• — Je me souviens de mes rêves d’antan, quand je n’étais qu’un enfant innocent. Un peu court sur des jambes qui tardaient à mon gré à s’allonger, je grimpais dans les arbres. Oh ! Pas pour déranger les oisillons qui ouvraient grand le bec pour que j’y dépose la nourriture. Non, moi, ce qui m’intéressait c’était d’essayer de voir ce qu’il y avait par-dessus l’horizon. Depuis le sol, mes yeux n’étaient jamais satisfaits de ce qu’ils surprenaient. Ils en désiraient toujours plus. Alors, j’arpentais les terres qui nous environnaient à la recherche de l’inconnue et du merveilleux.

    Plus tard, mes pas m’ont éloigné du bourg que je trouvais étroit.

    J’étais hanté par le questionnement. Je voulais tout savoir et mieux, un matin je décidais d’aller vers ces lieux qui se tenaient toujours hors de portée. Derrière moi, j’abandonnais des villages, de nouveaux amis qui partageaient la même passion que moi, mais qui n’avaient pas le courage d’aller à la recherche de l’inexploré.

    Les laissant à leurs occupations, puisque peu pressé de savoir, je continuais mon chemin. Des montagnes furent dépassées, des plaines se sont offertes, des fleuves m’ont prêté leurs pirogues et leurs vagues pour rejoindre la rive opposée. Jusqu’à ce dernier matin où, le soleil dans les yeux, je débouchais sur un immense plateau. La végétation était luxuriante, l’herbe douce à mes pas et les oiseaux nombreux à jouer dans les airs pour fêter le retour de l’astre brillant. Un village était là, blotti au milieu de la verdure, laissant croire qu’il lui réclamait sa protection. Je le traversais, quand soudain un homme en arme m’arrêta.

    — Où vas-tu, me demanda-t-il, sans préambule ?

    — Je lui expliquais que je partais de ce pas à la découverte du monde.

    — As-tu des papiers, insista-t-il ?

    — Des documents ? répondis-je étonné.

    — Oui, me confirma-t-il, des papiers. Sans eux, tu ne peux franchir cette barrière. Ici, tu te trouves aux confins du pays, tu es à la frontière !

    — Comment dis-je, j’ai traversé une partie de la Terre pour me faire arrêter alors que je touchais à mon but ? À quoi cela nous sert-il d’avoir un monde si grand si nous ne pouvons le parcourir en toute liberté ? J’ai eu la faiblesse de croire que du levant au couchant la Terre était indivisible, n’appartenant qu’à la communauté des hommes. Amer, je dus me rendre à l’évidence. Après avoir marché durant des jours à la rencontre de nos frères, toujours une barrière ou des grilles se dresseront devant nous, nous empêchant le passage. Pourtant, alors que je m’approche de la ligne qu’ils nomment frontière et que j’observe l’autre côté, je vois bien que le monde est identique au nôtre. Rien n’indique qu’il put être différent. Les arbres ressemblent à ceux de nos forêts et les fleurs ont les mêmes couleurs. Les hommes marchent debout tout comme nous, sauf peut-être les miséreux qui s’obstinent à fixer le sol à la recherche d’un signe que le ciel leur a toujours refusé.

    Alors, pourquoi nous empêche-t-on de nous rencontrer, pire, pour quelles raisons vouloir nous diviser ? Le monde encerclé de grillages est comme une cage pour oiseaux, avec cette différence qu’il n’y a pas de barreaux au-dessus de nos têtes.

    Ça, j’ai bien compris la cause. C’est parce que nous ne leur ressemblerons jamais. Eux possèdent le bien le plus précieux que l’on nous refuse si souvent : la liberté. Ils peuvent aller et venir de part et d’autre des frontières et même dessiner des arabesques dans le ciel qui rit de tous ses nuages allants et venants selon l’humeur des vents.

    Nous ne désirons rien d’autre qu’une terre réunie. Je vous en prie, Messieurs les grands personnages, levez vos barrières, car cette terre ne nous appartient pas, elle nous vient de nos ancêtres et nous devons la remettre à nos enfants, sans frontières qui nuiraient à l’échange de notre amitié et de notre fraternité.

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  • — Souvent, on s’extasie devant la masse imposante des forêts. On aime en retenir la générosité des arbres, la diversité des végétaux constituant les couverts boisés et le port grandiose de certains sujets. Chaque jour, nous saluons avec empressement les bienfaits sans cesse offerts et variés avec, pour emballages, des centaines de parfums différents. Cependant, impressionnés par ces cathédrales vertes, on ne retient bien souvent que leur masse majestueuse qui nous distribue chaque jour des faveurs sans cesse renouvelées. Devant tant de merveilles, qui se soucient des souffrances et des tortures que chaque individu subit pour avoir le droit de vivre et parfois même de survivre ? Que sait-on des drames qui se jouent dans l’intimité sombre de la forêt ?

    Quand je contemple notre Amazonie, il est vrai qu’elle m’apparaît puissante, s’offrant à mon regard sans aucune retenue, semblant me dire qu’elle ne saurait garder pour elle tous ses secrets. Si on lui accorde un peu d’attention, elle imagine des trésors plus merveilleux les uns que les autres pour nous séduire afin qu’à notre tour nous puissions la conquérir. Mais prudence ! Elle reconnaît l’individu irrespectueux, en lui faisant comprendre qu’en son sein, il ne saurait trouver le repos, ni aujourd’hui, pas davantage demain, et cela, jusqu’à la fin de la vie de l’intrus. À son écoute, on devine qu’elle traverse le temps sans jamais prendre celui de souffler. Pas un instant n’est ignoré. Chacun est vécu comme s’il était le dernier et tous sont différents les uns des autres. Cependant, dans sa solitude bien amazonienne et son apparente vigueur elle demeure d’une extrême fragilité.

    Pour résister aux agressions de toutes sortes, les arbres imbriquent leurs branches et leurs cimes dans le houppier de leurs voisins comme s’ils se tenaient par le bras pour être plus forts et solidaires. Ils savent la violence omniprésente. Ils la devinent cachée derrière chaque tronc, masqué dans le cœur de plantes que l’on croirait de prime abord inoffensives, alors que certaines apportent la mort. Sous cette probable robustesse, aucun moment de sa vie n’est épargné. Les attaques fusent de tous côtés. On les penserait enfouies dans la terre, ils viennent du ciel quand la foudre s’abat avec une telle violence qu’elle fend les plus puissants. Parfois, elles prennent l’allure d’innocentes petites plantes qui empoignent les plus hautes branches. Ce sont des lianes qui lancent depuis la ramure la première radicelle en direction du sol. Dans le tapis moelleux d’humus, elles développent des racines puis remontent rapidement vers les sommets. Pour s’aider, elles enlacent amoureusement leurs hôtes dans un bel élan de fraternité, croirait-on. En réalité, c’est une longue agonie qui commence. Pour s’assurer de prospérer, la liane épuise l’arbre qu’elle enserre en le vidant de sa substance. Pressée et orgueilleuse, elle n’aura aucun regard pour celui qu’elle conduit à la mort. Mais l’adage qui nous rappelle que « tous biens mal acquis ne profitent jamais » nous éclaire une fois de plus par sa vérité. Privée de son allié et de nourriture, à son tour la liane va connaître les tourments de la souffrance, elle va mourir dans la plus grande indifférence. Une nuit, elle et son support vont s’effondrer dans des craquements à n’en plus finir, entraînant à leurs suites des dizaines d’arbres innocents.

    Le sol les digérera rapidement et fera naître sur les cadavres des milliers d’autres végétaux. Une bataille gigantesque s’engage, car la place au soleil est chère. Tandis que les insectes en tous genres aidés dans leur tâche par les champignons qui les digéreront, les bois morts, d’autres végétaux profiteront de la trouée pour s’élancer vers le ciel qui ne doit jamais deviner ce qui se trame sous la forêt de nos régions.

    Ainsi, vit-elle dans l’insécurité permanente. Nous pourrions en conclure qu’ici-bas, la mort est nécessaire pour que, sur elle, s’épanouissent de nouvelles fleurs, qui donneront naissance à une existence plus forte et parfumée.

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  • — Je sais bien ce que vous allez me dire. Ils ne pouvaient plus parler puisqu’ils étaient transpercés par une épingle après avoir été endormis (enfin, peut-être) par un de ces nombreux produits plus ou moins illicites.

    Après avoir traversé une époque relativement courte, mais bien remplie, comme celle que tant d’hommes voudraient connaître, les voilà réunis dans un magasin de souvenirs, bien protégés dans un cadre recouvert d’un verre épais. Pour une meilleure compréhension, nous dirons que leur âme une dernière fois échangea leurs impressions de leur passage sur la terre. Le plus petit papillon s’adressa à son voisin, un magnifique morpho :

    — Et toi le grand bleu, écoute ce que j’ai appris :

    Il paraît que les hommes insatisfaits des modifications qu’ils apportent à leur environnement s’en prennent maintenant à notre garde-manger. Chaque jour, ils inventent de nouveaux produits et parmi eux il en est un qu’ils nomment O.G.M.

    — Puisque tu sembles connaître tant de choses, sais-tu ce que cela signifie ; O.G.M. ?

    — Je crois avoir compris que cela voulait dire « Organes génitaux malmenés ».

    — Ils s’attaquent donc aux systèmes reproducteurs des végétaux ?

    — Oui, j’ai bien peur qu’ils nous conduisent directement à la catastrophe.

    — Je ne cherche pas à te vexer, mon ami ; mais pire situation que la nôtre, je crois que cela n’existe pas !

    — Chez eux, ils nomment cela un génocide !

    — Dans le temps, ils ont eu un type qui décida de créer une seule ethnie. Son désir était que les hommes deviennent tous des bons à rien.

     — Tu veux dire une race de fainéants ?

    — Je l’ignore ; ils l’ont éliminé avant qu’il réussisse.

    — Dis-moi, cher monsieur, je sais tout ; quand ils auront transformé tous nos végétaux, quel goût auront les pollens ? Cela va certainement transmettre aux nôtres des maladies étranges ! Tu crois que nous serons obligés de butiner avec un préservatif ?

    — Comment allons-nous nous y prendre, pour faire admettre le mot « je t’aime » qui nous sert de charme pour séduire les fleurs, sans qu’elles s’en aperçoivent ? En quelle langue faudra-t-il leur parler pour qu’elles nous comprennent ? Ne seront-elles pas transformées en monstres pour nous attirer avant de nous détruire ?

    — Dis-moi, beau bleu, je pense à une chose : imagine que les fleurs aux organes génitaux malmenés n’engendrent par la faute de toutes ces manipulations que des garçons, il faudra bien que certains se sacrifient s’ils veulent que leur civilisation continue à vivre !

    — Je constate que tu avais déjà consommé le pollen de ces fleurs. Il me semble que te voilà en plein délire. Acceptes-tu que je te fasse une remarque ? À l’avenir, évite aussi celles qu’ils fument !

    — Ne me critique pas, mon ami. C’est une image que je tente de t’expliquer. ! Mais il n’empêche qu’à chaque fois qu’ils inventent quelque chose pour le bien, ça finit toujours mal ! La vie n’est pourtant pas tant compliquée pour qu’ils ne la comprennent pas !

    — Regarde comment cela se déroule pour nous. Tu passes une nuit à laisser tes rêves faire plusieurs fois le tour de ta tête et dès que le jour s’éveille, il est temps de défroisser les ailes. Nous n’avons besoin que d’un instant pour que les premiers rayons du soleil sèchent notre livrée et dissipent la brume ; puis tu te lèves sans te presser. Ensuite, tu commences ta tournée chez les plantes ornementales. Tout en leur racontant tes songes, tu aspires leur nectar en leur faisant l’amour, puis tu te reposes à nouveau. Inutile de vouloir tout consommer le même jour. Chaque matin, des fleurs nouvelles s’éveillent, rien que pour notre plaisir. Il en sera ainsi jusqu’à la fin de notre destinée. N’est-elle pas idéale notre vie ?

    — Je comprends mieux pourquoi on nous l’envie tant !

    — Tu avais connaissance toi que sans nous il n’y aurait pas de pollinisation ?

    — Comment veux-tu que je sache cela, mon beau morpho ?

    Un matin, alors que je rêvassais sur le rebord d’une corolle, j’ai entendu une fleur qui disait à sa voisine chaque fois que le vent les rapprochait :

     — Mon amie, puisque nous nous aimons, pourquoi n’appelons-nous pas le papillon ?

    — Arrête, tu vas m’arracher ma dernière larme !

    — Avec toutes leurs bêtises, maintenant j’ai un doute quant à l’existence des nôtres. Regarde où cela nous conduit.

    — Ne te plains pas, sur ta boîte il y a un couvercle qui te permet de voir le ciel pour des années sinon pour l’éternité. Sur la leur, il est en bois et en plus ils l’enfouissent dans les entrailles de la Terre.

    — Sans doute craignent-ils qu’on leur vole encore quelques mauvaises idées !

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  • — Comment peut-on évaluer le temps qui nous était imparti et que nous avons déjà consommé ? Dernièrement, je vous ai parlé de la pendule, du calendrier et bien d’autres choses encore. Mais il est un moyen infaillible de le mesurer avec certitude. C’est d’aller à la rencontre des gens qui nous ressemblent. Certes, me répondrez-vous, c’est assurément une belle initiative, mais ils sont pareils à nous, les ans n’épargnant personne ! S’ils se posent sur nous, ils font de même avec les autres. C’est vrai, mais en plus des amis que vous serrez dans vos bras lors des retrouvailles, c’est comme si l’on étreignait les jours anciens.

    Comment ? Tout simplement en allant rendre visite aux plus vieux d’entre eux.

    Qu’il est bon alors de se réunir entre gens ayant vécu un même parcours ! Pensez, des connaissances de plus de trente-cinq ans ! Il nous en reste si peu ! C’est que la destinée est gourmande et qu’elle réclame toujours plus d’hommes pour rassasier son appétit. Bref, laissons les larmes avec celles qui furent versées alors, et vivons l’instant comme s’il ne devait jamais s’épuiser.

    Ce ne fut qu’une journée, mais elle se révéla grandiose ! Imaginez, nous nous rencontrons une fois l’an, empruntant des pistes éventrées par une saison des pluies qui a commencé trop tôt et qui n’en finit pas ! Aurait-elle le cœur si triste qu’elle cherche à noyer les souvenirs et les émotions avec elle ? Mais quelle idée aussi de fêter son anniversaire au milieu de la saison humide ! Enfin, on ne choisit pas l’époque à laquelle nous venons grossir les rangs de l’humanité !

    Le carbet était parfaitement orienté, convenablement ventilé, si bien qu’au plus fort de l’orage nous n’avons même pas eu droit aux embruns, ces soldats précurseurs d’une averse tropicale tapageuse. La vue était imprenable sur le verger des pamplemousses, des oranges et des ramboutans. Seuls les fruits de la passion n’en avaient plus guère sous les trombes incessantes, laissant de leurs feuilles désemparées, s’écouler l’eau comme on essore le linge trempé. Désolées, elles lorgnaient ostensiblement vers l’assemblée où les gens réunis offraient une leçon d’une autre sensibilité. Les heures passèrent en s’associant aux souvenirs.

    Les regards se croisaient, les yeux exprimaient des sentiments que les lèvres n’osaient prononcer. Les têtes hochaient, affirmant ou démentant certains propos et des gorges, les rires montaient, parfois sans retenue. Pas de doute en ces instants extraordinaires, deux mondes s’opposaient bien. Celui dans lequel les hommes s’étaient vautrés sans vergogne tandis que le présent s’impatientait sur le seuil de la bâtisse. Mais cela me conduit à une réflexion : pourquoi les amis qui se réunissent évoquent-ils toujours le passé ? Pourtant, parfois ils l’ont banni, supplié de s’enfuir à l’autre bout de la Terre et même prié de les oublier en empruntant des chemins différents.  

    L’avenir, les effraie-t-il donc à ce point ? S’estiment-ils trop faibles pour le construire ? Heureux ou malheureux, le passé appartient aux souvenirs et aux images jaunies. Il ne peut plus rien pour nous. Certes, nous l’avons bâti, nous nous sommes appuyés sur lui comme une maison sur ses fondations, mais est-ce une raison pour toujours l’évoquer avec des larmes dans les yeux et de la nostalgie dans la mémoire ? 

    Nos pieds ont bien grandi eux avec le souvenir des chemins poussiéreux et ce n’est pas pour autant qu’ils ont refusé d’avancer ! Il nous faut regarder vers l’horizon, car lui seul est rempli de promesses.

    Cependant, à ce jour particulier nous avons décidé d’y inviter antan lontan. Alors sans même nous concerter, nous avons occulté le présent. Nous avons continué par hier, puis les jours d’avant, et ceux toujours plus loin. Résultat, après une journée riche en souvenirs, ce matin j’ai encore la mémoire en ébullition. C’est que le passé, quand il siège sur le balcon du présent, n’est guère disposé à retrouver sa place, dans les multiples tiroirs où ils savent qu’ils vont dormir une année entière, avant d’être dépoussiérés à nouveau.

    Mais je vous assure que de temps en temps il est bon de fermer la porte au passé. Oh ! Je ne prétends pas qu’il nous est fait obligeance de renier ce que nous avons mis en place, ce serait le faire de nous-mêmes. Non, je veux seulement parler du monde qui nous poursuit, avec ses bruits, ces malheurs, sa misère, ses souffrances et ses cris d’agonie.

    Au cours d’une journée comme celle-ci, même si elle fut trop courte, il est bon de nager enfin dans un peu de bonheur. Je sais, cela ne dure jamais bien longtemps. Après avoir quitté ceux que l’on aime, sans oublier de s’être donné rendez-vous pour l’année suivante, je vais reprendre mon quotidien, car en fait, il est le seul qui me convienne, celui qui me mène vers d’autres nouveaux complices, en espérant que leur amitié durera aussi longtemps que celle qui réunit les anciens de toutes les pistes qui conduisent vers les cœurs.

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  • – En ce dimanche, vers toutes les églises, les fidèles convergent, et bientôt des prières s’élèvent vers vous, Seigneur !

    Oh ! Je ne suis pas dupe à ce point, pour croire que toutes ne viennent que du fond du cœur, car il se trouve des personnes chez qui depuis longtemps il est épuisé. Non qu’ils aient trop donné, mais parce qu’on leur a tout pris. Alors, ils sont devenus méfiants, même à votre égard, estimant que vous auriez pu vous manifester à eux, plutôt que de rester silencieux. Cette absence, ils le comparent à de l’indifférence, et vous devrez leur pardonner, car ils sont comme des malades en voie de guérison, mais dont ils savent que la convalescence sera longue.

    De nombreuses suppliques vous sont adressées directement, prenant les accents autoritaires d’un commandement, alors que d’autres iront vers le dieu dont ils imaginent qu’il distribue l’argent et le confort matériel. Des prières avec une certaine ferveur vous demanderont d’intercéder auprès de celui qui donne du travail, d’autres vers celui qui dessine les rêves dans les esprits ! Il en est même qui laissent penser qu’ils vont réserver leur place au paradis. Pardonnez-leur, car personne ne leur avait dit, que du premier jour au dernier jour de notre vie, le ciel se méritait. Voyez-vous, Seigneur, en ces temps où les hommes sont submergés par le doute, ils en viennent à se tourner vers tous les Dieux que les communautés se partagent et ne soyez pas étonné si certains vous réclament des choses qui ne sont pas écrites dans vos carnets. Les sociétés ont tellement évolué qu’ils sont surpris que vous n’en ayez pas fait autant. Entre vous et eux, les distances ont grandi et les hommes ont le sentiment d’avoir pris plusieurs longueurs sur vous. De grâce, ne les laissez pas s’enfuir et rapprochez-vous d’eux !

    – Me concernant, souvenez-vous ; il y a bien longtemps, c’est vrai, dans une colère toute juvénile, ne vous avais-je pas dit que vos églises se dépeuplaient ?

    À cette époque, nous jugions vos demeures aussi froides que le cœur des fidèles et devenues grises, la couleur de leurs espérances. Constatant qu’il n’y avait plus de différence, entre votre maison et chez eux, ils désertèrent. Les ors et les argents, qui ornaient les cathédrales, avaient disparu. Le mystère de la Rédemption n’existait plus, le latin, qui entretenait le flou, avait même été supprimé. Les accents liturgiques vinrent à manquer à ces gens rustres, qui ne levaient la tête du sillon que pour vous implorer ; non pas pour eux, mais pour veiller sur la terre afin qu’elle engendre toujours de belles récoltes dans l’espoir d’éloigner les famines.

    Le jour arriva où moi aussi je dus prendre mon bâton de pèlerin. Je suis parti de par le monde, au hasard des chemins et des croyances. J’imaginais que forcément quelqu’un devait encore avoir une foi immense sans pour autant être l’un de vos apôtres. Certes, je dus parcourir une longue route, mais un matin, je l’ai trouvé. Je ne me heurtais pas directement à lui, mais à son œuvre. L’homme s’en était allé depuis des années, et nul ne sût s’il avait rejoint celui à qui il avait destiné ses dernières prières.

    Je supposais que cet homme ne connaissait pas tous les mots pour s’adresser à vous, alors il vous offrit ses talents d’artiste. Ce qu’il avait de meilleur en lui, il le traduisit et le mit à votre service. Grâce à lui, soudain, votre demeure renaît, elle sourit à nouveau. Ironie du destin ; cet homme était un bagnard. Fallait-il qu’il vous aimât pour apporter autant de lumière et de couleurs en votre maison !

    Et savez-vous, Seigneur, un jour que je méditais en ce sanctuaire, j’y ai même rencontré des non-croyants qui devant une telle œuvre se sont agenouillés en s’exclamant :

    – « Ô Mon Dieu » !

    Le bagnard du nom de Huguet avait été condamné pour faux et usage de faux, et c’est en l’église d’Iracoubo en Guyane française qu’il réalisa le chef-d’œuvre qui fait qu’en cette église les prières n’ont jamais cessé de clamer votre grandeur.

    Maintenant, elle est inscrite aux monuments historiques, et en son chœur les chants s’élèvent toujours plus haut, plus forts et plus sincères.

    (Peinture achevée : le 06 Janvier1893) 

     

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