• CANTE PERDRIX. 1/2

    CANTE PERDRIX. 1/2– Dis-moi, Pierre, j’aimerais te poser une question.

    – Il ne se trouve personne autour de nous pour s’y opposer, Marcélou. Tu peux donc demander ce que tu veux, et selon ta requête, je verrai si je peux t’apporter la réponse que tu attends.

    – Eh bien, voilà. Cela fait maintenant quelques mois que nous travaillons ensemble, n’est-ce pas, et pour moi, tu demeures toujours la même énigme qu’au premier jour. Tu ne parles pas beaucoup, ne relèves pas souvent la tête de sur ta tâche, me laissant penser qu’elle est sans cesse à élaborer un nouveau projet.

    – Ce n’est que cela qui te pose des soucis ?

    – Oh ! Ne crois pas que ce soient des problèmes. C’est sans doute l’inverse, puisque je constate, qu’à toi seul tu peux être l’ouvrier, le patron, l’ingénieur et tous les gens que tu voudras. Alors, je me dis, comment fait-il ? Tu vas sûrement te moquer de moi, mais parfois, je me demande si la nuit tu ne penses pas encore à l’emploi du temps des jours suivants.

    – Diable, je te tourmente donc à ce point là ? Rassure-toi ; le soir je dors comme un bébé. Les jours sont assez longs pour nous permettre de réfléchir.

    – Oui, mais pendant que nous sommes au travail, tu ne peux pas imaginer des choses, puisque tu ne t’arrêtes pas ?

    – Détrompe-toi, mon ami. Lorsque je suis à faire quelque chose, sur la même lancée, je me demande comment je peux l’améliorer pour nous rendre la tâche plus facile. Puis, quand j’ai trouvé une solution, je la grave en mon esprit et passe à la suivante, puisqu’un projet en réveille toujours un autre qui sommeillait depuis quelques jours. Puis, je prends le temps de les étudier plus posément, afin de me rendre compte si elles sont réalisables. Tu vois, ce n’est pas si compliqué que cela.

    – Mais tu fais ainsi pour toutes les choses auxquelles tu penses ?

    – Je ne sais pas si cela s’applique à toutes mes idées ; toutefois, j’essaie de respecter ma ligne de conduite pour ne pas me laisser surprendre le moment venu de les mettre au grand jour. Cela ne t’arrive-t-il donc jamais d’envisager l’avenir, à tout le moins le lendemain qui est le plus proche ?

    – Ne souris pas à ce que je vais te répondre. Oui, il m’arrive de songer à quelque chose, mais jamais à celles qui pourraient rivaliser avec les tiennes. J’imagine ma soirée chez Nine, quand je retrouve mes amis et que nous jouons aux cartes. J’écoute ce que disent les autres et cela me suffit. Je m’amuse en les regardant faire, ainsi que de la manière qu’ils ont tous de vouloir séduire la patronne. Elle, elle ne les contrarie jamais. Elle se contente de les laisser venir, et comme elle est adroite, elle les fait consommer, sans qu’ils s’en rendent compte. C’est une rusée !

    – Tu vois, Marcélou, je ne suis pas le seul à échafauder. Elle aussi le fait et depuis longtemps. Quand vous rentrez dans son établissement, elle sait déjà à quelle table vous allez vous installer, ce que vous allez boire et lequel d’entre vous va prendre les cartes. Sous son crâne, s’y trouve en bonne place une machine à calculer. À quelques francs près, elle pourrait vous dire ce que vous lui rapportez. Tu saisis pourquoi rien n’est extraordinaire quand on se donne la peine de regarder et de chercher à deviner les éléments qui se présentent à nous.

    – Mon pauvre père me le demandait sans cesse, de réfléchir. Mais ma tête n’est pas faite pour cela. Moi, j’aime les choses simples. Ce que je vois je le comprends ; enfin, presque. Pour le reste, ne le prends pas mal, mais je trouve toujours quelqu’un pour me l’expliquer ou le faire à ma place.

    – Pourquoi me fâcherais-je, mon ami ? Nous sommes bâtis de façon différente et c’est très bien ainsi. Nous sommes complémentaires, et c’est ce qui compte. Tu évoques ton père, que faisait-il ?

    – C’est vrai que je ne t’ai jamais parlé de ma famille. Tu vois, le plateau juste au-dessus de chez vous ?

    – Évidemment, quand je monte au travail à pied, je le longe. Vous aviez une ferme là-haut ?

    – Oui. Pas très grande ; mais elle était déjà belle et surtout, d’un seul tenant.

    – Pourquoi ne l’avez-vous pas conservée ?

    – Parce que le père est mort.

    – Tu ne voulus pas lui succéder ? Pourtant souvent c’est ce qui arrive.

    – C’est vrai, pour les autres. Mais moi, je n’ai pas accepté.

    – Ta mère, qu’en pensa-t-elle ? Elle n’en fut pas triste de voir que les enfants ne prennent pas la relève ?

    – Tu n’y es pas. Je suis le seul garçon qu’ils ont eu. J’ignore la raison qui a fait que je fusse fils unique. Avec maman, nous n’en parlons jamais. Tu sais, elle ne s’exprime pas beaucoup, elle non plus. Quand papa est décédé, j’ai même pensé que cela la soulageait. C’est à cette époque que nous sommes venus nous installer dans la plaine, après avoir vendu nos bêtes.

    – Elle était donc malheureuse ?

    – Je ne dirai pas cela. Cependant, je ne voyais jamais un sourire détendre son visage ni mettre de la lumière dans ses yeux.

     C’est pour cela que tu en déduis qu’elle n’était pas heureuse. Elle n’était pas issue de la campagne, avant de se marier ?

    – Si, elle l’était. Du village avant chez nous. Elle n’eut pas loin à se rendre quand elle a quitté ses parents ; juste à monter sur le plateau de « canté perdrix ». (à suivre)

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