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CE CŒUR QUI SOUFFRE
– Mes amis, nous vivons dans un monde devenu bien singulier, qui ne nous accorde que trop peu de temps pour observer ce qui se passe autour de nous. Et pourtant, il y a beaucoup mieux que les systèmes que nous avons créés et qui ne s’expriment qu’en devises ou monnaies de plus en plus trébuchantes. Celle dont je désire vous entretenir, sans jamais rien exiger de nous, n’a de cesse de nous protéger. Elle nous nourrit, alors que nous la voyons à peine et ne la remercions jamais. Vous l’aviez deviné, je veux parler de la nature une fois encore. Elle est notre principale alliée tout au long de notre vie, mais nous ne lui accordons pas toute l’attention qu’elle mérite, absorbés que nous sommes, par les incertitudes de l’existence qui nous invitent à leur bal masqué quotidien.
Cependant, nous avons l’obligation de sensibiliser nos enfants, depuis leurs premières années, et même le rappeler aux adultes si cela est nécessaire que sur la Terre, nous ne sommes pas les seuls à occuper l’espace, aimer et parfois, souffrir à cause de multiples raisons. Convenons une fois pour toutes que tout ce qui vit ici bas a un cœur pareil à cet arbre. Comme tous les sujets de sa famille, le sien est énorme et grossit chaque saison, ajoutant un cerne à ceux qui se serrent depuis des décennies, pour n’en former qu’un. Lui aussi est protégé par une forteresse paraissant imprenable. Cependant sous son armure il est également vulnérable comme tout un chacun.
N’avez-vous jamais imaginé ses douleurs, lorsque sur le tronc de l’arbre, le fiancé grave à l’aide de la pointe de son couteau un cœur transpercé d’une flèche, dans lequel il inscrira les initiales de sa belle aux côtés des siennes ?
Certes, c’est touchant, mais loin d’être très original, car voyez-vous, c’est précisément cette forme de l’amour qui fait mal quand en plus de son propre chagrin il faut supporter celui des autres. Mais la blessure n’est pas superficielle. Elle demeura incrustée et saignante des saisons durant, jusqu’à ce que l’écorce finisse par la recouvrir, alors que parfois les promesses affichées sur l’aubier mis à nu se sont évaporées à l’orée du bois. Mais à l’intérieur du tronc, la cicatrice est imprimée à tout jamais.
Depuis tous ces siècles au long desquels les hommes sont sur la Terre, comment n’ont-ils pas appris à vivre leurs sentiments pour eux ? Est-il si difficile de les conserver en leur cœur et leur âme ? Pour quelles raisons se sentent-ils obligés d’impliquer le monde entier dans leurs affaires personnelles, qu’elles fussent du tourment ou de la joie ? Les arbres se plaignent-ils, gémissent-ils, lorsqu’un beau matin le temps a décidé de changer les règles des saisons en pressant le feuillage de quitter les rameaux auxquels elles étaient accrochées, et d’où elles ne distribuaient rien d’autre que l’existence ? Qui s’inquiète de son désarroi tandis qu’à son pied, le bûcheron l’attaque, sûr de lui et de sa hache, n’ayant en son cœur que de l’indifférence ? Qui entend les prières du végétal, dominées par le han de l’homme ignorant les souffrances subies à l’instant où le tranchant de l’outil coupe une nouvelle artère et des dizaines de vaisseaux par lesquelles s’écoulait la vie, transformée depuis les frondaisons avec l’aide de la lumière, imaginant une photosynthèse parfaite, jamais égalée par aucun laboratoire ? Qui s’émeut lorsque l’oiseau se croyant en sécurité dans la ramure, soudain s’enfuit abandonnant sa nichée ? Il n’y aura pas eu de combat. Notre arbre sera vaincu sans qu’on lui ait accordé la moindre chance. Il saigne de toutes parts, il se retient toujours, mais devine que ses derniers instants sont comptés, et même s’il adresse une supplique au ciel par l’intermédiaire de ses branches tremblantes, rien ne fera reculer l’artisan.
Voici encore un han, l’ultime coup. Il craque, frémis ; non de plaisir, mais de souffrance. Puis c’est l’effondrement de toute une vie, la fin d’une belle histoire. Il gît sur le sol qui essaya en vain de se faire doux pour l’accueillir. Il est désarticulé et allongé, ses membres brisés, écrasant les oisillons qui n’auront aperçu du jour que la cruauté du bûcheron. L’homme n’a pas achevé sa tâche. Il doit maintenant le trancher, le débiter, et le transformer. Cependant, dans l’intimité des nuits, son cœur continuera de vous interpeller, quand la vieille armoire de votre chambre gémira.
Voyez-vous, celui des arbres ne sait pas battre la chamade ; leur bonheur ne s’exprime qu’au printemps lorsque les bourgeons éclatent à nouveau, indiquant avec tendresse à l’hôte endormi, qu’il est temps d’aimer.
Amazone. Solitude. Copyright 00061340-1
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Commentaires
Bonjour René ..Quel magnifique résumé pour décrire la souffrance .
Tes mots pour parler de la douleur , sont très doux je trouve , mème quand tu dis que nous vivons dans un monde bien singulier . Comme je suis contente de pouvoir revenir sur tes écris qui reflètent un grand cœur ..J'avais écris un modeste résumé sur Sherman le vieux Chêne de la Caroline du Sud , ils sont très protégés ici , beaucoup sont vieux de 400 a 500 ans , mais c'est vraiment douloureux quand l'ouragan passe et les déracine , et doublement triste quand l'homme détruit tout pour se faire de la place en quelques mois , alors qu'il a fallu des centaines d’années pour que la nature prenne sa place ..Après une difficile année 2017 , j’espère revenir plus régulièrement sur tes pages ..
En espérant que les santés sont au top pour tous autour de toi .
Cher ami lointain , reçois toute mon amitié des US ( j'avais penser que tu aurais peut-etre fermer ce blog et je suis bien heureuse de te retrouver ) Merci .
Nicole ..