• BALLADE AMAZONIENNE  2/2— Après avoir transpiré copieusement dans les premiers sentiers balisés, vous voilà presque prêt à affronter la forêt. Attention, elle ne nous a jamais attendus et ne comptez pas sur elle pour vous donner des informations. Il vous appartient de chercher, fouiller, dénicher. Mais ne faites rien qui pourrait laisser deviner votre passage. Lorsque nous nous enfonçons sous son couvert, elle nous fait comprendre avec honnêteté qu’elle met à notre service ses trésors, mais que seuls nos yeux ont le droit et l’avantage de les inventorier dans le plus grand recueillement. Je vous rassure tout de suite. Vous n’éclaircirez guère de nouvelles énigmes, mais nous nous apercevrons rapidement qu’en fait de richesse, c’est elle qui en est le plus beau joyau.

    Une aventure, pour qu’elle soit une réussite, demande une bonne préparation. Prenez toujours plus de vivres que de jours prévus à explorer une infime partie de l’Amazonie. Elle ignore les mathématiques et vous entraînera vite dans sa manière d’évoluer dans le temps sans en compter les jours. Dès l’instant où la végétation de la lisère refermera ses feuilles sur votre silhouette, rien de ce que vous allez découvrir ressemblera à ce que vous avez déjà vécu précédemment. Vous traverserez des zones où le jour et la nuit ont presque la même couleur. On croirait qu’elles se tiennent par la main qu’elles n’ont jamais osé relâcher. Mais avant d’arriver là, vérifier une dernière fois votre bagage. La pharmacie occupe une place importante dans votre sac à dos. Vous privilégierez des pommades pour adoucir les piqûres d’insectes, un répulsif pour les moustiques, du sparadrap, une lotion désinfectante au cas où vous blesseriez et une pommade pour soigner les mycoses provoquées par l’humidité et le frottement des habits sur la peau, et éventuellement, un aspi-venins. La machette est indispensable ainsi qu’une boussole en état de fonctionnement. Si vous ne savez pas avec précision où vous allez, un topofil est recommandé. Il vous indiquera le nombre de kilomètres parcourus et tracera votre sentier sans que vous vous fatiguiez à donner du coupe-coupe à tort et à travers, vous épuisant sans pour autant retrouver votre chemin.

    Il faut se rappeler que la progression sous la forêt profonde est très lente. Sept kilomètres dans la journée sont envisageables si vous ne rencontrez pas de gros obstacles. Avant le départ, prenez soin de bien étudier votre déplacement sur la carte. Prenez des repères, car sur le terrain rien ne ressemblera à vos relevés. Les briquets sont à préférer aux allumettes qui ne fonctionneraient pas dans l’humidité de la sylve. N’oubliez pas de vous munir également de bougies que vous fractionnez pour démarrer votre feu au bivouac. Votre choix se portera sur le hamac du type militaire. Il est léger et comporte une moustiquaire. Pensez à emporter quelques cordes, des fils solides pour la pêche, montés avec des bas de lignes en acier. Vous comprendrez vite pourquoi tant de précautions en voyant les dents non pas de la mer, mais des hôtes des criques et rivières. Le fusil n’est pas indispensable, sauf si vous avez déjà une expérience de la forêt. Vous ne rencontrerez pas beaucoup de gibier. Non pas qu’il soit disparu, mais parce qu’il est surtout actif la nuit. Au sol, vous ne serez pas surpris de ne pas y découvrir une vie extravagante. C’est dans la canopée que résident les oiseaux et les prédateurs. Quelques singes viendront sans doute voir ce que vous faites et vous perdrez un temps fou à prendre plaisir à les regarder évoluer. Outre la machette, un couteau de survie est souhaitable. Une gourde est indispensable. Sous la forêt, il n’y a pas de soleil, mais vous transpirerez abondamment dans la moiteur ambiante. Vous pourrez la remplir à chaque halte près d’un cours d’eau. Votre bivouac pour la soirée se préparera dès seize heures, la nuit tombant rapidement. Si vous décidez de rester dans un lieu qui a votre préférence, montez avec beaucoup de précautions votre campement. Veillez à le dresser dans une zone où les arbres vous paraissent solides. Couper des troncs légers pour vous confectionner une table et un banc. Pour lier les bois entre eux, vous avez à votre disposition de nombreuses lianes. Si vous avez pris soin d’emporter une toile imperméable, elle fera le toit de votre carbet de passage, vous évitant à couvrir votre charpente avec une multitude de feuilles de palmiers. Tendez votre hamac assez haut au-dessus du sol. Si vous avez choisi la berge d’une rivière, repérez sur la végétation les traces des marées, afin de ne pas vous réveiller sur les flots.

    Une fois en place, mettez-vous en quête de bois pour le feu. Il vous faudra écorcer quelques branches, et les réduire en fines lamelles pour que votre foyer démarre rapidement. Vous aurez soin de l’alimenter pour la nuit, tenant éloignés les visiteurs indésirables. La première vous ne dormirez pas beaucoup, sans doute, à l’affût de tous les bruits dont vous ne connaissez pas les auteurs. Rassurez-vous ;  contrairement aux idées reçues, il n’y a pas beaucoup de danger à demeurer au milieu de ce que vous ne nommerez nulle part, alors qu’en fait vous serez au centre de la plus belle chose qui existe, la vie dans la plus grande simplicité, vous offrant ses cadeaux.

    Je vous souhaite un bon voyage ; et si vous passez par chez nous…

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                                                                      FIN


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    — On nous demande souvent des précisions sur l’immense sylve, ainsi que la façon de la pratiquer, sans avoir à combattre tous les dangers qui pourraient se présenter au visiteur, auquel on a déjà tant dit, surtout les éléments contraires à la vérité.

    Pour éviter les déceptions en tous genres, il est primordial d’aller se renseigner auprès de ceux qui sont rompus à la vie en forêt, mais également de ne pas hésiter à aller à la rencontre des locaux qui se font un plaisir de vous révéler quelques secrets sur les spécificités de la région. Trop de voyageurs sont partis en direction de la cathédrale verte dès leur descente d’avion, en ignorant les conseils des uns ou des autres. Ne pensez pas que nous allions en brousse la fleur au fusil.

    Une précision qui a son importance ; essayez de ne pas collecter des informations dans les bars. Il s’y attarde généralement de drôles d’aventuriers qui n’ont pas eux-mêmes pratiqué la forêt, mais qui s’attribuent les récits de ceux qui en vivent. Durant des heures, ils vous diront des histoires dans lesquelles ils apparaissent des héros, alors que ce sont d’autres personnes qui connurent des galères. Il faut aussi vous enlever de l’idée qu’il y a des « bêtes » cachées derrière chaque tronc d’arbre. Certes, il y en a, mais le nouveau marcheur en vérité ne verra pas grand-chose, ne sachant pas où poser son regard. Il faut comprendre que chaque hôte a un territoire, et qu’en aucun lieu, ne pullulent les serpents ni des araignées géantes. En fait, l’animal le plus dangereux chez nous, c’est l’homme, cet éternel prétentieux qui pense que le monde lui appartient.

    Pour une courte ballade ne dépassant pas la journée, il est parfaitement inutile de vous charger « comme une mule ». Une bonne paire de chaussures sont suffisantes, un sac à dos contenant l’eau qui vous désaltérera, une pharmacie sommaire, pour le cas où quelques épineux vous auraient arraché des souvenirs de peau tendre et fragile. Le coupe-coupe est un précieux auxiliaire pour trancher quelques lianes qui pourraient ralentir votre marche. Pas très loin de la capitale, des sentiers balisés ont été aménagés afin d’offrir aux amoureux de la nature, l’environnement dans un plus grand confort. C’est aussi une excellente école pour apprendre la forêt et ses pièges. Il ne faut surtout pas oublier que sous les bois, la nuit est vite installée, alors que le soleil n’est pas encore couché.

    Il est également fortement conseillé de sortir de dessous les couverts à dix-sept heures ; au maximum est une sage précaution. La prudence recommandera au marcheur-découvreur de ne pas quitter le layon balisé. Sous la sylve, les repaires sont quasiment inexistants. Ne vous attendez pas à trouver de la mousse sur les troncs d’arbres, pouvant vous indiquer le nord, ici, elle fait tout le tour du végétal dans les milieux humides.

    Sur la côte et jusqu’au proche intérieur, vous prendrez soin de vous renseigner sur les heures des marées. Elles influencent le cours des criques et petites rivières qui peuvent vous induire en erreur. Ainsi vous apercevez-vous qu’au matin elles coulaient dans un sens, alors que le soir elles vont dans un autre. Pas évident de rejoindre l’océan dans ces conditions. ! Tout se ressemble, dis-je, et n’espérez pas sur un clocher à l’horizon pour entendre un quelconque angélus. Il ne vous faudra pas non plus compter sur le soleil pour vous repérer. Sauf dans les chablis, il ne pénètre quasiment pas. Avant de partir, si vous êtes seuls, toujours informer quelqu’un de votre entourage. Si vous veniez à vous perdre, pas d’affolement. Éviter de tourner en rond, car vous ne feriez que vous éloigner de votre point de repère. Choisissez plutôt le pied d’un arbre pour vous apprêter à passer la nuit. Les bougies que vous aurez pris soin d’emporter vous seront d’une grande utilité pour allumer un feu. C’est quand les flammes danseront joyeusement que vous vous féliciterez d’avoir eu l’idée de prendre un en-cas, que vous économiserez si vous pensez demeurer plus longtemps que prévu. Vous serez attentif aux divers bruits afin d’entendre les appels de ceux qui sont partis à votre secours.

    Pour une ballade d’une journée, vous serez sans doute vite retrouvé. Pour aider les gens qui sont à votre recherche, régulièrement vous frapperez avec le dos de votre machette sur un tronc creux que vous aurez préalablement repéré, ou d’immenses contre forts qui amplifieront les sons. Respectant ces quelques données, vous comprendrez que la découverte du milieu amazonien reste un plaisir et vous serez surpris de constater que vous n’attendez qu’une prochaine occasion pour y retourner afin de mieux regarder tous les éléments qui ont échappé à vos premières observations. Chez nous voyez-vous, il ne se passe jamais un instant sans qu’une chose nouvelle s’offre à celui qui sait la contempler. (À suivre)

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  • – Le privilège de l’âge réside dans le fait que lorsque cela nous fait plaisir, nous pouvons ouvrir notre grand livre d’images que notre mémoire entretient et feuillette pour nous. Qu’il est agréable de se reposer sous la galerie, de s’étendre dans le hamac et de fermer les yeux ! Sans que nous les sollicitions, les souvenirs se bousculent au balcon de notre esprit. Chacun d’eux voudrait occuper la meilleure place, revoir la lumière dans laquelle ils sont nés, et vivre toute une vie en l’espace d’une journée. Avec le recul du temps, nous découvrons que certaines cartes postales sont jaunies, comme si la brume matinale s’y était incrustée à demeure. D’autres ont gardé leurs couleurs, comme la fleur ayant fini sa croissance entre les pages d’un livre. Parmi les moments les plus délicieux, il en est un qui a marqué ma jeunesse à tout jamais. Les événements débutaient alors que les ténèbres étaient encore installées sur le village et ses environs. Du fait que mon travail réclamait ma présence au milieu de la nuit, je recevais la respiration de notre campagne comme un cadeau. J’aimais reconnaître les bruits et les odeurs, sachant mieux que quiconque de quel quartier ils venaient, de la rue, et parfois aussi de quelle maison ils s’échappaient. Mon poste se trouvait sur une colline, et à mes pieds, le bourg endormi sortait lentement de son engourdissement. Comme pour saluer le retour à la vie, les chiens à la chaîne avertissaient ceux qui étaient éloignés que la nature reprenait ses droits. Dans les étables proches, les bêtes tiraient sur leurs longes en meuglant, tandis que dans leurs boxes, les chevaux grattaient la litière comme s’ils étaient impatients de partir devant la charrue ou un tombereau. À les entendre, on se demandait s’ils étaient rentrés vraiment fatigués la veille. Les vaches attendaient la traite, les brebis et les chèvres réclamaient une ration fraiche. Déjà, dans les cours, les sabots raclaient les pavés disjoints. Je ne pouvais pas me tromper. Les anciens traînaient les pieds, alors que les jeunes frappaient le sol comme pour remettre les matériaux à leur place. Les cheminées crachaient leurs volutes de fumée qui refusaient de rejoindre le ciel encore trop sombre. Sans surprises, les premiers reproches adressés aux enfants résonnaient dans les grandes salles des fermes. Il était question de savoir qui iraient puiser l’eau pour la marmite dans laquelle cuirait la pâtée des cochons.

    Je me demandais pourquoi chez les hommes, il n’existait pas de matins calmes, où chacun aurait un mot gentil pour l’autre, un sourire ou un geste affectueux. Dans nos contrées, on ne parlait pas à voix basse. Les lourdes portes étaient ouvertes et fermées dans un grand fracas. Les premiers levés se précipitaient vers le fond du jardin, où les attendait le cabinet d’aisances, dernier refuge des rêves inachevés. Peu de temps après, on entendait quelqu’un se plaindre que cet endroit appartenait à tous et que personne ne devait y finir sa nuit. Le scieur était le premier à traverser le village avec son attelage tirant le fardier. En passant devant la forge, si le feu était assez rouge, il s’y arrêtait quelques fois, pour changer un fer aux sabots d’un cheval. Il s’en suivait des échanges de souvenirs des journées précédentes, alors que déjà, sur l’enclume, résonnaient le lourd marteau.

    De la boulangerie, les bruits du pétrin indiquaient que la seconde fournée était en préparation, alors que l’odeur de la première se répandait dans le bourg, comme pour informer la population que le pain était à sa disposition.

    Du côté de la laiterie, les moteurs emplissaient l’air de leurs vrombissements. C’était l’heure de la tournée. Des dizaines de camionnettes allaient sillonner les chemins de campagne, récolter le produit de la traite de la veille et celle du matin. Dans leurs véhicules, les bidons s’entrechoquaient sans ménagement, ce qui avait pour effet de réveiller les derniers endormis.

    Dans les rues, les lève-tôt se pressaient déjà vers la boulangerie ou l’épicerie. Les écoliers les plus éloignés, cartables sur le dos, prenaient la direction du village. Ils finissaient d’engloutir les reliefs du petit déjeuner, tandis que dans le sac, celui de midi voisinait avec les leçons et les devoirs, inscrivant ici et là, quelques traces de graisse, qui faisaient comme de nouveaux pays sur le livre de géographie. La communale était à plusieurs kilomètres, mais ils ne se pressaient pas pour autant. Ils musardaient par les chemins, chapardant quelques fruits ou légumes, ou des baies sur les buissons, à la belle saison.

    Soudain, faisant suite au carillon de l’horloge, le sacristain sonnait l’angélus. Il n’y avait plus de doute possible. La religion avait aussi son mot à dire dans ce concert de lever du jour, alors que les premiers oiseaux joignaient leurs trilles à cette ambiance.

    Cela peut paraître anodin, que l’on puisse aimer ces moments particuliers. Cependant, je les ressentais comme des récompenses ; mieux, ils étaient des instants de bonheur volés au temps. Si je les évoque en ce jour, c’est bien qu’ils sont profondément inscrits dans ma mémoire, et qu’ils se représenteront autant de fois que je le souhaiterais, car tous ces bruits et ses saveurs me confirment que j’ai vécu une époque heureuse, alors qu’aujourd’hui, dans nos villes, plus rien ne ressemble à ces instants d’intenses émotions.

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  • Bien qu’avançant dans les siècles, on ne peut renier

    Ceux d’antan qui furent le berceau de notre jeunesse

    Alors que ma commune fut le premier grenier

    Des épices exotiques, dites d’extrêmes finesses

     

    De Roura, je vous parle, vous l’aurez deviné

    Assis dans un écrin que vient lécher le fleuve

    Il a au fil du temps, les berges, redessinées

    Où il fait toujours bon, qu’il vente ou qu’il y pleuve

     

    Le clocher de l’église dans le fleuve s’y mire

    Les canots s’écartent pour, son reflet ne pas troubler

    Tandis qu’à quelques pas, l’arbre lui offre la myrrhe

    Fumant dans l’encensoir, les âmes elle fait rassembler

     

    Roura mon village, est adossé à la forêt

    Sans compter, elle offre la plus grande part de la vie

    La nature l’ayant de mille essences arborée

    À son grand festin, les villageois elle convie

     

    Sur la place, les manguiers nous offrent leurs ramures

    Dans lesquelles l’alizé aime à s’y amuser

    Le vent se transformant alors en doux murmures

    Une pareille musique, on ne sait refuser

     

    Devant chaque maison est suspendue une cage

    Les oiseaux du temps en assument l’arbitrage

    Infatigables, ils joignent leur musique à celle du vent

    Ils profitent du jour dès le soleil levant

     

    Le Roura de mon temps n’a qu’un seul commerce

    Les nouvelles du jour s’y mêlent sans façon

    C’est le meilleur endroit où la joie se déverse

    On aime quand le jour y joue au limaçon

     

    C’était le temps où le fleuve en était le chemin

    Le bac et les pirogues épousaient son destin

    Les tambours roulaient, des chants reprenant les refrains

    Quand le soir à Roura embaumait le jasmin

     

    Mon village Roura possède deux chemins

    L’un roule son long sillon d’argent vers l’océan

    L’autre au dégrad le rejoint et mêle son destin

    Le premier faisant du second son suppléant

     

    Roura a conjugué la vie à tous les temps

    Son passé, on vous le dira, ne fut pas simple

    Même si de la main, certains vont l’époussetant

    Vous disant qu’il est temps de changer de complainte

     

    N’en doutez pas, l’âme de mon village est guyanaise

    Même si un temps, on songea à changer les hommes

    De la terre, on admit qu’elle était Rouranaise

    Combien même des balatas on en tira la gomme

     

    Musardant sous les bois, surtout tendez l’oreille

    Vous serez sans doute surpris d’y entendre des voix

    Elles sont celles des esclaves qui jamais ne sommeillent

    Bien que sans méchanceté, au passé vous renvoie

     

    Gabriel vous dira qu’ils vécurent la souffrance

    Car pour manger, le maître prenait soin du bétail

    Alors que des hommes on ruinait leurs espérances

    Leur vie n’a jamais été autre chose qu’un détail

     

    À l’image de son fleuve qui ne s’arrête jamais

    Car refuser le temps, c’est piétiner le présent

    Entouré d’eau, Roura osa, roi, se proclamer

    Puis fit disparaître les privilèges, les annexant

     

    Connaissez-vous d’autres fleuves portant tant de noms

    Orapu, Oyak, Mahury, sont là tous ses titres

    Et ne croyez pas que ce sont là des surnoms

    Demandez aux anciens ; ils en connaissent un chapitre

     

    Ainsi vit Roura, entre fleuve et forêt

    Choyant ses anciens, un œil sur la modernité

    Car demain sera tout autre, ils l’ont subodoré

    Pareil au fleuve qui vers sa source n’est pas remonté.

     

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  • SONGE D’UNE NUIT AGITÉE– Cette nuit, mon ange, j’ai fait un rêve étrange. Oh ! Je t’entends me dire qu’ils le sont tous et que c’est pour cette raison, alors que le jour frappe à la fenêtre, ils en profitent pour disparaître. C’est vrai, pour la plupart, tels ceux qui nous conduisent vers des pays jusque là inconnus et dont le nom n’est inscrit en aucun endroit. Les gens y demeurent dans l’ombre, les arbres ne bruissent pas, les rues sont souvent vides. Quand on s’approche des maisons, on ne surprend personne à échanger la moindre parole, ni de rires, pas plus que le babillage des enfants. Dans le ciel, aucun oiseau ne trace d’arabesque, et sous la forêt il ne s’y passe jamais rien.

    Celui que je fis en ton absence est différent, et à la limite de la réalité. Nous étions en une région particulière. La campagne était tapissée de mousse délicate, dans laquelle tes pas prenaient la forme de cœurs. Dans chacun d’eux, des lettres formaient des mots d’amour. Je ne pouvais me tromper de personnage. Tu ne ressembles à personne, et ceux qui désirent t’imiter ne réussissent à faire que de pâles copies. Tu sais, je les vois tourner autour de toi ; elles cherchent à te dérober ton aura, veulent y pénétrer pour s’imprégner de la moindre parcelle de ton image. Mais elles ignorent que l’on n’envie pas impunément le destin des autres. Nous avons chacun le nôtre ; essayer de le modifier a pour effet de nous transformer en orphelins du temps. Mieux que personne, tu sais adapter ce dernier à ton individualité. Tu le traverses avec une légèreté dont on ne connaît pas qui t’en a revêtue. Dans l’espace, tu n’y marches pas comme le commun des mortels. Sans ne jamais faire aucun effort, tu voles au-dessus des choses. Tu effleures la lumière qui en profite pour ajouter quelques paillettes afin de te rendre plus éclatante. Oui, voilà l’une des différences d’avec les demoiselles que l’on croise dans les villes. Quand l’amour t’habille de sa tendresse, tu te transformes en une étoile merveilleuse qui brille même en plein jour, tandis que les autres ne reçoivent que de la poussière d’astres douteux, éteints depuis des millénaires. D’or et de diamants, tes yeux sont habités, de sorte que lorsque je plonge les miens dans les tiens, j’ai le sentiment de voguer dans la plus grande mer océane que le créateur n’a jamais imaginée.

    Mes songes nocturnes nous avaient accueillis, en un milieu enluminé de fleurs de toutes variétés. Tandis que je te priais de t’allonger sur ce tapis, j’ai remarqué que sur leurs hampes hautes perchées, certaines s’exclamaient devant tant de beauté. De jalousie, je n’ai pas ressenti. De l’émerveillement, oui. J’en surpris quelques-unes se rapprocher de leurs voisines, et calices contre corolle, s’échanger des mots et des sourires. Elles venaient de te reconnaître pour l’une des leurs, peut-être même pour leur princesse. Quelle fierté j’ai éprouvée à cette pensée que tu fus la plus radieuse d’entre toutes ! C’est alors que je me fis bourdon pour t’honorer, et le ciel est témoin, que de ma vie, jamais, je n’avais dégusté une aussi bonne gelée royale. Comme les abeilles butineuses, je ne me rassasiais pas du miel que généreusement tu m’offrais.

    C’est alors que l’idée me vint de ne plus jamais te quitter. J’inspectais les environs à la recherche d’un tronc creux pour y construire notre nid. Depuis ma nouvelle demeure, j’aurai ainsi toujours un œil sur ma petite fleur pétillante sous les caresses du soleil que je devine jaloux. Il a beau se croire le maître du ciel, déployer mille rayons pour séduire autant de cœurs, il n’aura jamais ce que tu m’as offert, je veux dire les secrets de ton âme. C’est comme si tu m’avais permis de feuilleter les saisons que tu as traversées, sans rien oublier des merveilleux moments. Dans tes souvenirs, j’ai trouvé ceux de quelques-uns de mes congénères, des écailles de papillons venus s’abreuver et se restaurer avant le grand voyage, mais des résidantes des ruches alignées à l’orée du bois, je n’ai rien découvert. Je crois qu’au contraire de moi, elles ne déposent pas un peu de tendresse avant de te voler le meilleur. Sont-elles idiotes à ce point de prendre sans rien donner ? Je comprends maintenant pourquoi tu sembles si triste, les pétales tournés vers le sol, comme si tu cherchais à laisser choir quelques vieilles traces inutiles, car sans signature.

    Oh ! Ma chère petite fleur, je voudrais être un alchimiste pour faire en sorte que jamais tu ne disparaisses, et que la saison oublieuse qui rend le monde léthargique nous voit enlacés caché dans notre nid d’amour. À l’abri des intempéries, je te raconterai la vie, tandis que tu dégusteras le nectar que j’aurais mis de côté à ton intention, afin que chaque matin nous trouve heureux comme au premier jour.

    – Soudain, un bras vigoureux me secoue, et une voix en colère me demande si je pense rester rêver encore longtemps. Le jour était rentré jusqu’au fond de la maison. J’eus beau regarder en tous sens, je ne t’y vis point. On venait de me ravir ma fleur. De mauvais cœur, j’abandonnais mes songes pour prendre ma hache et me diriger vers la forêt, où m’attendaient mes travaux.

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