• AMOUR D’UN JOUR, AMOUR, TOUJOURS

    – Dis-moi, ami cher à mon cœur ; pourrais-tu me dire depuis combien de temps nous avons lié nos destins ?

    – Serait-ce que tu en viennes à tester ma mémoire, ma toute belle, ou penses-tu que la sénilité me guette au coin du bois ? Je sais, pour l’avoir souvent entendu chez les humains, que nous avons une « cervelle d’oiseau », mais de là à imaginer que nos souvenirs anciens laissent la place aux plus récents, est une question que je ne me pose même pas. Certes, notre cerveau est sans doute bien modeste si nous le comparons à certaines autres espèces ! Cependant, il nous permet de comprendre tout ce qui est essentiel pour notre existence ! À quoi nous servirait-il d’encombrer notre mémoire par des choses inutiles ? Nous possédons en plus de ceux qui prétendent que nous sommes des écervelés, un élément qu’ils ont perdu au fil des ans. Nous avons conservé intact l’instinct qui nous fût donné le premier jour. Nous pouvons différencier ce qui est bon pour nous, de ce qui ne l’est pas. Et pour te répondre sans provoquer chez toi ta superbe impatience qu’en effet, je me souviens du premier jour comme s’il n’était que celui de la veille.

    – Ne va pas imaginer mon ami que je cherchais à te sonder. Je me doute parfaitement que rien ne t’a jamais échappé, puisque nous sommes ensemble depuis toujours. Je connais donc tes qualités et tes défauts, comme tu sais les miens. Mais ce n’est pas de cela que je voulais t’entretenir en cette matinée. À force d’observer les hommes, j’ai bien noté que parfois ils se faisaient des gentillesses et avaient les uns pour les autres des attentions particulières.

    – Là, ma belle, je me permets d’attirer la tienne sur un fait qui ne manque pas d’originalité. Quand ils offrent, souvent, c’est pour se faire pardonner une mauvaise conduite, plutôt qu’une réelle amitié. Car, au contraire de nous, il leur arrive de se tromper et même de se séparer pour les cas les extrêmes.

    – Oui, tu as raison ; je l’avais remarqué aussi. Mais, rassure-moi, cela ne nous arrivera jamais, n’est-ce pas ?

    – Parfois, je me demande pourquoi tu as des questions, excuse-moi pour le terme, quelque peu idiotes. Depuis que nous sommes unis, as-tu suspecté en moi un comportement étrange ? Suis-je allé m’inviter dans un autre nid, ou m’immiscer dans un repas ou une famille ?

    – Non, c’est vrai. Tu ne m’as pas quittée, sinon le temps nécessaire à trouver un nouvel endroit pour notre habitation, ou un territoire différent pour assurer notre subsistance. Tiens, cela me rappelle notre première rencontre. Tu étais sur la grappe d’un magnifique Wassaye. Elle était abondamment garnie, tandis que je prenais des risques à attraper quelques vieilles graines sur un palmier comou à peu de distances du tien, lorsque tu m’as interpellée.

    – Pardonnez-moi d’interrompre votre déjeuner frugal, belle demoiselle. Si je ne vous paraissais pas déplacé, je vous inviterais à partager le mien. Voyez comme les grains sont charnus ! Sans nul doute, est-ce là la nourriture du dieu des oiseaux pour être aussi délicieux.

    – Je me souviens, en effet. La matinée avait succédé à une aurore timide, et franchement arrosée. Mes membres étaient engourdis et je dus battre des ailes un long moment pour m’assurer que j’étais en état de voler. C’est alors que sautant de branche en branche, je parvins à retrouver tous mes sens. Je venais de quitter le nid familial quelques jours auparavant. Certes, mes parents m’avaient enseigné l’essentiel, mais ils m’avaient bien recommandé que le reste, je devais l’apprendre toute seule. Nous ne pouvons te transmettre que ce dont nous pensons être le droit chemin. S’il existe des layons de traverses, il t’appartient de les découvrir et de les exploiter selon tes convictions. Forte de tes erreurs, tu demeureras sur tes gardes, et ainsi, à ne plus jamais les reproduire.

    – C’est étrange, ce que tu me racontes, car souvent les membres de nos familles vivent en colonies plutôt qu’isolés.

    – J’ai cru comprendre que j’étais trop jeune pour suivre le groupe. C’est ainsi que nous sommes restés dans notre coin de forêt. Néanmoins, je te fais remarquer que nous ne sommes que tous les deux ?

    – C’est encore vrai. Pour notre défense, je dirai que le site de nourrissage était tellement garni, que nous nous sommes juré fidélité sur une lisière qui surplombait un bel abattis. En quelque endroit où nous regardions, il n’y avait que des repas en devenir. Pourquoi serions-nous allés voir ailleurs ?

    – Tu as raison. Le survol de notre territoire est largement suffisant. Ce ne sont pas les incertitudes de la vie qui nous pousseront nous aimer davantage, mais la sincérité des sentiments qui nous unissent, car je ne doute pas un instant que ce que j’éprouve pour toi est identique chez toi, me concernant ?

    – Je vois que tu as besoin d’être rassurée, ma belle compagne. Toutefois, pour honorer ton attachement à ma modeste personne, je dois te rappeler que tu es à mes yeux, aussi indispensable que peut l’être l’humus pour la forêt. Tu es comme le soleil qui permet à l’or de briller, ou les étoiles pour illuminer le ciel ?

    – Oh ! Mon ami n’en dit pas plus, tu vas faire rougir mes plumes plus que de raison. Mais tu sais, à demi-mot, j’ai également saisi qu’à la façon d’un poète, tu cherches à m’expliquer que le temps est venu pour nous, que nous nous mettions en quête d’un joli tronc pour y construire un nouveau nid ?

    – Tu vois, ce que j’apprécie en toi, c’est que tu comprends vite. Oui, agrandissons notre famille et surtout, ne cessons jamais de nous aimer ! Allons, serre-toi contre moi, ferme les yeux et épousons-nous pour la vie !

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