• La révolte des palétuviers

    — Qui n’a pas entendu la complainte des palétuviers dans le couchant entre deux assauts de l’océan ne pourra pas comprendre les cris de détresse de ces arbres étranges, tellement différents des autres. Ils sont souvent décriés et incompris. Leurs formes étonnent, leur position à mi-chemin entre la terre ferme et la mer a de quoi alimenter mille questions.

    Pourtant, à l’origine, la nature l’a voulu ainsi pour préserver les côtes fragiles. Le temps passa et l’on oublia les bienfaits des mangroves et leurs raisons d’être. Alors, si un soir vous naviguez le long de cette muraille verte, impénétrable et d’apparence hostile, amenez la voile, glissez lentement et écoutez avec attention. Vous n’aurez pas longtemps à attendre pour entendre quelque chose qui ressemble à cela :

    — Mes amis, je vous demande un instant d’attention, lance dans le calme de l’étale le plus vieux palétuvier rouge de la mangrove sous le vent. J’invite les sujets éloignés à se hausser sur leurs racines et les plus jeunes, montez sur vos échasses. L’instant est assez grave pour que vous m’écoutiez de vos feuilles grandes ouvertes. Notre situation ne peut plus durer. Voilà des siècles que nous sommes bloqués entre la forêt qui nous refoule vers l’océan qui lui, nous rejette à la côte. Il m’a semblé comprendre que les hommes qualifient cette situation « être entre le marteau et l’enclume »

    Je vous pose la question suivante : est-ce bien là, cette situation que l’on appelle la vie ? Notre destinée est-elle d’avoir les pieds dans la mer et la tête au soleil toute notre existence jusqu’au dernier soir où, vaincus, nous nous affalerons dans la vase ? Je ne connais aucune autre variété végétale qui serait assez sotte pour envier notre place, croyez-moi ! C’est pourquoi en ce jour je crie de tous mes pores : assez !

    Pourquoi ne connaîtrions-nous pas nous aussi, les plaisirs du couvert de la haute forêt, le murmure de l’eau claire des criques coulant leur joie de vivre de rochers en sauts apportant, depuis leurs sources lointaines, les nouvelles et les senteurs du pays ? Pour nous les amis, je rêve de ces lieux ombragés où nos racines se réuniraient dans un sol profond et riche et où la terre se blottirait contre elles pour leur raconter les secrets de son avènement.

    Oui, adieu flots vengeurs qui sans cesse sur nous viennent fracasser leur trop-plein d’amertume ! Chaque jour qui se lève sur nos têtes, lors de chaque marée, sans relâche, ils agressent nos troncs innocents, comme s’ils cherchaient à se venger de l’interdiction qui leur est faite d’accéder au continent. Je pourrai vous conter la triste fin de centaines d’entre nous, vaincus, partant à la dérive avant de revenir poussés par la vague. C’est alors qu’ils sont jetés sur les rochers, agonisants, avant d’être écorchés par le flux et le reflux.

    Que la douleur en moi est grande lorsque j’assiste, impuissant, aux gémissements et aux craquements qui durent des heures interminables alors que la vague continue son travail destructeur. Il est désormais insoutenable de voir ces branches décharnées s’agitant dans les flots, sans que l’on ne puisse jamais, leur porter secours. Nous aimerions tant qu’elles entendent nos mots qui les soulageraient !

    Mes amis, une bonne fois pour toutes je vous demande de dire non ! Refusons d’être les objets du destin alors que le bonheur est à portée de branches. Je ne veux plus subir et j’aimerais qu’ensemble nous connaissions la douceur des caresses d’oiseaux en nos ramures construisant leurs nids. Je voudrai en finir avec ces racines qui ressemblent à des échasses pour n’avoir que d’élégants pneumatophores sur lesquels le temps glisserait et accumulerait des images et des souvenirs merveilleux.

    J’aimerai écouter vivre la forêt pour le restant de ma vie, l’entendre rire et chanter, sentir les parfums de milliers de fleurs invisibles appelant les abeilles et les papillons et écouter le murmure du vent dans les houppiers. Je vais vous avouer un secret. Rien ne me ferait plus plaisir que de ne plus entendre les appels de détresse de ces malheureux naufragés dont la pirogue hasardeuse s’aventura en notre milieu, sans savoir que notre domaine est un piège dont on ne ressort jamais.

    Que ceux qui pensent comme moi me suivent ! Je vous promets qu’un jour l’histoire retiendra la révolte des palétuviers et qui sait, quelque part sur la terre, un savant se penchera sur notre condition et nous réhabilitera aux yeux du monde. Car, bien que nombreux sont les hommes qui l’ignorent, je maintiens que nous sommes aussi la plus grande nurserie du continent ! À notre manière, nous participons à la naissance de nombreuses espèces et nous sommes fiers d’être en cela, les garants de la vie.

    Amazone. Solitude.

     

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  • Les malles d'une vie


    — Qu’elle était belle cette époque qui me permettait de remonter le temps chaque fin de semaine ! C’était presque devenu un rituel qui ne trompait personne tant chacun y prenait du plaisir faisant semblant d’ignorer ce que les aînés cherchaient à faire comprendre à mots couverts, par crainte de trop se découvrir.

    D’abord, il y avait la joie jamais dissimulée de la grand-mère quand elle accueillait les enfants et les petits enfants. Son visage s’éclairait de lueurs nouvelles, comme le ciel après la pluie qui n’a pas son pareil pour mettre en valeur les éléments un moment disparus sous l’averse. Le grand-père, lui, était plus discret et forçait le nouvel arrivant à déceler en lui les sentiments qui avaient depuis longtemps pris l’habitude de se réfugier au plus profond du personnage.

    Il était comme un volcan demeuré de longues années dans un calme absolu et qui en quelques instants devient un hymne à la colère dans laquelle se mêle le courroux, le feu d’artifice et même l’admiration, forçant le spectateur à l’émerveillement et au respect.

    En vérité, il était l’héritier de cette éducation lointaine, qui interdisait que l’on exprime, par quelques manières que ce soit, sa satisfaction ou son mécontentement. Après les retrouvailles, comme il en avait l’habitude, il dirait à son beau fils avec un regard particulier et complice qui ne trompait pas :

    — Mon cher, seriez-vous assez aimable d’aller à la remise ? Dans telle ou telle malle, vous trouverez ceci ou cela. Soyez gentil de me le ramener. Avait-il réellement besoin de l’objet en question alors que tant d’autres se trouvaient déjà à portée de main. Peu importe ; la question en forme de commandement était posée, il ne restait plus qu’à l’exécuter. Était-ce une charge pour le jeune homme, quelque chose d’ennuyeux ? Pensez donc ! En fait, le jeune se demandait même si ce n’était pas pour cette raison, qu’il venait tous les dimanches.

    Alors le cadet s’exécutait avec un plaisir qu’il n’osait extérioriser. En fait, si l’aîné ne lui avait rien demandé, c’est lui qui le lui aurait proposé. Ce n’était plus une habitude, mais un jeu et le gagnant était celui qui le premier avait posé la question. La fameuse remise était au fond du jardin et ressemblait à la caverne d’Ali-Baba, les voleurs en moins.

    Homme rigoureux et méthodique, le trésor de l’ancien était réparti en une multitude de cantines et de malles en osier d’une autre époque, dans lesquelles reposaient les trésors de toute une vie. Elles étaient presque la mémoire du vieil homme. À l’intérieur de chacune d’elle, tout était minutieusement répertorié et classé en fonction des années et des évènements.

    Si tôt le couvercle de la malle ouvert, le voyage commençait. Le jeune homme éprouvait le sentiment de parcourir les souvenirs de son beau père, en marchant dans ses pas qui, pensait-il, ne s’effaceraient jamais. Sous ses yeux, se révélaient des secrets jamais partagés ou révéler. Mais il n’y avait pas que la mémoire qui se laissait découvrir ; il y avait aussi de subtils parfums qui se dégageaient des objets parfaitement isolés dans des papiers jaunis ou des feuilles de journaux qui expliquaient au curieux qu’en un instant il avait reculé dans le temps de presque un siècle. 

    Pour le plaisir, il ouvrait plusieurs de ces précieuses malles qui avaient fait le tour de la terre, prenant ici et là des éclats de vie aux senteurs de bonheur, mais parfois aussi aux relents de souffrances. À sa façon, l’aîné avait traversé ce siècle à la manière qu’ont les héros de faire l’histoire que d’autres, un jour, écrivent en faisant parfois des erreurs, tant il est si difficile d’imaginer les sentiments quand ceux-ci refusent de paraître en plein jour ! Il ouvrait les malles l’une après l’autre à la recherche du temps passé. Ce siècle que l’homme avait traversé en étant à sa façon un héros.

    Délicatement, les objets passaient de la malle dans les mains avec pour chacun d’eux une attention particulière. Les ans n’avaient pas effacé les visages fixés sur des photos défraichies, développées par lui-même, laissant des aïeux étonnés de retrouver pour un instant la beauté de la clarté du jour. Le temps n’avait pas absorbé l’encre des manuscrits anciens rédigés sur une feuille de papier pelure avec une écriture calligraphiée forçant l’admiration du lecteur.

    Les fragrances d’une autre vie n’avaient pas été diluées non plus, se précipitant derrière les bouchons des flacons opaques, attendant qu’une main innocente les libère dans une atmosphère méconnue, mais certainement prête à être investie. L’espace ne saurait se passer de parfums qui rappellent à l’esprit vieillissant que sous toutes les latitudes il y fait bon à vivre.

    Afin de ne pas faire s’impatienter l’homme au grand cœur, le jeune homme remettait à leur place les objets avec d’infinies précautions et de profonds respects, afin de ne pas désorienter les souvenirs. Il rabaissait ensuite le couvercle de la malle, non sans un certain picotement du côté du cœur, car il avait à ce moment précis, la mauvaise impression de refermer une porte sur la vie. Il était persuadé que tous ces souvenirs ne demandaient qu’une chose : revivre les meilleurs moments de bonheur d’une époque qui s’estompait déjà dans l’esprit des plus jeunes.

     

     Amazone.Solitude


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  • Les bras de la mère

    — Le temps qui m’avait été accordé pour courir autour du monde arrivait à son terme. Ainsi en est-il du plaisir qu’il se flétrit naturellement à l’instant où les yeux semblent ne plus s’étonner de découvrir les paysages nouveaux, quand les oreilles écoutent sans jamais les comprendre, les dialectes différents, ainsi que les regards se lassant de chercher dans la nuit des astres brillants jusque là inconnus.

    Oui, aujourd’hui je puis le dire : autour de notre planète, j’ai emprunté des routes, des pistes, des chemins et des sentiers et parfois aussi des layons courant si loin dans la forêt, que je compris qu’ils fuyaient le temps qui voulait les rattraper. De jour comme de nuit, j’ai traversé des fleuves sur des bacs, en priant que les pirogues ne se séparent pas. Péniblement, j’ai escaladé des monts, roulé dans des savanes immenses dans lesquelles l’herbe s’amenuisait avec l’avancement des saisons. Dans le désert, durant des jours qui ne finissaient jamais, j’ai suivi des caravanes afin de ne pas m’égarer. J’ai connu en ces pays des étés aussi chauds que des fours, alors que dans certains autres, les hivers étaient si froids, que je voulus demeurer éveillé par crainte de ne plus me réveiller.

    Au hasard de mes pérégrinations, j’ai résidé dans des villages où les gens me regardaient avec crainte. En les observant, je compris la raison. Ils avaient si peu qu’ils ne savaient comment le partager. J’ai aussi rencontré des femmes, plus belles les unes que les autres. Leur beauté était si éclatante qu’elle rendait jalouses les fleurs qui s’épuisaient à vouloir leur ressembler. Imitant le papillon je suis allé de calices en corolles, goûter au précieux nectar de leur cœur généreux. Le mien s’est serré quand des géants de la forêt s’effondraient vaincus par la hache au milieu des leurs, indifférents, cherchant seulement à protéger leurs branches et les souvenirs qui tentaient de s’y accrocher.

    Les mers et les océans m’ont effrayé avec leurs creux si profonds, que je crus que nous leur étions désagréables et qu’ils cherchaient à engloutir nos embarcations, en jetant avec force leurs flots rageurs, sur les coques comme pour les engloutir.

    En de nombreux pays, j’ai souffert avec les hommes en guerre, comprenant que partout l’homme cherchait à s’approprier le bien des autres. Dans de trop nombreuses régions, j’ai eu faim en me joignant aux miséreux, n’ayant rien ou presque pour calmer leur appétit, tandis que l’espoir les avait abandonnés depuis longtemps.

    Souvent, quand le doute cherchait à s’insinuer en moi, je me rappelais une réflexion que l’on m’adressait lorsque j’étais enfant et qu’il me semblait alors souffrir plus que de raison.

    — Un homme ne pleure pas, me disait-on avec force persuasions !

    — Alors je n’ai pas pleuré. Mes larmes coulaient toutes seules lorsque j’étais seul et impuissant face à la misère.

    Je compris que le moment de rentrer était arrivé, parce que là où je suis passé, nulle part je n’ai rencontré de bras aussi doux que les tiens ni de mots plus tendres que ceux que tes lèvres prononçaient pour m’expliquer que l’amour ne se rencontre pas dans la rosée matinale. Il grandit en nous et il nous appartient de le cultiver et de le protéger.

    Pardonne-moi mère, si un temps je ne ressemblai pas à l’enfant que tu avais tant désiré. Je n’avais pas compris que ma place était bien à tes côtés ainsi qu’à ceux du père. Le chant que je pensais être celui des cigales pour me séduire n’était en fait que celui des chimères m’attirant dans leurs pièges. Dis-lui, mère, que le fils revient avec dans la tête plus de souffrances que de doux souvenirs. Oh ! Oui, dis-lui qu’il avait raison quand il m’expliquait que le monde n’était pas autre chose que ce que chacun possède et que pour vivre heureux il n’est pas utile d’avoir toujours le regard fixé sur l’horizon pas plus que laisser le désir de tout posséder envahir nos esprits et s’emparer de nos corps.

    J’ai gagné des connaissances, j’ai engrangé des expériences, mais en ce jour je m’aperçois que j’ai perdu des années d’incertitudes loin du berceau qui recueillit mes premiers soupirs. Oui, mes chers parents, je reviens auprès de vous, mais je sais que l’amour que je vous destine ne remplacera pas les jours qui m’ont tenu éloigné de vous, et que je redoute de trouver l’emplacement où vos larmes ont coulés tandis que le sol n’eut pas le temps de les absorber.

    Amazone. Solitude.

     

     


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    La prairie des angesDialogue imaginaire dans les brumes matinales

     

    — Pour apaiser l’angoisse qui monte en moi à l’instant où le jour va à la rencontre de la nuit, je parcours inlassablement le silence de l’aurore, à la recherche de l’incompréhensible destin qui fait que les hommes sont heureux ou malheureux. Mais l’avouerais-je ; j’aime aussi, dans l’attente improbable d’un miracle qui ferait que dans l’innocence d’un matin, il y aurait pour l’illuminer, deux soleils imaginés par un ciel complice de ma profonde consternation.

    Alors, raccrochée à l’espoir, me voilà à déambuler dans la nature, épiant les éléments qui s’y réveillent. Les feuilles me forcent à sourire quand je les vois défroisser leur limbe dans lequel elles s’étaient enroulées pour s’isoler d’une nuit trop curieuse. Elle veut tout savoir des rêves des habitants de la terre, s’empressant de les raconter aux étoiles, qui, dès les prochaines ténèbres, scintilleront de plaisir. Autour de moi, je devine les questions qui restent suspendues au bord des lèvres, mais qui, par pudeur, ont du mal à se poser.

    — Ne sors-tu pas plus tôt, ce matin ? La lune n’en a pas encore fini de raconter ses contes et légendes à la terre endormie !

    – Pareillement aux autres jours, je ne dirai rien. Comment pourrais-je expliquer que j’aime, dans l’intimité de la brume, admirer l’avènement de la fleur dernière née ? Comment leur dire l’émotion qui m’étreint lorsque je me penche sur leur corolle à la recherche d’un parfum ? Qui mieux que moi, pourrait reconnaître le tien, mon cher ange, et qui d’autre saurait trouver les mots pour expliquer qu’une naissance n’est pas qu’un simple sourire ? C’est aussi une douleur qui tourmente le corps et endort l’esprit pour l’éloigner du présent ?

    Toi, petite fleur, tu sais ce que je veux dire, car ma souffrance du premier jour fut aussi tienne, quand le dernier de tes jours est venu frapper à notre porte. Pardon de te le rappeler, mais je n’avais jamais imaginé, même dans le plus cruel des songes, qu’il me fût permis au cours de ma modeste existence de connaître les deux extrêmes. La triste expérience vécue me permet aujourd’hui de l’affirmer, la vie et la mort ont en commun la même souffrance.

    D’aucuns prétendent que les blessures sont parfois longues à se refermer, mais elles finissent toujours par guérir. Hélas ! Toi, tu le sais bien que la guérison n’efface que le vernis des jours. Les cœurs que nul ne voit continuent de saigner et de s’épuiser. Surtout lorsqu’en ma mémoire les mots et les images insistent pour me rappeler les plus beaux moments.

    Ainsi, souviens-toi mon cher ange les merveilleuses paroles que tu m’avais confiées alors que la douleur étreignait ton pauvre corps malade ; elles ressemblaient à l’espérance.

    — S’il existe bien un après la vie sur terre, disais-tu, j’aimerai qu’il ressemble à une immense prairie dans laquelle chaque matin s’épanouirait une fleur nouvelle. Sans perdre un instant, elle viendrait joindre son éclat à celui de ses amies et mêlerait ses fragrances à celles flottant au-dessus d’elles, jusqu’à rejoindre l’immensité du ciel. Un vent timide nous ferait aller les unes vers les autres.

    Grâce à lui, nous pourrions ainsi nous murmurer des mots oubliés et mieux encore, partager un peu d’amour, celui que nous avions emporté avec nous. Pour certains d’entre nous, il était blotti tout près du cœur, alors que d’autres le tenaient toujours au creux de la main, tel un magnifique bijou, afin que le voyage nous paraisse moins long. Je devine que dès l’aube les abeilles entonneront leur hommage en forme d’aubade, colportant de cœur en cœur ce que nous avons de meilleur et que nous n’avions peut-être pas su partager avec nos proches.

    Dans le jour finissant, nous refermerons nos calices afin que la nuit ne puisse lire en nos pensées. Dans les premiers rayons revenus, nous nous laisserons à nouveau caresser par la douce lumière tiède alors que les dernières brumes déposeront sur nos pétales un ultime baiser.

    Ô oui, mère ! J’aimerai être heureuse dans cette immense prairie où je suis certaine, tu viendrais de temps en temps m’y rejoindre, pour qu’ensemble nous prolongions encore notre bonheur.

     – Tu vois, mon petit ange, chaque matin je reviens dans ce monde où tu pensais éclore à l’aube de chaque saison. Il ressemble à un merveilleux parterre ponctué de mille couleurs, comme celui qui éclairait ton regard. Tu ne voulus rien exiger de la vie, qu’un sourire posé sur le monde pour en soulager la misère, disais-tu alors. Dans ton immense jardin où me conduisent mes pas, je ne sais si un jour je t’y retrouverais, car toutes les fleurs sont identiques. Te trouves-tu parmi elles, ou est-ce toi à l’infini ?  

     

    Ce dont je suis certaine maintenant, c’est que les milliers de perles délicates de la rosée s’épanchant du cœur de toutes les fleurs ne sont que des larmes accumulées dans une autre vie et qu’elles ne cesseront jamais de couler. Avec le temps qui passe, chaque jour les fleurs sont plus nombreuses et avec tristesse je n’ose traverser ta prairie, par crainte de déranger tes songes et ton bonheur.

     

    Amazone Solitude


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    LE Baiser volé— Depuis les premières heures du jour, ils étaient ensemble. Il le lui avait promis et il tint parole en se rendant dans cette ville du bord de l’océan, dans les rues de laquelle ils étaient allés au-devant de leur histoire, essayant de la lier à celle des vieilles pierres qui en avaient vu bien d’autres.

    C’est qu’un destin amoureux ne peut naître au milieu de nulle part. Il a besoin que l’on se souvienne de ses premiers espoirs, ses premiers battements du cœur qui soudainement se prend pour un torrent venant de se libérer des glaces hivernales.

    Ils étaient assis devant la mer qui venait sans cesse déposer une nouvelle vague à leurs pieds, telle une offrande. Ils se tenaient par la main, semblant absorbés par le va-et-vient de la mer qui, pensait-on, les avait hypnotisés. Elle posa sa tête sur l’épaule de celui qu’elle aimait en secret depuis si longtemps sans jamais avoir eu le courage de lui dire.

    À cet instant elle ne voulait rien d’autre qu’un peu de tendresse et au plus profond de son être, elle espérait qu’il prononcerait les paroles qui la transporteraient dans un monde merveilleux. Mais il ne disait rien, le regard posé sur un point de l’horizon. À cet instant il ne pouvait rien dire ; il goûtait seulement à ces instants de liberté volés au temps. Les premiers mots qu’il prononça ne furent pas ceux qu’elle avait attendus depuis tout ce temps.

    Elle ne put retenir ses larmes quand, presque dans un murmure il lui dit :

    — Tu vois cette ligne qui partage nos continents, bientôt je l’aurai dépassée et seul Dieu sait ce qu’il adviendra de moi.

    Elle répondit :

    — Je t’attendrais le temps qu’il faudra.

    Il la serra contre lui, mais pas de la manière qu’elle désirait. Il la rapprocha seulement à la façon qu’a un père de protéger son enfant.

    — Cela n’est pas possible petite fille, enchaîna-t-il. Je pars très loin et pour longtemps. Je ne sais pas si je reviendrai un jour et il y a autre chose qui m’interdit de t’aimer comme tu le désirerais.

    — Je ne t’ai jamais avoué que je t’aimais, osa-t-elle se défendre.  

    — Tu sais, répondit-il simplement, je ne suis pas aveugle. Il y a bien longtemps que j’ai deviné que pour toi je représentais plus qu’un ami. Je sais le mal que je puis te faire, mais crois moi, je ne suis pas encore prêt pour fonder un foyer. Il me faut encore du temps, beaucoup de temps pour comprendre les mystères de l’existence et défaire l’enchevêtrement qui noue les intrigues de ma vie.

    Il me faut savoir si sur cette terre, le bonheur existe et dans quel pays il demeure. Je veux rencontrer des gens qui aiment, qui ne connaissent pas l’amertume ni la haine. Si le bonheur est vrai, je veux le voir, le sentir et le toucher. Je veux m’assurer que j’existe au milieu de ces tourments et ce à quoi je suis destiné.

    — Mon amour, se risqua-t-elle, pourquoi veux-tu aller si loin ? Cet amour, que tu cherches et tout près de toi, mais pour l’instant il te plait de l’ignorer !

    — Non, mon amie, le bonheur d’ici n’est pas pour moi. Il s’est toujours refusé à moi, il m’a ignoré. Pire, il n’a cessé de me meurtrir au plus profond de mon être. Penses-tu que le plus beau diamant du monde garde tout son éclat en dehors de son écrin ? Crois-moi, s’il est ailleurs, je le ramènerai. Ne sois pas triste, car pour toi aussi le bonheur t’attend au détour d’un chemin. Il te rejoindra à un moment que tu ignores et j’espère qu’il sera encore plus beau que celui que tu vois dans tes rêves. Tu dois bien te douter que l’on ne peut être heureux que si l’amour est partagé ! Un seul être ne peut à lui seul aimer pour les deux. En de telles circonstances, le drame n’est jamais loin. Ce n’est pas cela que tu espères, je le sais.

    — Pour toi, ma belle enfant, j’aurai été une bouffée d’air frais venue du large pour apaiser ton cœur quand il était au plus mal, peut-être une étoile dans le ciel à laquelle tu auras accroché tes espoirs. Mais dans le matin, toutes les étoiles s’éteignent, et au soir, quand elles réapparaissent, tu ne retrouves plus celle sur laquelle tu avais posé ton regard.

    Elle comprit que la séparation était proche. Elle se jeta contre lui, ne pouvant plus retenir ses sanglots. Son corps était pareil au navire perdu dans la tempête. Alors, dans un ultime effort et sans qu’il puisse s’y opposer, elle lui vola un baiser. Un seul, se dit-elle, non pour sceller notre amour, mais pour sanctionner notre séparation.

    En son esprit, il était la plus belle chose qu’elle n’avait jamais détenue.

    — Mieux, se dit-elle, il sera un secret que jamais je ne partagerai avec quiconque. Quand, en mon esprit il fera aussi sombre que dans le ciel, il me suffira de passer la langue sur mes lèvres pour retrouver la saveur de l’amour. Il sera inoubliable, puisque ce baiser volé gardera à jamais le goût de la mer, parce que ce jour-là elle fut ma complice.

    Amazone. Solitude.

     

     


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