• — Parfois, des questions nous sont posées qui ne cessent de nous surprendre. Par exemple, ces amis qui font un détour pour venir nous saluer, mais qui sont étonnés de nous trouver heureux, sans envie particulière, sinon celle d’apprécier les sourires du moment, apportés de la ville. Certes, nous vivons dans la forêt, mais jamais loin de la réalité et surtout sous le même ciel, celui qui protège le monde.

    Que pourrait-il donc manquer à quelqu’un qui possède ce dont les hommes envient en secret à longueur de temps ?   Nous n’avons pas de désirs particuliers. Nous vivons au plus près de la nature, presque en communion avec elle.

    Nous marchons de concert avec les jours dans les rêves des citadins, dans la plus grande volière du monde. Autour de nous, la végétation est luxuriante et généreuse. Les fleurs sauvages rivalisent avec celles des cultures pour séduire les insectes et les abeilles, avec des parfums que les alchimistes copient sans toutefois réussir à égaler à la fragrance près. Au-dessus de nous, la grande toile d’internet a lancé une passerelle pour nous relier au reste du monde. Oh ! Cela ne fonctionne pas toujours très bien, mais enfin elle nous a rapprochés les uns des autres et c’est bien là l’essentiel.

    Alors que pourrait-il bien nous manquer ?

    Sans doute serez-vous étonnés quand vous saurez qu’il me fallut réfléchir un long moment avant de trouver la réponse aux questions de certains de nos amis, les plus curieux, se faisant toujours plus insistants. Je ne vous ferais pas languir indéfiniment, quant à vous révéler l’objet qui éventuellement pourrait nous faire défaut. Mais je vous préviens, la chose à laquelle il est fait référence ne va pas manquer de vous étonner quand vous apprendrez son nom.

    Je suis certain que vous êtes à cent lieues d’imaginer cet objet extraordinaire, surprenant et inattendu qui pourrait bien faire défaut au décor qui nous sert de lieu de vie. Pour mieux comprendre notre état d’esprit, il faut savoir que des gens comme nous, même s’il y a longtemps qu’ils résident en ces lieux bénis des dieux, je veux dire la forêt, ont cependant connus d’autres systèmes de sociétés, pour ne pas dire de nombreuses régions de par le monde.

    Nous sommes allés à la rencontre de peuplades différentes, nous nous sommes pliés aux traditions et coutumes, car elles sont les mémoires de l’histoire des hommes, et nous avons engrangé nombre d’expériences. Lorsque nous avons décidé que l’heure était venue de déposer nos bagages parce que les chaussures devenaient étroites et les valises trop lourdes à porter, dans notre nouvelle demeure, nous avons étalé notre vie comme on expose les cadeaux des amis au retour d’un long voyage. Et c’est à cet instant précis que je me suis rendu compte qu’il manquait un élément important qui marqua certains moments de ma modeste existence. J’ignore si certains d’entre vous l’ont deviné, mais je me suis aperçu que le son des cloches faisait comme un vide dans mes journées.

    Je sais, cela peut paraître surprenant, mais il en est ainsi que la mémoire pour être heureuse, à besoin de tous ses petits instants privilégiés pour scander le temps qui passe.

    Sous des cieux différents, j’ai vécu à l’ombre des clochers. Il faut dire que les villages n’étaient jamais très éloignés les uns des autres et en quelques lieux où se trouvaient les champs où je travaillais, dissimulée dans les souffles du vent, une volée de sons de cloches signalait un évènement. Cela me rappelait que nous n’étions jamais coupés du monde et que si d’aventure nous l’oublions, et bien c’est lui qui se déplaçait jusqu’à nous. Ainsi entendions-nous l’angélus s’envolant d’un campanile, un joyeux carillon venant d’un autre pour nous apprendre qu’un couple était à se jurer fidélité. Parfois, beaucoup plus triste, c’était un glas qui s’attardait dans les ramures et les buissons, avant de se poser dans le sillon. Il annonçait le départ d’un villageois vers un monde que l’on espérait meilleur.

    Dans notre patrie de cœur, les communes sont trop vastes et beaucoup trop éloignées les unes des autres pour nous permettre d’entendre les messages que les cloches ont à porter à notre connaissance. Les sons n’ont pas encore appris à emprunter les layons qui courent sous la forêt. Ils leur préfèrent les fleuves et les rivières, mais se perdent dans le fracas des chutes dès le premier saut franchi.

    En souriant, je me dis parfois qu’à sonner pour rien, elles finiront par attraper le bourdon ! Sans doute vous aurais-je surpris en vous révélant que cette musique originale manque à mon esprit qui l’avait enregistré depuis longtemps et qui ne s’était jamais atténué.

    Elle me laissait croire que quelque part quelqu’un pensait à nous, même si nous étions éloignés, mais nous rapprochait à l’instant où le carillonneur était l’un des nôtres.

    Déçus ? Je suis sûr que vous vous attendiez à un autre son de cloche !

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  • — Quand dans notre vie il se fait tard, c’est que de toute évidence elle nous fait comprendre que nous avons beaucoup vu, entendu et connu de même. À ce stade de l’âge, nul ne peut empêcher son esprit de s’amuser à faire des comparaisons. Sinon, à quoi nous aurait-il servi de vivre si longtemps ? Nos yeux se sont posés sur la beauté des choses et des êtres, mais aussi sur la laideur et parfois la douleur. Est-ce pour autant que ces mauvais éléments ne furent pas inscrits dans notre mémoire ?

    D’aucuns s’imaginent que les meilleurs moments auront la place la plus large et la plus confortable dans nos pensées. Mais ce n’est pas une certitude, car parfois si les jours tristes furent brefs, ils furent d’une telle intensité qu’ils marquèrent à jamais nos consciences.

    Comme bien des gens, il m’arrive aussi de me demander pourquoi nos esprits sont toujours prompts à sombrer dans la nostalgie des jours anciens qui sont souvent la porte d’entrée de la mélancolie. Alors me ressaisissant je me dis que nous devrions prendre exemple sur les aurores. Chacune d’elles ne naît-elle pas dans un ciel différent ? Qu’ont-ils retenu du précédent ?

    D’accord, sans doute font-ils semblant d’oublier, car sachant leur mémoire de courte durée, pour se souvenir, ils accrochent des bourgeons aux rameaux qui ne tarderont pas à éclore afin de traduire la pensée et l’action des jours et des saisons précédentes. Mais nous, qui avons un cerveau d’une capacité extraordinaire, et même à ne savoir qu’en faire, pourquoi ne l’utilisons-nous pas mieux que nous le faisons ? Quel est donc ce phénomène qui nous empêche de classer « nos dossiers » par ordre préférentiel et pourquoi ne laisserions-nous pas le temps recouvrir les moins désirés de poussière comme il le fait sur les objets qui s’ennuient sur les étagères oubliées de nos yeux ? Serait-ce que nous manquions de volonté ou que nous soyons devenus si sensibles que nous ne voulions rien jeter au fond du puits ?

    Tenez, imaginez un banc installé à la fraîcheur, sous les frondaisons de manguiers, fixant la mer comme s’il rêvait de pouvoir se transformer en une belle pirogue pour y naviguer. Il m’amène deux réflexions. Tout d’abord, si je traversais l’espace sans attacher d’importance particulière à tout ce qui fait qu’il est agréable à vivre, comme la respiration de la nature s’associant à celle de la mer, pensez-vous que mon état d’esprit sera le même que si je m’arrête en prenant le temps de m’asseoir sur le banc qui m’invite à venir rêver avec lui ? Je devine qu’à peine installé, je ne pourrais retenir ma mémoire d’aller gambader, entraînant à sa suite mes pensées.

    Ensemble, ils vont s’animer tels les enfants dans la cour de l’école, oubliant l’instant précédant alors que les menaces de punitions planaient au-dessus de leur tête. Le confort de la chose sur laquelle j’ai pris place ne revêt aucune importance. Ce sont les sentiments enfouis et trop souvent refoulés qui vont se libérer et vagabonder à travers le monde qu’ils retrouvent avec joie.

    La mer et son ressac feront revivre une autre plage dans un pays réservé aux contes, dans lesquels les heures s’écoulaient béates, dans les bras d’un amour qui se consumait au solstice d’été. La fraîcheur des ramures des manguiers centenaires associée à celle de la mer venant mourir à mes pieds me ramènera au bas de l’imposante montagne, près de notre petit pont de bois recouvert de mousse afin qu’il soit plus doux au toucher. C’est en le prenant pour témoin que ce jour-là j’ai osé t’enlacer et te murmurer des mots si tendres que le torrent libéré de ses glaces hivernales s’empressa d’aller les colporter vers le vieux moulin, qui venait de perdre son meunier.

    Vous le comprenez ; il ne faut pas grand-chose pour bouleverser des images que l’on croyait disparues à jamais et cela me conduit directement à ma seconde réflexion.

    Si prendre le temps de respirer pour conditionner les nombreux autres pas à venir ne réveille pas que les bons souvenirs et que ce sont les vieux démons qui désirent reprendre goût à la vie en cherchant à nous entraîner dans leurs danses infernales, nous devons nous appliquer un seul remède. Gardons-nous de nous arrêter à chaque banc qui essaie de nous séduire, et évitons de fermer les yeux sur les paysages quand ils sont beaux comme des friandises à déguster sans modération. Pour être parfaitement heureux, notre esprit n’a besoin que d’émotions nouvelles, celles qui font pétiller la vie en nous, comme des centaines de feux d’artifice.

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  • — Si les grandes routes sont peu nombreuses dans notre beau pays, au moins en existe-t-il de plus petites, ainsi que de multiples chemins, sentiers et layons parcourant la forêt. Il n’est pas utile de s’enfoncer très loin sous les bois pour sentir soudain la nature nous étreindre à la façon dont on enlace notre compagne ou notre compagnon, afin qu’il ou elle ressente parfaitement ce cœur qui bat la chamade, n’ayant que ce moyen pour expliquer notre bonheur.

    Il est une voie que j’ai longtemps parcourue pour aller à la rencontre d’amis et qui ne me laissait jamais indifférent à chacune de nos sorties. C’est que chez nous, pour se faire pardonner son omniprésence, la nature invente chaque jour quelque chose de nouveau pour séduire le promeneur.

    C’est une fleur qui éclot sous nos yeux, un oiseau qui signale notre passage à ses amis qui viennent voir de plus près à quoi nous ressemblons et des milliers d’autres petites attentions qui distraient la solitude des lieux. Parfois, perdu dans ma contemplation, j’aimerais que les paysages se racontent eux-mêmes, de façon qu’aucun détail ne soit absent. C’est que notre vision, bien qu’excellente, est limitée, car alors qu’elle s’attarde sur une couleur, des milliers d’autres en profitent pour s’éclipser. D’un instant à l’autre, les paysages se transforment, les fragrances s’évaporent pour s’économiser jusqu’aux heures où la fraîcheur reprend possession de la forêt.

    La route que vous suivez en ma compagnie est celle qui conduit au marais de Kaw, dont je vous ai déjà parlé. Plus loin, nous laisserons sur notre droite l’auberge de nos amis où nous irons dans une prochaine aventure, passer des moments délicieux.

    Avant d’être une voie digne de ce nom (qu’un journaliste d’un célèbre quotidien osa dire qu’elle avait coûté beaucoup trop cher pour ne mener nulle part ; sans doute fut-il le seul à s’y être ennuyé, habitué qu’il était, à ce que le monde s’agite sans cesse autour de lui), elle fut une piste exceptionnelle. En suivant la ligne de crête, un chablis nous laisse voir un à pic à travers lequel traîne encore la brume matinale. Quand elle décide de s’évaporer, ce ne sont pas des villes que nos yeux découvrent, mais le toit de la forêt sous laquelle la vie se crée.

    À d’autres endroits, c’est un point de vue sur l’océan qui s’ennuie dans d’incessantes allées et venues qui remplissent notre regard d’admiration. On le devine rêvant d’une ombre salvatrice d’une sylve indécente qui vient le narguer jusqu’à son rivage où elle semble se rafraîchir. 

    N’aimeriez-vous pas rouler des dizaines de kilomètres sans rien voir d’autre que des instants furtifs de ce qui se passe sous l’épaisse sylve qui cache ses mystères ? Ne vous serait-il pas agréable d’emprunter ces chemins qui conduisent ailleurs que vers les contraintes et les soucis, même si nous ne rencontrons pas de visage connu, nous laissant croire qu’aucune âme ne saurait s’égarer en pareils lieux ?

    En vérité, ces petites routes nous invitent à musarder et nous arrêter autant de fois qu’il est nécessaire pour écouter respirer la nature autour de nous.

    Le matin, entre chien et loup, il n’est pas rare d’y apercevoir quelques gibiers rentrant au gîte après une nuit mouvementée, étonnés de vous rencontrer, mais pas si pressés de s’enfuir s’ils sentent en vous un ami. Les singes, d’un naturel curieux nous accompagnerons un moment, tandis que les aras et leurs cousins les perroquets s’interpellent sur les lieux de cueillettes. Nous aurons à peine le temps d’admirer le jaguar bondissant d’un bord à l’autre à quelques dizaines de pas de nous et il ne sera pas étonnant de voir quelques reptiles venir emmagasiner de la chaleur sur le bitume. Rassurez-vous, ils ne sont pas si dangereux qu’on le prétend. Nonchalamment, ils se retireront avant notre arrivée, nous laissant au passage admirer leur toute nouvelle peau recouverte d’écailles.

    C’est vrai ; nulle part ailleurs que vers la vie cette route ne vous mène, cette existence faite de promesses et de réalités.  Nulle autre part que vers la liberté, la sérénité et la méditation elle conduira vos pas.

    Par contre, en regardant attentivement, comme si vous désiriez découvrir des secrets, sans doute verrez-vous, traversant furtivement non loin de nous, mille petits bonheurs, nous prouvant ainsi qu’ils existent bien. Ils sont cachés dans le camaïeu de vert, attendant notre passage pour ajouter des sourires à nos émotions, nous invitant par des signes discrets à les ramasser et les serrer contre notre cœur.

     

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  • — Traverser l’océan alors que nous sommes sur un bateau apporte beaucoup plus d’émotions que si nous le survolons en avion. Vague après vague, tel un chemin chaotique, le navire semble épouser le flot, gémir de concert avec lui, plonger et remonter comme s’il revenait de l’enfer lorsque la mer est en colère.

    Le marin n’a guère le temps de se poser de questions concernant le pourquoi et le comment des mouvements de cette masse en perpétuel déplacement. Il doit à chaque instant guetter la vague traite qui veut le prendre en surprise, riant du bon tour qu’elle vient de jouer à l’homme qui doit déployer toute son énergie pour éviter de sombrer.

    Je ne sais pas s’il vous est arrivé de survoler ces étendues immenses qui isolent les continents, mais vues depuis le ciel, les considérations sont différentes de celles qui naissent dans l’esprit du navigateur sur son bateau qui paraît bien minuscule et fragile face aux démons et autres serpents de mer.

    Depuis le hublot, l’océan nous laisse admirer dans sa plus grande splendeur sa puissance et ses mouvements.

    Durant de longues heures, par un temps clair et parfaitement dégagé selon les saisons, aucun paysage différent ne s’offre au regard curieux du voyageur.

    Depuis le ciel, aucun creux, aucune élévation pour souligner cette immensité dont on devine à peine le déplacement.

    Pour cela, il nous faudra attendre l’approche des côtes. En l’occurrence, celles du continent sud-américain, facile à imaginer par la couleur de l’eau et son bel habit de verdure. Comme l’avion amorce sa descente, on peut apercevoir les frémissements de l’océan qui nous laisse croire qu’il se lance à l’assaut des terres, qui à cet instant lui dispute la vedette.

    Mais une surprise attend le voyageur. Souvent les clichés offerts aux touristes pour les séduire, offre des mers d’un bleu impeccable laissant deviner des fonds marins aux tons changeants, dans lesquels s’admirent les palmiers et autres cocotiers.

    Sur les côtes guyanaises qui bordent l’Atlantique, c’est l’inverse qui nous interpelle. Les eaux sont de couleur sombre, comme si elles cherchaient à nous dissimuler quelques vérités.

    La faute en revient à l’Amazone, qui, plus au sud, déverse chaque jour des millions de mètres cubes de sédiments arrachés au continent et qui s’attarde le long du littoral. Toutes ces boues constituent d’immenses plateaux de vase sur laquelle se fait et se défait la mangrove, véritable pouponnière d’une autre vie.

    Accentuant sa descente, l’avion nous permet maintenant de mieux comprendre les ondulations formées par le frémissement incessant de l’océan, nous donnant l’impression qu’il ressemble à une puissante respiration.

    C’est alors qu’il nous vient une question insistante, comme une obstination.

    Avons-nous un jour songé à ce que pouvait être l’existence d’une vague ?

    Née d’un banal trait barrant la surface de l’eau, elle s’élance à la découverte de l’océan, dont elle n’aperçoit rien.

    Alors elle enfle à la manière de quelqu’un qui se hausse sur la pointe des pieds pour voir ce qu’il se passe loin devant.

    À force de grossir, c’est bien connu, elle devient prétentieuse, excessive, grondante et mugissante cherchant à effrayer les plus petites qui l’empêchent de rouler plus vite.

    Beaucoup d’énergie pour rien ; cette puissance inutile et indomptable. Que sait-elle du jour dans l’aube duquel elle vit le ciel, ignorant même s’il avait un début et une fin ?

    Elle naît et meurt sous le soleil dont elle ne connaît rien de sa course folle. Elle croit seulement que parfois il est à cheval sur sa crête, tantôt dans le creux qui la sépare de ses voisines.

    De l’azur, elle ignore tout ; elle n’éprouve qu’une violente satisfaction à épouser l’onde, se laissant bercer selon son bon vouloir.

    S’approchant de la côte, la vague devine que son existence, soudain, touche à sa fin. Comme pour toutes les autres elle comprend qu’elles naissent dans la solitude et meurent dans l’indifférence, déchirées, dispersées et emmêlées dans les racines des palétuviers qui leur volent leurs âmes.

    Destin éphémère, qu’est celui de la vague, ignorant tout de la tendresse. Elle n’est appréciée que pour les émotions égoïstes qu’elle procure à celui qui glisse sur le rouleau qu’elle forme et qui ressemble à des conquêtes d’un autre temps.

    Lasses d’être des incomprises, jamais enviées et souvent redoutées, elles se révoltent parfois, semant la mort et le désastre.  

    Il est vrai que naître par hasard et finir médiocrement n’a jamais engendré le bonheur.

     

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  • — Nous, les humains, nous avons une façon de vivre bien particulière. J’ai l’étrange sensation, que chaque instant de la journée, à travers le monde, cachés dans l’ombre, se tiennent des évènements, ressemblant aux marionnettes dont on tire les ficelles pour produire tel mouvement ou tel autre. Dans le cœur des hommes, sommeille-t-il donc que la graine de la malveillance attendant avec impatience l’instant où enfin elle va se libérer et germer dans une explosion de joie. Qu’ont pu faire certaines personnes pour détenir ces sentiments de destruction permanente, qu’elle soit des choses, des idées ou plus simplement des rêves ? Quand je regarde autour de moi la façon de vivre des éléments naturels, je ne constate pas cette haine dévastatrice.

    Je ne dis pas qu’il n’y a pas de guerres entre les animaux pour la conquête d’un nouveau territoire, mais le plus souvent, cela se règle rapidement, après quelques démonstrations de force du propriétaire en titre. Il y a bien quelques tentatives de subordination, voire de corruption et aussi de déstabilisation pour accéder à tout prix au rang de chef de groupe. Mais cela ne va jamais bien loin ; tout rentrant dans l’ordre à l’instant où l’envieux comprend qu’il est sage d’attendre son tour comme tout le monde.

    Chez les végétaux, il en va de même. Il est convenu depuis longtemps qu’un puissant n’a aucune raison de léguer une parcelle de sa force aux plus faibles et que l’on ne verra jamais un brin d’herbe regarder avec envie son voisin, le séquoia géant.

    L’actualité nous démontre que chez nous, nous sommes d’éternels insatisfaits. Elle est riche de références qui prouvent le profond malaise qui règne dans notre société. Il n’est pas un instant où sur notre planète qui méritait plus de considération, il n’y est pas un personnage désirant prendre ses rêves pour une réalité, quel qu’en soit le prix à débourser.

    On pourra me dire que l’exemple choisi n’est peut-être pas semblable aux propos évoqués. Que l’on veuille bien me pardonner. Je n’ai rien trouvé d’autre à opposer à la bêtise humaine que d’innocentes fleurs qui s’offrent tels des sourires éclatants. Pourquoi des marguerites, me demanderez-vous ?

    Elles resplendissent sous les rayons d’un soleil qui leur ressemble, nous tendent sur leurs hautes tiges leurs pétales immaculés protégeant un cœur aussi doré que l’or. Elles pourraient vivre heureuses, s’épanouissant sur une prairie qui leur prête son tapis d’herbe douce, d’une belle couleur verte comme l’espérance, les mettant en valeur.

    Au cours de la vie que le temps leur accorde, elles connaissent des heures de gloire, mais elles sont aussi assaillies par le doute et parfois sombrent dans les ténèbres après d’horribles souffrances. Elles redoutent ces moments qui voient défiler hommes et enfants, avec dans le regard un sentiment qu’elles devinent meurtrier. Pour l’avoir si souvent entendue par des rescapées qui durent leur salut à la nuit approchante, elles connaissent la triste histoire qui a fini par s’inscrire au plus profond de leur âme, jusque dans la moindre radicelle. Elles frémissent en voyant se tendre vers elles ces mains avides de conquêtes et de pouvoir. Elles comprennent soudain, que de leurs tiges fragiles, d’où partent les feuilles à la découpe parfaite, elles seront séparées violemment. Elles se retrouveront étranglées entre des doigts indélicats entamant un long calvaire. Sans aucune précaution, un à un, les pétales sont arrachés sauvagement à l’instant où l’auteur du délit commence une litanie parfaitement réglée. « Je t’aime, un peu, beaucoup, passionnément, à la folie, pas du tout ! »

    Étrangement, tandis que la corolle a été disloquée et que le cœur part en lambeaux, le résultat ne satisfait jamais le cueilleur. Alors, le regard mauvais, la main empoigne une autre marguerite, et sur un ton d’où ne transparaît aucune douceur, ni émotion, l’effeuillage reprend, avec une excessive nervosité. On ne pense jamais à la grande douleur endurée par ces fleurs qui avaient été mises sur le passage des hommes pour embellir leurs songes.

    Mais voilà qu’il n’est toujours pas heureux du résultat obtenu.

    C’est la jeune fille qui se tient aux côtés du sadique qui en fait, est l’objet de l’acharnement. Pour elle, il est prêt à dévaster le champ entier de marguerites.  Dès le premier, je t’aime, prononcé par le bourreau, la pauvre fleur s’était imaginé qu’il s’agissait d’une histoire banale qui commençait ; mais rapidement, elle comprit que le sacrifice de quelques pétales n’y suffirait pas. Elle essaya de crier à ces sœurs de bien vite se refermer avant qu’il ne s’en prenne à elles ; mais le faucheur de vie et de couleurs avait commencé son œuvre, et il n’était pas décidé à s’arrêter tant qu’il n’aurait pas prononcé le mot fatidique qui évoque la passion.

    La prairie put enfin retrouver sa tranquillité avec la complicité du ciel, qui, soudain, se fit menaçant, éloignant pour un temps le bourreau des fleurs.

     

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