• — Dans le confort d’une existence taillée, semble-t-il, à notre mesure, parcourant le monde nous restons stupéfaits devant certaines situations ou pratiques que nous pensions disparues depuis des siècles. Alors, les larmes prenant possession de nos yeux, la colère nouant nos « tripes » on se surprend à maudire ceux qui poussent les innocents à devenir des hommes avant l’âge, créant ainsi en leur esprit, des songes et des rêves qu’ils ont du mal à maîtriser, parce qu’ils ne les comprennent pas. Mais comment pourrions-nous imaginer que pour ces enfants la question ne leur vient jamais à leur esprit, et ne se pose même pas de savoir s’ils peuvent refuser de travailler ? Quand on a pris la mesure des souffrances d’un ventre criant famine, pourraient dire en chœur les petits oubliés du tiers monde, a-t-on le droit de repousser le morceau de pain qui, plongé dans la soupe claire, viendra gonfler l’estomac pour le calmer ?

    Il en va ainsi, en de nombreux pays de notre monde et dans les villages qui hébergent des familles misérables, qu’il ne s’y trouve personne de bien portant ou presque pour oser détourner le regard devant la tâche immense et démesurée, relevant d’une autre époque, qui, pourtant, est le destin tragique de certains enfants.

    – Si tu veux que la route te conduise loin de la misère, commence par la construire, croit-on entendre de-ci, de-là. Si tu ne la désires pas hostile à ta marche, fais en sorte qu’aucun obstacle ne l’encombre, jusqu’au moment où elle rencontrera les doux pavés qui ornent les environs des palais. Hélas ! combien de fois ces paroles seront-elles entendues dans les cauchemars qui servent de rêves à ceux, qui, au fil des jours, comprennent que le chemin qu’ils mettent en place ne verra pas leurs pieds déjà écorchés avant d’avoir su marcher.

    – Pauvres bambins ; loin de tout questionnement, ils n’auront que leur innocence, et leur courage qu’ils écouteront, plutôt que leur volonté, pour concasser la pierre jusqu’à la rendre gravier et même grain de sable, sans jamais poser sur l’horizon un seul regard pour savoir ce qui se cache derrière. Parce que chez eux, ils ne virent jamais personne renoncer à faire toutes les tâches, parmi les plus dégradantes, ils frappent tout le jour afin que d’autres, les pieds chaussés de confortables souliers, avancent en chantant et souriant sur la sueur des innocents sans daigner leur jeter un regard de compassion. 

    Au fur et à mesure que l’enfant grandira, comme si la nature les avait choisis exprès pour lui, les pierres seront plus grosses et plus dures ; mais elles se feront également importantes, ressemblant à des rochers qu’il faudra réduire, quel qu’en soit le prix de la souffrance. Mais au fil du temps, les outils deviendront plus lourds, et les éclats aussi se feront plus gros et les douleurs qu’ils engendreront déchireront les chairs.

    Ainsi, de blessure en blessure, la route s’allonge-t-elle oubliant le nom de tous ceux qui auront inscrit sous une roche leurs souffrances, car la pudeur interdit aux larmes de séjourner au soleil. Parfois, une fleur d’aspect aussi dépouillé que celui du travailleur indique qu’elle n’est pas là pour égayer le jour, mais pour dire au passant qu’en ce lieu, de petites mains innocentes ont fait de ce calvaire un chemin agréable. Cependant, pour celui ou celle qui repose ici, elle n’aura pas conduit vers l’horizon, qu’il n’aura de toute façon jamais découvert, puisque son regard fut toujours rivé à l’outil. 

    Voyez-vous, si le travail commence si tôt chez les déshérités, c’est que le destin les avait oubliés, de même que personne n’avait songé à tracer le moindre chemin qui les eut conduits jusqu’à eux, pour leur indiquer qu’un monde meilleur existait bien ; il n’était pas qu’une légende qui se colportait au long des jours de dur labeur. 

    Aujourd’hui, passant non loin de leurs humbles demeures, en tendant l’oreille on peut encore entendre leurs pensées murmurer : 

    « Que sont donc les promesses que nous font notre existence, sinon, mourir à petit feu ? ». 

    Alors, docilement ils vivent ; chaque jour, ils écrasent la vie entre deux pierres, la faisant éclater en mille morceaux, comme le fait le chagrin en laissant s’écouler les larmes, à l’instant où l’outil blesse les doigts qui, cependant, n’étaient destinés qu’à donner ou recevoir des caresses, tout au long de l’existence, mais qui resteront ignorées et mystérieuses.

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  • — Il n’avait suffi que d’un rayon de soleil pour que le monde semble s’éveiller d’un sommeil dans lequel la pluie l’avait plongé depuis des mois.

    Je dis un long sommeil, alors que la torpeur serait plus juste. Les jours qui se levaient se ressemblaient tous ; on aurait cru qu’ils revenaient du cimetière où ils avaient assisté aux obsèques de l’un des leurs. Ils avançaient lentement, le nuage bas, laissant s’écouler tant de larmes qu’il nous semblait que jamais elles ne cesseraient.

    Nous devons admettre que nous ne sommes pas faits pour demeurer dans l’ombre. Nous avons besoin de la lumière pour, telles les fleurs, nous épanouir complètement. La grisaille force le caractère à se replier sur lui-même, les pas se font lourds et traînants et nous ne prêtons plus attention à ce qui se passe autour de nous. En nos esprits, le vide prend ses aises et si aucun évènement heureux ne vient à stationner sur le seuil de nos portes, nous sommes à deux doigts de nous laisser submerger par la mélancolie.  

    C’est alors que vous étiez sur votre terrasse, le regard fixé vers la trouée de la forêt attendant les prémices du nouveau jour. D’abord, vous ne vîtes rien. Tout juste entendiez-vous quelques bruits furtifs. C’étaient ceux des résidants des grands bois se croisant en silence, repus pour les uns, déçus pour les autres, comme s’ils rentraient d’un concert où la musique fut mauvaise. Levant la tête, par delà le ciel, vous essayez d’apercevoir les derniers souvenirs de quelques étoiles. Hélas, elles sont emmitouflées dans une brume si épaisse que l’on s’imagine alors que l’on nous a volés la nuit pendant notre sommeil. Il n’y a que quelques traits plus sombres qui traversent l’espace en nous frôlant. Ce sont les chauves-souris qui filent vers leurs dortoirs.  

    Comme les autres matins, les oiseaux chargés de réveiller bêtes et gens ne se pressent pas pour lancer les premiers trilles. Ils attendent eux aussi d’apercevoir la première tendance pour confirmer au monde qu’il peut rester encore un moment au chaud, s’enveloppant douillettement dans les ramures. Aucun souffle n’agite les grandes palmes qui nous feraient comprendre en bruissant légèrement, que la nature respire, quand soudain, à travers les houppiers dominant la forêt, une clarté s’amuse à faire des ombres chinoises qui se meuvent entre ciel et terre.  

    Tous nos sens sont en alerte. Après une longue attente, enfin quelque chose se passe. Comme pour freiner notre enthousiasme, une brume épaisse s’élève au-dessus de la terre et va rejoindre un brouillard qui stagnait sur le toit de la forêt.  

    Pareillement au théâtre, derrière le rideau rouge, on installe les éléments qui vont constituer le décor de la journée. Tel le clairon dans les casernes, le troglodyte familier nous avertit qu’il est l’heure de nous réveiller et que nous devons nous accouder au balcon du monde si nous voulons ne rien perdre de la fête qui va se dérouler sous nos yeux. Son chant strident et impérieux nous dit que nous n’allons pas être déçus. Avec la grande sensibilité qui le caractérise, il a déjà senti que ce jour ne serait pas ordinaire et que ceux qui n’assisteraient pas à son lever ne sauront jamais ce qu’ils ont perdu, car expliquer à l’émotion près est chose quasiment impossible tant les évènements qui se succèdent sont grandioses.

    On ne peut que regarder en nous gardant bien d’applaudir afin de ne pas effrayer l’un ou l’autre des éléments qui s’ajoutent au décor déjà en place. La lumière discrète a profité du temps qui lui était accordé pour s’affirmer et prendre une belle couleur rosée. Le soleil ne serait donc pas absent de ce lever ?  

    Chez nous, pratiquement à l’équateur, l’existence ne connaît pas la fonction « arrêt sur image ». Elle s’enchaîne à vive allure nous demandant d’être vigilants si nous ne voulons pas manquer les plus belles. La brume s’épaissit encore grâce à la température qui s’élève. C’est bien le signe que la journée sera magnifique !

    À travers quelques déchirures du voile vaporeux, les premières lueurs du soleil prennent soin de demeurer un instant à l’horizontale afin de ne pas aveugler les curieux et ceux qui s’éveilleraient surpris par tant de luminosité. L’effet est radical.

    Telle la baguette du chef d’orchestre, avec les rayons pourfendant le brouillard, l’alizé, de son souffle léger, finit de réveiller la nature en l’agitant doucement. Le rideau de brume s’anime. Elle s’amuse à faire des volutes, se faufile à travers les arbres, cherche un chemin de repli dans la canopée où elle se déchire davantage. Le jour profite de ce que la porte est restée ouverte pour s’engouffrer sans en demander la permission. Il y a quelque chose de magique dans ce lever d’un jour nouveau.  

    Le soleil est de retour ! Ses rayons s’allongent et deviennent obliques, accrochent des milliers de diamants aux feuilles et aux rameaux des végétaux.

    La brise légère les agite doucement, en nous donnant l’impression que ce sont des guirlandes lumineuses et multicolores clignotant pour nous émerveiller. Nous sommes alors à ce moment précis, tels des enfants devant le beau sapin de Noël. Nous ne savons plus de quel côté porter notre regard. C’est la nature tout entière qui s’enflamme sous nos yeux.

    Le silence se rompt brusquement. Nous ne sommes plus les seuls à avoir retrouvé notre joie de vivre. Pour ajouter à notre enchantement, le ciel s’est offert une nouvelle couleur bleue, ne permettant à aucun nuage de le traverser.

    Nul doute qu’aujourd’hui les cœurs seront rayonnants ! Ils seront heureux comme les malades qui sortent enfin d’un douloureux cauchemar de souffrances et qui, ayant trop longtemps douté, se pressent de revenir à la vie sans même passer par la phase de la convalescence.

    Mais comme nous sommes d’un naturel méfiant, surpris de nous être laissés emportés par nos émotions, nous ne pouvons nous retenir de jeter le trouble sur cette belle journée qui s’annonce en nous demandant si elle compte en inviter quelques autres à sa suite, ou est-ce juste pour nous faire envie, et nous secouer de la léthargie dans laquelle nous sommeillions depuis si longtemps.  

    Qu’importe, finissons-nous par nous dire. Le soleil est là, pour quoi attendre pour en profiter et le remercier de nous offrir un moment de vie nouvelle.

     

     

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  • — Qui, au hasard de ses pérégrinations, n’est pas tombé en arrêt surprenant un événement plus ou moins burlesque, entraînant des réactions différentes selon les sensibilités des ou des autres, nos sentiments divergeant devant les évidences. C’est alors que le plus souvent un phénomène de transfert s’établit sans que nous en prenions vraiment conscience.

    Il arrive forcément le moment où nous ne pouvons nous empêcher de comparer les situations découvertes, à d’autres, rencontrées, ou vécues par nous-mêmes.

    À la vue de cet escargot en posture périlleuse, qui pourrait jurer qu’il se sortira sans aide extérieure de cette fâcheuse position ? J’imagine que beaucoup ne donneraient pas cher de l’avenir de notre gastéropode s’essayant au funambulisme. Cependant, bien que cela ait échappé à nos observations, il y a bien longtemps que nous-mêmes sommes partis en vrille et que personne n’ouvrit les yeux suffisamment tôt, afin que les plus courageux reprennent les commandes de notre appareil devenu fou.  

    Au contraire de nous, l’escargot, plus rusé, estime avoir tout le temps devant lui pour se rendre maître de la situation. La première réflexion qui lui vient à l’esprit est de ne mettre personne en cause. Il se sait le seul responsable des risques qu’il a pris. Certes, si cela ne se déroulait pas comme il l’espérait, il pourrait toujours se reprocher d’avoir eu les yeux plus grands que le ventre ! Après réflexion, il pourrait également se dire qu’au pire, il se passerait d’une gourmandise si vraiment elle est inaccessible et qu’il lui faudrait effectuer une marche arrière.  

    Par opposition au comportement à l’animal, nous aurions dénoncé la démarche douteuse de mille personnes et même tous les saints du paradis si cela ne suffisait pas. Nous, nous alerterions par de nombreuses et bruyantes revendications, nos dirigeants les priant de nous sortir de ce mauvais pas dont cependant, au préalable, ils nous auraient expliqué les dangers, afin de ne pas reconnaître que l’impasse au pied de laquelle nous sommes n’est due qu’au laxisme que nous entretenons savamment en même temps que notre éternel attentisme devant les événements dépassant notre entendement.  

    Il est quand même à déplorer que nous ayons toujours besoin d’un responsable à défaut de trouver le meilleur coupable.  

    Nous sommes bien obligés de reconnaître que nous avons de bien curieuses façons de réagir aux divers imprévus qui bordent nos chemins.

    À l’endroit de toutes choses, nous mettons en évidences les méthodes des apprentis sorciers dont cependant, nous adoptons les principes à longueur de temps. Nous nous acharnons à vouloir toujours soigner les effets plutôt que de nous préoccuper de leurs causes.

    Nous devrions plus souvent prendre exemple sur notre environnement afin de gérer au mieux notre propre existence. Humblement, nous devrions remettre sur le métier notre ouvrage, en démonter les fils et nous employer à reconstruire une nouvelle trame plus solide et surtout plus durable. Nous devrions retourner plus fréquemment à l’école de la vie pour y réviser les leçons apprises puis oubliées, car de toute évidence, les ans qui se profilent à l’horizon ne seront pas tendres avec nous. Ils souriront à quelques-uns, mais ils lamineront le plus grand nombre.

    Pendant ce temps, notre escargot reste serein sur sa balancelle. Il étudie posément son choix sans le remettre en cause, afin de trouver la réponse à son problème et qui rendra plus confortable une position jugée précaire.  

    Pour la plupart d’entre nous, pourtant réputés pour être plus rapides, devant pareille situation, nous resterions immobiles, les pieds plantés dans la gadoue, pestant, vitupérant tout en nous désolant que personne n’ait songé à installer une branche à notre portée qui nous permettrait de nous hisser au niveau supérieur.

    Mais alors, me demanderez-vous, quelle est donc cette force inconnue qui nous sépare et nous fait paraître si faible devant cet animal à la réputation si fragile ?

    D’abord, lui, il ne se préoccupe pas du temps. Depuis toujours, il en a fait son allié. Il ne se précipite jamais au-devant d’une situation périlleuse. En son esprit, que d’aucuns prétendent qu’il n’occupe pas beaucoup de place en sa personne, il y a fixé une fois pour toutes ses objectifs. Il ne se laissera jamais distraire par aucune autre condition même les plus alléchantes. Il a le privilège de se recroqueviller à l’intérieur de sa demeure si un danger venait à perdurer, alors que nous, nous avons la prétention de vouloir les réduire à néant au fur et à mesure qu’ils se présentent, sans prendre le temps de les laisser s’épuiser d’eux-mêmes.  

    Nos personnages sont faits d’un curieux assemblage de courage, d’inconscience et parfois d’irresponsabilité qui nous conduit tout droit au pied du mur devant lequel nous butons. Lui ne s’embarrasse pas de préjugés. Il a décidé que la feuille qui se balance au gré du vent telle la cape rouge du toréador dans l’arène est son objectif et que rien ne saurait le dissuader de l’atteindre.  

    Il nous arrive de nous moquer de lui en lui donnant du : « bonjour monsieur, au revoir madame ». Il n’en a cure, quant à l’amour, il peut nous en remontrer !

    S’il pouvait nous répondre, il nous dirait certainement, « rira bien qui rira le dernier » ! Il n’est jamais las de traverser les ans, alors que nous, pauvres humains toujours angoissés, nous en égrenons chaque instant.

    Grâce à ses yeux télescopiques, il voit les dangers se profiler depuis l’horizon, alors que nous, nous les découvrons à l’instant où ils frappent à notre porte. Il est têtu et ne renonce jamais, tandis que nous, de guerre lasse, il nous arrive d’abdiquer.

    Notre héros aura eu le temps de digérer l’objet de sa convoitise que nous, pauvres hommes, nous serons toujours à nous débattre avec nos questionnements enfantins, les équations, ainsi que les éternels pourquoi !

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  • L'or pour passion— La famille était nombreuse et la propriété était modeste. Il y avait longtemps qu’elle ne suffisait plus à nourrir les ventres et la fille aînée se dit qu’elle suivrait bien l’exemple du père, qui à son époque déjà, entre deux mauvaises récoltes, s’était essayé à l’orpaillage. Oh ! N’allez pas croire qu’il y fit fortune !

    C’était une passion qui était née par le plus grand des hasards, comme le sont souvent les évènements auxquels nul ne s’attend.

     

    Un beau matin, il entreprit de rafraîchir les berges de la petite rivière qui bordait la propriété. Intrigué par un éclat particulier au milieu d’une pelletée de graviers, il découvrit une pépite. Elle n’était pas très grosse, mais il en fut si fier qu’il décida de laisser l’exploitation agricole à ses fils et que désormais, il se consacrerait à la recherche de l’or.

    – Il se trouve toujours quelqu’un pour vous l’acheter, disait-il.

    Pendant des années, il fouilla la terre et la nettoya à l’aide du chapeau chinois, plus connu sous le nom de battée. Il fallait le voir ! Aucun geste n’était le fait du hasard. L’une après l’autre, le matériau boueux et pierreux était déposé dans le récipient, puis malaxé entre les mains. Réduit à l’état pâteux, au fur et à mesure qu’il ajoutait de l’eau, la terre se délayait, et par de savants tours de poignets, celle-ci était rejetée dans la rivière. Les éléments les plus lourds descendaient dans la partie basse du chapeau chinois où ils étaient encore lavés, puis extraits.

    Marchant dans les pas de son aîné, la jeune femme abandonna la modeste exploitation pour se consacrer à son unique passion, celle que le père lui avait transmise comme seul héritage. Elle avait tant observé son parent qu’aucun de ses gestes ne lui fut étranger. Elle savait que l’on ne changerait pas de si tôt la façon de faire quant à la méthode artisanale de la recherche de l’or.

    Qu’importe ! Disait-elle que l’on se moque de moi ? Dans la vie, nous ne faisons bien que les choses qui sont nourries par la passion.

    Alors qu’elle passait la journée à piocher puis laver la terre, elle entendait encore sa mère maugréer sans cesse auprès du père. Il faut comprendre qu’elle était attachée aux traditions et avait laissé la vie la guider à travers ses arcanes.

    Son monde ne comportait qu’une saison. La plus douloureuse ; celle qui force l’homme à sourire même si le quotidien ne s’y prête pas, alors que les jours sont aussi tristes que l’arbre qui laisse aller ses feuilles avant de trouver le grand repos.

    Depuis longtemps, le père ne prêtait plus attention à ce qu’elle racontait. De son côté, il avait vainement essayé de lui expliquer que la terre renferme des trésors qui s’ennuient dans les ténèbres alors qu’ils sont destinés à briller sous l’ardeur des rayons du soleil heureux de trouver le métal qui le fait paraître encore plus éclatant.

    Elle ne l’écoutait pas, se détournant même en haussant les épaules.

    Retournant à ses recherches, il laissait vagabonder ses pensées. Il ne s’était jamais imaginé un millionnaire, la richesse des petits orpailleurs ne se trouvant que dans l’espoir. Mais grâce à cette conviction, les jours s’enchaînaient et jamais l’un n’était plus sombre que l’autre.

    La jeune fille expliquait avec une pointe d’admiration dans la voix que jamais elle ne le voyait plus heureux qu’à l’instant où une paillette s’offrait à son regard. D’abord, il ne disait rien. Délicatement, il enlevait les impuretés, puis il puisait l’eau dans le creux de la main et la laissait tomber subtilement en un mince filet, comme s’il baptisait le fruit de ses pénibles recherches. Ensuite, il collait la paillette sur le bout de son doigt et la portait jusqu’à ses yeux qui n’apparaissaient à cet instant qu’à travers des paupières quasiment closes, concentrant sa vue sur le précieux trésor. Sans prononcer un mot, il la contemplait longuement, comme s’il attendait que la paillette le remercie de lui faire connaître enfin l’éclat de la lumière.

    La jeune fille disait alors en baissant la tête comme si elle se savait en faute, qu’en de pareils instants d’intime bonheur les larmes n’étaient pas loin de couler et qu’elle s’abstenait de tous discours afin de ne pas troubler l’intense émotion qui couronnait le labeur d’une ou plusieurs journées d’un travail harassant.

    L’émoi passé, il reprenait de plus belle sa pioche et sa pelle. Il concassait et lavait les matériaux sans jamais se désunir ni se fatiguer. Des tonnes de terre collante étaient nécessaires pour ne découvrir qu’un seul petit gramme du précieux métal, mais le père ne désespérait jamais.

    Un jour, il dit même que les pierres dont il avait fait le chemin étaient certes plus nombreuses que les paillettes ayant rempli son flacon, mais qu’il restait persuadé qu’une seule de ses modestes pépites oubliées parmi ces milliers de cailloux faisait de ce chemin le plus beau et le plus riche de toute la région.

    Pour justifier le choix qu’elle avait fait de laisser les récoltes à l’appétit toujours grandissant des criquets et quantité d’autres insectes, elle prétendait entendre son aîné l’appeler sur les berges de la rivière. Elle l’avait dénommé celle de l’espérance, en souvenir de la joie que son père éprouvait à chaque nouvelle découverte et à son acharnement à redoubler d’efforts pour augmenter son trésor.

    Mais elle gardait pour elle ces confidences qu’un jour il lui avait faites, alors que dans sa main rayonnait une pépite de quelques grammes :

    Ma fille, je crois que l’or a été inventé pour l’exclusivité de nos peaux noires. Il me semble que ce ne soit que sur elles qu’il trouve tout son éclat, à moins que ce ne soit l’inverse ?

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  • — Il n’est pas que de nos jours que le changement a gagné les villages oubliés de la brousse. Un beau matin, il s’est invité sans que personne ne l’ait prié de rejoindre la table. Il s’est même confortablement installé, modifiant en profondeur jusqu’au plus lointain souvenir. S’il a fait sourire les enfants, les plus anciens y ont vu un coup d’arrêt à une existence paisible. Petit à petit, la jeunesse ne prit pas seulement la pirogue pour aller à la pêche ou partir à la découverte de nouveaux sites d’abattis. Ils s’enfuirent à la manière que le fait le gibier devant le danger.

    C’est alors que les femmes ont relevé le défi que leur lançait la modernité. Elles n’attendirent pas que leurs pères soient devenus trop vieux pour les remplacer dans toutes les tâches, des plus faciles à celles réputées n’être réservées qu’aux hommes les plus vaillants.

    Les jeunes peuvent bien courir derrière leurs aventures aperçues seulement en rêves, dirent-elles en chœur. Ils ont encore besoin de nombreuses années pour grandir et réunir dans leurs maigres bagages suffisamment d’expérience, pour pouvoir un jour prétendre ressembler à de vrais hommes. Mais en attendant ce jour, la vie, elle, file sur son chemin. Elle est installée depuis la nuit des temps et rôde autour des villages, y compris ceux dont on dit qu’ils sont d’une autre planète. Afin de continuer les œuvres entreprises, elle a besoin de toujours autant de bras pour leurs réalisations.

    Pendant ce temps, les nouveaux citadins entament leur longue et difficile marche à travers un monde qui, même s’il leur semble être pareil à une planète distribuant de multiples offrandes, n’en est pas moins que la source de nombreuses désillusions. Alors qu’ils croisent en se heurtant à des gens comme eux, déambulant du matin au soir sur des trottoirs encombrés, il leur semble qu’ils s’égarent dans un désert, où, escaladant les dunes les unes après les autres, ils courent derrière les chimères sans jamais pouvoir les rattraper. Comme tous les citadins, ils sont perdus dans le vacarme des moteurs de toutes sortes, pétaradant fort pour avoir la sensation de traverser le temps à vive allure, alors que comme tout le monde, ils marcheront derrière lui sans espoir de ne jamais lui appartenir, ni le dépasser. Ils sont pris dans cet engrenage que l’on appelle la société et bientôt, emportés par cette spirale dévoreuse de gens faibles, ils ne reconnaîtront plus aucun bruit qui leur fit cependant vibrer l’oreille alors qu’ils n’étaient que des enfants de la brousse.

    L’homme est ainsi fait qu’il ressemble à une lame fine particulièrement avantageuse en de nombreuses circonstances. Que l’on vienne à négliger son fil, elle devient inutile jusqu’au jour où, fatigué de frapper pour trancher, son propriétaire se décide enfin à l’affûter à nouveau. Les plus vieux le disent et le répètent : quand ils seront épuisés d’errer chez les autres, ils finiront par revenir parmi les leurs.

    En attendant les hypothétiques retours, les bruits du jour traduisant l’existence des villages se perdent à travers les savanes.

    Pourtant, après le renoncement du dernier forgeron, il fallut bien continuer sa tâche et inventer sans cesse de nouveaux outils pour se mesurer à la nature.

    À l’évocation de la forge, on imagine toujours un homme aux muscles puissants, cherchant la bonne cadence sur l’enclume, avant que le lourd marteau aille à la rencontre du fer rougi à blanc. On prétend leurs mains si grandes, que le monde pourrait tenir en leurs creux.

    Mais en quoi cette force serait-elle l’exclusivité des hommes ?

    N’avez-vous jamais croisé dans votre entourage une femme qui aurait les mains aussi dures que le bois serpent ?

    Combien sont-ils, ceux qui refusent de croire en la puissance légendaire des femmes, dites chez nous, qu’elles sont le « poto-mitan » qu’aucune tâche ne rebute ?

    Connaissez-vous, de ces Dames qui se seraient laissées envahir par le chagrin parce que les jeunes ont osé les défier en prétendant faire mieux au sein des grandes villes ? Avez-vous déjà entendu une femme geindre que la besogne soit trop pénible pour elle ou même irréalisable ?

    Et de ces femmes qui sont également des mères, avez-vous rencontré l’un de leurs enfants qui se seraient plaints une seule fois que ses mains calleuses furent désagréables et incapables de prodiguer la moindre caresse ?

    À chaque instant de la vie, ces mains tenant aussi fermement les mancherons d’une charrue, des manches de houes ou de lourds marteaux, celles qui conduisent le bétail aux pâtures ou récoltent le bois mort, ne connaissent jamais le tremblement qui signifierait qu’elles sont habitées par le doute.

    La paume est dure, mais précise. Elle frappe le fer avec violence, mais se fait douce pour bercer l’enfant. Elles deviennent celles de fées lorsqu’elles tranquillisent le bébé anxieux ou le mari hésitant, ayant perdu la foi en lui-même.

    Ô femmes ! Vous qui savez si bien faire chanter la vie à tous les instants de la vôtre, si vous n’existiez pas nul ne pourrait vous inventer, car nul ne peut mieux que vous forcer les jours à sourire en nous donnant chaque matin votre amour et votre joie de vivre.

    Mais si vous savez si bien être l’un et l’autre des personnages, celui du jour et celui de la nuit, c’est parce que vous êtes les seules à permettre à l’enfant de venir agrandir la famille ; même si parfois celle-ci un jour ose vous tourner le dos.

    Mieux que quiconque, vous savez que la vie sous toutes ses formes n’apporte pas que des souffrances et pour nous en persuader, nous n’avons qu’à regarder au fond de vos yeux pour comprendre qu’ils sont le refuge du bonheur.

     

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