•  D’aucuns prétendront que remonter le temps n’est pas une chose réalisable de nos jours. Cependant, il est vrai que certains se penchent sur la question depuis des siècles, mais toujours sans la moindre réussite. Les optimistes disent : « attendons », tandis que les pessimistes leur répondront que cela n’arrivera jamais, et que c’est très bien ainsi.

    Pourtant, quand je fais l’inventaire des événements qui n’auraient jamais dû voir le jour depuis l’âge auquel j’ai commencé à m’intéresser à notre environnement, les hommes en ont créé, des instruments, des machines, et avec certains d’entre eux, ils sont même allés sur la lune, qu’ils ont, depuis, laissée loin derrière de nouveaux appareils qui explorent le cosmos. J’avoue que je ne suis pas indifférent à tous ces exploits, mais si pour l’heure, ils ne me satisfont qu’à moitié. Suis-je devenu trop exigeant ? Sans doute. Mais il y a une raison à cela. Je vais brièvement vous la confier.

    Insistant comme ils le font, je me dis qu’ils finiront bien par localiser l’endroit où se loge la marche arrière de l’existence, et dès lors cette découverte, comme d’habitude dans toutes les inventions, celle-ci nous desservira comme de nombreuses innovations avant elle. J’ignore si vous l’avez remarqué, mais chaque fois que l’on fabrique quelque chose pour la paix, ce sont les militaires qui s’emparent du chef-d’œuvre. Bref, laissons-leur la paternité de leurs trouvailles et de leurs maux de têtes et autres migraines, pour en venir à ce qui, un beau matin, m’a séduit, alors que je faisais une sieste bien méritée dans mon hamac tendu sur la terrasse.

    Cet instant avait commencé par une magnifique averse tropicale, comme seuls nos cieux savent les imaginer. Elle fut subite, bruyante, dévastatrice. Les végétaux pliaient sous les hallebardes comme s’ils demandaient pardon pour avoir osé défier les éléments. Les traits de pluie étaient serrés comme des militaires pendant un défilé en pays nouvellement conquis. Mais pour ceux d’entre vous qui sont sous notre latitude, vous avez connaissance que ce genre de phénomène disparaît aussi vite qu’il est apparu, et alors que les nuages continuent leur chemin, l’espace, soudain se fend d’un merveilleux sourire, heureux du bon tour qu’il vient de nous jouer. J’allais m’assoupir précisément à l’instant où l’arc-en-ciel s’ancra dans la forêt voisine, monta lentement, prit appui sur le tamarin, pour rejoindre le firmament. Je l’observais un moment, et c’est l’instant où mes yeux virent en lui une extraordinaire passerelle pour permettre aux habitants de notre région de partir quelques jours vers des pays où leurs rêves les conduisent parfois.

    Je ne sus comment, ni à quelle heure je tombais dans un profond sommeil ? Sans doute que le miracle de la nature agissait sur moi comme un merveilleux et puissant élixir. Toujours est-il qu’en quelques secondes, j’avais inventé la fameuse machine à remonter le temps. Elle était colorée, disposée de telle sorte que je pouvais me rendre d’un continent à l’autre à pieds secs. Je ne perdis pas une seconde, et m’élançais à la poursuite du passé. Je ne pouvais pas me tromper, car je n’étais arrivé qu’à la moitié de la mer océane quand les tambours de mes amis les griots envahirent l’espace, comme pour me guider. J’accélérais ma course, heureux d’avoir déjà parcouru plus d’un demi-siècle. À mesure que j’avançais, les couleurs de ma route s’affirmaient. Il me semblait flotter dans l’air, tant mon chemin était doux. Tout à coup, alors que j’amorçais la descente vers le pays des ancêtres, je les vis. Ils étaient là, sur une même ligne, les plus anciens devant. Chacun me fit un signe auquel je répondis par un geste de reconnaissance. Soudain, mon cœur réclama pour sortir hors de sa cage. Il résonna jusque dans mes oreilles, mon sang accélérait sa course, ma vue se brouillait. Ils étaient à quelques pas de moi, heureux de me retrouver, puisque de larges sourires illuminaient leur visage qui n’avait pas pris une ride. Vous êtes là, m’écriais-je ! Saviez-vous donc que je venais ?

    – As-tu oublié mon cher, que nous avons toujours deviné vos faits et gestes ?

    – J’avoue que parfois, dis-je alors que le feu dévorait ma figure, il m’est arrivé de douter.

    – Nous avions notre petite idée sur le sujet, car tes prières ne sont pas souvent sincères, répondit l’un des personnages dont la tenue flottait dans le vent. Mais dis-nous plutôt la raison de cette présence inattendue, et surtout, pourquoi ne vous accompagne-t-elle pas ?

    – Elle se repose, père. Elle ignore mon escapade. Mais je lui rapporterais notre rencontre. En fait, mon désir n’était pas de vous déranger ; du moins, pas maintenant. Je voulais simplement retrouver le jour merveilleux où pour la première fois, je la vis. Je n’ai jamais oublié la douceur de son regard, la chaleur de son cœur à travers ses mains lorsque je les ai serrées. Ce fut le jour où le destin me permit enfin d’être heureux. Sans rien nous dire, car l’émotion était trop forte, nous venions de comprendre que nous ne ferions qu’une seule et même personne.

    – Tu désires vraiment retrouver cet instant ?

    – Oui, père, plus que tout.

    – Ce n’est pas recommandé, me répondit-il ; mais puisque tu insistes, avance vers le massif de roses de porcelaine. Elle se trouve derrière.

    C’est alors qu’une main douce parcourut mon visage. Je ne voulus pas ouvrir les yeux, par crainte de la perdre.

    – EH ! Bien, mon ami, que t’arrive-t-il, me dit une voix que je reconnus pour être la sienne ? Où donc étais-tu, que je t’entendais grogner et même sourire ?

    – Je sursautais si fort que je faillis tomber du hamac. L’arc-en-ciel, demandais-je ? Là-haut, il n’y est plus, mais dans l’appareil, il se trouve. Tu le retrouveras quand tu voudras, et tel que je te connais, il te suffira de le regarder en photo pour réaliser tous les voyages qu’il te plaira de faire.

     

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  • – Il nous plut de nommer celui-ci Dick, car cette appellation était simple et qu’elle résonnait presque comme un ordre. Un mot, un seul, pour qu’entre lui et nous le courant passe rapidement. N’en avait-il pas un, que nous lui avons attribué celui-ci, me demanderez-vous ? Certainement en portait-il un, que nous ignorions ? Figurez-vous que dès les premiers instants, ce fut un véritable coup de foudre. Oui, il n’y a pas qu’entre les humains que soudain nous allons plus vers les uns que les autres. Chez les animaux, il en est de même, à ce point que nous sommes surpris lorsqu’un d’eux vous choisit, et s’attache si sincèrement à vous qu’il est prêt à courir tous les risques pour vous défendre. Vous aimeriez, j’imagine, connaître les circonstances qui ont contribué à notre rencontre.

    Comme souvent quand il s’agit de choses extraordinaires, il nous faut toujours remonter dans le temps. Ce jour qui nous présenta l’un à l’autre me trouva sur un chantier d’espaces verts. C’était l’heure sacrée de mon repas et je sacrifiais à ce doux moment, lorsque, venu de nulle part, ce chien se précipita vers moi. Comme toujours en pareils instants, je ne m’affole pas et fixe l’animal dans les yeux. Nos regards se rencontrèrent sans se heurter. Après une courte analyse, il jugea sans doute que je ne le mordrai pas. Je lui offris un sourire, comprenant qu’ils sont sensibles aux expressions de ceux qui les dévisagent. Il me répondit par un aboiement autoritaire, mais n’affichant pas la méchanceté. Sans le quitter des yeux, je lui demandais s’il désirait un peu de mon repas ; il ne le refusa pas et se fit même très humble lorsque je le lui présentais, en insistant pour qu’il y mette un peu de délicatesse. Il le prit du bout des babines, et, si tôt avalé, il sauta dans mon camion et s’installa à la place du passager. Je refermais la porte avec quelque précaution, mais rien ne se produisit. IL était assis se tenant droit, et par la fenêtre, je lui flattai la tête. Je compris qu’il m’avait adopté lorsqu’il aboyait sur des personnes approchant de son bien, puisque sans façon, dans l’instant il s’identifiait à lui.

    Le soir, de retour à la maison, je n’eus pas à lui montrer le chemin. Il le trouva avec une vitesse qui me laissa pantois. J’ouvris la porte devant laquelle il était assis, entra, et fit le tour de sa nouvelle propriété. Il renifla tous les membres de la famille, et naturellement, vint se coucher à la place que j’occupais à la table. À cet instant, je compris qu’entre lui et nous, c’était à la vie à la mort. Cependant, je dus le maintenir en laisse, car son caractère était des plus belliqueux. Dans son esprit, tous ceux qui s’approchaient de nous étaient des individus douteux et il les immobilisait sans que je lui en donne l’ordre.

    Une quinzaine se passa, lorsque sur mon chantier, je reçus la visite d’une dame qui se prétendit être son ancienne maîtresse. Je dus le retenir, car à l’évidence, il devait y avoir entre eux des différends jamais réglés. Cependant, elle réussit à reprendre son chien. Quelques jours plus tard, elle me le rapporta en me demandant si je tenais à le garder ; chez eux, me dit-elle, il leur menait une vie impossible. Il mordait tout le monde, ne pouvant plus recevoir, par crainte que les invités ne se fassent dévorer. Elle m’expliqua qu’il avait été dressé à l’attaque, et qu’ils le regrettaient, puisqu’ils n’ont jamais pu le dominer. Sans rien demander, il gagna sa place dans le camion sous les yeux ébahis de son ancienne maîtresse. À compter de ce jour, entre lui et nous, ce fut une grande et belle histoire d’amour. Quelque temps plus tard, on nous donna une Malinoise, dont les gens n’avaient pas mesuré les inconvénients d’avoir un tel chien dans un appartement. Chez nous, il ne fut jamais question de faire dresser nos animaux. Nous nous regardions et nous comprenions nos désirs. L’éducation de sa camarade fut sa principale occupation. Il lui apprit tout ce qu’il savait et il rajouta même des épisodes de son imagination, puisque souvent, la nuit, il découpait le grillage, pourtant un triple mailles, afin de courir vers une nouvelle aventure. Nous ignorions ce qu’ils faisaient dans la campagne, mais nous ne reçûmes aucune plainte. Au matin, nous les trouvions à leur place, douillettement installés sous le hangar, le museau tourné vers le poulailler où il me plut de croire qu’ils ne faisaient que compter les volailles. Certes, il y eut quelques incidents, car dévorer un volatile ou un canard, je n’ai pu le leur empêcher.

    Cela dit, j’ai retracé brièvement ce moment de vie commune afin de ne pas vous importuner plus que la raison l’impose. Cependant, nous gardons en mémoire des épisodes croustillants concernant nos amis à quatre pattes, quels qu’ils fussent, car chez nous, comme si c’était une règle, on nous priait d’accueillir ceux dont on cherchait à se débarrasser, pour incompatibilité d’humeur, je suppose. Notre histoire est courte, mais elle a l’avantage de nous faire comprendre que contrairement à ce que l’on imagine, ce sont bien les animaux qui nous choisissent et non l’inverse. Alors, respectons-les, puisqu’ils nous donnent leur belle amitié, sans pour cela attendre quelque chose en retour. Toutefois, si votre main trouve leur tête, ils ne la refuseront pas ; ils se nourrissent autant de tendresse que de croquettes ou d’autres aliments.

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  • – Mon ami, je ne saurais me plaindre que la route sur laquelle nous avons avancé soit trop longue. Cependant, j’avoue non sans une certaine honte qu’à mes pas, elle devient pénible.

    – Je devine ma belle petite fleur sauvage, ce que tes maux veulent dire aux miens. Il y a beau temps que tu as tourné le dos à la douce prairie où en compagnie de tes jolies voisines vous rayonniez sous les caresses d’un soleil insolent. Son complice le vent vous balançait les unes contre les autres, et vous pouviez alors vous frôler en frémissant de plaisir.

    – Tu ne changeras donc jamais, mon amour ? Tu es demeuré le flatteur que j’ai toujours connu. Quand je t’écoute, j’ai le sentiment que le pré dont tu parles, tu n’as jamais eu le courage de le quitter. C’est comme si tu y avais pris racine, en quelque sorte.

    – Ma chérie ; si je ne m’étais pas éloigné de l’endroit où je te cueillis, serions-nous là, égarés dans ce vacarme envahissant la vie des citadins, tandis que nous étions si heureux au milieu de la nature, nous dirigeant vers où nos pensées nous guidaient, mais prenant soin de ne jamais abandonner la lisière de nos belles forêts ?

    – Je le reconnais ; nous nous mettions à la disposition du temps. Nous flânions quand il nous plaisait d’accorder un répit à notre amour, prétendant que rien ne nous pressait d’arriver à demain.

    – J’adore, quand tu parles si bien de ces années qui nous virent gravirent les pentes de l’existence à la façon que nous avions d’escalader les flancs des montagnes. Nous étions si heureux, au sommet de celles-ci ! En riant, nous prenions le ciel à témoin et lui confions des prières inédites, que nul évangile ne transcrit.

    – Je me souviens, doux ami. Nous tendions nos bras vers le firmament, comme pour lui adresser des caresses, afin qu’il explique aux hommes que la tendresse n’est pas un vain mot.

    – Nos regards se dirigeaient vers la plaine, et nous recherchions les endroits secrets où nous nous réfugions afin de ne pas être éclaboussés par les malédictions du monde qui était à la recherche d’un second souffle. Les branches basses des arbres des forêts peuvent témoigner de notre passage, car sur chacune d’elle, telle une mue, nous abandonnions des lambeaux de notre bonheur, pour que d’autres les découvrent et se convainquent qu’il existe bien.  

    – Un jour, beau séducteur, tu me dis que ces fragments ressemblant à des exuvies seraient également des repères pour nos enfants s’il leur prenait l’envie de remonter le chemin jusqu’à nous, à travers les saisons de leurs parcours.

    – C’est vrai, je le prétendais, mais en secret, je le souhaitais aussi. Toutefois, je n’étais pas sans savoir que le bien-être des uns ne doit jamais faire de l’ombre aux autres. Nous avons chacun une histoire à écrire et nous ne pouvons emprunter les mots de ceux qui ont terminé la leur.

    – Alors, nous avons mis quelque distance entre eux et nous, jolie fleur. Je me souviens que tu me disais que nous ne pouvons évoquer la saveur de la mangue avant de l’avoir cueillie et dégustée.

    – Oui, en effet, il s’agit bien de différencier le bien du mal, le beau du laid, et le doux du rude. Mais ils devront également découvrir que les larmes n’ont pas le même goût, selon qu’elles viennent du cœur ou d’une blessure superficielle.

    – Nous arrivons au sommet de notre dernière difficulté, cher ange. Nous avons atteint l’époque à travers laquelle nous pouvons parler en toute objectivité. De toute évidence, nous n’avons aucune raison de mentir ni de nous voiler la face. Les faits démentiraient immédiatement les étapes de la vie que nous voudrions embellir ou revêtir d’autres nuances que celles qu’elles avaient endossées. Cependant, et ce n’est pas une nouveauté pour toi, puisqu’au long de mon parcours, j’ai toujours ressenti le besoin d’être rassurée, une fois encore je vais te poser cette question que tu connais si bien. Après toutes ces années, m’aimes-tu avec la même passion ?

    – Comme souvent je le fis, je te répondrai sans chercher mes mots. Comment pourrai-je me tenir à tes côtés si ce n’était pas le cas ? Oh ! Je ne dirai pas que rien n’a changé, car les saisons sont passées sur nous, et comme le temps patine les vieilles pierres, sur nous il a dessiné des rides et des douleurs. Oui, certaines attitudes ne sont plus les mêmes. Et en ce jour, ceux qui nous regardent déambuler ne se doutent pas que si nous ne nous donnons plus la main, comme hier, c’est que nos pas ne sont plus aussi sûrs. Aujourd’hui, plus que jamais nous avons besoin l’un de l’autre. Nos bras autour de nos corps nous rassurent avec une semblable passion, qui unit nos cœurs. Es-tu satisfaite de mes paroles ?

    – Oui, elles n’ont jamais changé d’un seul mot. Au-delà de ce qu’elles racontent, je devine qu’elles veulent que nous continuions d’avancer, mais en prenant le temps nécessaire pour nous délecter de tous les nouveaux jours qui nous attendent.

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  • RÉFLEXIONS AU FIL DE L’ONDE– Mon ami, n’es-tu pas las de contempler chaque jour quelque chose qui nous échappe, alors que nous sommes étroitement liés à notre environnement, sans n’avoir jamais pu en démêler l’écheveau ?

    – Je te laisse la paternité de tes propos, mon cher, car si tu te penchais davantage sur la réalité, tu comprendrais que la nature nous offre sans cesse des couleurs nouvelles. Elle va au loin, pour nous être agréable, chercher des parfums qu’elle confie aux alizés, afin qu’ils les déposent sur le seuil de nos demeures. Il te semble ne rien découvrir, puisque tes yeux ne portent que sur l’horizon, alors que la vie est là, à nos pieds. Regarde le fleuve et dis-moi qu’il n’est pas merveilleux, et que tu n’as pas envie de sauter dans ta pirogue pour en épouser l’onde, et te laisser aller au grès des flots.

    – Certes, il est un chemin extraordinaire qui nous permet de nous déplacer, mais en lui, il est vrai que je ne vois que son côté pratique. Nous naviguons sur lui comme il nous plaît, et nous y pêchons de quoi nous sustenter. Cependant en cela, il n’est pas différent des arbres fruitiers, des gibiers qui naïvement tombent dans nos pièges, tandis que nos terres ne produisent que si nous les cultivons.

    – Je crois que tu oublies que si ton jardin est généreux, c’est que plusieurs fois dans l’année, les crues déposent à sa surface des oligo-éléments qu’elles ont prélevés en amont. Tes mains ni ta volonté n’y suffiraient sans leurs aides précieuses. C’est une part de la mémoire de la forêt que le fleuve arrache aux berges qui la bordent qu’il t’offre, afin que ton esprit ne soit jamais éloigné d’elle. C’est ta demeure, ta protection, la première raison que tu as de vivre en harmonie avec le reste du monde.

    – Donc, en cela tu reconnais que la rivière n’est pas l’élément principal de notre existence !

    – Je ne prétends pas cela. Toutefois, tu sembles ne pas te souvenir que l’eau soit le premier don du ciel qui nous apporta la vie. Sans elle, rien ni personne ne serait là pour témoigner. Notre histoire aux uns et aux autres ne doit son existence que grâce à une petite chose. Songe que les secrets de notre monde tinrent dans une seule goutte ! Des millénaires après, nous lui sommes toujours redevables de ce que nous sommes, mais aussi de tout ce qu’elle permit à la surface de notre planète. Tu vois, nous adorons certaines divinités, dont nous ne savons finalement pas grand-chose, alors que nos regards n’effleurent qu’à peine, celle sans qui nous ne serions pas là à deviser.

    – Tu me dis qu’elle est génératrice de vie ; je ne le conteste pas. Cependant, trop souvent elle nous inflige de nombreux chagrins. Je ne peux pas oublier tous ceux qu’elle engloutit et dont nous ne retrouvons pas les corps. Parfois, je me demande si elle n’imite pas certains primitifs qui offraient à leurs Dieux des sacrifices humains pour se faire pardonner leurs erreurs ou réclamer quelques faveurs.

    – Je suis bien le sens de tes pensées, mon ami, et je les respecte. Toutefois, si nous nous permettions d’analyser les faits, nous comprendrions vite que la rivière n’est pas la seule fautive. Par nature, il me semble que les gens sont des éternels imprudents. Ils ne mesurent pas les dangers à leur juste valeur ; à moins qu’ils se croient les plus forts pour ignorer que l’on ne peut impunément provoquer la nature. Elle sera toujours plus puissante que nous. Elle donne naissance, ou reprend les choses quand elle le désire. Nous devrions l’écouter plus souvent, la servir plutôt que de l’endommager, la remercier au lieu de la trahir. Mais en cela, comme en tant d’occasions, nous préférons fermer les yeux et n’en faire qu’à notre tête.

    – Mon cher ami, je ne voudrais pas te contredire, car tes paroles ne sont pas dénuées de bon sens. Toutefois, quand tu évoques les dangers qu’il te semble que nos semblables méprisent, les jours se lèvent et se couchent sur eux. Chaque instant est un problème à surmonter, un obstacle à contourner, ou une posture à inventer si nous désirons continuer à écrire notre histoire. Tu me parles avec toute la foi qui t’habite, du fleuve et de ses bienfaits. Mais alors, que pouvons-nous dire du ciel qui du matin au soir nous offre des couleurs qu’il nous est si difficile de reproduire, car elles sont changeantes, selon que le vent souffle de l’Est ou du Sud ?

    – Je ne l’ignore pas. Et sais-tu ? Pour que nous ne l’oubliions pas, le cours d’eau lui prête sa surface comme s’il s’agissait d’un miroir pour le rendre plus accessible. Tandis que les nuages fuient d’un côté, la rivière, elle, s’emploie à transporter le firmament d’un autre, afin que tous les hommes puissent se réjouir du spectacle qui n’a pas son pareil sur Terre.

    – En fait, je comprends une chose. Nous parlons de semblables événements, mais nous n’utilisons pas les mêmes mots. Toi tu adores, moi j’aime, et je ne vois pas où se trouve la différence.

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    – Je me souviens de cette lointaine journée où me regardant, tu me dis :

    – Oh ! Mon ami, sens-tu cet air doux, venu du sud ?

    – Bien sûr, te répondis-je. J’ai même cru un instant que c’était ton souffle tiède qui m’adressait des baisers. Il avait ta saveur et ton parfum, et j’ai fermé les yeux pour m’assurer que c’était bien de toi que me parvenait la bonne nouvelle. La forêt abandonnait déjà sa blanche tenue hivernale, découvrant des rameaux heureux de retrouver leur souplesse. Nous étions en lune montante, celle qui annonce que toute chose reprend vie. Certes, la nature exulte, mais toujours humblement, sachant qu’il suffit d’une nuit pour anéantir les espoirs d’un jour. Lentement, les sentiers par lesquels nous allions se dégagent, libérant une herbe qui n’en croyait plus ses tiges et ses feuilles.

    Comme chaque année, sans plus tarder, je me précipitais vers le lieu de notre rendez-vous. Le pont semblait ne pas avoir été trop malheureux des rigueurs saisonnières, si ce n’est que la mousse habillait chaudement les vieux bois afin qu’ils ne souffrent pas plus que la raison l’exige durant l’hiver venu du Grand Nord, disait-on dans les chaumières. Timidement d’abord, le torrent se frayait un chemin qu’il lui plut d’imaginer qu’il était nouveau. Puis, les glaces emprisonnant son onde se rompirent et se fendirent dans l’instant qui suivit les lugubres craquements annonçant une libération prochaine. Les eaux suffocantes ne perdirent pas une minute, trop heureuses de retrouver l’air libre. Déjà, elles bousculaient les îlots gelés avant de les submerger et de les emmener vers un pays inconnu. Le vent en profita pour forcir, faisant s’entrechoquer les ramures qui n’en demandaient pas tant pour se débarrasser de la neige qui prétendait choisir le moment qui lui convenait pour se laisser choir.

    Soudain, à l’extrémité de la rambarde du pont, une mésange se posa. Elle me considéra et jugeant que je ne présentais pas de danger, elle se mit à chanter. L’émotion fut telle, que je ne pus retenir mes larmes. Elles aussi avaient été prisonnières tout au long de cette saison qui oblige bêtes et gens à baisser la tête. L’oiseau me fixait, et continuait à m’offrir son concert. Bien sûr que je fus heureux de l’entendre, car à sa manière il me faisait comprendre qu’il en était fini des jours tristes, que l’espoir serait la première graine qui germerait à l’instant où le soleil en donnerait le signal. Lui succéderaient les travaux des champs, les appels des paysans se félicitant en se retrouvant par les chemins et les sentiers. Les semailles de printemps ne tarderaient plus. La nature entière était en joie. Les premiers bourgeons prirent le risque de libérer des feuilles tout étonnées de pouvoir défroisser leurs nouvelles tenues. Déjà, les oiseaux décidèrent de former leurs couples et choisirent les arbres qui abriteraient leurs nids et leurs couvées.

    J’étais perdu dans mes pensées quand soudain, un bruit étrange monta de la forêt. Bien qu’en connaissant la cause, il me surprit, car il se produisit à l’instant où, par habitude, je cherchais au loin ta silhouette se dirigeant vers notre pont. Le torrent, complètement libéré, charriait dans un mouvement d’humeur, les derniers obstacles qui avaient encore l’audace de le ralentir. Pêle-mêle, des troncs vaincus par l’hiver se brisaient sur des rochers en même temps que d’énormes blocs de glace. C’était l’annonce que faisait la nature aux éléments qui prétendaient vouloir enrayer sa marche vers les beaux jours. Instinctivement, je levais la tête et découvris un ciel qui avait revêtu pour l’occasion la couleur de ton regard. Un souffle précipita le passage de quelques nuages, et parmi eux, il me plut de reconnaître ton sourire. Comme à ton habitude, tu me fixais, avec cette expression d’une immense tendresse que nulle autre personne ne possède. Je n’eus pas besoin de fermer les yeux pour deviner les traits qui dessinaient ton visage. Je les connaissais pour les avoir soulignés du bout des doigts, et les avoir caressés des paupières dans nos moments d’intimes unions. Plongé dans mes souvenirs, je ne compris pas pourquoi le vent s’en prit au firmament. Craignait-il que j’exige qu’il te libère et qu’enfin nous puissions poursuivre notre passion ? De rage, il t’entraîna comme il le fit la première fois, loin, par delà nos forêts et nos montagnes, en lieu secret où jamais je ne pourrai te retrouver.

    Renouveau ; quel mot étrange ! puisqu’en moi il n’installe aucune saison qui me rapprocherait de toi, et que dans la prairie qui vit naître notre amour, jamais plus de fleurs n’aura un cœur aussi grand et doux que le tien, ni le parfum de ton corps, à la coupe duquel je bus au cours de nos nuits d’ivresses.

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