• AU BOUT DU DÉSESPOIR… 4/7

    – Je suis dans ce pays immense dans lequel pourraient tenir plusieurs comme le mien, où nous sommes des poignées d’hommes disséminés à traquer un ennemi qui se joue de nous. Il se cache, il s’enterre, il se confond avec le paysage. Il est ici, il est là-bas, il est partout et quand il frappe, il fait terriblement mal. Pour lui, peu importe s’il tombe, il devine pertinemment que pour le remplacer il y aura des milliers d’autres combattants qui sont  quelques pas pour prendre sa place. Il est persuadé que son sang va enrichir cette région qui l’a vu naître. Dans son milieu, on lui a dit que tout se paie, et lui, il est prêt à mourir s’il le faut pour libérer le sol de ses ancêtres. Il sait que quelque part, il existe un verset qui glorifiera son sacrifice et le transformera en martyr. Il sera un héros, comme ceux dont on chante le nom. Pendant des siècles, on se souviendra de lui et on le louera pour avoir fait don de son corps.

    Nous-mêmes, qu’avons-nous fait tout au long de ses guerres qui peuplèrent le temps et décimèrent des générations innocentes ? N’avons-nous pas défendu nos pays, nos familles et nos villages ?  Et sais-tu, dans celui-ci, je ne me sens pas à l’aise. Il a beau être grand, détenir tout ce que la terre possède comme richesses, porter les plus jolis blés, les plus savoureuses oranges, les montagnes, montrer leur plus élégant profil, il y a sur ce continent une chose terrifiante ; le désert. Pour en parler, il faudrait des livres entiers, des jours, des mots et des larmes. Il commence au bord d’un océan pour mourir sous les vagues d’un qui l’attend à des milliers de kilomètres. L’Europe tout entière pourrait tenir dans cette immensité désolée. Ici, l’expression vide ou infini prend sa véritable signification. Devant cet océan de sable, je ressemble à un grain parmi les autres.

    Pourtant, pour vivre heureux, l’homme a besoin de fermer les yeux sur des rêves qui le transportent dans des paysages merveilleux, où il fait bon exister, où les prairies sont colorées et parfumées, et où les fleurs sont belles, s’amusant à faire des courbettes à ceux qui les regardent. Ici, rien. On mesure l’ampleur de ce mot en contemplant le désert. Aussi loin que porte ta vue, elle ne rencontre que le vide. Il escalade les dunes les unes après les autres. Elles ressemblent aux vagues de l’océan, innombrables et infatigables, jouant avec leur puissance qu’elles vont puiser au large. Dans ce lieu maudit, le vent s’amuse avec elles. Il les déplace à sa guise, les construit ou les démonte. Parfois, il est si violent, que durant des jours on pourrait croire que la nuit s’installe pour l’éternité. Il va à l’assaut des dunes, puis dévale leurs pentes en s’amplifiant, et au passage il emporte le désert avec lui. Si tu n’es pas à l’abri, tu as l’impression que des milliers d’aiguilles transpercent tes chairs pour préparer en toi la venue du néant. Malheur à toi, si tu t’allonges. Sur toi, le siroco édifiera une nouvelle montagne qui grandira en digérant ton corps. Si tu peux regarder à l’extérieur pendant une tempête, tu imagines que le pays entier est en train de s’enfuir. Du sol au ciel, il n’y a que lui. Puis le vent se calme, et lorsque la clarté est enfin revenue, tu redoutes d’ouvrir les yeux. Tu crains de découvrir ce que le sable cachait avant que les éléments se déchaînent. Quand tu oses à observer dehors, tu es déçu, car rien n’a vraiment changé, si ce ne sont que les dunes soient devenues plus hautes et plus nombreuses. Elles donnent le sentiment de partir en rangs serrés à la conquête du sud.

    Ô ! Ma chère Diana ; dans ce pays, j’ai peur de perdre la raison. Le désert absorbe mes pensées qui ne parviennent pas à se fixer, j’ai l’impression de ne pas exister, je me sens pareil à ces millions de grains de sable que les vents transportent et façonnent à sa convenance. Le grand vide qui m’entoure décalque sur moi. Je deviens  las et inutile. Pour moi, c’est comme si je me trouvais au bord de l’infini, peut-être un gouffre dont on ignore s’il se termine. Cela t’effraie et t’attire en même temps. Tu restes planté là au bord du néant et il te semble entendre une voix qui t’appelle puis essaie de te séduire :

    – Allez ! Viens, encore un petit effort. Ose le pas qui te fera nous rejoindre au pays que l’on prétend chez vous qu’il est celui des mille et une nuits ! 

    Alors tu as envie de franchir ce peu de distance qui te libérera de tes angoisses. Tu désires soudain écouter ce murmure qui t’invite à le suivre, et tu n’as pas de crainte, car tu sais que l’infini ne se termine jamais, donc tu flotteras éternellement.

    Oui ma chérie. Ce pays s’efforce de me faire perdre la raison. Je n’arrive même plus à m’imaginer notre contrée avec ses prairies grasses où les bêtes vont pâturer en paix. J’ai déjà oublié le chant mélodieux de la mésange, le vol gracieux de l’hirondelle haut dans le ciel, indiquant que le temps sera beau. Je ne me souviens plus des fragrances des roses dans les soirs d’été, mêlant leurs doux parfums à celui de l’herbe coupée se laissant caresser par les rayons du soleil. Oui, chez nous, je me rends bien compte que cet astre est utile à quelque chose. Il sert à la vie, réchauffe les cœurs, anime les hommes et les bêtes, il les rend heureux. (À suivre).

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