• AU POINT DE TRI-JONCTION

    – Quand les premiers hommes découvrirent le continent, sud-américain, après une longue marche qui les vit arpenter presque toutes les Terres émergées, ils durent se rendre à l’évidence. Ils constatèrent non sans surprises que leur voyage touchait à sa fin, puisque la dernière langue de sol avançait dans la mer océane, mais, visiblement, elle était épuisée, presque vaincue, incapable de la maîtriser. Au contraire, depuis le promontoire sur lequel ils se trouvaient, ils comprirent que c’était l’eau qui, par vagues et rouleaux successifs, essayait de reprendre la          place perdue lors du grand bouleversement.

    Les éléments se déchaînaient,  deux masses liquides semblaient s’affronter, lançant des paquets écumeux et rageurs l’une sur l’autre. Ils n’étaient pas encore les quarantièmes rugissants, que les navigateurs redoutèrent  plus tard ; cependant, les gens admirent, après une longue concertation, qu’il était inutile de partir sur une pareille surface paraissant aussi furieuse et instable. Ils firent donc demi-tour, et établirent leurs premiers campos sur le contrefort des montagnes.

    Jusqu’à mi-hauteur de ces dernières, remontant des plaines, d’immenses forêts occupaient les flancs. Elles étaient giboyeuses et des oiseaux de toutes tailles et toutes couleurs se perchaient dans les ramures, tandis que d’autres couraient sur le sol, trop lourds pour prendre leur envol. Des pumas, des jaguars, des ocelots et quelques félins plus modestes puisaient sans façon dans ce grand garde-manger, ignorant les sujets nouvellement arrivés. N’en ayant pas vu jusqu’à présent, les uns, ils n’avaient aucune raison de se méfier, et les uns et les autres vivaient en parfaite cohabitation. C’était le temps où les frontières n’existaient pas, car les hommes n’avaient pas encore songé à diviser les continents. Bêtes et gens se surveillaient, et évoluaient en paix, les uns constatant que leurs voisins n’envisageaient pas de les chasser ni de les combattre pour leur disputer l’espace. D’ailleurs, ceux qui marchaient debout n’étaient que des cueilleurs de fruits et d’herbes diverses.

    Cependant, au fil des lunes, personne, n’ayant imaginé un autre système pour évaluer les jours et les ans, les relations entre les êtres se détériorèrent rapidement. Le règne animal comprit qu’il ne pouvait plus accorder une totale confiance à ces gens qui venaient de découvrir le principe de la guerre. En effet, s’étant séparés depuis longtemps, les hommes avaient essaimé sur tout le continent, créant ici et là des communautés différentes, faisant que des années après, personne ne souvenait de ces peuples voisins. Alors l’affrontement devint inévitable. Des razzias étaient organisées dans le but d’enlever les femmes, les individus ayant admis que le renouvellement du sang était indispensable afin d’assurer une descendance parfaitement saine et équilibrée, la leur s’étant trop affaiblie pour se mesurer aux évolutions environnementales quotidiennes. Les batailles engagées furent terribles. On allait jusqu’à manger les vaincus, en honneur à leur courage, et surtout pour renforcer l’esprit guerrier de ceux qui avaient douté au cours des grandes querelles. Puis, d’itinérants, certains devinrent sédentaires. Ils s’établirent définitivement en des lieux longuement choisis en fonction de certaines situations. La pêche joua un rôle important dans la vie de ses hommes, à laquelle furent jointes la chasse et l’agriculture sur brûlis. Ils exploitaient le sol tant que celui-ci pouvait produire. Ensuite, la parcelle était abandonnée au profit d’une nouvelle, et ainsi de suite. Les jours, puis les ans se succédaient, jusqu’à ce jour où les Amérindiens aperçurent sur l’océan, des voiles que le vent gonflait. Les conquistadors venaient de découvrir le Nouveau Monde. Si les peuples premiers ne revendiquaient pas la propriété de la Terre, ce ne fut pas le cas des étrangers. Mais  il n’y avait pas que le sol qui les intéressait. Des guerres d’un genre particulier les surprirent. Les moins courageux, ou peut-être les plus conscients se retirèrent loin sous les forêts. Cependant, en tous lieux, un jour ou l’autre, le conquérant les rejoignait. La division du continent commença. Des autochtones furent recrutés pour conduire les vainqueurs vers des territoires inconnus afin d’y planter de longues pierres destinées à faire savoir aux ennemis celui qui les revendiquait. Ils construisaient, disaient-ils, les limites du pays.

    Les files marchaient sous les grands bois pendant des jours et des jours. Les mulets portaient les bornes, tandis que les indigènes ouvraient les layons. Parfois, les gagnants d’un jour étaient les vaincus d’un autre. Alors, au lieu de rencontre des aventuriers, on dressait les couleurs du conquérant. Puis, les explorateurs partaient dans une direction opposée, toujours en y dessinant des traits imaginaires.

    Dès lors, L’Amérique du Sud fut découpée en douze pays qui n’eurent de cesse de se disputer les territoires.

    C’est ainsi que les indigènes perdirent le continent au profit des nouveaux occupants. Certains se réfugièrent en des zones particulières, appelées de nos jours des points de tri-jonction, lorsque, comme chez nous, la borne numéro un délimite trois propriétaires ; en l’occurrence, la France, le Brésil et le Surinam. Voilà, mes amis, racontée brièvement l’histoire de notre contrée qui vit petit à petit ses richesses pillées. Hélas, cela continue, mais sous d’autres formes.

     Amazone. Solitude. Copyright N° 00061340-1

                                                                                                                                                                     

     

     

     

    .  


  • Commentaires

    Aucun commentaire pour le moment

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :