• AU BOUT DU DÉSESPOIR… 1/7

     

     

     

     

     

     

     

     

    – Diana était assise sur le bord de son lit, et tenait entre ses mains la boîte qui renfermait les pensées de Nicolas. Depuis un moment, qui lui parut une éternité, émue, elle se demandait si elle devait ouvrir ce qui à ses yeux apparaissait comme un coffre cachant un trésor.

    – Ne serais-je pas déçue à la découverte de son contenu, se dit-elle ? Est-il nécessaire que je me fasse encore du mal, que j’aille puiser dans les mots une nouvelle peine, d’autres regrets et des remords ? 

    Elle tendit le bras vers l’abat-jour pour faire descendre la lumière au-dessus d’elle, plongeant ainsi la chambre dans une demi-obscurité. En faisant, ce geste, avait-elle conscience qu’elle renvoyait à la nuit les photos de Luis Mariano, Tino Rossi, collées sur le mur ? Désirait-elle les empêcher d’être les témoins de ses larmes, ou ne voulait-elle pas qu’ils lisent des lettres au long lesquelles subsistaient au milieu de mille souffrances, leur amour disparu ?

    Elle décida de soulever le couvercle bien que son calme ne soit pas tout à fait revenu. C’était une de ces boîtes métalliques rectangulaires, qui en son temps avait contenu des biscuits. Sur le dessus, on avait reproduit un paysage breton. Sur une falaise où pâturaient quelques vaches, la blancheur des maisons aux toits d’ardoises paraissait encore plus éclatante sur une herbe verte et courte. En contrebas, en arrière-plan, l’océan n’avait pas choisi sa couleur du jour. Il était opaque, mais virait au bleu, avec au sommet des vagues une écume, qui lorsqu’on la fixait, donnait l’impression de les faire rouler vers la plage endormie. Le ciel était encombré de nuages pâles et gris, et ils semblaient attendre le vent du large pour leur permettre d’avancer. Un moment, Diana imagina Nicolas contemplant ce paysage, le regard tourné vers les hommes, perdu dans des rêves dont il était le seul à connaître les secrets.

    Planté au milieu de l’océan, un phare essayait de résister à l’assaut continu de la houle. Sans doute était-il éteint depuis longtemps, sinon Nicolas aurait compris que sa lumière le guiderait vers la terre ferme, vers le port où l’accueilleraient ceux qui l’aimaient, et auxquels il avait promis des jours heureux. Elle posa délicatement le couvercle sur le lit, comme pour ne pas déranger l’ordre établi. Après une ultime hésitation, elle plaça enfin une main sur le papier sans toutefois oser le regarder. Se faisant, elle eut l’impression de chercher une dernière fois  celle de Nicolas, et elle ne fit rien pour retenir ses larmes. Elle prit la première lettre ; elle semblait longue. Elle la garda un temps infini entre ses doigts. Voulait-elle ainsi s’imprégner de l’écriture avant d’en découvrir les mots ? Elle ne le savait pas. À cet instant, elle n’eut qu’un désir ; serrer la missive contre sa poitrine, à la façon que l’on a d’étreindre une fois encore, intensément, en silence et en fermant les yeux. Lorsqu’enfin elle posa les siens sur le papier déplié, elle put commencer sa lecture :

    – Mon cher amour.

    Alors, dans un brouillard de regard humide, elle écouta plus qu’elle ne lut, Nicolas qui se confiait.

    – Quand tu découvriras ces lignes, l’irréparable aura été accompli. Je sais d’ores et déjà l’immense désarroi dans lequel je vais plonger les miens, conscient des rêves que je vais briser par mon geste, dont on retiendra qu’il fut inconsidéré. Je devrai te demander de me pardonner, mais comme pour tout le reste, je n’en ai pas le courage. D’ailleurs, que signifie ce mot ? Il est utile s’il a le pouvoir de changer les choses, indispensable à celui qui désire garder son esprit en paix,  mais il est obsolète quand il ne sert plus à rien,  je veux dire ne plus être apte à réparer les erreurs.

    Comment expliquer ma décision ? Voilà longtemps sans doute que plus rien ne va dans ma tête. Pendant des années, j’ai cru à tout ce que l’on me disait. J’avais alors imaginé un monde extraordinaire, presque parfait dans lequel il ferait bon vivre. J’ai aimé les années belles et simples ; celles dans lesquelles je pouvais me réfugier à la première alerte. J’ai souvent rêvé d’être l’un des personnages des contes merveilleux que me lisaient mes parents pour apaiser mes angoisses. Ces histoires, je les ai utilisées pour occulter le quotidien. C’est vrai que le monde qui nous entoure est loin d’être peuplé de fées et de princes charmants. Quand j’étais enfant, au village, le curé nous parlait toujours du « Dieu qui n’est qu’amour », alors qu’adulte, j’ai vu des gens qui cultivaient la haine. La paix, la joie, le bonheur ne sont que des mots construits sur le malheur. Eux même ont du mal à résister aux tempêtes qui agitent leur assise. Ces mots n’ont été créés que pour mieux dissimuler la vérité. Cette vérité, je l’ai trouvée là-bas, aux portes de l’enfer, juste à l’endroit où commence le désert, ce prélude à l’extinction de l’humanité. En ce lieu étrange comme ici, j’ai crié, j’ai hurlé mon refus, mais personne ne m’a entendu. (À suivre)

     

    Amazone. Solitude. Copyright 00061340-1


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