Ce n’est pas une posture outrageante, bien au contraire. Je n’ai pas le caractère qui prend ombrage du premier petit nuage traversant un ciel d’azur. À ce point que je m’étais adapté dans un monde différent, qu’il me fallut bien des années pour comprendre ce qui m’était arrivé. La situation ne m’avait pas été imposée, sinon par les obligations dues à la vie et aux responsabilités familiales.

    Une erreur ? À n’en pas douter. Mais il est si difficile de reconnaître les siennes entre toutes celles des gens qui vous entourent.

    Pendant que les questions n’en finissent jamais de tourner et torturer l’esprit, le temps, lui, ingrat et indifférent à nos états d’âme, s’enfuit. Et croyez-moi, il est rapide ! Il est à penser qu’il possède mille paires de pattes et autant de voiles pour que le vent l’aide à détaler plus vite.

    Je vous disais donc que vous ne deviez pas imaginer que je vous quitte. Seulement, j’ai parcouru tant de chemin dans ma modeste vie, qu’il me faut bien comprendre les raisons qui m’ont conduit jusqu’à ce jour. Alors je recompte les pas effectués et je me demande si je les ai vraiment accomplis de mon propre gré ou si une force céleste m’a guidée sur cette route qui ne mène nulle autre part qu’à la désolation.

    Le désert, je le connais bien. D’aucuns penseront qu’il est une immensité ignorée et étrange où la vie ne s’y arrête qu’une fois de temps en temps pour s’y reposer.

    Qu’ils se détrompent, l’existence est omniprésente sur ces dunes et elle leur impose un rythme qui en essoufflerait plus d’un. De ce berceau qui m’a vu naître, que d’autres appelleraient l’antichambre de la solitude, je ne m’y suis jamais senti seul et abandonné.

    Même au plus fort de la chaleur alors que le bon sens vous impose de vous tenir tranquille sous la tente, observant les dunes, vous les voyez se mettre en mouvement. N’est-ce pas là le signe que la vie est bien présente sous le sable et qu’il nous suffit de le remuer pour nous en convaincre ?

    Oh ! Je vous le concède, ce n’est pas toujours ce à quoi l’on s’attend qui apparaît sous vos yeux. Ce peut être un scorpion, une vipère ou même une araignée. Mais ces animaux sous vos pas, c’est que d’autres éléments s’y trouvent également cachés, qui justifient la présence de ceux qui s’en délectent. Voyez-vous, le désert assure son équilibre, et en ce domaine, il n’a rien à apprendre des hommes. À certaines heures, sans que vous l’aperceviez si vos yeux n’ont pas l’habitude, se confondant dans le paysage, la gazelle vous observe, craintive, maintenant une grande distance entre elle et les hommes.

    Il est aussi bien d’autres phénomènes qui nous confirment qu’au milieu de nulle part, nous ne sommes jamais seuls. Le sable, poussé par le vent, dessine des vagues qui le font ressembler à un océan et comme les embruns, il vous cingle la peau si vous la maintenez découverte. Mais il sait aussi nous apporter les mélodies du monde, qui, pour être plus agréables encore, ont mêlé leurs notes pour en faire les plus beaux airs métis qui déclinent la vie de la Terre en de joyeuses cascades musicales.

    Après avoir fréquenté les villes, me demanderez-vous, pourquoi revenir en ce milieu plutôt hostile ?

    La réponse est tellement simple, que je m’étonne de ne l’avoir trouvée qu’après de longues années.

    Le désert, le vrai, celui qui ne pardonne aucune faute, il n’est pas celui que l’on pense en fixant les étendues arides. Celui qui m’a tout pris et qui m’a fait le plus souffrir c’est celui des villes qui créent et entretiennent les chimères. Les amis y sont rares parmi tous ceux qui marchent indéfiniment le long des rues et des chemins. À chaque instant, il se trouve quelqu’un en embuscade pour vous exploiter. On vous écrase et l’on y vole votre personnalité. On y torture votre âme, aussi, de même que l’on vous domine avant de vous diviser et de vous répartir comme les pions sur un échiquier où seuls les maîtres se réservent les parties gagnantes.

    Malheur à vous si vous tombez ! Vous serez certainement piétiné, car les mains charitables qui vous relèveront y sont peu nombreuses.

    D’ailleurs, voyez-vous quelques ombres accourir à ma suite pour me demander de retourner vers elles ?

    Voici les raisons qui me poussent à revenir vers mon désert qui sourit, heureux de m’accueillir en son immensité mystérieuse.  

    Lui au moins ne vous prend pas en traître. Il vous respectera, car il a deviné que vous étiez assez fort pour l’affronter et y survivre parce que vous l’aimez.

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  • — Il est bien connu que le ciel n’oppose aucune frontière aux audacieux qui pensent qu’il y a toujours un ailleurs où il doit faire aussi bon vivre que chez soi, à moins que les conditions d’existence y soient meilleures encore. C’est ainsi qu’il y a fort longtemps, de nombreuses espèces végétales empruntèrent la voie des airs pour se rendre sur la ceinture équatoriale de la planète. Du Sud-est asiatique à la Guyane, il ne fallut qu’un souffle de vent pour que certains d’entre nous fassent la conquête du Nouveau Monde !

    Pas moi, évidemment, puisque toute ma lignée est issue de la reproduction locale. Je vais même vous étonner. Il paraît que certains de nos ancêtres ont emprunté les navires des hommes ; curieux qu’ils furent eux aussi de découvrir ce que l’horizon cachait derrière son trait dressé comme une barrière. Bref, voici donc que parmi mes frères, j’ai eu la chance de grandir sous le ciel des tropiques. Patiemment, je m’élevais au fil des jours que la pluie et le soleil se partageaient. Dans le verger, j’en vins à me dresser, fier et élégant. Je n’avais qu’un rêve : devenir le plus beau. Pour y parvenir, j’organisais mon port en pyramide, lançant vers les nuages ma cime orgueilleuse, comme pour les provoquer afin qu’ils ne lâchent sur moi que la plus douce des pluies.

    Le temps passait et je commençais à me poser quelques questions sur ma raison d’être et mon devenir, jusqu’à un matin qui ne fut pas comme tous les autres. En moi, je sentis se répandre une émotion nouvelle. Elle était une chose indéfinissable, à la fois douce, et douloureuse, comme si mon bois cherchait à exploser sous la poussée inexplicable d’une sève qui aurait soudainement jugé trop étroits les canaux répartissant la vie jusque dans les moindres rameaux. Ce frisson inconnu courrait en moi, montant et descendant, se complaisant à provoquer en mon corps des soubresauts pareils à des convulsions. Mes feuilles devinrent plus grandes et plus luisantes afin d’offrir au soleil la totalité de leur surface. Je fus presque honteux, lorsque dans une aurore timide je me couvrais de boutons qui grossirent de jour en jour.

    Quelques matins plus tard, tandis que la brume m’enlaçait encore, je sentis un tremblement agiter ma ramure, puis un sentiment de délivrance, comme si l’on me soulageait du poids du ciel reposant jusqu’à lors sur ma belle structure. Les bourgeons venaient de s’ouvrir, dans un ensemble presque parfait. On aurait dit qu’ils s’étaient attendus afin d’exploser dans un même feu d’artifice. Figurez-vous que ce que je prenais pour une maladie honteuse se transforma rapidement en milliers de fleurs colorées qui ornèrent l’ensemble de ma charpente. Mon bois n’existait plus, mon feuillage, soudain, perdit son attrait au profit de la belle teinte amarante de mes bouquets, dressant leurs ombelles longues et délicates. Alors que je vivais dans le calme de la nature, voilà que j’étais à la fois dans une ruche et dans une volière. Venues de partout, des millions d’abeilles bourdonnaient tout au long du jour, butinant ici, aspirant par là, tandis que les colibris de toutes espèces battaient si fort des ailes que je crus qu’ils voulaient m’apprendre à voler. Comment puis-je vous expliquer ce que je ressentis à cet instant ?

    C’était mon jour de gloire, mon jour de fête et la reconnaissance des miens à ma condition d’indispensable aux biens faits de la nature, nourrissant hommes et bêtes dans une même joie. Je sais, vous allez me dire qu’il est facile d’éprouver de tels sentiments quant à l’origine, tandis que circulent dans un parfait élan, la sève, l’orgueil et la fierté. Qu’importe les pensées, vous verrez quand pareilles choses vous connaîtraient. Il vous arrivera aussi de laisser flotter dans les airs, les fragrances de votre jouissance.

    Mes feuilles se donnaient beaucoup de mal pour s’élargir davantage afin de fixer en leur mémoire cet évènement fleuri. Tout à mes émotions, je ne vis pas venir le changement. Je connus soudain l’angoisse de mes amis les végétaux d’autres continents qui se laissent surprendre par les saisons. De nouveaux frissons me secouèrent, tels des spasmes qui se faisaient ressentir du plus haut de ma tête jusqu’au bout de mes racines, distillant un goût particulier, presque amer, comme une fin du monde imminente. Avec le désespoir que procure l’impuissance, j’assistais à la disparition de mes parures. Une main invisible me dévalisait de mes bijoux les plus précieux. Celles qui avaient fait la joie des insectes et des oiseaux tombaient de branche en branche, s’abandonnant sans essayer de se retenir.

    Après mon jour de gloire, je connus la honte des jours sombres et celle de ceux que l’on délaisse quand ils n’apportent plus rien. Parmi les grands déçus de la vie, j’étais sans aucun doute le plus malheureux. C’était le jour le plus noir de mon existence. Pourtant, j’en avais connu, des tempêtes, des ondes tropicales et des sécheresses qui vous font imaginer que vous allez finir pétrifié dans la tourmente. Mais je m’en étais toujours sorti ; mieux, je crois que les évènements m’avaient servi à grandir et à devenir plus fort. Mais là, je le reconnais, le beau et le fier avaient disparu. Comment peut-on laisser s’enfuir ce qui fait votre charme ? Je réalisais que mon arrogance gisait étendue à mes pieds, recouvrant le sol de ses dernières couleurs. Ma gloire s’étalait au-dessus de mes racines, comme si elle voulait leur communiquer le parfum du mépris.

    Les jours se succédèrent, car il n’est pas d’évènements qui, à eux seuls, arrêtent la marche du temps. La souffrance ne se dissipe pas, au contraire, elle crée la mémoire afin qu’aucune douleur ne soit oubliée. Les journées pluvieuses bousculaient celles où le soleil essayait de nouveaux rayons en prévision de la belle saison. Mon espérance avait disparu dans l’humus et l’herbe verte s’était empressée d’effacer les dernières traces pourpres que je pensais immortelles.

    Solitude ! Je connaissais les affres qu’elle procure, les doutes et les remises en question. Je croyais que la nature m’avait oublié et que pour me punir elle me laissait planté là, inutile au milieu d’autres fruitiers. Pire, le parfum des fleurs d’orangers et de citronniers m’endormait, si bien, que des jours, je n’en voyais que la moitié. Je supposais même qu’ils s’unissaient pour se réjouir de mon infortune. C’est alors que je pensais ma fin proche que je ressentis en mon être d’immenses et heureuses secousses. Elles étaient comme des transes qui agitent les croyants.

    Je compris alors que la nature est bien faite et qu’aucun évènement n’arrive par hasard. Les fleurs avaient préparé la venue de leurs descendances, car on fête toujours les plus belles circonstances avec des teintes vives pour faire oublier les douleurs. Les fruits, par centaines, grossirent à vue d’œil. Ils étaient colorés, juteux et sucrés. Ils étaient en nombre pour satisfaire la gourmandise des oiseaux et des autres animaux, mais aussi pour rafraîchir la gorge des hommes toujours assoiffée.

    Je sus enfin ce qu’être heureux voulait dire, sans orgueil ni fierté. Je venais de comprendre que ce n’était pas par le fruit du hasard que je poussais là, au milieu d’autres arbres. J’avais une mission et non des moindres et je me devais de l’honorer. Il me fallait garantir la fraîcheur, embellir l’environnement et contenter les affamés.

    Plaire à l’humanité ne relève d’aucune gloire, mais d’une certaine alchimie de l’espace, du temps et de la vie. Ma présence n’est pas une récompense, mais une fonction. Je dois être ce que je suis pour nourrir et surtout reproduire, afin qu’à travers les ans, les couleurs et les saveurs demeurent comme au premier jour.

    J’étais enfin rassuré quant à mon existence. Je n’étais pas un inutile et cela produisit en moi une nouvelle poussée de fièvre.

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  • Les retenues du coeur — S’il y a des lieux pour lesquels je n’ai jamais eu de réelle attirance, ce sont les salles d’attente en tous genres, les quais et les aéroports. Dans ces derniers, le brouhaha est tel que l’on ne comprend qu’à moitié ce que l’on nous dit et encore moins les appels que diffusent les haut-parleurs, dans une indifférence générale. 

    En ces endroits qui ressemblent à des cours des miracles, on pourrait se croire au bord de l’océan aux heures de grandes marées, alors qu’il va et vient comme celui qui hésite quant à la direction qu’il doit choisir.

    La vie est ainsi dans les halls immenses des aéroports. Sans que l’on sache vraiment pourquoi, les gens déambulent dans un sens ; après un instant de réflexion, ils font demi-tour, et cela durant des heures, se tenant par le bras pour signifier que leur départ est une douleur qui sans doute s’installe dans le cœur et dont on ignore combien de temps elle nous fera souffrir. Comme toujours, les enfants, énervés par l’ambiance indéfinissable qui règne en ce lieu, courent en tous sens, indifférents aux appels des parents. Soudain, des personnes s’arrêtent. Elles s’agenouillent au-dessus des bagages, cherchent désespérément les clefs qui permettent de déverrouiller les valises, les trouvent enfin, et se rassurent qu’elles n’ont rien oublié.

    Les nerfs de certains individus sont à fleur de peau.

    D’autres s’impatientent dans la file qui conduit à l’enregistrement.

    Des couples s’enlacent ne prononçant aucun mot. Que dire de plus que l’autre ne sait déjà ? Du côté des arrivées, la foule grossit. L’avion est attendu d’un instant à l’autre et la fièvre s’empare de ceux qui vont accueillir quelqu’un.

    Ici et là, il n’est pas utile de tendre l’oreille pour en écouter quelques-uns se plaindre que ceux qu’ils sont venus attendre sortiront comme toujours, en dernier ! Certains arborent des affiches avec des noms de personnes qu’ils doivent accueillir, alors que les uns et les autres s’ignorent. Puis un inconnu se reconnaîtra et fera de grands gestes, comme pour compléter les informations de son identité. Accompagner les membres de la famille ou des amis, je sais que je vais détester les instants qui vont suivre mon arrivée au milieu de ce tumulte.

    Dans ces moments là, on aimerait tellement être seuls afin que la joie ait le temps de s’imprégner de chacun ou pour permettre à la tristesse de s’habituer à résider dans un cœur délaissé.

    Soudain, un grondement nous réveille. L’avion tant attendu ou détesté lorsqu’il emmène l’être aimé vient de se poser.

    Alors, avec une pointe de nostalgie, nous revivons le temps où nous pouvions monter sur la terrasse pour le voir atterrir en douceur ou au contraire, rouler en poussant de toute la force de ses réacteurs pour s’arracher de la piste et d’un coup d’aile, adresser un dernier au revoir ou un geste d’adieu à l’amoureux un moment délaissé. Comme beaucoup, j’ai apprécié cette époque qui me voyait venir accueillir les miens. Les portes de l’avion s’ouvraient, et j’essayais de deviner ma famille descendant le long escalier posé sur la carlingue.

    S’approchant de l’aérogare, soudain les gens se reconnaissaient et s’adressaient de grands signes. C’était merveilleux de les voir enfin passer la police des frontières. Les yeux qui s’étaient retrouvés ne se quittaient plus. Ils n’étaient plus qu’à quelque distance, mais nous ne pouvions toujours pas nous parler.

    C’est l’instant que choisit le cœur pour essayer de sortir de sa cage.

    Autour de moi, les gens s’interpellent et trépignent. J’aimerais ne pas être différent des autres, mais je n’ai jamais su extérioriser certains sentiments, comme ceux de la joie trop longtemps contenue.

    En mes pensées, c’est l’heure où le discours de bienvenue tourne en rond dans ma tête. Je suis comme un enfant qui lit et révise son texte pour ne pas en oublier un mot. Les paroles devraient bondir à l’instant où la porte de la douane s’ouvrira, pour aller à la rencontre de ceux dont les sourires précéderont les pas.

    C’est aussi le moment où la foule bruyante nous bouscule alors que nous aimerions encore une fois, être seuls pour accueillir ceux pour lesquels notre cœur en perd la mesure. Irons-nous jusqu’à maudire ces gens qui vont poser le regard sur nos êtres chers avant même que nous les apercevions, nous dérobant ainsi quelques instants d’un indescriptible bonheur ?

    Soudain, ils sont là ! Sans que l’on sache qui aura fait les premiers pas, les bras s’ouvrent pour se refermer sur un corps agité par les sanglots. Le discours si bien préparé s’est envolé, les paroles restent bloquées au fond de la gorge. À l’épouse, à qui étaient destinés tant de mots, on n’ose à peine lui confier qu’elle est plus belle que dans les rêves et on lui avoue comprendre maintenant les raisons du soleil, qui parfois fait sa mauvaise tête en restant caché, honteux et jaloux. À celle que l’on aime, on lui vole seulement des larmes de joie qui disent beaucoup plus que de simples mots. Aux enfants qui s’accrochent à elle, avant de leur adresser la parole, on estime les différences dues à leur croissance ; à peine avions-nous tourné la tête, que déjà, ils ont grands, quand ils ne sont pas véritablement transformés !

    C’est en ces moments des retrouvailles que l’on s’aperçoit que le temps entre nous s’empresse toujours de tisser une autre vie. Les larmes ont changé de camp. Les petites mains plus assurées ne cherchent plus la grande et les yeux prennent la mesure de la réalité. C’est l’instant où l’on comprend que lorsque d’un livre une page est perdue, on ne peut prétendre en inventer les mots sans risquer d’écrire une autre histoire.

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    La photo de l’aéroport de Cayenne Rochambeau est de la CCI de la Guyane.

    Cliché pris par Georges Tuttle.

     

     

     

     


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  • — De nos jours, absorbés comme nous le sommes pour conserver nos acquis tremblants sur leurs fondations, nous oublions chaque jour un peu plus que nous sommes issus d’éléments fragiles qui mériteraient que nous leur accordions la plus grande attention. Chaque être vivant à la surface de notre Terre est né d’une petite graine qui portait en elle tous les espoirs d’un monde nouveau en même temps que tous les matériaux indispensables à la construction de la vie ainsi que ceux destinés à la rendre meilleure pour tous.

    Par respect au mystère qui entoure chaque naissance à laquelle le destin réserve sa propre histoire, je ne puis que m’émerveiller pour ce qu’elle est, à l’instant précis où elle découvre la lumière, et toujours aussi respectueux à l’idée de ce qu’elle sera un jour.

    Vivre !

    Cette fonction si délicate que nous pratiquons comme si nous faisions de l’équilibre sur un fil tendu au-dessus du vide. Une bonne partie de notre existence, nous la passons à galvauder notre propre vie comme si elle ne représentait que peu de choses. Nous aimons à prendre des risques ô combien inutiles alors que la sagesse nous recommande la plus grande prudence pour aborder l’instant suivant !

    Perdu au fond de l’un de mes tiroirs, j’ai retrouvé ce cliché qui me fit immédiatement remonter le temps. Oh ! Je vous rassure ; il ne s’agit pas de nombreux siècles qui auraient engendré moult évènements douloureux. Bien au contraire, au regard de l’existence que nous traversons, il n’est question que d’une poignée d’années, en l’occurrence, quarante-quatre. Aujourd’hui encore, je regarde ce jeune plant comme s’il était un enfant nouveau-né. J’observe cette photo et avec émotion, je repense à la merveilleuse histoire qui s’est attachée à elle, si belle, que je vous la raconterai sans doute un jour.

    C’était une époque où nous élevions des végétaux de toutes provenances en pépinière expérimentale afin de déterminer leur faculté d’adaptation en milieu géographique dans lequel les espèces endémiques disparaissaient les unes après les autres. C’est alors que je pris conscience des pensées qui me hantaient depuis toujours. Je tenais enfin la confirmation matérialisée, que devenir adulte ne pouvait s’improviser. L’homme n’est en rien différent des éléments qui suivent son cheminement. Il se construit patiemment, chaque jour apportant un nouveau morceau du puzzle afin de le compléter et ainsi dévoiler la véritable image qui composera et accompagnera le futur.

    Avant de grandir, il faut accepter et savoir être petits !

    Les hommes auxquels je ne reproche pas qu’ils soient curieux plus que les raisons l’exigent ont inventé un procédé extraordinaire ; l’écographie ! Elle permet aux parents et surtout aux mères de connaître leurs premières émotions en découvrant la vie qui s’installe en elles.

    La nature, elle, a préféré la totale discrétion. Tout se passe dans le secret tel la plus belle histoire qui prend naissance dans l’esprit de l’écrivain avant d’être confiée, une ligne après l’autre pour enfin être lu par les hommes. La graine du végétal renferme toutes les informations qui lui seront indispensables pour arriver à maturité. Il devine, s’apprêtant à lancer sa timide tige vers le ciel, qu’il ne pourra compter que sur lui-même pour assurer sa survie en un monde lui apparaissant d’un abord hostile, à l’instant où il perce la terre pour découvrir le firmament. Dans un ensemble parfaitement réglé au sommet de la frêle tige, les premières petites aiguilles s’appliquent à domestiquer la lumière, alors qu’à l’autre extrémité, les radicelles partent à la recherche de la nourriture. Le tronc va prendre rapidement de l’assurance avant de se lancer à l’assaut des brumes. Ce qui n’était qu’une graine perdue au milieu de milliers d’autres devient un arbuste, ajoutant des branches en formant des couronnes pour compléter son port et sa stabilité.

    Il semble vouloir nous faire comprendre qu’on ne résiste pas au temps si au paravent, on n’a pas pris soin de veiller à son équilibre.

    La petite chose fragile et timide qui s’offre à nous et celle d’un Séquoiadendron gigantéum. Il lui faudra faire appel à beaucoup de patience, avant d’atteindre sa taille adulte qui flirtera avec les cent mètres et qui verra sur ses branches, se poser, pour souffler un peu, plusieurs siècles, ajoutant chacun leur couche de nouveau bois.

    Je vous rassure ; ce petit végétal à l’aspect chétif va traverser le temps sans orgueil, car la nature l’ignore, elle l’a définitivement écarté de sa liste de gênes lors de la création. Le sujet fragile d’aujourd’hui ne pourra jamais se dérober à son destin. Il sera heureux de rayonner au-dessus de la forêt et le sera davantage d’héberger en sa ramure des générations d’oiseaux. Il se permettra d’être fier à l’instant où les hommes caresseront avec délicatesse son épaisse, mais douce écorce rouge, comme s’ils acceptaient soudain de reconnaître qu’ils partageaient l’espace avec des sujets beaucoup plus forts qu’eux.

     

    Si nous prenions le temps de regarder la vie se développer autour de nous avec davantage d’humilité, nous comprendrions qu’elle n’existe pas seulement pour notre plus grand plaisir, mais que c’est bien elle qui assure notre survie. Si, au lieu de l’ignorer nous recherchions le cœur de la nature, nous saurions qu’il ne bat que pour nous, comme s’il était notre second moteur entraînant le premier.

    Si nous regardions plus souvent afin de le comprendre, le combat que mènent les jeunes plantules pour découvrir les bienfaits de la lumière, nous aurions alors envie à notre tour de donner plus de vie, en semant et plantant, mais aussi en préservant ce qui existe déjà en ne la détruisant pas.

     

    Amazone. Solitude. Copyright N° 00048010

     

     


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