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    LE TEMPS DES VŒUX ½  LE TEMPS DES VŒUX ½  

     

     – En ce temps là, au village comme dans ses environs, s’installait une saison très étrange. On eût dit alors que, comme à la triste période de la Grande Guerre, comme on la nommait sur les champs de bataille était décrétée une trêve. Les canons et les autres instruments de mort se taisaient. Seuls persistaient les cliquetis des armes que l’on fourbissait, ainsi que ceux des chargeurs que l’on remplaçait.

    Cependant, afin que personne n’oublie que les belligérants se battaient toujours, au-dessus des hommes, flottaient les remugles de poudre et de mort pour que chacun garde en mémoire les rancœurs qui avaient poussé les uns et les autres à en découdre.

    Certes, il était rare que l’on en vienne à prendre les armes entre villageois, mais en ce temps où les esprits s’apaisaient, on décidait alors qu’il n’était plus l’heure de se tourner le dos. De toute façon, personne ne se souvenait ou ne faisait l’effort de savoir comment étaient nées ces vieilles querelles. On ignorait depuis combien de temps elles duraient, et l’on avait même oublié les gens qui les avaient engendrées et encore moins les raisons qui avaient poussé les voisins à se haïr. Tel un précieux héritage, on se contentait de transmettre les « on-dit et les suspicions » qui pesaient alors sur tout le village.

    Ce jour qui avait vu l’an nouveau rentrer chez chaque habitant restait un jour particulier. Lorsque l’on se croisait, on se souhaitait une rapide bonne année. Personne ne s’attardait, prétextant le froid glacial et le vent tourbillonnant qui hésitaient avant de s’engouffrer dans une rue ou par la porte d’une demeure restée ouverte. On se regardait parfois, en évitant toutefois de se fixer dans les yeux pour que l’on ne devine pas que la bonne santé qui suivait la citation de celle de l’année n’était pas si sincère que l’on essayait de le faire croire.

    Ce premier jour qui succédait à tous ceux après lesquels on avait maugréé était aussi celui des promesses. Une fois encore, même si elles étaient plus nombreuses que les jours qu’affichait la nouvelle année, tous savaient que bien peu seraient tenues. Pourtant, il n’est besoin de rien d’autre pour respecter sa parole que de la volonté, péroraient les rares personnages qui avaient réussi à dompter quelques vieilles habitudes.

    Comme on le disait alors il ne coûte rien de donner quelque chose que l’on ne détient pas réellement ou qui appartient à ses voisins.

    Bien que l’hiver soit parfaitement et durablement installé, pour des observateurs attentifs, sur les visages des villageois, soudain, s’affichaient les rayons que le soleil avait oubliés en chemin. Ce qui faisait dire à l’ouvrier boulanger à qui voulait bien l’écouter, qu’il n’y avait que la foi qui sauvait les apparences.

    Comme pour s’excuser de s’être laissé surprendre à sourire, certains prétendaient haut et fort qu’une couche de peinture embellit le mur, mais qu’elle ne possède pas le pouvoir de le réparer.

    Cependant, en ces temps de janvier, on sortait plus que d’ordinaire, pour faire des choses ou des visites dont elles-mêmes auraient dit qu’elles pouvaient bien attendre.

    Ainsi, à la maison où grandissait le jeune Robert, comme chez les voisins, la coutume était bien établie. La première démarche serait celle de la laveuse à qui la famille était fidèle depuis de longues années. Ses mains étaient déformées par des années d’un ingrat labeur dû à la profession. La nourrice prétendait qu’elle était curieuse comme une vieille pie ! Avant même qu’elle ait ouvert la bouche, on savait ce qu’elle allait demander :

    – Je ne voudrais pas passer pour une indiscrète, mais dites-moi donc qui étaient ces gens que vous avez reçus hier.

    En vérité, elle n’avait pas besoin de venir s’informer si elle continuerait à laver le linge. Mais elle préférait l’entendre préciser en même temps qu’une petite pièce rejoignait la grande poche centrale de son tablier. Quelques autres paroles seraient échangées, bien vite colportées lors des visites suivantes. Tout le monde savait pertinemment que chacun rajoutait un chapitre personnel aux dires précédents, ce qui avait pour effet, à la fin de la journée, de transformer une histoire simple en une très compliquée, à laquelle plus personne ne comprenait rien. Au soir de cette journée, les affaires intimes des villageois gisaient pêle-mêle sur la place ; bien malin serait celui qui aurait reconnu les siennes. On n’en prenait pas ombrage, car tout le monde trouvait son compte dans les ragots des uns et des autres.

    Ce n’était pas seulement le temps des vœux ; il était aussi celui des étrennes.

    Était-ce à cause de la couleur de leurs longs vêtements noirs qu’ils se suivaient ? Nul ne l’aurait affirmé. Cependant, la seconde visite était celle du père curé, comme on nommait le doyen de la commune.

    Il prétendait n’être animé que par les meilleurs sentiments que lui conférait la maison de Dieu. À ces propos, personne n’était dupe. Comme pour confirmer les doutes qui s’étaient installés dans les foyers, il serait vite fait allusion au denier du culte sans lequel l’église ne pourrait survivre aux temps modernes. Après quelques instants d’une visite menée au pas de charge, le prétendu représentant de Dieu repartait enrichi de quelques petits francs et la promesse que plusieurs messes à l’intention des défunts seraient dites dans les jours à venir.

    Pour qui l’observait, on se rendait à l’évidence. En même temps qu’il noircissait son calepin, il remplissait sa bourse. Mais comme chacun voulait avoir bonne conscience, on fermait les yeux. (À suivre).

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  • Une âme enfin apaiséeReflets de mémoire

     

    – Cela peut surprendre, que sur le seuil d’une nouvelle année je puisse évoquer un tel souvenir. Cependant, ce n’est pas parce que les ans se succèdent que nous devons oublier les sentiments profonds qui construisirent leurs jours. Et parmi eux, il en fut un qui m’émut sans doute plus que de raison. Je vous le confie…

     

    UNE ÂME ENFIN APAISÉE

     

    – Ah ! Qu’il fût beau ce jour où le soldat Borical s’en revint au pays. Nul doute que la fierté aurait fait rougir cet homme discret, alors que l’avion touchait le sol guyanais. Comment n’aurait-il pas succombé au plaisir en reconnaissant les roulements des tambours, les rythmes des ti-bois, et les femmes se déhanchant sur les accents du lérol et autres gragés et camougués ?

    Hélas ! Ce jour-là, point de musique ni de folklore pour recevoir cet enfant du pays, parti en un temps dont beaucoup n’ont plus conservé le souvenir, avec ses compagnons d’infortune, au secours de la patrie pourtant si éloignée de leur ciel inondant leur Guyane natale.

    Mais écoutez plutôt.

    Il est parfois de troublantes circonstances au cours desquelles notre cœur a raison de se réjouir, même si la situation initiale ne porte pas à sourire, à cause d’un décès dont le deuil prit presque un siècle avant de pouvoir commencer.

    L’histoire remonte à 1914 ; bien triste année qui vit la France et L’Allemagne s’affronter avec une violence sans précédent. Comme dans toutes les colonies d’alors, de nombreux soldats furent envoyés pour défendre cette patrie si lointaine, que beaucoup ne connaissaient que par ce qu’en racontaient les anciens. Parmi eux, un jeune Guyanais dont la vie avait commencé comme un malentendu.

    Il était né en 1887, d’une mère dont on prétendit qu’elle était blanchisseuse et d’un père dont on ignorait l’existence. Première souffrance portée à l’innocent : L’officier d’état civil présent ce jour là, l’enregistre comme étant une fille. Les témoins ayant pourtant pris connaissance du document le paraphèrent, sans remarquer l’erreur. Il faudra attendre cinq longues années avant que le tribunal rétablisse l’enfant au sexe qui était le sien.

    Saint-Just-Louis Borical (et non Louise, comme on l’avait injustement enregistré à l’époque) au moment de la déclaration de guerre était réserviste ; il était de la classe 1907. En 1914, on fit à nouveau appel à lui et il rejoignit un régiment d’infanterie coloniale et débarqua à La Rochelle alors que l’automne était déjà installé sur le pays. Afin d’éviter l’hiver rigoureux qui avait succédé à la saison annonciatrice de grande misère, les autorités dirigèrent les gens des colonies vers l’Algérie pour ne pas livrer les Créoles à un climat auquel ils n’étaient pas habitués.

    Avec ses compagnons, il reviendra en France en mai 1916. À peine un mois plus tard il tombera devant Fleury-sous-Douaumont. De son pays, plus d’une trentaine d’hommes furent portés disparus dix jours après la terrible bataille jugée comme la plus emblématique de la Grande Guerre comme on la désignait à l’époque. Ce fut lors du repli du régiment que 176 soldats manquèrent à l’appel, ensevelis sous les bombardements meurtriers de l’ennemi.

    Si les combats furent d’une sauvagerie sans précédent, on sait que le calme revint sur cette région comme dans tout le pays, même si le bruit du canon et l’odeur de la poudre poursuivaient inlassablement les soldats survivants.

    Il aura fallu 95 longues années qui ressemblèrent à un passage au purgatoire pour que l’improbable se produise. L’histoire ayant pris tout son temps pour effacer les souvenirs douloureux.

    Dans son pays, sa famille dont on ne connaissait pas grand-chose, discrètement s’en était allée. Nous étions alors au temps de Pâques, que nous célébrons aussi comme celui de la résurrection, pour que des touristes retrouvent des ossements et préviennent les autorités responsables du site militaire. Après des heures de recherche, ils découvrent les restes du soldat Borical.

    Ils peuvent le désigner sans risque de se tromper, puisqu’à son poignet, se trouve encore accrochée la plaque qui porte son nom et son matricule. La longue marche dans l’inconnue du soldat pouvait prendre fin.

    Les informations sont immédiatement diffusées et parviennent au pays.

    Madame la Maire de la ville de Cayenne, où Saint-Just Borical vit le jour, déclare :

    - « Il a exprimé son désir de rentrer chez lui en remontant à la surface le jour de Pâques. Nous allons nous employer à satisfaire son souhait ».

    S’il partit dans la plus grande discrétion, son retour ressembla fort à un jour de gloire. Après presque un siècle, et alors que l’on ne pensait pas que cela fut possible, l’armée ainsi que tous les corps de l’état ont rendu un hommage émouvant à ce « Poilu » dont on avait oublié jusqu’au nom.

    La messe des funérailles fut prononcée par l’Évêque de Guyane devant une assistance où toutes les couleurs de l’armée étaient représentées aux côtés du cercueil recouvert du drapeau français. Il insista lourdement sur « le rôle et le sacrifice des colonies lors de la Grande Guerre, remerciant le fantassin Borical d’avoir été là, de n’avoir pas fui et d’avoir ainsi participé à la victoire de la France. »

    Ce sont quatre jeunes soldats qui portèrent à l’épaule la bière dans laquelle se trouvaient les restes du défunt.

    Retrouvé en avril, mis en terre en octobre sous les honneurs dus à son rang, le valeureux combattant peut enfin reposer en paix dans le carré, où il rejoignit, à n’en pas douter, quelques-uns de ses compagnons d’infortune.

    C’est alors que l’on se prend à rougir d’orgueil en remerciant notre pays et les nôtres de tout mettre en œuvre pour que les âmes de nos aînés cessent d’errer à travers le ciel, afin qu’elles trouvent enfin l’apaisement qu’elles ont bien mérité ainsi que notre reconnaissance.

    L’histoire, retiendra-t-elle des moments aussi forts ? Réveillera-t-elle en nos esprits des sentiments que l’on pense qu’ils sont éteints depuis longtemps ?

    Pour avoir été oublié durant des années, je sais ce qu’un cœur peut souffrir, car les blessures invisibles sont les plus difficiles à se clore, si toutefois elles se referment un jour. Je me réjouis que l’un des nôtres soit enfin revenu au pays et que son nom soit reconnu et cité par les hommes aussi longtemps que ceux-ci auront le pouvoir d’aimer leurs frères.

       

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    Photo du journal France Guyane

     

     


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  • — Du haut de la falaise, un homme laissait son esprit vagabonder. Comme souvent il lui arrivait, le bruit de la mer l’incitait à s’évader. Cependant, ce jour fut particulier, car il ne s’agissait pas de voyages qu’il eut faits ou dont il rêvait.

    Cela se passait presque dans une autre vie ; du moins en eut-il l’impression à ce moment où son esprit prit conscience que l’océan allait et venait à sa guise. Celui-ci, au large, confectionne d’immenses vagues, en prenant un soin particulier à leur mise en œuvre. Il tient à ce qu’aucune d’elles ne se ressemble. Il y en a qui paraissent courir à la surface en mouvement et parfois donnent l’impression de vouloir rattraper celles qui les précèdent. D’autres sont de véritables réalisations d’art. Une frange d’écume ourle leur sommet et elles semblent être des filles naturelles de la mer. Elles sont droites et fières, à l’allure régulière, tout juste suffisamment hautaine pour qu’on les regarde avec une pointe d’admiration dans les yeux, nous retenant de les applaudir lorsqu’enfin, elles daignent venir, sans jamais se désunir, honorer la plage de leur présence.

    Au moment où elles abordent la grève comme des conquérantes sans jamais avoir songé, serait-ce qu’un instant, à se désolidariser, on peut imaginer que c’était l’autre rivage de l’océan qui rend visite à celui où se trouve notre homme. Derrière celle qui vient de s’enfoncer dans le sable blanc, il y en a d’autres qui s’approchent dans la plus grande confusion, presque en désordre à l’image de jeunes élèves se précipitant dans la rue après les cours jugés toujours trop longs et fastidieux. Elles vont en rangs disparates, faisant semblant de s’unir un instant pour se séparer dans le suivant. Certaines doivent insister en criant que la bonne direction ne peut être que celle qu’elles montrent, alors que d’autres soutiennent que le meilleur courant est sans contexte le leur.

    En ordre dispersé, elles finissent par s’échouer sur la côte qui prend un malin plaisir à briser leurs espérances.

    L’océan ne se lasse jamais d’envoyer loin devant lui, en direction de l’horizon qui lui cache la vue, ses armées de vagues, comme s’il partait à la conquête d’une terre à laquelle il n’avait jamais pardonné de l’avoir, un beau matin divisé. Il est connu pour être lunatique, comme tous ceux qui se laissent facilement influencer. Il est inconstant, disent les uns ; imprévisible, clament les autres ! Il n’en fait qu’à sa tête, affirment ceux qui prétendent tout savoir sur lui, rendus prudents par le comportement de cette masse liquide qui passe son temps d’un côté de la terre avant d’aller taquiner les rivages lointains que tant d’yeux n’ont jamais découverts ; seulement imaginés au cours de nuits aussi agitées que les mers sous la houle.

    Les côtes connaissent bien les sauts d’humeurs des océans. Elles en sont les premières victimes à la façon qu’ont les fortes têtes de passer leurs nerfs sur les plus faibles. C’est lorsque tous les éléments se réunissent en congrès qu’ils deviennent dangereux.

    C’est au moment où tout ce que compte l’univers comme mauvais sujets, que le pire est à redouter. Sur terre, le ciel laisse éclater sa colère en libérant des montagnes d’eau qu’il avait accumulée dans d’immenses cumulo-nimbus bourgeonnants. La foudre crève les nuages les uns après les autres. La pluie mine les collines et inonde la vallée. L’eau boueuse des fleuves, rivières et ruisseaux qui n’en sont plus, se déversant dans l’océan, sonne la seconde phase du plan d’intimidation et d’hostilité. Dans un premier temps, la mer donne le sentiment de se creuser. Elle se reprend pour mieux s’organiser.

    Elle façonne des vagues si hautes que rien ne sait ou tente une quelconque opposition. Chaque élément rassemble son énergie pour faire face au déchaînement qui s’annonce. Afin d’impressionner davantage, le ciel se rapproche de la surface de l’eau. On croirait alors qu’il aspire le liquide à la façon d’un Catalina, pour les déverser ensuite sur les hommes. Pour ne pas être en reste, l’océan met la dernière écume sur la crête des vagues afin de les rendre encore plus impressionnantes. Elles courbent la tête vers l’avant tandis que le rouleau se creuse comme pour se donner plus d’importance.

    On comprend alors qu’elles sont orgueilleuses en affichant clairement leurs prétentions. Les voyant courir, à l’allure d’un cheval au galop, elles demeurent hautaines et arrogantes ; on se demande soudain, si le monde peut résister encore à leur assaut. Elles avancent en se gonflant toujours plus, en s’élevant au risque de perdre leur assurance. Puis c’est le déferlement, au signal des trompettes de la Renommée que l’on distingue à peine, tant le bruit devient assourdissant. Ce n’est pas un train de marchandises qui avance sur des rails disjoints, mais cent, peut-être mille et sans doute davantage. Nous attendons, anxieux, l’impact de la mer contre la terre. Celle-ci qui en a vu d’autres se dit que si elle l’a déjà vaincue une fois, alors, pourquoi elle se laisserait engloutir à tout jamais sans essayer de s’opposer. C’est à l’instant où l’homme allait fermer les yeux que soudain lui apparaissent les rochers débarrassés de l’écume qui les recouvrait.

    Voilà donc la défense secrète du continent, se dit-il : la barrière naturelle !

    Elle est constituée de brisants de toutes les formes, des hauts, des ronds, des pointus comme autant de flèches, des petits et des moussus.

    À la manière qu’ont les boxeurs de donner les coups sous la ceinture, la vague explose sur eux et monte vers les cieux tels un geyser. Des gerbes d’eau partent dans toutes les directions ! C’est à la fois dantesque et magnifique.

    À peine brisée, l’insolente est recouverte par la suivante, car la nature l’a voulu ainsi ; aucun vaincu ne saurait revenir la tête haute. C’est l’instant où notre voyageur réalise qu’après une vie éphémère, les vagues aussi se meurent dans la plus grande indifférence, tandis que l’océan n’attend même pas qu’elles soient enfouies dans le sable, pour confectionner et envoyer une nouvelle armada.

     

     

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  • — Je ne suis pas sans savoir que nos écoliers sont en vacances, et c’est sans doute pour cette raison que je me permets de faire un tour dans les classes vides, loin de toutes rumeurs. Si vous me demandez de m’asseoir à l’un des pupitres, de fermer les yeux et de remonter plus de soixante ans en quelques instants, vous serez sans doute déçus par ce que je pourrais vous en dire, car l’époque n’était pas la même, l’enseignement était différent et surtout l’instituteur n’avait pas besoin de faire de grandes démonstrations pour être considéré.

    Le respect était la base de notre société d’alors. Je pourrais aussi ajouter la confiance au premier qualificatif. N’ayant pas suivi une longue scolarité, je ne m’étendrai donc pas sur le parcours lui-même. Je n’étais pas le meilleur élève, mais pas le plus mauvais non plus. Le dernier instituteur qui avait parfaitement compris comment je fonctionnais ne m’interrogeait jamais le premier. Il savait que le travail m’attendait à la sortie de la classe, il faisait donc confiance à ma mémoire pour enregistrer ce que les autres récitaient, avant d’être moi-même interrogé.

    Sans critiquer l’école moderne, depuis que je l’ai quitté, parfois, je me demande si nous n’avons pas fait fausse route. En plus de soixante années, on voudrait nous faire croire que nous n’avons jamais établi un bon programme ? Qui devons-nous mettre en cause ? Le système, l’enseignant, la méthode ou l’élève en impliquant aussi sa famille ?

    Compte tenu de ces réflexions, je ne pouvais empêcher mon cœur de se serrer, lorsque dans les écoles de brousse des pays traversés, je voyais que c’était la joie d’apprendre qui s’affichait sur les visages des enfants. Certes, il y avait bien un point commun avec mes souvenirs dont je ne pouvais pas retenir le désir de frapper à la porte de ma mémoire ; ceux qui venaient de loin avaient dans leur cartable ou ce qui lui ressemblait, quelques nourritures qui gratifiaient les livres et les cahiers de taches de graisse. Mais celle du ventre est-elle si différente de celle de l’esprit ? Il me semble que souvent elle est complémentaire. D’ailleurs, les mots ont besoin de se restaurer aussi s’ils veulent grandir et rajouter d’autres expressions qui laissent entrevoir de nouvelles histoires ou des rêves plus doux.

    Ce n’est sans doute pas la quantité des paroles apprises qui est la plus importante, mais plus sûrement leurs qualités qui font deviner aux enfants pourquoi ils sont heureux. Ils contribuent à leur ouvrir la porte de l’imagination et comprendre ainsi comment le bonheur s’y est pris, pour les rencontrer si loin, aux abords de la savane, à deux pas de l’immense forêt. Par contre, ce qui pouvait surprendre le visiteur, c’est que dans certains pays, on tenait fièrement ses chaussures à la main afin de ne pas les maculer de boue rouge, surtout en saison des pluies.

    Dans ces écoles qui nous semblent être d’un si lointain passé, il n’y a pas de rivalité entre les élèves. Chacun prend la connaissance comme elle arrive, comme si elle était un cadeau du temps. Par les ouvertures de la classe, la nature vient s’accouder pour écouter les formules des choses qu’elle n’a pas su expliquer elle-même. Elle ne semble pas rancunière que l’on parle d’elle sur tous les tons ; mais elle préfère lorsqu’elle comprend que ce sont eux, les plus jeunes, qui auront la charge de la préserver et sans doute la responsabilité de lui rendre ses lettres de noblesse.

    Sous le toit de tôles rouillées devenues aussi fines que l’espoir, le nombre des élèves n’a pas d’importance. Chacun y a sa place, dès l’instant où il désire s’enrichir. Parce que c’est quelque chose de naturel, l’enseignant n’a nul besoin de forcer le ton pour se faire entendre ou comprendre. Les paroles sont heureuses que chacune d’elles ne se perde pas dans le brouhaha, mais que tout élève les remises dans un coin de sa mémoire, ne serait-ce que pour surprendre la famille et la remercier du choix qu’elle a fait de l’envoyer à l’école.

    Dans ces écoles du bout du monde, il n’y a pas de bons ou de mauvais élèves.

    Il y a seulement des têtes qui ne demandent qu’à se remplir du savoir, des yeux qui ne perdent aucun mouvement des lèvres auxquelles ne s’accrochent pas les mots, par crainte de tomber dans le vide.

    Ils sont jeunes, mais ils sont déjà de bons citoyens.

    Avant de rentrer en classe, chaque matin ils sont réunis autour du drapeau de leur pays qui s’élève au rythme de l’hymne national. Je sais, certains me diront que la méthode est sans doute un peu vieillotte avec en filigrane, quelques pensées nationalistes. Je vous rassure ; dans ces pays, il n’y en a pas plus de que dans les autres états du monde. Il y a seulement des gens qui sont heureux d’appartenir à un même pays, sous un ciel qui semble vouloir les protéger.

    Ce que je retiens aujourd’hui de ce temps qui prenait le sien pour s’écouler, ce sont les méthodes d’antan qui ont fait de nous les femmes et les hommes que nous sommes, respectueux des autres, avec au fond de chacun de nous un cœur qui ne sut jamais être égoïste. Il a même été assez fort pour affronter l’existence à laquelle nous avons apporté notre pierre pour continuer l’édifice.

    L’école mérite bien que son nom soit inscrit au patrimoine de l’humanité, car sans elle nous serions toujours cet animal sauvage qui ignorerait les mots les plus doux qui flattent l’aimée, quand le crépuscule invente la nuit.

     

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  • – Puisque nous voilà sur le seuil de la nouvelle année (ainsi nous avons l’habitude de nommer la longue énumération de jours et de mois qui nous attendent derrière les matins brumeux et qui s’enfuient dès les ténèbres tombantes sur le monde), je ne voudrais pas manquer de vous présenter mes vœux les meilleurs et les plus sincères. Je sais, il est de coutume de dire ou d’écrire ainsi, mais chacun de nous possède sa formule particulière qui donne aux destinataires un peu de courage et d’espérance dans ce monde qui doute.

    Aussi, pour vous toutes et tous qui me faites l’amitié de venir à ma rencontre, je souhaite le meilleur que l’existence ait en réserve et distribue aux plus méritants comme aux plus démunis. Pour moi, l’année qui s’éveille ressemble à une éphéméride géante, dont chaque jour s’envole sans qu’il soit utile de tendre le bras pour enlever la page. Le temps nous fait comprendre à sa manière qu’il ne nous appartient pas et qu’il n’a nul besoin de nos mains pour le gouverner. Aucun d’entre nous ne possédera jamais le privilège de lui subtiliser le moindre grain défilant dans son grand sablier.

    Qu’importe ! Laissons-le faire à sa guise. De toute façon, à mon âge, il y a bien longtemps que j’ai compris que pour lui, nous sommes pareils aux objets sur lesquels il dépose ses marques indélébiles et où il prend plaisir à fixer un regard insistant qui suffit à créer en nous l’animation indispensable à notre survie.

    Selon son bon vouloir, il fait de nous des êtres heureux ou malheureux ; nous sourions ou nous versons des larmes. Il s’amuse à nous rendre nostalgiques ou enjoués, les yeux remplis d’émoi ou au contraire désespérés.   Las ! Comme tant d’autres avant lui, il s’annonce à grands bruits avec toujours la même arrogance, nous laissant croire que beaucoup de choses vont changer durant son règne. Il semble dessiner pour nous des promesses dont nous nous doutons qu’il ne les tiendra pas, car il n’en est ni le créateur ni le détenteur.

    Seules les grandes personnes savent bien ce que nous ne pouvons attendre d’une nouvelle année, qui même pour nous faire plaisir ne rajoutera ni saison ni jours supplémentaires. Elle sera probablement comme les précédentes. Les jours ne seront ni plus longs ni plus courts et les nuits seront identiques à toutes les autres avant elles, peuplées de rêves agréables ou de cauchemars. C’est sans doute la faute du temps qui vieillit et qui semble aujourd’hui manquer d’imagination. En bons élèves, nous subirons donc ses caprices en nous remémorant les années d’antan qui firent pour nous des heures heureuses, en prenant soin d’éviter sciemment les souvenirs les plus douloureux. 

    Pour faire mentir le préambule quelque peu pessimiste, je retiendrai qu’une année nouvelle est comme un livre qui prête ses pages vierges à notre imagination. Il nous revient le plaisir de coucher sur les lignes qui ressemblent alors à un chemin récemment découvert, les mots les plus doux qui ont le pouvoir d’exorciser les maux qui nous assaillent. Nos écrits seront dès lors pareils à un nouveau soleil qui renaîtrait chaque matin par la magie de nos mains, complices de nos pensées. C’est à la relecture de nos lignes que nous trouverons le courage de mettre un pied devant l’autre, afin de parcourir la route qui fut dessinée à notre intention et au long de laquelle, pris dans les incertitudes de la vie, nous avions oublié de semer les fleurs qui embellissent l’existence et parfument nos rêves.  

    Vous le constatez, les mots s’ajoutent et j’aimerais à nouveau vous souhaiter le bonheur qui vous revient de droit, entouré de l’affection de ceux qui vous sont chers.

    À vous, qui me faites l’amitié de lire mes billets ; je prie pour que la maladie, si elle a l’audace d’arpenter votre rue ne stationne pas sur le seuil de votre maison, attendant que la porte s’entrouvre pour s’engouffrer sans crier gare.  

    Une nouvelle année, c’est aussi le temps où nous avons le devoir de tordre le cou aux idées préconçues et l’heure des bonnes résolutions a enfin sonné ! Nous jurons alors d’avoir suffisamment de courage pour assurer l’accomplissement de nos décisions, même si nous savons que nous n’en ferons rien. Le seul fait de l’évoquer est déjà un pas en avant vers la victoire.  

    Je voudrais aussi vous livrer le fond de ma pensée. L’année qui timidement nous tend ses jours recouverts d’une certaine innocence, les hommes politiques nous la voleront un peu.

    Le premier quart va se dérouler dans la campagne électorale, évinçant ainsi le peu de bonheur qui circule sur nos chemins. Un matin, l’un d’eux se réveillera dans l’habit d’un président qui sera à la solde du profit, puisque la finance a d’ores déjà supplanté les humains aux commandes de tous les pays. Il nous était si facile de redescendre de quelques marches de l’échelle sur laquelle nous étions, avant que des mains mal intentionnées, n’en coupent les barreaux inférieurs ! Il ne nous reste plus qu’à sauter, et je crains que la chute soit rude.  

    Avant de vous laisser dans ce premier soir, et pour mettre une note plus gaie, je voudrais dire aux plus isolés que je ne les oublie pas. Je ne peux commencer cet an nouveau sans les assurer de mon amitié, car je sais qu’il n’est d’autres cadeaux que celui de l’amour qui ouvre la porte du cœur afin que le bonheur qui était frigorifié dehors trouve enfin la chaleur qui lui revient. Il n’est pas en mon pouvoir de sécher les larmes qui ont coulées sur les joues de certaines personnes ; je peux seulement prier en leur faveur, pour que doucement elles restent suspendues plus longtemps aux cils, avant de disparaître définitivement. Et puis, comme je le disais à une amie, si dans vos demeures vous détectez des relents d’hypocrisie, d’égoïsme et de facétie, même si le froid en profite pour visiter votre maison, ouvrez en grand portes et fenêtres, afin qu’un air exempt de mauvais esprit remplace celui nourri par le mensonge.

    Bonne et heureuse à tous ! Je vous embrasse comme je vous aime ; très fort.

     

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