• Je ne critique pas la vie qu’on m’a donnée

    On ne donne jamais un coup de pied à la pirogue

    Qui nous mena sur la rive voisine sans verser

    Mais avec les éléments, établir le dialogue

    Comme tous les hommes, j’aurais aimé pouvoir choisir

    Le plus beau des chemins menant au nirvana

    Ces sentiers de la vie qui conduisent au plaisir

    Et au long desquels le pèlerin chante, Hosanna

    Mais peut-être aussi, aurais-je aimé être un oiseau

    Pour comme lui, l’existence, pouvoir la vivre libre

    Des airs, j’aurai été le plus beau des avisos

    Cherchant sur les courants un parfait équilibre

    À moins que j’eusse choisi de vivre comme le poisson

    Ne dit-on pas toujours d’eux qu’ils sont les plus heureux

    Et qu’à l’onde dans le soir ils procurent des frissons

    À l’époque de la fraie quand ils sont amoureux

    Tiens, je n’avais pas pensé à l’encyclopédie

    Celle qui renferme tous les secrets de la langue

    Expliquant les sentiments et même les tragédies

    De mon langage, personne n’aurait dit qu’il est exsangue

    Je n’y songeais pas, j’aurais pu être le soleil

    De mes rayons tièdes, j’aurai caressé les peaux

    Celui qui pour brunir les corps n’a pas son pareil

    Et qui sur les plages du sud est toujours dispo

    Mais que dire de la pluie qui ruisselle sur les corps

    Laissant croire que les visages sont ourlés de perles

    Inonde les jeunes filles, mais jamais ne les déshonore

    Au contraire de la mer, elle ne dépose pas de maërl

    Comment ne pas imaginer être le vent

    Surtout ceux du sud aux caractères effrontés

    Jouant avec les robes des dames, les soulevant

    Même si leurs colères, souvent ils doivent les affronter

    Et voilà, qu’à passer mon temps à rêver

    Des années j’ai perdu, ainsi que ma jeunesse

    Point d’amour, je connus où je pus m’abreuver

    Je me suis égaré, en ce jour je le confesse

    Me voici arrivé à l’automne de ma vie

    Par les chemins allant, sans un jour m’arrêter

    Sans jamais prendre le temps d’écouter mes envies

    Ni tous les sourires, je ne sus interpréter

    Est-ce donc si difficile d’accepter l’amitié

    Ou même serrer une main, généreusement offerte

    Et soudain son amour, en offrir la moitié

    Puis de son cœur, la porte, la laisser entrouverte

    Il est tard, je sais, j’ai gaspillé mes saisons

    Comme la fleur je pensais à l’éternel printemps

    Ainsi que des ciels d’été qui font perdre la raison

    Alors qu’aimer est un sentiment à plein temps.

     

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  • – Ma curiosité va sans doute te surprendre, grand-maman, mais j’aimerais que tu m’expliques pourquoi tous ceux que je côtoie me disent qu’avant, c’était mieux. Qu’en est-il réellement ?

    – Mon cher enfant, qu’est-ce qui te fait croire que ton désir de découvrir une époque pourrait me créer des soucis ? Tu sais, à mon âge, il y a peu de choses qui ont le pouvoir de me déranger. Par contre, si toi tu doutes des jours dans lesquels tu évolues, alors, c’est que le problème se trouve à cet endroit de ton existence, et non dans le mien. D’abord, apprends que des questions, voilà longtemps que je ne m’en pose plus. Je vis avec les souvenirs qui ont ourlé mes années, et c’est suffisant à mon bonheur.

    – J’entends bien tes propos, grand-mère, cependant, je me dis que le modernisme t’a sans doute fait défaut. J’observe autour de moi et je n’y découvre rien des choses que nous avons dans les foyers d’aujourd’hui.

    – Tu résumes trop vite, mon enfant, à moins que ton regard ne se pose pas vraiment sur ce qui le surprend. Je t’invite à faire le tout de la pièce dans laquelle nous nous trouvons, et annonce-moi ce qui pourrait bien manqué à ta façon d’exister.

    – Je précise que je n’y vois rien qui ait moins de… enfin ; je ne sais même pas le nombre d’années qu’ont tes ustensiles.

    – Oh ! Je devine où tu veux en venir. Dans votre langage de maintenant, vous qualifieriez mes biens de ringards, j’imagine. Peut-être le suis-je moi-même dans l’esprit de beaucoup de gens. Mais, si tu me le permets, revenons au véritable sujet qui te tourmente. De nos jours, vous possédez beaucoup, en regard à ce que je détiens. Toutefois, en faisant l’inventaire de mes trésors sans âge, trouve-m’en un qui me soit inutile. Tout comme chez toi, j’ai de quoi faire la cuisine. J’ai même plus de casseroles et d’autres accessoires qu’il ne m’en faut. J’ai de quoi me chauffer, un lit pour y déposer tour à tour mes rêves, mes chagrins ou mes espoirs. Si tu ouvres mon armoire, tu auras la surprise d’y découvrir plus de draps qu’il y a de lit dans la maison, en plus de linges divers dont je n’ai plus besoin, ne sortant plus, sinon, sur le pas de la porte quand le temps m’y invite. Si tu aimes les gâteaux et les friandises que je te prépare lors de tes visites, c’est donc que j’ai de quoi les faire. Voilà, mon garçon, de quoi satisfaire ta curiosité, j’imagine.

    – En effet, il ne manque rien qui te ferait souffrir au quotidien. Mais je pensais aussi à l’existence dans son ensemble. Toutefois, dis-moi pourquoi c’était si différent avant.

    – Cette question te taraude, n’est-ce pas ? Eh ! bien, tu sais que je ne connais pas tous les mots qui pourraient t’apporter les réponses que tu attends. Cependant, si à mon époque on était mieux qu’à la tienne, c’est que des jours, nous n’ignorerions rien. Peu de choses suffisaient à notre bonheur. Ce qui nous manquait, nous l’inventions, même si ce n’était pas conforme à l’original. Nous n’enviions pas les biens du voisin, puisqu’il n’avait guère plus que nous. Ah ! Si, parfois en labourant, il nous arrivait d’ouvrir un sillon sur sa limite. Cela n’engendrait pas de grandes querelles, car il en faisait autant sur un autre de nos champs. De ce morceau de terre, en vérité nous n’en avions pas l’utilité. C’était surtout une coutume qui datait depuis toujours.

    – Tu m’avoues que vous voliez une partie de la propriété voisine ? Ce n’est pas rien ! De nos jours, nous irions au tribunal !

    – Mais je viens de te dire qu’il en faisait de même. Tu vois, pour cela, il n’y avait nul besoin d’un juge. Laisse-moi encore la raison qui fait que c’était mieux avant. Nous allions au-devant de la vie d’un pas tranquille, au contraire de vous qui vous y précipitez comme si l’on allait vous la dérober. Nous étions heureux de ce que nous possédions, tandis que vous, rien ne vous satisfait pleinement. Vous n’avez plus de désirs qui ravissent vos yeux et votre âme. Vous n’avez que des envies qui disparaissent à l’instant où votre regard se pose sur une nouveauté. Tu sais, j’entends ce qui se murmure dehors.

    – Que dit-on, grand-maman ?

    – Que les gens prétendent ne pas être des moutons. Seulement, voilà mon sentiment. Plus ils crient qu’ils ne veulent pas appartenir à ces bestiaux, et plus ils sont enfermés au cœur du troupeau. Vois-tu, mon grand garçon, pour ne pas faire partie du cheptel qui va bêlant, il faut avoir beaucoup de courage.

    – À moins de devenir le berger ?

    – Ni pâtre ni chien de garde. Personne ne peut être heureux lorsqu’il est prisonnier de la cohorte. Nous étions fortunés par rapport à vous, car le peu que nous possédions, nul ne pouvait prétendre que nous ne lui avions pas payé. Mais ces petits riens qui ne furent jamais inutiles ont construit notre bonheur. Nous ne connaissions sans doute pas beaucoup des événements qui secouaient le pays, mais les choses naturelles dans lesquelles nous prenions chaque matin un bain de rosée en même temps que l’aurore étaient cent fois plus douces que tout ce que vous détenez actuellement. La vie nous souriait,  car elle savait que nous l’accueillions de bon cœur. Contrairement à nous, chaque jour est une contrainte, pour les générations nouvelles. Vous êtes prisonniers de votre système, autant que de la liberté.

    – Mais, grand-mère, de nos jours, nous souffrons moins qu’à votre époque !

    – Les douleurs sont seulement différentes, mon enfant ; mais de cela, si tu veux, nous en reparlerons une autre fois.

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  • – Quand les premiers hommes découvrirent le continent, sud-américain, après une longue marche qui les vit arpenter presque toutes les Terres émergées, ils durent se rendre à l’évidence. Ils constatèrent non sans surprises que leur voyage touchait à sa fin, puisque la dernière langue de sol avançait dans la mer océane, mais, visiblement, elle était épuisée, presque vaincue, incapable de la maîtriser. Au contraire, depuis le promontoire sur lequel ils se trouvaient, ils comprirent que c’était l’eau qui, par vagues et rouleaux successifs, essayait de reprendre la          place perdue lors du grand bouleversement.

    Les éléments se déchaînaient,  deux masses liquides semblaient s’affronter, lançant des paquets écumeux et rageurs l’une sur l’autre. Ils n’étaient pas encore les quarantièmes rugissants, que les navigateurs redoutèrent  plus tard ; cependant, les gens admirent, après une longue concertation, qu’il était inutile de partir sur une pareille surface paraissant aussi furieuse et instable. Ils firent donc demi-tour, et établirent leurs premiers campos sur le contrefort des montagnes.

    Jusqu’à mi-hauteur de ces dernières, remontant des plaines, d’immenses forêts occupaient les flancs. Elles étaient giboyeuses et des oiseaux de toutes tailles et toutes couleurs se perchaient dans les ramures, tandis que d’autres couraient sur le sol, trop lourds pour prendre leur envol. Des pumas, des jaguars, des ocelots et quelques félins plus modestes puisaient sans façon dans ce grand garde-manger, ignorant les sujets nouvellement arrivés. N’en ayant pas vu jusqu’à présent, les uns, ils n’avaient aucune raison de se méfier, et les uns et les autres vivaient en parfaite cohabitation. C’était le temps où les frontières n’existaient pas, car les hommes n’avaient pas encore songé à diviser les continents. Bêtes et gens se surveillaient, et évoluaient en paix, les uns constatant que leurs voisins n’envisageaient pas de les chasser ni de les combattre pour leur disputer l’espace. D’ailleurs, ceux qui marchaient debout n’étaient que des cueilleurs de fruits et d’herbes diverses.

    Cependant, au fil des lunes, personne, n’ayant imaginé un autre système pour évaluer les jours et les ans, les relations entre les êtres se détériorèrent rapidement. Le règne animal comprit qu’il ne pouvait plus accorder une totale confiance à ces gens qui venaient de découvrir le principe de la guerre. En effet, s’étant séparés depuis longtemps, les hommes avaient essaimé sur tout le continent, créant ici et là des communautés différentes, faisant que des années après, personne ne souvenait de ces peuples voisins. Alors l’affrontement devint inévitable. Des razzias étaient organisées dans le but d’enlever les femmes, les individus ayant admis que le renouvellement du sang était indispensable afin d’assurer une descendance parfaitement saine et équilibrée, la leur s’étant trop affaiblie pour se mesurer aux évolutions environnementales quotidiennes. Les batailles engagées furent terribles. On allait jusqu’à manger les vaincus, en honneur à leur courage, et surtout pour renforcer l’esprit guerrier de ceux qui avaient douté au cours des grandes querelles. Puis, d’itinérants, certains devinrent sédentaires. Ils s’établirent définitivement en des lieux longuement choisis en fonction de certaines situations. La pêche joua un rôle important dans la vie de ses hommes, à laquelle furent jointes la chasse et l’agriculture sur brûlis. Ils exploitaient le sol tant que celui-ci pouvait produire. Ensuite, la parcelle était abandonnée au profit d’une nouvelle, et ainsi de suite. Les jours, puis les ans se succédaient, jusqu’à ce jour où les Amérindiens aperçurent sur l’océan, des voiles que le vent gonflait. Les conquistadors venaient de découvrir le Nouveau Monde. Si les peuples premiers ne revendiquaient pas la propriété de la Terre, ce ne fut pas le cas des étrangers. Mais  il n’y avait pas que le sol qui les intéressait. Des guerres d’un genre particulier les surprirent. Les moins courageux, ou peut-être les plus conscients se retirèrent loin sous les forêts. Cependant, en tous lieux, un jour ou l’autre, le conquérant les rejoignait. La division du continent commença. Des autochtones furent recrutés pour conduire les vainqueurs vers des territoires inconnus afin d’y planter de longues pierres destinées à faire savoir aux ennemis celui qui les revendiquait. Ils construisaient, disaient-ils, les limites du pays.

    Les files marchaient sous les grands bois pendant des jours et des jours. Les mulets portaient les bornes, tandis que les indigènes ouvraient les layons. Parfois, les gagnants d’un jour étaient les vaincus d’un autre. Alors, au lieu de rencontre des aventuriers, on dressait les couleurs du conquérant. Puis, les explorateurs partaient dans une direction opposée, toujours en y dessinant des traits imaginaires.

    Dès lors, L’Amérique du Sud fut découpée en douze pays qui n’eurent de cesse de se disputer les territoires.

    C’est ainsi que les indigènes perdirent le continent au profit des nouveaux occupants. Certains se réfugièrent en des zones particulières, appelées de nos jours des points de tri-jonction, lorsque, comme chez nous, la borne numéro un délimite trois propriétaires ; en l’occurrence, la France, le Brésil et le Surinam. Voilà, mes amis, racontée brièvement l’histoire de notre contrée qui vit petit à petit ses richesses pillées. Hélas, cela continue, mais sous d’autres formes.

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  • POUR NOTRE AMIE LAETITIA

    En ce jour, dont les couleurs avaient revêtu celles de la tristesse, vous me pardonnerez de n’avoir pas le cœur à écrire autre chose que des mots qui ne traduiraient pas mes pensées à l’égard de mon amie de toujours. En effet, celle que je nomme ma « tite fille lointaine » depuis le premier jour, voit l’un des siens les abandonner en chemin. Cependant, cette route, on la lui avait promise longue et belle, agrémentée de petits bonheurs, qui, au fil des jours, s’associant, en devenaient un plus grand.

    Hélas, l’existence, parfois, imagine des impostures, oubliant de déposer sur le seuil de notre maison le souffle nécessaire  pour la traverser. Et en ce temps de novembre, c’est sur le pas de porte de l’un des siens que le destin s’est dérobé discrètement en se laissant glisser vers la demeure suivante. Une vie interrompue, c’est autant de rêves inachevés, autant d’amour dont les cœurs souffriront de son absence et des projets dont le crayon ne croquera plus les esquisses.

    Ma très chère Leticia, en ces quelques mots, je te prie de trouver toute notre compassion attristée. Je sais combien il comptait pour vous, et je devine qu’il vous manquera. Mais je ne doute pas un instant que depuis sa nouvelle maison il sera pour vous votre ange gardien. Ce que vous imaginerez être une présence, ou peut-être des songes pour lui n’en seront pas ; ce sera son âme qui vous frôlera pour vous dire qu’il est toujours à vos côtés.

    Ma fille lointaine, laisse-nous te serrer entre nos bras ; plus fort que de coutume sans doute, mais sans prononcer d’autres mots que ceux du réconfort. Des milliers de pensées s’envolent de chez nous pour se poser sur le rebord de votre cœur.

     

     

     


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  • – Partout autour de nous, on entend toujours prononcer les mêmes phrases. Certes, elles n’ont jamais de semblables accents, et certaines se murmurent presque en fredonnant, tandis que d’autres se déclinent avec de la tristesse dans la gorge. Il en est qui se disent avec le sourire dessiné sur lèvres, alors que certaines ne peuvent à peine s’exprimer tant les larmes sont nombreuses, augmentées par les sanglots qui les accompagnent et les déforment. Parmi les mots qui reviennent sans cesse, certains semblent solidaires des jours, car ils sont suspendus au temps, duquel ils sont les complices. Ils sont de tous les événements, de toutes les circonstances, et paraissent ne se soucier que d’une chose. Comment demain nous sera-t-il présenté et de quoi sera-t-il fait ?

    C’est alors qu’en réfléchissant un moment, on comprend qu’il ne peut s’agir que de la vie qui anime tous les êtres vivants. Parfois, quelques-uns nous laissent croire qu’ils la traversent en l’ignorant, jusqu’au jour où elle les rappelle à l’ordre. D’autres l’utilisent comme si elle était leur voisine ou leur complice. Enfin, il y a ceux qui la calculent, l’économisent et essaient d’en tirer le meilleur profit. Au nombre de ces derniers, en bonne place nous trouvons les gens qui prétendent qu’ils l’ont en charge, puisque de leur volonté, et de leur savoir, dépend celle des autres. Qui sont-ils, ces personnages qui flirtent avec l’existence et qui traversent les plus belles années à courtiser la vie ?

    Ils sont les valets de la terre, depuis la nuit des temps, précisément, ils ont passé la leur au chevet de la nature. Ils l’auscultent, la traitent avec les mêmes sentiments que si elle était l’une des leurs. (Je devine qu’à cet instant, certains me diront que ce temps-là est révolu, et ils n’auront pas tort). Mais n’oubliez pas que dans le grand sablier qui gère nos destins, mon grain est bloqué sur les images d’antan, celles qui nous laissaient toucher du doigt la réalité, en nous faisant comprendre que rien n’est impossible à celui qui se donne la peine d’aller le chercher. Ces gens d’un autre siècle, je les ai fréquentés, et partagés leurs tâches en même temps que leurs tables. Ils ne parlaient jamais pour ne rien dire, n’engageaient pas des travaux dont ils se doutaient qu’ils ne les mèneraient pas à leur terme. Ils n’empruntaient pas de chemins dont ils ne savaient où ils conduisaient. Entre eux et dame nature, l’harmonie était parfaite. Un coup d’œil vers le ciel leur suffisait pour entreprendre ceci ou cela. Ils étaient à la fois des philosophes, des économistes, des inventeurs, des éleveurs, des guérisseurs et tant d’autres personnages réunis sous un seul habit. Les jours, ils les vendangeaient comme on le fait de la vigne, cueillant délicatement grappe après grappe. C’est sans doute pour cette raison qu’ils avaient des mains noueuses qui ressemblaient aux ceps, débarrassés de leur tenue estivale. L’automne ne les surprenait pas à verser des larmes sur une année qui se dépouillait. En ouvrant les sillons, ils étaient conscients que ce n’était pas que le grain qu’ils semaient. À cet instant ce qui avait provoqué un sourire chez les plus vieux à la vue des sacs qui se remplissaient au flanc de la batteuse, leur faisant dire qu’ils n’en avaient jamais trouvé de si beau, devenait l’espoir des moissons à venir. C’était aussi l’espoir, sauf une catastrophe de dernière minute, qu’il y aurait encore de la farine qui sortirait des meules du moulin, du pain dont l’odeur embaumerait le village au sortir du four communal, rendant heureux ceux qui le dégusteront, accompagné d’une tranche de lard.

    Consciencieusement, les poires et les pommes iraient rejoindre les clayettes dans le grenier où elles finiraient de mûrir jusqu’à l’aube du printemps tandis que l’hiver s’épuisant permettra aux bourgeons de s’épanouir. Mais avant cela, il est vrai que dans les étables, les bêtes tireraient sur leur longe, s’ennuyant en rêvant aux pâtures vertes et grasses. Certaines nuits recouvriront le paysage d’un manteau immaculé, faisant dire aux anciens :

    – Celle-là va tenir un moment, les amis, car elles nous viennent des grandes plaines du nord !

    Dans la maison, à cette remarque, comme pour montrer sa solidarité à celui qui l’avait annoncée, on se rapprocherait de l’âtre en y déposant une nouvelle bûche de chêne ou d’orme qui lancerait immédiatement des étincelles de provocation en direction du conduit de la cheminée, où de temps à autre, la suie enflammée ronflait.

    – Elle se ramone, disait encore l’aîné en riant, avec l’air d’un prédicateur. Couvre un instant la marmite de la nourriture des cochons, qu’ils n’aient rien à nous reprocher à Noël. Dans les braises éparpillées, des marrons étaient disposés, tandis que la bouteille de piquette n’était jamais loin.

    Ainsi se déroulait l’existence d’alors, simple, que l’on conjuguait à tous les temps, comme on le faisait de la vie. Elle jouait à la marelle des saisons, entre sourires et soupirs, et l’on s’attendrissait bien un peu sur celui ou celle qui avait manqué une case ou tombé dans celle figurant le ciel.

    Amazone. Solitude. Copyright N° 00061340-1

     

     

     


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