• — Il arrive souvent que nous rêvions de situations, de postures et même événements dont nous ne pouvons contrôler le déroulement. Non pas que nous ne voudrions pas nous aussi aller en d’autres lieux, vers des horizons nouveaux ou sous des ciels comme le racontent si souvent les légendes, mais parce que les liens qui nous retiennent si près des nôtres sont solidement accrochés. Il nous semble alors que rien ni personne ne pourrait nous aider à rompre nos amarres ; combien même seraient-elles libérées, que nos pieds, eux, sont trop profondément collés à la terre qui nous vit naître, pour nous permettre de nous évader.

    On se demande donc pourquoi certains éléments qui ressemblent tant à la liberté n’osent franchir le pas qui les transporterait de la nuit vers le jour. C’est vrai que nous avons envie de lever les bras et de crier en direction de certains oiseaux, dont l’espace tout entier est leur domaine : 

    – Nigauds que vous êtes ; pigeons, qui ne savez que mendier !  Quelles sont donc ces raisons qui font que vous ne vous envoliez pas vers ces pays où il fait toujours beau, où les nuits elles-mêmes ne dorment que d’un sommeil léger afin de ne rien perdre des bienfaits de la vie ? Pourquoi rester vous morfondre et trembler de toutes vos plumes entre ces murs dont rien d’autre que la grisaille n’oserait orner de sa dentelle triste n’évoquant que la nostalgie et la monotonie ? Quand on est libre comme le vent, nous sommes en droit de nous demander pourquoi vous n’avez pas suivis les belles hirondelles et autres palombes vos cousines. Pourquoi vous entêter à grelotter alors qu’il existe des rivages ourlant des mers si claires que l’on en devine le fond et où les vagues ne se lassent jamais de raconter la merveilleuse histoire des océans courant autour du monde et qui viennent en souriant, mourir sur des plages de sable fin et blanc ? Les grèves sont si belles qu’on les imagine être des traits d’union entre la mer et la Terre, pareil à un délicat maquillage rehaussant le ravissant regard de gentilles demoiselles.

    Si vous choisissez de rester parmi nous, vous ne tarderez pas à comprendre que nous n’aurons plus de vents doux et tièdes nous rapportant la belle histoire des îles paradisiaques et qu’il suffirait de tendre l’oreille pour entendre s’exclamer le bonheur des gens heureux. 

    Chez nous, l’an ne sera pas fini, que soufflera la bise qui aura pris tout son temps pour affûter ses aiguilles sur les monts du Grand Nord pour avec violence transpercer nos frêles vêtements et glacer nos chairs. Nous n’avons pas non plus d’immenses et beaux arbres tropicaux faisant des révérences avec leurs longues palmes qu’un souffle léger agite, tandis que sous leur ombre s’attardent, étroitement enlacés, les fiancés qui s’imaginent être les seuls au monde. Complices de l’amour, les ramures s’abandonnent à l’alizé du sud et le vent profite des folioles pour faire entendre des musiques de rêves, des airs métis, nés dans les cœurs, au plus près du désir de vivre et des sentiments.

    Dans nos campagnes engourdies, durant les longs mois d’hiver, notre ciel sera si bas que l’on pourra entendre pleurer les anges et se lamenter les âmes qui se désoleront de ne pouvoir se poser sur le lourd manteau neigeux qui recouvrira les sommets avant de rejoindre les plaines, alors que dans les chaumières, des gens se brûleront la face aux flammes dansantes de l’âtre, tandis qu’ils se gèleront le derrière en maudissant le mauvais tirage de la cheminée. 

    Pourquoi le créateur ne m’a-t-il pas, comme vous, doté d’ailes qui me permettraient de m’envoler vers les promesses de jours meilleurs, rejoindre ces oiseaux au plumage multicolore qui traversent le ciel en criant leur joie ! Dans leurs nouveaux pays, le firmament est toujours bleu et les fruits y sont généreux et savoureux. Dans le soir qui se met délicatement en place, ils se posent sur les branches des flamboyants et autres cocotiers, mais je sais alors que ce n’est pas pour écouter se lamenter les hommes ni même pour rêver de pays du bout du monde. Ils s’endorment après avoir regardé les gens s’abandonner au murmure de l’océan en plaquant les coquillages contre l’oreille, comme s’ils étaient certains d’avoir des nouvelles d’autres pays.

    Soudain, alors que la nuit est bien établie, montent vers la lune les premiers roulements de tambours qui accompagnent des chants vantant les délices de la vie, comme s’ils adressaient des remerciements à un ami qui régnerait au-dessus d’eux, en le priant de faire le jour prochain aussi beau que celui qui s’achève.

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  • — En ce jour où le ciel semble si près de nous, qu’il nous suffirait de tendre le bras pour, de la main en déchirer les nuages qui marchent sur la canopée, je ne puis retenir un sentiment de tristesse qui m’envahit et taraude mon esprit. À l’instant, j’aimerais pouvoir crier mon désarroi et ma peine. Que sommes-nous devenus pour n’avoir pas su empêcher le malheur et la honte de pénétrer nos cités ? Quel est donc ce mal qui s’est installé en nous en imposant sa puissance ? Sous un couvert bon enfant, nous allons dans la vie, cachant même à nos propres amis notre questionnement quotidien, feignant de sourire et d’être à l’écoute de chacun, alors que nous n’avons qu’une envie ; fuir ce monde en qui nous avions mis notre confiance et qui depuis toujours nous trompe chaque jour que le temps invente.

    Je me croyais à l’abri de l’épidémie, à l’opposé de la rumeur, loin des combats des chefs comme dans les plus mauvais romans. C’était sans compter avec ce siècle qui semble être le parent de la malfaisance tant il nous inonde de la folie des hommes. Jusqu’à ce jour, j’étais heureux, j’essayais de convaincre mes semblables que le bonheur était en nous et qu’il nous suffisait de produire l’effort nécessaire pour le faire naître et briller comme le font les rayons de soleil.

    Hélas ! Voilà qu’une aigreur empoisonne ma vie en même temps que le désir de baisser les bras tant le combat que nous devons mener me paraît inégal. Moi qui n’avais jamais fui devant un quelconque danger, maintenant, j’ai envie de me réfugier dans la pénombre de la forêt qui jouxte la ferme.

    Je n’ai qu’un souhait : ne plus rien voir, plus rien entendre ce qui se passe autour de moi. J’en viens presque à bénir cette pluie tropicale qui semble faire comme le rideau sur la scène du théâtre, à l’instant où il annonce la fin du spectacle et je demanderais presque au ciel de ne plus l’interrompre, même si mes arbres sont dissimulés derrière le brouillard et que les hallebardes sur le toit et la forêt me privent du chant des oiseaux. Alors du fond de ma détresse, j’ai envie de crier ; de réclamer où sont passés ces hommes que j’ai connus et qui m’avaient laissé croire que j’avais raison d’espérer en l’existence de ceux de notre espèce. Pourquoi et comment en sommes-nous arrivés à ce point que nous avons de la difficulté à nous estimer nous-mêmes ? Bien sûr que nous avons fait des erreurs ; mais ne devaient-elles pas nous servir d’exemples plutôt que de nous y complaire et de les renouveler sans jamais nous fatiguer ? Les fautes commises, pourquoi nous est-il si pénible de les reconnaître et de les réparer ? Comment pouvons-nous accepter l’idée de haïr aujourd’hui ce que nous avons aimé hier ?

    J’ai l’affreux sentiment d’ouvrir un mauvais ouvrage dont le premier mot sur la première ligne de la première page serait une question et qu’elle se répéterait de chapitre en chapitre, jusqu’à la fin de l’œuvre :

    Pourquoi ?

    Quelle est donc cette force qui fait que nous ne savons plus emprisonner nos pensées ? Pourquoi nous laissons-nous voler nos plus belles images et nos icônes ? Je vois bien, en regardant mes semblables errer dans l’existence, que le bonheur qu’ils appelaient de leurs vœux est las lui aussi et qu’il a choisi de se détourner de leurs chemins. Il marche à l’aveuglette dans la monotonie des villes et se heurte sans cesse aux gens qui ne lui font plus confiance. Pourtant, il tente encore de s’accrocher désespérément à certains qui sembleraient aptes à le recueillir, alors que ceux-ci s’empressent, d’un revers de la main, de s’en débarrasser.

    Reprenant mes esprits, je me demande toujours quels sont ces gourous des temps modernes qui nous ont endormis. Sont-ce eux qui sont puissants ou nous qui sommes devenus trop faibles ? Ne serions-nous plus que des égoïstes ? Des indifférents qui se contentent des malheurs des uns et des autres ? Cependant, nous sommes bien des hommes !

    Certes, petits et fragiles, mais avec suffisamment de hargne au ventre pour nous libérer des parasites qui voulaient investir notre pelisse !

    Sans doute sommes-nous délicats, parfois versatiles ; mais en nous, il y a un cœur qui ne demande qu’à aimer ! Un cœur si gros qu’il est prêt à bondir hors de sa cage quand il entend auprès de lui un autre pareil à lui, battre la chamade !

    Vers la forêt sur laquelle mon regard s’attarde, je sais que sous son couvert le mensonge n’y a pas cours. La vie y est sans doute difficile, mais sans mépris envers les uns ou les autres composants.

    Je ne puis m’empêcher de penser que nous pourrions l’imiter et que le seul combat qui serait digne que nous livrions ne serait que contre nous-mêmes. Ce faisant, nous pourrions chasser au plus loin les démons qui voulaient investir nos corps et dévorer notre âme ; et que par le monde, des gens devenus responsables cessent de mener des guerres aveugles contre leurs frères. Un rêve, pensez-vous ?

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  • — De mémoire de dromadaire, nous n’avons pas le souvenir d’avoir transporté autant de sable. Les dunes sont notre quotidien et même notre paradis, contrairement à ceux qui s’imaginent qu’il pourrait être notre enfer. Le désert est donc notre patrie et du sol, nul n’en connaît aussi bien le grain que nos sabots qui pourraient vous raconter l’histoire de chacun d’eux. Ainsi, avançons-nous, tanguant et roulant tels des navires, dans la chaleur des jours ou dans la rigueur des vents qui nous cinglent le cuir jusqu’à la chair.

    Notre allure a fait dire aux hommes que nous étions les vaisseaux du désert. Concernant ces derniers, ils ne se trompaient guère, tant il ressemble à un océan qui est toujours en mouvement ; mais le nôtre a préféré les tourments aux mers d’huile sur lesquelles les marins se désolent d’y rencontrer le moindre souffle de vent qui leur assurerait que la vie est toujours présente à bord avant de gonfler les voiles.  

    Nous sommes de nature paisible et rien ne saurait nous faire perdre notre calme, même si parfois, il est vrai que nous aimerions nous arrêter en chemin. Mais les hommes sont ainsi faits qu’ils nous pressent d’aller au plus vite, comme si dans notre étendue désertique il se trouvait un moyen de courir après le temps et même de le ralentir. D’ailleurs, qui serait assez fou pour essayer de nous voler celui qui n’appartient à personne, alors que le maître du sablier géant vient lui-même faire provision des grains qui égrènent les jours et les nuits ? Nos chameliers qui ont pourtant grandi à nos côtés devraient bien savoir qu’en notre désert il n’est qu’une réalité ; l’immensité qui nous commande de rester aussi humbles que le rocher le plus fort, car le soleil et le vent parviendront toujours à le réduire en un simple grain que la tempête, un jour, emportera loin de son pays.  

    L’instant que nous apprécions le plus dans nos journées qui semblent ne jamais prendre fin lorsque les charges sont trop importantes est le soir à la halte. Les hommes sont obligés d’installer les tentes sous lesquelles ils s’abriteront de la nuit paraissant glaciale après la température excessive de la journée. Le froid et les ténèbres deviennent les fidèles alliées du soleil en faisant exploser les roches millénaires que les rayons cuiront au fil des jours afin de les réduire en poussière qui finira elle aussi par se diriger vers le sud. Ce nouveau gravillon avancera plus vite que nos malheureux sabots qui souvent sont usés jusqu’à la chair. Ils pourraient vous conter l’histoire de chaque dune, de toutes les oasis traversées et même les traces des hommes marchant à nos côtés pour nous soulager lorsque nous faisons mine de nous arrêter en chemin. Les bivouacs ne sont pas choisis au hasard. Nous avons beau être sobres, nous devons néanmoins mâcher quelques épineux, afin que notre vie décide de cesser au hasard d’une piste. Ce faisant, nous ne sommes pas mécontents d’être servis avant nos maîtres qui parfois, doivent lutter contre les éléments pour élever leurs tentes.

    Oh ! Ne croyez pas que s’il leur arrive de nous nourrir avec plus de soins qu’ils n’usent envers eux-mêmes est dénué de tout intérêt. Nous savons bien que comme tous les hommes du monde ils connaissent le proverbe qui prétend que pour aller loin il faut ménager sa monture. Ils ne dérogent pas à la règle et finalement nous leur en sommes reconnaissants. Nous ne sommes pas ignorants non plus ; pour l’avoir vu très souvent, tandis qu’ils nous engraissent avec la meilleure herbe récoltée en d’autres endroits, ce n’est que dans le seul but de faire gonfler nos flancs creusés au fil des kilomètres. Un jour sur un marché ils nous abandonnent ; commence alors pour nous une seconde vie, à moins que ce soit les étals des bouchers qui exposeront nos meilleurs morceaux.

    Comment leur en tenir rigueur ? Après tout, que serions-nous devenus sans eux ? Nous aurions probablement erré dans ce milieu hostile qui nous voit le parcourir, souvent sans aucune touffe ou brindille, victimes elles aussi, de l’avancement désertique ou de la dernière tempête. Oui, il est inutile de le rappeler, mais notre océan sablonneux roule vague après vague à la recherche de nouveaux rivages. Parfois, nous avons le désagréable sentiment que c’est notre continent en entier qui s’est mis en route vers l’inconnu, décidé à ne pas s’arrêter à la première mer, puisqu’il demande l’aide des vents pour le transporter en tous points du monde à la recherche de nouvelles patries.  

    C’est pour cette raison que vous nous voyez aller et venir, emportant le sable vers le nord, les chameliers craignant que les générations futures ne reconnaissent pas la misère que leurs aînés vécurent, mais que jamais ils n’osèrent fuir. Il n’est aucun pays sur notre planète qui comme le nôtre, ne sache pas avec l’aide de la lune et des étoiles générer des rêves aussi beaux que ceux que les poètes racontent au fil des pages, sur une musique lancinante qui glorifie le ciel et la Terre ; celle-ci fut-elle une mer de sable. 

     

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  • — Combien de fois l’envie de stopper en chemin nous a-t-elle effleurés ?

    N’avez-vous jamais éprouvé le besoin de faire une pause, comme une sorte d’arrêt sur image pour citer une expression moderne, parce que vous veniez de réaliser que vous étiez en train de vous laisser tirer par les évènements ?

    Il est bien connu que si soudainement nous cessons de respirer, il ne nous reste que peu de chance de parcourir le long chemin qui nous était attribué.

    Alors, retrouvant nos esprits, et délaissant toutes les activités en cours nous nous installons confortablement en un lieu propice au bien-être, qui favorise la méditation et nous permettons à la vie de reprendre sa place au plus profond de notre être.

    Nous laissons d’abord les pensées encombrantes se noyer dans l’élixir du souffle nouveau qui remplit nos poumons, afin que notre sang le véhicule dans le labyrinthe de notre réseau de vie. Nous voilà parfaitement détendus, inspirant à pleins poumons, comme si nous voulions faire provision de l’air frais, et ce, pour l’éternité.

    Nos yeux se posent ensuite sur la nature, qui soudainement, elle aussi s’est arrêtée de respirer pour nous observer, mais pour une fois, avec bienveillance, signe qu’elle croit en notre prise de conscience.

    Elle se livre alors comme jamais elle nous était apparue avant ce moment magique. En cet instant, nous n’osons prononcer les mots qui forcent nos lèvres pour exprimer nos sentiments nouveaux.

    Belle, infiniment belle et douce, sûre d’elle, toujours désireuse d’exister, ne cessant d’être heureuse, même dans le combat qu’elle mène pour assurer sa survie.

    C’est alors qu’en nous prennent naissance des dizaines de questions.

    Et si nous avions manqué quelque chose d’important dans la distribution des jours ?

    Si nous nous étions trompés dans l’interprétation de la lecture de l’existence ?

    Voilà que le doute est parfaitement installé en nos esprits.

    Est-ce trop tard, pour en prendre conscience ?

    Non, nous sommes convaincus qu’il ne saurait être l’être. Ce qui est bon ne peut se refuser éternellement à nos émotions.

    Nous sommes seulement passés à côté de l’essentiel, le regard attiré par la cohorte des choses inutiles qui encombrent nos chemins. Nous sommes bien honteux de nous rendre à l’évidence. Nous venons de comprendre que nous avons souffert durant des années sur un parcours qui n’était pas le nôtre, mais celui des chimères et des personnages que nous découvrons seulement dans les allégations des diseurs de bonne aventure. Nous pinçant pour y croire vraiment, nous nous apercevons que nous sommes bien des êtres de chair et de sang, que nous n’avons jamais ressemblé à des personnages imaginaires, dépourvus de cœur et de sensibilité qui n’auraient jamais découvert l’amour et l’amitié.

    Alors, pourquoi nous sommes-nous laissé dépouiller de nos rêves ? Pourquoi et comment nous a-t-on dérobé notre espérance ? Étions-nous donc si naïfs pour être restés aussi longtemps sans réaction ? Que pouvait-il bien avoir de si important dans la société pour que nous y accordions toute notre attention et que nous lui abandonnions nos désirs ? Par quel miracle n’avons-nous pas aperçu nos silhouettes dans le grand miroir qu’elle dressait sur notre passage ? Évidemment, nous étions si nombreux qu’il nous était impossible de nous reconnaître ! Alors, indifférents à ce qui pouvait advenir de nous, nous avons laissé les autres s’accrocher à nous telles des sangsues.

    Pour qui, pour quoi ?

    Quel que soit le végétal que nous plantions, la graine que nous semons, elle se forcera toujours pour nous offrir des milliers de fleurs et autant de fruits. Mais le monde à qui nous avons consacré notre vie et nos passions, que nous accorde-t-il en retour ? C’est alors que réunissant nos maigres acquis, nous nous apercevons qu’ils ressemblent davantage à quelques aumônes qu’à une reconnaissance pour services rendus.

    Alors, le cœur au bord des lèvres, nous découvrons avec amertume que nous avons passée une partie importante de notre vie à exister et nous appliquer pour que vit une chose pour laquelle nous n’étions pas destinés.

    Sur la route qui nous semblait cependant si belle, nous n’aurions dû y rencontrer que des amis et l’amour de ceux qui nous sont chers. Chaque jour vécu ne devait pas ressembler à un sacrifice, mais une obole que nous devions partager avec nos complices et surtout ceux qui ont perdu l’espoir.

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  • – Au détour d’une allée, sans que je veuille réellement l’écouter, je surpris une conversation qui confirmait ce dont j’imaginais depuis longtemps. Mais laissons ces braves dames nous confier leur état d’âme.

    – Pour tout vous dire, ma chère amie, je commence à m’ennuyer dans cette maison qu’ils nomment de retraite, tandis qu’ils auraient dû l’appeler l’antre de la solitude. Certes, le parc est beau lorsqu’on le découvre pour la première fois. Mais, nous, voilà combien de temps que nous en arpentons les allées ? Je n’ose même plus compter les années, j’ai trop peur qu’elles soient pareilles à l’éternité. La seule chose qui me soit agréable, c’est qu’aucun obstacle pouvant provoquer un quelconque trébuchement n’encombre les allées. En toute honnêteté, croyez-vous sincèrement que l’on puisse se consoler de ce maigre confort ? Mes enfants n’ont pas compris que ce n’étaient pas les pierres du jardin qui tracassaient mon pas. Mes pieds ont grandi avec si je puis dire et je pense même qu’ils faisaient exprès de buter dessus alors que je cherchais à les éviter. C’était comme un jeu entre nous, me semble-t-il. Je n’aurai pas l’audace de prétendre que le jardin était plus merveilleux que celui-ci. À la longue, il était devenu à mon image ; quelque peu brouillonne et défraîchie.

    Mais que voulez-vous ; j’aimais bien cette joyeuse pagaille qu’éclairait de-ci de-là une touffe fleurie, rappelant les jours heureux. Il me semblait que ce désordre attendait que je sois près de lui pour me souffler au visage ses couleurs et ses senteurs qu’il avait retenues depuis l’aube, guettant ma venue pour me les offrir.

    Ce qui bouleverse surtout mon pauvre cœur épuisé, c’est que les miens n’ont pas compris que chez nous, un lien qui m’unissait à l’histoire était si fort qu’il n’avait jamais rompu depuis des générations et qu’il m’associait à notre maisonnette. Imaginez ! Elle avait vu passer quatre familles des nôtres ! Chacune bien entendu avait apposé sa signature.

    Je ne veux pas dire qu’ici ce n’est pas beau ; mais à mon goût, c’est trop moderne. Tout est parfaitement agencé, sentant bon les produits artificiels jusque dans le moindre recoin. Cependant, ce qui me gêne, c’est que ce bien-être est chez les autres.

    Ce n’est pas comme chez nous où chaque mur était tapissé de signes, d’odeurs et de petits bruits. Chaque enfant avait touché de sa main les plâtres qui s’écaillaient, comme s’il voulait ressentir les temps anciens qui étaient pour lui comme autant de questions qu’il ne pouvait résoudre. Je me souviens que certaines nuits, je posais mon oreille sur la cloison de ma chambre, pour essayer de surprendre les conversations des ancêtres. J’étais persuadée qu’elles ne pouvaient pas s’être évanouies dans les ténèbres.

    – Et avez-vous entendu quelque chose, ma bonne amie ?

    – Pensez-vous ? Rien d’autre que ce que mon imagination voulait bien me communiquer. Par contre, laissant ma main collée à la paroi sur laquelle était adossé mon lit, je suis certaine d’avoir senti parfois rouler quelque chose qui ne pouvait être que des larmes. Il me plaisait alors de croire qu’elles ne pouvaient appartenir qu’à l’enfant qui avait occupé cette pièce longtemps avant moi, et qui par cette action me montrait qu’il était content que l’on pensât toujours à lui.

    Ici, dans le luxe de leur modernité, rien ne te rappelle que tu fus une jeune fille heureuse, dont quelqu’un peut témoigner que l’on t’a vu grandir, chanter, pleurer quelques fois et surtout gambader à travers le jardin, grimpant dans tous les arbres pour chaparder les fruits.

    Regardez, autour de nous ; il n’y a que des pensionnaires avec leur vieillesse qu’elles traînent péniblement à leur suite, jour après jour. Entre ces murs, il n’y a aucune histoire dont nous ne connaissions pas chaque mot, elles sont toutes les mêmes. Je comprends mieux pourquoi certains, à la longue, finissent par les oublier. J’ai la mauvaise impression que dans ces maisons, on entasse les souvenirs des uns et des autres dans le même placard dans le seul but qu’ils se mélangent à ce point que chacun ne reconnaisse plus les siens. C’est pourquoi lorsque je sors, je prends toujours mon sac, afin que ce qui reste de mon existence ne me quitte pas. Je prends soin de le tenir fermé, car je ne voudrai pas que mes souvenirs aillent rôder autour de leur lieu de naissance et finissent par s’y perdre.

    – Tu seras beaucoup plus à l’aise là-bas ; m’ont dit dans un parfait ensemble mes enfants !

    – Mais ils ne savent pas encore que nulle part on ne peut être mieux que dans sa propre maison. C’est pour cette raison, que dans le temps nous préférions garder les nôtres près de ce qu’il leur restait de plus cher !

    Ce qui augmente mon chagrin, c’est qu’il me fallut toute une vie pour comprendre que la solitude c’est ce sentiment qui te fait paraître seule et ignorée au milieu des autres qui ne t’aperçoivent pas. On croirait marcher dans le désert et pire, nager jusqu’à l’essoufflement derrière le bateau qui ne t’a pas attendu, alors que l’on t’avait promis une belle croisière.

    Mais j’y pense, ne serait-ce pas plutôt la traversée de notre purgatoire ?

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