• – Une année qui s’en va, c’est un peu comme une fenêtre de la vie qui se ferme, emportant avec elle les souvenirs qui se sont accumulés tout au long de son parcours. Ils vont rejoindre leurs aînés qui dorment dans les tiroirs secrets de la mémoire.

    Se trouve-t-il quelqu’un pour plaindre celle qui s’apprête à nous tourner le dos ? Je ne le crois pas. Il en est ainsi de chacune d’elle, à l’instant choisi par le temps pour la pousser dans l’oubli. Pourtant, quand on prend un moment pour revoir le chemin qu’elle a parcouru, on comprend vite qu’il n’y aura personne pour la regretter. C’est qu’elle en a fait pleurer plus d’un, que ce soit dans le matin naissant, ou le soir tombant. Que de catastrophes, de malheurs, qui ont endeuillé celle qui ne sut distinguer l’injustice du ciel de celle des hommes !

    Cependant, elle s’était présentée fière et déterminée. Dans l’ombre des anciennes, elle avait eu le temps de les analyser afin de ne pas reproduire les mêmes erreurs. Peine perdue ! Le premier mois n’était pas écoulé, que déjà, comme toutes les intentions formulées par les individus, elle avait abandonné les siennes. Elle se contenta de veiller à la bonne marche des jours, sans se préoccuper de quoi ils étaient faits. Je me demande, si, du fond de la forêt sur la canopée de laquelle elle se reposait, je ne l’ai pas entendu prononcer quelques mots :

    – Après tout, ce qu’ils font des jours que je mets à la disposition des hommes ne me regarde pas. Connaissant leur état d’esprit, je devine que de toute façon, ce ne sera jamais comme ils le souhaitent. D’ailleurs, souvent, ils ne savent même pas ce qu’ils veulent. Tantôt, ils réclament ceci, tantôt ils bannissent cela, qu’ils ont cependant obtenu à grand renfort de cris et de gesticulations. Ils sont trop fiers pour reconnaître que l’existence qui est la leur, ce sont eux qui l’ont mise sur pied, encore eux qui la modifient sans jamais trouver un parfait équilibre.

    Ayant entendu ses réflexions, je suis tout prêt d’admettre qu’elle a raison, sans toutefois, approuver ses états d’âme. Je crois me souvenir de ce qu’elle prétendait aux premières heures de sa venue, alors que dans le monde, se répondant comme l’écho, les feux d’artifice allaient de pays en continents. En fait, saluaient-ils la nouvelle année ou effrayaient-ils la précédente pour qu’elle s’enfuie plus vite ? Peu importe, cela faisait du bruit et des couleurs, et le ciel se demandait pourquoi, en bas, ils ne le laissaient pas se reposer dans l’intimité des ténèbres.

    C’est dans ce charivari que je surpris les paroles de mon voisin, qui d’ordinaire n’émet aucune opinion à l’exception de celle qu’il affectionnait particulièrement :

    – Le murmure de l’herbe poussant sous la fenêtre de ma chambre ne m’empêchera jamais de dormir. Il me dit, alors que son verre et la bouteille avaient décidé d’unir leur destin :

    – Tu sais, une année est comme une longue chaîne fragilisée. Chaque aurore se levant, à sa suite trouve un maillon abandonné.

    L’illusion n’était pas fausse. Dans l’indifférence générale, les jours se succèdent. Chacun apporte son lot de surprises, bonnes ou mauvaises, laides ou belles, heureuses ou malheureuses. Ceux qui souffraient la veille continueront de se lamenter le lendemain, car sauf en d’exceptionnelles années, on n’a jamais vu un fleuve s’assécher.

    Dans la société des hommes, pour accueillir certains de leurs semblables, ils déroulent un tapis rouge afin de montrer au personnage invité le haut niveau d’estime dans laquelle on les tient, ainsi qu’une marque de gratitude. À travers le monde, le ciel recouvre d’un beau manteau blanc tel un berceau pour recevoir l’an neuf. C’est alors que ce dernier s’imagine ressembler à une délicate danseuse effleurant le sol. Il ne s’y pose pas, il le survole, à l’image du temps qui s’y laisse glisser. Ainsi, à peine venons-nous de fermer une porte en poussant un soupir lourd de signification, que nous voilà plongé dans une nouvelle aventure. Où nous conduira-t-elle ? Nous le découvrirons en suivant ses jours comme autant de signes de reconnaissance pour nous inciter à avancer. Cependant, au fond de nous nous savons bien que rien ne changera vraiment ; l’instant d’une nuit nous faisons semblant de le croire, car en fait nous ne sommes que de grands enfants qui se complaisent à vivre dans nos rêves et à apporter de l’eau au moulin de nos songes.

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  • LA LUMIÈRE SOURCE DE VIE

    – Ne crains pas d’aller vers la lumière, mon enfant. Aucun cœur ne peut se satisfaire de l’ombre, de même que l’âme a besoin de la clarté pour communiquer avec le monde qui l’entoure. Tu l’ignores, car le miroir n’est pas ton ami, mais ton corps réclame depuis longtemps la douceur céleste afin que les gens qui te croisent se rendent compte que tu n’es plus un sujet isolé, puisque ton regard soudain s’éclaire. Les yeux, le sais-tu, sont à la fois la fenêtre de notre moi profond, et celle de notre esprit. Ils sont aussi le livre merveilleux de ta vie, cet ouvrage qui n’est autre que ton double, et sur les lignes duquel il ne manque aucune virgule. Même anciennes, les souffrances y ont laissé leurs empreintes, mais heureusement, également les joies. Elles brillent comme les étoiles trop éloignées de nous pour que nous les discernions parfaitement, cependant, nous devinons qu’elles existent, puisqu’elles scintillent dans les ténèbres.

    Observe autour de toi, va sous la forêt et tu y découvriras la vérité. Certes, beaucoup de végétaux se contentent de l’ombre que leur font les plus grands, mais dans cette intimité, si tu passes la main sur leur feuillage, tu comprendras, à leurs frissons, qu’ils se désolent de n’être que le tapis des sous-bois. Il en est de même pour nous. Notre vie est pareille aux saisons. Nous les traversons en profitant des bienfaits de chacune d’elles. Un fruit sans les caresses du soleil n’arrive jamais à maturité. Il demeure chétif, sans éclat ni saveur, et les oiseaux l’ignorent. Dans les champs, sans les rayons chauds, les blés ne blondissent pas et donnent au froment un goût amer.

    La vie est si courte que tu ne peux lui refuser ta présence. As-tu déjà foulé l’herbe des prairies sans t’être penchée sur la beauté des fleurs ? Pour illuminer le tapis de verdure, elles sont nombreuses, de couleurs variées et aux multiples fragrances. Il en est de même dans la société des hommes. Nous sommes faits pour aller les uns vers les autres, et non à nous détourner pour les éviter, afin de ne jamais serrer leurs mains. Nous avons en commun les désirs qui brûlent au fond de nous, mais aussi ceux d’apprivoiser une âme sœur, d’échanger quelques mots timides avant d’être rassurés et prolixes. Certes, parfois, au milieu des flots de paroles, tu comprendras pourquoi les anciens prétendaient que le silence est d’or. Mais que veux-tu, l’existence n’est pas un long fleuve tranquille. Souvent, il sort de son lit, pour rendre visite aux terres les noyant sous des eaux boueuses. Toutefois, après l’orage, et comme pour s’excuser, il abandonne des alluvions pour enrichir les sols. Il en est de même pour les mots. Ils laissent dans nos esprits quelques éléments qui manquaient à nos connaissances, faisant que nous avions de la difficulté à grandir. Certes, dehors, tu réaliseras vite que tout ce qui brille n’est pas forcément de l’or. Il te faudra apprendre à reconnaître le vrai du faux, ainsi que les pièges des cris de bienvenue. Le monde n’est pas peuplé que de tendresse. Les batailles y sont permanentes, car d’aucuns prétendent que la place au soleil est chère. Mais ce n’est pas une raison pour voler celle des autres. Le jour est fait pour que nous le traversions à l’allure qui nous convient. Certains sont pressés ; ne représente pas un obstacle pour eux. Pour te consoler, sache que la nuit ne vient pas plus tôt pour eux, mais que la vitesse à laquelle ils t’ont dépassé a fait qu’elle les a privés de ton sourire.

    La lumière, chère enfant, n’est pas un leurre. Elle est la source de la vie. Sans elle, rien de ce que tu aimes ne se réaliserait. Elle est à la fois le berceau de l’espérance et l’antichambre des rêves. Chaque pas que nous faisons quand nous la pénétrons repousse l’horizon, comme pour nous signifier que le chemin qui se déroule devant nous sera long. Il t’appartient de faire que ta route douce à ton pied, de l’embellir si elle te paraît terne, plantant sur les bas côtés aussi souvent qu’il te sera possible, des fleurs pour la rendre lumineuse et plus agréable.

    Je sais, tu penses que ce sont là des mots qui, comme l’arbre cache la forêt. C’est vrai, quand on peint un tableau, on est toujours tenté d’augmenter les nuances pour dissimuler que dans le paysage que nous avons sous les yeux, des drames s’y déroulent. Il appartiendra alors, à ceux qui découvriront l’œuvre, de reconnaître en chaque perle de rosée, les larmes de celui qui traduisit ses émotions, à l’instant où il vit que le faucon, d’un vol rapide et meurtrier, venait de ravir l’oisillon à ses parents.

    Voilà, mon enfant, une petite leçon de vie qui ne veut être qu’une simple invitation à la pénétrer. Cependant, pour connaître le bonheur, il est dans ton intérêt de toujours marcher vers la lumière, et rechercher l’ombre juste le temps nécessaire à reprendre ta respiration.

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  • – Eh ! Bonjour, Pierre ; finis donc d’entrer et dis-moi à quoi rime le remue-ménage du village. Il faut que ce soit réellement extraordinaire, pour qu’il parvienne jusque chez nous.

    – En effet, père Alexandre, sans être vraiment surprenant en cette saison, du moins, par chez nous, c’est assez singulier pour étonner tout un chacun. Monsieur Mazy est allé remorquer une voiture qui s’était enlisée dans la neige.

    – Quoi ; il a sorti une paire de vaches ?

    – Oui, c’est bien cela. Par contre, je ne sais pas jusqu’où il est allé avec son attelage, mais il doit y avoir un moment qu’ils sont en route. J’étais dans les châtaigniers une partie de l’après-midi, et pourtant je ne l’ai pas entendu passer.

    – Pas étonnant, avec ce qu’il est tombé ! La neige est un bon isolant, elle étouffe les bruits. Au fait, tu as vu, qui était en panne ?

    – Non, ce n’est pas quelqu’un de chez nous. Jamais vu ces têtes là.

    – Tu vois, à ce sujet, c’est comme mon cousin, celui qui veut tout avaler. Bientôt, lui aussi viendra réclamer nos bêtes pour tirer ces machines des champs où il les avait abandonnés avant l’hiver. Moi, tout ce matériel moderne ne me dit rien de bon. Si tu t’y entends pour le mener et le réparer, passe encore. Mais si tu dois faire appel à tout bout de champ au spécialiste, je crois qu’ils vont y laisser leur fond de culotte !

    – C’est vrai ; parfois, les mécaniques se montrent capricieuses, surtout quand on ne sait pas les entretenir correctement. Cependant, je puis vous dire qu’elles rendent de fiers services ! Elles effectuent dans la journée ce que nous faisons dans une semaine avec nos bœufs ! Et encore, faut-il que le temps s’y prête.

    – Je suis d’accord avec toi. Mais tout cela coûte une fortune ! Et puis, un tracteur seul est parfaitement inutile. Il lui faut toute une série d’autres outils ; et ils ne sont pas gratuits !

    – Père Alexandre, nous sommes les enfants du siècle, et il se trouve que celui qui est en marche ne ressemble plus à celui auquel il a succédé. Regardez, pour ce qui nous concerne ; sans le matériel de débardage, les camions, les tronçonneuses, que ferions-nous ?

    – Mon ami Pierre, le modernisme ne vous rend pas autant de services que tu le prétends. Il vous fait surtout revenir au temps malheureux de l’esclavage. Sans cesse, vous devez vous améliorer, faire du volume, permettre à vos patrons de gagner beaucoup d’argent sur votre labeur. C’est cela, que tu appelles le renouveau ? Regarde, ceux d’aujourd’hui sont tirés par ceux du passé ! Et surtout, ne va pas imaginer que vous pourrez l’oublier. Pendant longtemps encore, vous en aurez besoin.

    – L’idéal serait de les marier. Les modernes et les anciens unis dans un même destin ! Hélas, je crois que ce ne sera qu’un rêve. L’un va désespérément trop vite, tandis que l’autre n’a pas envie d’avancer.

    – Je vais t’expliquer pourquoi notre époque va vous jouer un mauvais tour. Elle est sournoise, ressemble à une dame de la ville trop pommadée. Alors que tu la croises le matin, tu lui souris, et le soir en la voyant, tu soupires. Vous êtes au service du capital, comme me le dit si souvent le fils qui est bien placé pour en parler, puisqu’il travaille à la banque. Elle vous prend votre argent, et non contente de cela, vous fait payer des intérêts dessus quand vous en avez besoin.

    – Dans ces conditions, père Alexandre, il ne nous reste plus qu’à demeurer au lit, et attendre que le jour passe.

    – Quand même pas jusque là. Laisse-moi t’expliquer la chose calmement. Pendant que vous courrez en tous sens, que vous produisez toujours plus, que certains en tombent malades, nous, on avance à notre rythme. Depuis la nuit des temps, il n’a pas varié. Lorsque je laboure, je parle avec mes bêtes. Elles connaissent ma voix, elles obéissent, et quand j’en éprouve le besoin, je les flatte en passant la main sur leur robe. Ils le font, eux, échanger des mots avec les tracteurs ? Ils n’arrivent pas à entretenir les champs en dévers. Un peu partout, j’en découvre à l’abandon. Avec nos attelages, nous travaillons les flancs de la montagne, à notre allure. Ils nous nourrissent toujours. Aujourd’hui, ce qu’ils n’engrangent pas, c’est perdu !

    – Non, ils s’arrangent pour le gagner d’une autre façon. Mais il n’y a pas que l’argent qui est en cause. Il y a aussi que de nos jours les gens peinent moins. Ils peuvent évoluer différemment et souffler quand ils en ont besoin ou simplement envie.

    – Pierre, se reposer nous enlève le goût du travail. Nous sommes faits pour cela. Nous ne sommes pas étrangers aux éléments de la nature. Prend-elle des loisirs, elle ? Depuis toujours, une saison en prépare une autre afin que nous soyons heureux. C’est cela qui est important. Vivre pleinement et en harmonie avec notre environnement. Si l’on oublie le bonheur en chemin, mon ami, l’homme court à sa perte. Il est souvent malade, devenant comme un automate. Il cherche les raisons qui l’amènent à ressembler à cet être qu’il découvre dans son miroir qui ne lui renvoie que son portrait, gardant pour lui, les sourires qui pourraient le rendre rayonnant.

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  • UN MATIN D’HIVER A LA CAMPAGNE

    – Dis-moi, mon garçon, la neige doit être abondante ?

    – Oh ! Oui, grand-père. Je ne reconnais plus rien de notre campagne. Mais, pourquoi me poses-tu cette question ?

    – Parce que je n’entends rien des murmures de la vie de nos montagnes. Si je ne me doutais pas qu’elle soit épaisse, je jurerais être devenu sourd !

    – Tu ne l’es pas, je te rassure. Seulement, personne ne s’aventurera dehors aujourd’hui. Les champs et les chemins sont au même niveau. Dans les vallons, je suppose qu’il doit y avoir de belles congères !

    – Il n’est pas besoin des amas de neige, le laitier ne passera pas ! Nous allons perdre le produit de plusieurs traites ; beaucoup, si le temps persiste.

    – Écoute, grand-père, je n’y connais rien en matière de prévisions météorologiques. Ce dont je puis t’assurer, c’est qu’à l’heure qu’il est, je ne différencie plus le ciel et notre monde. Les flocons sont serrés et tombent droit. Il n’y a pas un souffle de vent. Dans la cour, la neige arrive à la moitié de la porte des granges.

    – Alors, tu sais ce qu’il te reste à faire.

    – Oui, après la traite, je vais m’armer d’une pelle et commencer des chemins entre les bâtiments. Il nous faudra bien nourrir les bêtes ! Pour les vaches et les bœufs, il n’y a pas de problème, étant donné que nous accédons directement à l’étable par la cuisine. Mais les cochons, les moutons et les chèvres sont isolés. Par contre, je ne sais pas si j’aurais les bras assez longs pour jeter la neige assez loin. Je crois que je me retrouverai entre deux murs !

    – L’oncle et l’ouvrier vont t’aider. Vous allez procéder de la façon suivante. Toi, sans tarder, commence à dégager la hauteur que tu jugeras suffisante. Les autres t’imiteront, et ainsi, en peu de temps vous aurez terminé la tâche, et sans fatigue inutile. Si je n’étais pas cloué au lit, je serais le premier à montrer l’exemple.

    – Tu me fais rire, grand-père ! Tu ressembles soudain à un militaire qui distribue les corvées ! Non, pardon, un général qui dirige la bataille, lançant ses troupes de part et d’autre de l’ennemi en vue de l’encercler. Dans le fond, je suis sûr que tu as conservé ton âme de soldat.

    – Ne te moque pas, jeune homme. Ton tour viendra bientôt, alors tu comprendras que cette période que nous devons à notre pays laisse en nous des traces qui ne s’effacent jamais.

    – Ah ! Et pourquoi cela ?

    – Parce que l’armée nous apprend la discipline et le respect. Elle crée ou développe en toi l’esprit d’initiative et de responsabilité, et surtout elle t’oblige à devenir solidaire de tes voisins ; que tu les apprécies ou non. Et encore, je ne te parle pas du temps de la guerre, si par malheur nous devions en connaître une nouvelle.

    – Tu crois que nous allons devoir la faire ?

    – Avec les gouvernements, on ne peut jurer de rien. Individuellement, aucun homme ne serait assez idiot pour ouvrir les hostilités. Mais de tout temps, on nous fit faire le contraire de nos espérances.

    – Et si les jeunes gens refusaient de partir au combat ?

    – Tu rêves, mon garçon. Les gendarmes auront tôt fait de venir te chercher, et si tu es déjà sous les drapeaux comme on dit, et que tu ne te plies pas aux ordres, alors tu risques ni plus ni moins d’être fusillé. Tu vois, tu n’as pas l’embarras du choix. Vivre ou mourir !

    – J’imagine que le plus grand nombre ne doit pas hésiter bien longtemps ?

    – Voilà que tu comprends vite. Mais dis-moi, n’essaies-tu pas de me faire parler plus qu’il est nécessaire ? Et moi, comme un imbécile, je suis là, à t’écouter et te répondre, alimenter la discussion alors que le travail t’attend à l’extérieur. Ne traîne pas et surtout ne donne pas l’occasion aux autres de se monter contre toi. Montre-toi entreprenant, prends les devants. Ils ne tarderont pas à te rejoindre, je les connais bien. Quand le déblaiement sera fini, je sais déjà ce qu’ils te feront faire.

    – Ils vont trouver l’occupation tout seuls ou tu vas leur souffler ?

    – Ils n’ont pas besoin de moi. Ils sont assez grands.

    – Ce travail dont tu parles, quel sera-t-il ?

    – Tu n’as pas une petite idée ? Réfléchis un peu. Que m’as-tu dit tout à l’heure en découvrant la neige ?

    – Que le laitier ne pourrait pas arriver jusque chez nous.

    – C’est exact. Cependant, les vaches ignorant les caprices ou les tourments du temps et des hommes continuent de produire. Et à ton avis, que ferez-vous de toutes les traites ?

    – Je vois où tu veux en venir. En premier lieu, nourrir les bêtes et avec le reste, le faire bouillir pour récolter la crème. Tu cherches donc à me laisser comprendre que je vais devoir baratter toute la journée ?

    – Tu préfères aller dans les champs ?

    – Je ne sais même pas s’ils existent encore ! Bon, je vais commencer à déblayer le chemin qui mène aux bâtiments.

    – Tu vois, sans que personne ne t’ait prié de le faire, tu prends seul les directives indispensables à la survie de la communauté. Cela se nomme la solidarité, mon garçon.

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  • PROMESSE DE NOËL– Fernande, viens donc t’asseoir un instant près de moi. J’aimerais que nous discutions un peu.

    – De quoi veux-tu que nous parlions, maman ; cela ne peut pas attendre ? J’ai tant de choses à faire et certaines déjà en route, que je n’ai guère le temps de papoter. Regarde, je dois finir le pull de Diana, la robe de sa sœur et le deux pièces de la boulangère qu’elle réclame absolument pour Noël.

    – Eh ! Bien, prends ton tricot, et pose-toi là.

    – Qu’as-tu donc de si important à me confier, que ça ne puisse pas attendre ?

    – C’est au sujet du jeune Robert.

    – Quoi, encore lui ! C’est un comble, il n’est jamais à la maison, mais on dirait qu’il en occupe en permanence tout l’espace. Tu n’as pas d’autres sujets dont tu pourrais m’entretenir ?

    – Tu vois, comme tu es, à peine prononçons-nous son nom, que déjà tu te braques contre lui. Pourrais-tu me dire d’où tu tiens tant de haine à son endroit ?

    – Mais enfin ; d’où sors-tu que je nourris de l’animosité envers quelqu’un ? Il n’est jamais dans mes jambes ; donc, il ne me gêne pas.

    – Pourtant, toi et ta sœur ne lui montrez jamais votre bonne volonté. Cela vous coûterait-il d’avoir un peu de tendresse pour lui ?

    – Il n’en a guère pour nous, il me semble !

    – Précisément, il ne vous rend pas vos sourires, puisque vous ne lui en adressez jamais. Il vous rembourse votre dû, c’est-à-dire votre indifférence. Il me semble que vous pourriez faire un petit effort. Après tout, personne ne te l’a imposé ; c’est bien toi qui es allé le chercher, non ? De plus, on te paie pour l’élever, ainsi que les autres.

    Ah ! Voilà les grands mots ! Bien entendu que je reçois de l’argent, mais je ne le vole pas ! Je ne les prive pas de quoi que ce soit. Mais que veux-tu, avec lui, ça ne passe pas.

    – Alors, rends-le, plutôt que de le transformer en malheureux.

    – Parce que tu crois qu’il l’est, sans doute ? Je vais te dire, ce qu’il est. C’est un gosse indépendant. Il ne parle pas, n’exprime jamais rien, et a toujours l’air de se ficher du tiers comme du quart. Quand il est au milieu de nous, je me demande même s’il nous aperçoit. Mon sentiment, c’est que je crains pour son avenir s’il persiste dans cette voie.

    – Vois-tu, Fernande, je crois le contraire de toi. Comme vous ne lui adressez pas la parole, il n’a rien à vous dire non plus et c’est bien naturel. Tiens, si d’aventure il venait à vous raconter son existence, lui répondrais-tu ?

    – Pour lui parler de quoi ? Je ne sais pas ce qu’il pense. Et puis, ses histoires ne nous intéressent pas, aussi bien ma sœur que moi. Parfois, je me demande s’il ne s’est pas inventé une autre vie.

    – Comme tu le connais mal, ma pauvre Fernande ! À moi, il se confie et m’informe de tous ses faits et gestes. Ses rencontres avec les gens du dehors et les échanges qu’ils ont ensemble. Il me dit son admiration pour la nature dans laquelle il passe le plus clair de son temps, il est vrai. Je comprends qu’elle lui apprend tout ce dont nous sommes incapables de lui démontrer.

    – Pourquoi me racontes-tu tout cela ? Dois-je te rappeler que nous deux, nous n’avons guère parlé, quand j’étais enfant ?

    – Tu as raison, je le reconnais. Mais les époques étaient différentes et la vie a pris un malin plaisir à nous diviser au lieu de nous réunir. Cependant, je n’ai jamais manqué l’occasion de te rendre heureuse, à tout le moins en fonction de mes maigres moyens. Si je ne t’ai pas montré plus d’amour, c’est que moi-même je n’en avais pas reçu. Comment aurais-je pu inventer un sentiment qui m’était étranger ?

    – Maman, ce que tu dis me fait sourire, finalement. Je devine à travers tes réflexions que tu voudrais que je sois la personne que tu n’as jamais été pour moi. C’est un peu fort, quand même ! M’as-tu appris toutes ces émotions dont tu parles ? J’ai vécu dans ton ombre, ne comprenant pas que si je faisais un pas de côté, je me serais retrouvée à la lumière. Tu ne fus pas une mauvaise mère, je te rassure. Cependant, bien que présente, tu fus toujours absente. Même près, tu demeurais loin. En fait, je n’oublierai jamais ton regard. Te le tenais bas, comme si tu étais en faute. Tu observais ton entourage comme un prisonnier qui cherche le moment propice pour s’évader. Hélas, tu n’as jamais quitté le personnage qui avait tant d’emprise sur toi ; ton moi profond, maman. Et je ne suis pas différente de toi. Tu m’as toujours fait comprendre que les chiens ne faisaient pas des chats, n’est-ce pas ? Je suis presque désolée de te dire que c’est vrai ! Voilà, où nous a conduits le Robert.

    – Oui, il est finalement très fort ; bien qu’il soit absent, il a trouvé le moyen de nous rapprocher, à défaut de nous réunir complètement. Cependant, il faudra réfléchir à la manière de le faire, et surtout, ne pas attendre qu’il soit trop tard. Nous ne devons pas prendre l’allure d’un arbre qui a laissé partir toutes ses feuilles, alors qu’il ignore s’il reverra celles qui sont vertes.

    – Maman, je veux bien faire des efforts, comprenant que nous avons perdu beaucoup trop de temps. Mais ne m’oblige pas à devenir quelqu’un d’autre. Concernant le Robert, bientôt il sera placé, donc nous ne l’aurons plus sous notre responsabilité. Pourquoi nourrir des sentiments qui sont appelés à disparaître ?

    – Je serais heureuse si au moins nous pouvions passer un Noël tous ensemble. Nous n’avons pas besoin de dizaines de cadeaux. Concernant Robert, si tu t’approches de lui en lui souhaitant une bonne fête et l’embrassant de façon qu’il devine ta sincérité, ce sera, à n’en pas douter, le plus beau présent que tu puisses lui faire. Allons, ma fille ; j’attends ta promesse et surtout fais en sorte qu’elle n’ait pas l’accent d’un reproche ni d’un regret.

     

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