• AU BOUT DU DÉSESPOIR… 7/7

     

    – La paix enfin retrouvée, les saisons redeviendront agréables à vivre. Les femmes du monde ne marcheront plus courbées  ni vêtues de noir, avançant telles des ombres furtives à la recherche du souvenir et de l’âme du mari, ou de l’enfant trop tôt disparu. Mais elle sera également l’apprentissage du temps sombre de la chasse aux bombes qui n’ont pas explosé, et celui des horribles blessures dues aux mines laissées derrière les combattants. Dans l’esprit des innocents alors mutilés, la paix ne ressemblera plus jamais à la silhouette frêle de la colombe, mais à un oiseau lugubre, à l’œil perçant, au bec puissant, avec au bout des pattes des serres redoutables. Elle pourrait être cette infinie tendresse que l’on devine dans le regard de celui auquel on se destine, et cet océan de bonté qui pourrait réunir les peuples, ainsi que cette vie qui s’écoule en nous, douce et parfumée comme le miel. Ce pourrait être ce gigantesque feu d’artifice où à tous les instants éclaterait la joie de vivre qui ferait s’enlacer tous ceux qui veulent s’unir et qui ont des sentiments à partager.

    La paix, c’est aussi ce petit bonheur timide que l’on rencontre au hasard des chemins, que l’on ramasse et que l’on dispose sur le seuil de chaque maison. C’est cette chose merveilleuse et délicate que l’on désire garder dans le creux de ses mains et de la serrer très fort contre son cœur pour l’aimer et la protéger à tout jamais. Mais nous savons également que le calme est fragile et vulnérable comme la vie de l’oisillon qui sommeille dans son nid sous le regard du serpent affamé.

    Paix et liberté. Voilà deux mots qui mériteraient d’être jumeaux tant ils sont liés par le même destin. Tous les deux sont enviés et violés en permanence. Les forts en privent les faibles, et en leurs noms les hommes s’octroient le privilège de transgresser les lois qui les régissent. Il subsiste un paradoxe depuis le temps où tous les va-t-en-guerre du monde prononcent leurs qualités lorsqu’ils décident d’envahir leurs voisins. Ils ouvrent les hostilités en se réfugiant derrière la paix ! Et au comble de l’ironie, ils prient le Très-Haut de les bénir et de les protéger. L’homme est-il vraiment cet être prétendument évolué ou un fauve qui se réveille en lui dès que la nuit descend sur la planète ? Et ce Dieu qui se rangeait du côté des guerriers, est-ce un mythe ou une réalité ? Peut-on imaginer qu’il est toujours celui des honnêtes et silencieux personnages, puisqu’il se détourne de leurs suppliques, de leurs douleurs et de leurs chagrins ? N’est-il pas permis de penser que la paix pourrait être cette grâce que demandent à genoux les peuples opprimés ? Quand les visages ne seront plus déformés par la haine, à l’heure où les cœurs ne saigneront plus et qu’ils ne seront plus serrés au plus profond des corps, que les regards ne verront plus la misère, que les chairs ne ressentiront plus jamais les souffrances, tandis que des yeux ne couleront plus de larmes, mais qu’à leur place, scintilleront des lueurs d’espoir, alors oui, on pourra croire que la plénitude existe bien et qu’elle est enfin retrouvée.

    Elle sera cette herbe verte, tendre et nouvelle qui recouvrira les champs de bataille et sur laquelle se reposera la vie. Ce sera une multitude de couleurs fraîches qu’illumineront les rayons d’un soleil plus haut, plus fort, plus généreux, vers lesquels s’envoleront toutes  les espérances. Ce sera un monde dans lequel, il fera bon vivre, et où aucune hostilité ne viendra troubler la quiétude. Ce sera une planète où raisonneront les rires d’enfants, les trilles d’oiseaux et d’où monteront les mélodies chantées par des mères penchées sur des berceaux. Ce sera une Terre de laquelle l’homme aura exclu la famine et l’oppression. Ce sera la paix, comme celle que l’on a, au fond de soi, celle que l’on offre aux visiteurs. Les larmes ne seront plus amères, mais douces et brillantes comme des gouttes de rosée dans le matin naissant. Elle sera ce sentiment qu’éprouvent ceux dont  la vie s’enfuit. Ils deviennent sereins, légers et libérés. Alors, faudra-t-il que tous les hommes meurent, pour qu’enfin la félicité règne sur le monde ?

    Il y avait déjà un moment que Diana avait terminé sa lecture, mais elle était toujours immobile, les feuilles à la main, regardant par la fenêtre, la forêt dans la nuit, comme si elle allait lui rendre l’auteur de ces mots. Le brouillard des larmes l’empêchait de distinguer les arbres ; elle ne voyait qu’une masse verdâtre qui s’assombrissait sous la clarté de la lune s’enfuyant.

    – Mon cher Nicolas ! Ce jour-là, quel était l’état d’esprit ou la souffrance qui guida tes doigts pour traduire tes pensées ? L’auras-tu espérée cette paix pour qu’elle te dicte quelque chose qui chante comme un hymne ! J’oserai presque te poser la question. Là où tu es maintenant, as-tu trouvé ce que tu cherchais ? Vis-tu vraiment dans la quiétude ? Est-ce qu’elle ressemble à tes visions ? Et si tu t’étais trompé, mon Nicolas ? Mais cela, tu ne l’as jamais envisagé n’est-ce pas ? Quoi qu’il en soit, aujourd’hui, je ne t’en veux pas d’avoir souhaité évoluer dans un monde qui s’apparentait plus à un rêve qu’à la réalité. Je pense que dans la vie, on ne peut pas croire uniquement aux fleurs bleues et aux charmants petits oiseaux. Quand on se penche sur la nature, on y découvre parfois des phénomènes ahurissants. Mais toi, tu as occulté le noir, pour ne retenir que le brillant. Tout comme dans la campagne d’où nous sommes issus, nous avons en nous le bon et le mauvais, et il nous appartient de faire la part des choses et de faire en sorte que ce soit toujours le meilleur qui domine nos sentiments.

    Ô ! Mon pauvre ami, gémit-elle encore. L’ironie du destin fut cruelle à ton endroit, car cette guerre que tu as maudite ne t’a pas vaincu. En revanche, la paix que tu as tant désirée, que tu as appelé de toutes tes forces, aura eu raison de toi. Elle t’a volé la vie !

    Elle plia avec beaucoup de soins les feuilles sur lesquelles Nicolas avait crié son désespoir. Elle se leva et ferma la fenêtre. La fraîcheur inondant la pièce venait-elle de dehors ou émanait-elle des mots que Diana avait découverts au fil de la lecture ?

    Amazone. Solitude Copyright 00061340-1

     

                                                            FIN

     

    Extrait du «Village Maudit » Copyright original : 00052264-1

    De Thibault-Benoit de Beauséjour

    Le 8 février 2004 — Roura

     

     


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