• CONFIDENCES NOCTURNES 2/4       

     

    – La belle arrière-saison permettait aux bras d’être dénudés, et là, Clara dut reconnaître que le désastre continuait. Comprenant que l’observation de son ancienne collègue pouvait créer une certaine gêne, Clara s’empressa d’enchaîner quelques questions pour faire diversion.

    – Très chère, vous allez me penser écervelée, mais je n’ai pas le souvenir que vous me parliez de votre couple ?

    – Ah ! Vous vous méprenez, mon amie. Je ne me permets pas de porter le moindre jugement sur qui que ce soit. Mais concernant mon ménage, il est probable que nous n’en avions jamais fait allusion. Toutefois, je dois vous dire que je suis seule depuis très longtemps, trop, sans doute. Mon mari est décédé et depuis, je suis comme une âme en peine dans l’existence.

    – OH ! Chère amie, vous me voyez sincèrement désolée ! Pardonnez-moi d’avoir évoqué en votre mémoire de si douloureuses épreuves !

    – Ne le soyez pas ; vous ne pouviez savoir. Et puis, ce sont les aléas de la vie, vous comprenez ! Rappelez-vous ce disait quelqu’un dont j’ai oublié le nom : « s’il y a un début, c’est donc qu’il y a une fin », et, prétendait-il encore, « tout ce qui vit meurt ». Nous ne faisons pas, hélas, exception à la règle. Mais je vous rassure ; là où il est, il est heureux, et c’est l’essentiel.

    – Oui, sans doute, répondit Clara en baissant les yeux. À ce sujet, on dit bien qu’aucun de nous ne revient jamais du royaume qui nous accueille.

    – Je vous arrête, très chère. Selon son vœu, il n’est pas allé rejoindre ses ancêtres. Je l’ai fait monter dans une pierre précieuse ; vous savez, de celles que l’on nomme diamants !

    – En effet, on ne peut rêver plus belle sépulture, surtout s’il est enchâssé sur un cercle d’or, porté au doigt d’une princesse ! N’est-ce pas cela que l’on qualifie la vie éternelle ?

    – Ne comptez pas sur moi pour vous le confirmer. Cependant, depuis ce triste épisode, mon quotidien s’en est trouvé bouleversé. Parfois, me regardant dans l’onde d’une mare, je me dis que j’ai bien changé. Je ne prends plus goût à l’existence ; je n’y découvre aucun plaisir. Tant de choses ne m’attirent plus, les panoramas ne flattent plus mon regard, et même quand la surface de l’eau est calme, les rides qui ornent mon visage ne sont pas toutes dues aux insectes s’y débattant. Elles sont bel et bien miennes ! Non, ne dites rien, je le sais, la vieillesse me guette. Pour espérer vivre plusieurs décennies, ma chère, mon compagnon m’expliquait toujours qu’il faut avoir foi dans les jours. Chez moi, l’un et l’autre m’ont abandonnée depuis longtemps. Je ne vous le fais pas remarquer afin que vous deviniez ce qui vous attend, Madame… pardon, vous le voyez, ma mémoire comporte aussi de nombreuses lacunes ; voilà que j’ai oublié votre patronyme ; c’est vraiment stupide, ne trouvez-vous pas ?

    – Clara fut toujours mon prénom chère Diva qui persiste à s’ignorer. Cependant, je dois vous dire une chose importante. Elle chercha ses mots afin de ne pas faire de peine à son interlocutrice. Je dois vous révéler un secret que j’ai découvert il y a peu. Le temps n’est qu’un ingrat. Si, croyez-moi, il l’est ! Il dispose de nous selon ses caprices et son bon vouloir. Il nous façonne en fonction de ses désirs et de ses rêves, rendant les uns éclatants, tandis qu’il s’évertue à enlaidir d’autres. Regardez comme il s’amuse de nous. Que nous soyons dans la lumière ou l’ombre, notre profil est différent. Ainsi, me voyez-vous encore une jeune fille, alors que j’ai traversé de nombreuses saisons des pluies.

    – Vous me dites cela pour me consoler, mon amie. Mais dans quelques années, vous comprendrez ce dont je tentais de vous faire deviner.

    Clara demeurait silencieuse, laissant la diva parler, mais elle l’observait discrètement. Sa poitrine, pour préciser les choses élégamment, était généreuse ; beaucoup trop ! Elle semblait faire le tour de la personne, tant elle débordait de toutes parts et devait être pesante. Le ventre essayait de se faire une place, mais il était clair que sous la masse qui l’étouffait, il suffoquait, cherchant un peu d’air à droite et à gauche. L’ensemble reposait sur des jambes courtes et énormes. Il fallait bien admettre qu’il ne pouvait en être autrement, car pour maintenir une telle charpente, il fallait que les piliers fussent solides. Par contre, les pieds étaient plutôt modestes, comme s’ils refusaient de s’associer à la montagne de chair dont ils étaient contraints de supporter la masse. Alors, pour marquer leur mécontentement, ils obligeaient leur propriétaire à faire de petits pas, se dandinant tantôt sur l’un, tantôt sur l’autre. Comprenant qu’elle devait dire quelque chose, Clara enchaîna :

    – C’est vous qui êtes gentille de ne pas me dire la vérité.

    – À quel sujet, interrogea la Diva, surprise ?

    – À propos des saisons qui pèsent sur mes épaules.

    – Laissez-moi rire, ma jeune amie ! Si je puis me le permettre, je maintiens que vous êtes encore à quelques distances derrière moi ! Votre silhouette et la fraîcheur de vos traits ne trompent personne !

    – Pourtant, avec un peu de tristesse, je vous confie que je suis plus avancée sur le chemin de la vie, que vous l’êtes.

    – Mais non, belle amie, vous êtes la fleur nouvellement éclose, la jeunesse faite Reinette ! Voilà ce que vous êtes. La princesse de nos mares.

    – Cependant, je me situe à au moins dix bonnes saisons pluvieuses devant vous ! Voyez-vous, chère Diva, ce que vous observez est trompeur. Ce qui compte, chez nous, c’est ce qui n’apparaît pas, ne s’entend pas, mais qui, au fond de nous, nous fait terriblement souffrir.

    À ces mots, la dame agita ses membres qui impressionnèrent la fine Clara. Ils étaient énormes, plus gros que ses jambes à elle qu’elle cachait sous une tenue aux tons colorés. Avec stupeur, elle vit que les coudes avaient disparu dans la graisse et que les avant-bras avaient de la difficulté à retenir la masse de chair qui avançait comme un glacier dévalant les montagnes des pays du nord. Les mains étaient rendues petites, et pour ne fâcher personne, Clara préféra imaginer qu’elles n’étaient que trop potelées.

     

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  • CONFIDENCES NOCTURNES  1/4

     

    Contes et légendes du pois sucré

    – La nuit équatoriale venait de se poser sur les ramures des grands arbres, comme à son habitude, presque brutalement, ne laissant pas le temps de la réflexion aux choses, aux bêtes et aux gens. N’ayant que quelques heures pour faire entendre leur sérénade, chaque famille animale y allait de ses chansons en forme de révérences, sans prendre soin de faire la balance avec ses voisines ; la cacophonie était à son comble. Énervés, les singes hurleurs montraient leur mécontentement, les perroquets n’en finissaient plus de jacasser et même d’invectiver les auteurs de ce concert improvisé. Bref, chacun y allait de ses critiques et de sa mauvaise humeur.

    Il faut dire que la journée avait été suffisamment chaude pour rendre les caractères à la limite du renoncement. La gent animale le savait bien ; il en va toujours ainsi après une saison sèche qui s’était éternisée en brûlant la savane et asphyxiant les premiers arbres de la lisière de la forêt, placés sur le seuil des grands bois, comme s’ils avaient été choisis pour défendre l’Amazonie tout entière. Certes, pour montrer sa bonne volonté, le ciel avait bien ordonné aux nuages de larguer les premières pluies sur l’herbe roussie comme pour lui redonner espoir, mais on était encore loin de l’abondance du précieux liquide. Ici et là, autour de quelques modestes mares, les grenouilles et crapauds essayaient bien de retrouver leurs marques anciennes, mais visiblement, la satisfaction n’était pas à son comble. Seuls les plus audacieux sautaient de trou d’eau en flaques, sans pour autant y trouver un espace confortable. À l’orée de la haute futaie, les plus vieux tenaient des discours maintes fois entendus, que les uns et les autres finissaient par ne plus retenir, à force d’indifférence. Dans les ramures, les grenouilles arboricoles semblaient ponctuer le temps, tels des métronomes, tandis que d’autres, timides, restaient tapis dans des troncs creux et agonisants. Comme une grosse caisse, leurs cassements s’en trouvaient renforcés à ce point que l’on fût en droit d’imaginer qu’en ce tronc, demeurait un animal féroce. Les prédateurs y regardaient à deux fois avant d’y pénétrer.

    Soudain, m’approchant prudemment d’une flaque à l’eau boueuse autant que douteuse, je surpris quelques batraciens échangeant des propos n’ayant rien à voir avec les lamentations de leurs voisines et cousines.

    – Ha ! Très chère amie, s’exclama dame crapaud-buffle, qui visiblement n’avait pas souffert des rigueurs de l’été ; comment est-ce possible de vous retrouver ici, après toutes ces saisons durant lesquelles nous nous sommes perdues de vue ? Soyez aimable de me raconter où vous étiez cachées.

    Surprise, l’interpellée regarda sa voisine, et après l’avoir observée rapidement, elle n’eut plus de doute. Elle était bien cette mère attentive qui s’était occupée d’une nursery, où elle-même y prodiguait des soins et de menus travaux. Il est vrai que cela remontait à longtemps, et l’une comme l’autre aurait très bien pu oublier les traits de l’ancienne amie et collègue. Feignant la surprise en l’accentuant de quelques mensonges, la mise en cause répondit :

    – Pardon d’avoir hésité, très chère ; il me semblait bien vous avoir rencontrée, mais j’étais à chercher en quel endroit, à l’instant où le timbre mélodieux de votre organe vocal me cria que je ne pouvais pas l’avoir oublié ! Oui, je me rappelle parfaitement de vous à présent. Savez-vous que vous m’avez toujours fascinée ?

    – Mon Dieu ! Que me dites-vous là ? En quoi ma modeste et discrète personne aurait-elle pu vous séduire ? Souvenez-vous, je n’ai aucun talent…

    – Précisément, c’est votre effacement qui avait forcé mon rapprochement de vous. Ne vous ai-je pas fait remarquer à l’époque que toutes les Scalas du monde étaient à la recherche de voix comme la vôtre ? N’avez-vous jamais cédé à la tentation de la scène ? Je me souviens comme si c’était hier, que la nursery retrouvait son calme à l’instant où vous y alliez d’une petite romance. Tenez, pour vous dire la vérité, je suis encore sous le charme de ce timbre extraordinaire dont je me demande toujours pourquoi vous ne l’aviez pas exploité. À mon oreille, il sonnait aussi clair que la source qui paraît aux pieds des monts. À mesure qu’elle dévale les pentes, elle chante et varie les intonations, nous donnant envie d’accompagner son cours.

    À cet instant de la rencontre, il faut bien avouer qu’une bonne part d’hypocrisie s’invitait aux propos. Pas de la dame à la voix d’or, bien entendu, car en suivant la conversation, on se doutait bien qu’elle n’a prononcé que quelques phrases de reconnaissance. Par contre, Clara, belle et élégante ex-partenaire de la diva, avait de la difficulté à dissimuler derrière les mots ses réelles pensées. Il faut bien comprendre que ce n’était pas volontaire, mais la dame, depuis tout ce temps, n’avait apporté aucun soin à sa personne. Elle était restée celle que Clara avait quittée bien des saisons pluvieuses avant. Certes, à leur âge, on ne s’élève plus par la taille, seulement de l’esprit. Elle était plus grande qu’elle, mais pas de beaucoup. Mentalement, Clara essaya d’estimer ses mensurations, mais elle s’égara dans les centimètres qu’elle faillit qualifier de doubles ou encore de mètres. Un instant, elle osa penser qu’elle devait être aussi large que haute, ce n’est pas peu dire ! Sa coiffure ne l’avantageait pas, n’ayant pour toison que des cheveux hirsutes et rebelles, taillés sans aucun soin. Son visage était rempli de chair dont on comprenait qu’elle se désolait de ne plus y trouver de place ; alors, tel un glissement de terrain dans une montagne lasse et fatiguée, cette masse adipeuse occupait toute la surface, comblant le moindre trou. Fixant les yeux de la diva, soudain Clara eut peur qu’ils disparaissent définitivement, tant les orbites se retrouvaient comme de simples crevasses malmenées par les moraines. Les lèvres étaient à peine soulignées et l’on devinait que la bouche refusait de perdre du terrain, en obligeant le cerveau à la faire sourire en permanence, afin de retarder l’échéance de l’enfouissement. Le menton n’existait plus. D’ailleurs, on était en droit de se demander s’il fut un jour, ou si la masse graisseuse qui partait de la gorge venant à la rencontre de la lèvre inférieure n’était pas, précisément ce menton travesti.

     

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  • — Chaque fois que nous montions à la rencontre de nos amis, j’avais une pensée pour les auberges de campagnes de métropole, qui nous offraient leur accueil douillet. C’est alors que je comprenais qu’il existait bien au sein de notre planète, des mondes différents. Sans nul doute, il faut être vraiment très fort pour supporter certaines conditions et ne pas être tenté de s’enfuir en prenant soin de ne pas se retourner afin de ne pas verser quelques larmes sur ce dont on pourrait croire que l’on abandonne après l’avoir conçu. Sans doute est-ce cette situation particulière qui met dans les cœurs des uns et des autres de nos amis un tel acharnement à vivre. La proximité de la forêt dans laquelle se joue à chaque instant un nouveau drame pour obtenir le droit à l’existence n’est pas étrangère à l’élaboration des caractères. Oserons-nous prétendre que cela relève du mimétisme ?

    Ne rien céder, ne jamais s’apitoyer sur soi-même pour ne pas permettre à la faiblesse de s’installer. Voilà le credo des gens de la brousse, qui, lorsqu’ils vous aperçoivent débouchant sur le plateau, ont le sourire qui fait oublier leurs souffrances endurées durant de longues années. C’est pour cela qu’ils méritent le respect, non seulement pour ce qu’ils sont aujourd’hui, mais pour ce qu’ils furent pour permettre à des milliers de gens de découvrir la nature dans toute sa grandeur. Car l’un et l’autre des aubergistes n’avaient pas leur pareil pour expliquer et démontrer leur environnement. Tant de merveilleuses histoires ils ont vécu, qu’ils n’avaient même pas besoin d’ajouter un mot à un récit, c’est l’auditoire qui le faisait pour eux.

    En fait, j’ai toujours eu le sentiment que l’aventure, ils ne l’avaient pas croisé en arrivant dans le pays, mais qu’ils étaient tombés dans l’une d’elles un beau matin, et que depuis ils ne l’avaient jamais abandonnée. Chaque pas ne les éloignait pas de leur destin d’aventurier, mais au contraire faisait naître une nouvelle histoire dans la poussière de la piste sous le soleil de l’été.

    D’aucuns me reprocheront d’écrire comme s’ils étaient absents.  

    Rassurez-vous, il n’en est rien. Comme nous tous qui avançons dans la vie, eux aussi ont marqué un temps d’arrêt à la folie de l’existence qui faisait toujours mine de les laminer. Aujourd’hui, ils peuvent se permettre de ne travailler que sur commande et c’est encore un exploit, malgré les reproches de certains touristes qui pensent comme des enfants gâtés, sans jamais vouloir prendre en compte les difficultés qu’engendre l’éloignement dans notre pays. Quand le confort et l’absence de contraintes habitent en certaines demeures, ils ont pour conséquence de faire oublier les principes fondamentaux.

    Qu’importe ! Nous fûmes très heureux de les avoir connus et mieux, de les avoir aimés. Entre nous, les discours étaient inutiles. Chacun savait ce que l’autre allait dire à l’instant même où il le pensait.  

    Ils avaient un magnifique groenendael que nous avions découvert alors qu’il n’était pas plus gros que le poing. Il nourrissait une passion immodérée pour notre petit coton de Tuléar. Il reconnaissait le bruit de notre véhicule et venait à notre rencontre pour nous accueillir certes, mais surtout pour retrouver son amie.

    Ses sourires étaient si larges qu’ils découvraient sa belle dentition. Aujourd’hui, ils sont réunis dans le paradis des chiens, s’il en existe un et ils y sont certainement très heureux.

    À l’auberge, je ne puis regarder le canapé sur lequel tant d’amis à quatre pattes se sont vautrés. Il était le leur. Vous l’aurez compris ; c’est à tous ces indices de sincère tendresse que l’on reconnaît une maison où il fait bon vivre et dans laquelle on se sent en sécurité.  

    Voilà, chers lecteurs, en quelques lignes, résumée une période de notre vie dont je tenais absolument à ce qu’elle reprenne quelques couleurs, comme si nous voulions dépoussiérer un bel ouvrage oublié sur l’étagère la plus haute de notre bibliothèque. Il est si agréable, de flâner encore un peu sur cette époque qui en nos cœurs, dure toujours. Elle se complut à mêler intimement hier et aujourd’hui dans une même passion, exagéra lorsqu’elle confectionna pour nous, des attaches si solides, que rien ne saurait les délier, sauf la mort. Mais je suis certain que quoi qu’il puisse arriver, ceux qui resteront prendront plaisir à faire revivre ces souvenirs. Ils dureront aussi longtemps que les jours voudront bien illuminer la piste qui conduit à l’auberge que l’on aurait pu qualifier celle des audacieux.  

    Nous sommes tous originaires d’un pays où il est souvent dit que tout finit en chansons et musiques. La maison de la forêt n’échappa pas à la règle. Après une belle réunion, en un tour de main les tables et les chaises se retrouvaient entassées pour laisser la place à une piste de danse.

    C’est alors que s’enchaînaient les tangos, la salsa et autre biguine qui ne dérangeait même pas les dormeurs à l’étage. C’est que dans ces moments d’intense gaieté, le chef d’orchestre n’était que la passion qui unissait tous ceux qui avaient suivi l’évolution de l’auberge comme on surveille la croissance de l’enfant, avec toute la bienveillance due à son rang.

    Cette semaine, nous allons rendre une visite à nos amis de la montagne.

    Avec votre permission, je les saluerais de votre part, mais ne comptez pas sur moi pour vous parler des quelques larmes qui auront été versées au fil de la conversation. Parfois même, il n’est pas besoin de prononcer un mot pour qu’elles s’invitent à notre petite réunion. Mais c’est aussi cela que l’on dit être l’amitié.

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  • — Parmi les incertitudes de la vie, il en est une qui accompagne chaque jour les aventuriers, les surprenant derrière chaque détour de layon. L’accident ou la maladie. C’est alors que l’auberge ne désemplissait pas que les premiers symptômes s’annoncèrent sur la montagne.

    Ce fut d’abord la maîtresse de maison, mais elle sut être plus forte que le malin qui la tourmentait. Oh ! Il ne fut pas facile de mettre dehors celui qui insistait pour s’installer et les séjours à l’hôpital furent nombreux. Mais on n’est pas hargneux pour rien quand on réside en forêt. La lutte est quotidienne. Pas seulement contre les éléments, mais le plus souvent contre soi-même lorsque l’envie de baisser les bras frappe à votre porte. Comme tout un chacun, il nous arrive de trébucher, parfois, même de chuter. Mais toujours, on se relève et c’est encore plus fort que l’on continue le chemin. Bien qu’elle ne fût pas guérie, Josiane reprit son poste entre deux séjours en clinique. Ensuite, ce fut le temps qui se mêla à la partie qui se déroulait sur la montagne. En haut lieu, on décida que de piste, il fallait la transformer en véritable route. Elle ne fut jamais une nationale, toujours aussi étroite et dangereuse, mais elle eut l’avantage de diviser le temps du voyage, à défaut de réduire les kilomètres. Elle conduit jusqu’aux célèbres marais de Kaw, une réserve exceptionnelle. Les polémiques furent nombreuses concernant sa mise en place. Un journaliste venu de la lointaine métropole écrivit même « qu’elle était une route qui ne menait nulle part ».

    Il n’avait donc rien vu, rien compris, ni entendu pour dire de telles bêtises.

    Toutefois, la belle voie ne permit pas à la fée électricité d’arriver jusqu’au plateau. Elle reste toujours bloquée à une trentaine de kilomètres. Mais quand le changement se met en marche, il est rare que les nouveautés ne le suivent pas. Ainsi le solaire s’installa-t-il sur la montagne, ce qui eut pour effet de soulager les groupes électrogènes.

    Mais un souci barrait la route à l’horizon. L’auberge est construite sur une belle réserve d’or ! Les compagnies se disputent son exploitation, mais fort heureusement jusqu’à présent sans succès. Cependant, durant des années les forages allèrent bon train afin d’évaluer ce que ce coffre immense refermait comme trésors. C’est alors que l’on pensait les galères loin derrière l’auberge, que d’autres ennuis s’annoncèrent. Ce fut au tour de Michel d’être la victime de la maladie. Son état nécessitant son rapatriement sur la métropole, les enfants devinrent plus vite des adultes que ceux de leur âge. Les parents absents, elles menèrent la barque à bon port, sans jamais montrer la moindre faiblesse.

    Le père resta longtemps en France, mais la mère retourna sur la montagne et l’existence poursuivit son cours. Michel revint et les travaux reprirent, comme si construire sans cesse était le moteur indispensable à la vie, qui, en remerciement, accorde plus de temps à ceux qui la mettent en valeur.  

    D’un côté, les forages allaient bon train, et la clientèle de l’auberge était en constante augmentation. Il y avait quelques fois des appels à l’aide. Alors, toutes affaires cessantes, nous montions donner le coup de main.

    Je vous l’ai dit. L’exploitation de l’or n’a à ce jour toujours pas débuté et sans doute ne commencera pas avant plusieurs décennies, tant que les certitudes de non-pollutions en tous genres n’auront pas été démontrées. Il s’agit là de construire une véritable usine qui assurerait en même temps une entreprise rentable sans pour autant apporter moult nuisances à l’environnement. Sur la crête, les conséquences ne furent pas longues à se faire ressentir. Plus de permis d’exploiter, la clientèle se fit plus rare.  

    Si l’or reste prisonnier de la montagne, un foreur emporta quand même au Canada une belle pépite ; la fille aînée ! La seconde imita le saumon. Elle remonta le courant jusqu’à son lieu d’origine. La troisième hésita entre reprendre l’affaire ou devenir générale. J’en conviens, l’armée trouva en elle l’un de ses meilleurs éléments.  

    Et l’auberge, me demanderez-vous ? Elle est encore là ; plus belle que jamais, vous répondrai-je ! Le temps s’est écoulé et les passages par l’hôpital furent nombreux. Mais pour notre plus grand plaisir, l’un et l’autre sont toujours fidèles au poste, même si la fatigue s’est définitivement installée sur le seuil de l’auberge. Je crois qu’on le serait à moins ; et s’il arrive aujourd’hui que certains émettent quelques critiques, c’est qu’ils ont traversé la vie en empruntant les routes les plus douces à leurs pas, prenant soin d’éviter les chemins de campagne. Cependant, c’est en allant par les monts, les creux, les collines qui se chevauchent en se succédant, traversant les marécages et les fleuves sur des bacs parfois de fortune, que l’on découvre les plus saines graines de la vie, qui ne demandent qu’un cœur aimant pour s’y développer. Ces cœurs, nous les avons trouvés il y a longtemps et entre nous, l’amitié ne s’est jamais démentie ni même affaiblie.

    Qu’elle fût belle cette époque qui voyait toutes les tables remplies de victuailles qui se laissaient dévorer autant par les yeux que par les dents. C’était l’instant où, dans l’auberge, il n’y avait pas d’un côté des clients, des amis et de l’autre, des propriétaires. Il y avait une seule et même grande famille à laquelle s’associait le temps, manifestant sa joie en frappant les tôles de ses énormes gouttes de pluie d’une averse tropicale. En cuisine, Josiane ne s’affolait pas. Les plats allaient et venaient, laissant derrière eux des parfums que la nature jalousait parfois.

    Il était facile d’imaginer le caractère de nos amis. Il n’y avait qu’à observer leur environnement pour comprendre qu’il n’était pas que les hommes qu’ils affectionnaient. Les animaux ont toujours eu leur place, non pas comme prisonniers, mais comme des compagnons. Qu’ils soient des cochons sauvages, des pakira, des aras, des oiseaux coq de roche ou chiens de toutes races, tous avait leur place parmi nous et il ne serait venu à l’idée de personne de les repousser quand ils mendiaient une friandise dont ils n’avaient même pas une faim véritable.

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    Demain, si vous le désirez, vous prendrez connaissance de l’épilogue  

     

     

     

     


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  • — Dans ces régions forestières, le bois entre dans de nombreuses constructions et l’auberge de Camp Caïman n’y a pas échappée. C’est même le matériau essentiel.

    Normal ; me direz-vous, nous sommes en Amazonie ! Logique, sans doute, cependant, il n’est pas toujours évident de trouver la qualité qui convient et que les termites n’aiment pas ! L’établissement est accueillant. Elle est à l’image des propriétaires.

    La première question que les visiteurs ne manquent jamais de poser en débouchant sur le plateau est invariablement la même :  

    — Comment faites-vous pour vivre à l’année en un lieu aussi inhospitalier ?

    Vous n’avez aucune commodité !

    Ce à quoi il était toujours répondu :

    — Finissez donc d’entrer. Nous vous offrirons le repas si vous estimez qu’il a manqué quelque chose à votre confort !

    Bien entendu, il n’y avait jamais de menus gratuits, car personne ne se plaignait.

    Une autre question revenait souvent dans les conversations.

    Pourquoi Camp Caïman ? Il y en a tant que cela pour justifier que le lieu-dit porte leur nom ? Nous sommes quand même sur une montagne et il nous semblait que ceux-ci affectionnaient les lieux humides tels les marais.

     — Continuez votre visite, répondait-on, sans se démonter aux curieux. Lorsque vous descendrez par le chemin, derrière le bâtiment, vous découvrirez une retenue d’eau. Avec un peu de patience, vous finirez bien par en apercevoir quelques-uns.

    Il n’y avait qu’une chose que l’on recommandait aux clients, parfois un peu sévèrement :

    — Ne pas gaspiller les glaçons ! Nous avons trop de mal à les fabriquer. Pensez à la quantité de gas-oil qu’il nous faut rapporter de la ville pour le groupe électrogène ! Ils étaient ainsi nos amis. Ils avaient un franc-parler, et bien qu’ils fussent restaurateurs, ils n’avaient pas l’habitude de tourner autour du pot pour dire ce qu’il leur semblait juste.

    Ils étaient originaires de l’est de la France, entre choucroute et munster, et l’accent de madame ajoutait une note particulièrement agréable dans le décor naturel de la forêt. Il est vrai qu’à cette époque, il était indispensable d’avoir une sacrée dose de culot pour s’exiler en pareil lieu. Il fallait avoir la foi en même temps que du courage, et un soupçon d’inconscience pour parfaire l’alchimie nécessaire à l’élaboration d’une nouvelle vie en milieu jugé hostile. Et c’est en cela qu’il était agréable de nous rencontrer à intervalles réguliers. Nous n’étions pas seulement des amis, mais des gens de caractère, qui n’hésitaient pas à se dire qu’ils étaient tous atteints de folie, mais ils reconnaissaient parfois qu’elle était bien utile pour vivre différemment du modèle que la société impose trop souvent.  

    Ces personnages, nous les retrouvions disséminés un peu partout sur le territoire, les uns ne manquant jamais de demander des nouvelles des autres, et toujours prêts à donner le coup de main si d’aventure l’un d’entre eux venait à faiblir.  

    Michel, notre ami aubergiste avait vite compris les émotions que recherchaient les touristes, l’espace d’un à quelques jours. Il fit donc des layons dans la forêt afin que chacun puisse ressentir sur lui le poids de la solitude végétale. Il découvrit même quelques sites particuliers qu’il garda secrets jusqu’au jour où il décida de se faire guide.

    Si nous avions continué notre route, nous plongerions vers le plus grand marais du pays et nombreuses furent nos sorties en compagnie de nos amis aubergistes, à la découverte d’une faune et d’une flore exceptionnellement riche et variée. Mais revenons précisément du côté de l’établissement.

    La maîtresse de maison n’avait pas hésité à se transformer en un fin cordon bleu. Entre ses mains, les différentes viandes de bois devenaient des plats raffinés et particulièrement recherchés. Mais il n’y avait pas que le gibier qui était à la fête dans sa cuisine. Les légumes et les fruits locaux n’en revenaient pas de leurs transformations après qu’ils connurent la douceur des mains de la chef. Même les originaires de la région s’étonnaient que l’on puisse accommoder de si bons plats en ne puisant que dans les réserves naturelles des alentours de l’auberge.  

    Oh ! Ne croyez pas que tout fut aussi facile qu’il y paraît ! Il fallut consentir de nombreux sacrifices pour faire sortir de terre tous les projets qui avaient sommeillé si longtemps dans les esprits. Ils transformèrent le site pour le rendre toujours plus accueillant, construisirent d’autres carbets pour les clients ne désirant pas occuper les chambres, afin qu’ils y tendent leurs hamacs. Ils élevèrent un barrage sur une crique qui ne s’assèche jamais. Infatigable, Michel recherchait des lieux en forêt qui, aménagés, pouvaient se transformer en sites panoramiques. D’une visite à la suivante, il était plaisant de découvrir les dernières réalisations nées d’une observation soutenue. Ils semblaient n’être jamais à court d’idées et l’une ou l’autre avait à peine vu le jour qu’il fallait vite la mettre en œuvre avant l’arrivée d’une prochaine.

    Ainsi étaient-ils, nos amis de l’auberge ; des gens d’une grande valeur, au cœur aussi important que leur établissement et d’une volonté rompue à toute épreuve. Un caractère exceptionnel était indispensable pour vivre en un lieu qui semblait oublié de Dieu.  

    Pas de liaison avec l’extérieur ; un seul radiotéléphone bricolé, avec lequel on joignait plus souvent les capitales du monde plutôt que celle de la région. Une piste dans un état lamentable en saison des pluies, qui vit s’épuiser de nombreux véhicules.

    Aucun service public à moins de trente kilomètres et les approvisionnements à soixante. Les enfants grandirent, et durent fréquenter l’école du premier village où ils passaient la semaine, avant d’être pensionnaires dans un établissement de la capitale. Énumérer à l’évènement près ce que fut leur vie n’est malheureusement pas possible en de si modestes lignes. Nous retiendrons seulement que si en certains endroits de notre monde il nous semble être au paradis, rien qu’à l’évocation de ce mot, nous devons comprendre que l’enfer n’est jamais loin ; rien n’est plus douloureux que le doute lorsqu’il vient à s’emparer des hommes et que soudain, le monde passe sans les voir ni les comprendre. (À suivre).

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