• CES ÂMES QUI NOUS AIMENT

    — Hier, je vous disais qu’entre la Toussaint et le jour des défunts il n’y avait qu’un pas qui les séparait, et que nous n’avions que le bras à tendre, pour que soient réunis l’un et l’autre. Dans le fond, qu’y aurait-il d’extraordinaire à vouloir unir les deux journées, puisque de toute façon, en nos esprits elles le sont déjà !

    Il n’est qu’à prêter l’oreille pour entendre monter vers le ciel de longues litanies. Elles proviennent de partout, convergeant vers une seule direction, même si parfois, au terme de leur voyage elles sont déroutées, et sont obligées de se mettre en quête des âmes qui devaient les recevoir. Comme tout un chacun, je connais certaines de ces prières, apprises méthodiquement à une certaine époque. Pour ne rien vous cacher, j’avoue aujourd’hui, leur préférer des échanges qui me semblent être plus ressemblant qu’à certaines suppliques. Oh ! Je sais que quelques personnes penseront qu’en fait de dialogues, nos conversations se limitent à un simple monologue, ceux à qui ils sont destinés étant trop occupés pour nous répondre. Cependant, en raison de situations précises, il arrive néanmoins que certaines âmes de nos chers disparus veuillent donner un certain crédit à mes réflexions. Elles se manifestent sous différentes manières, allant parfois, jusqu’à influencer notre vie.

    Tenez, par exemple ; ne vous est-il jamais arrivé de vous rendre en un lieu tandis qu’à l’instant précédent il n’était pas programmé et qu’arrivé à l’adresse, vous vous félicitez de votre décision ? Ne vous est-il jamais arrivé d’effectuer avec entrain une tâche sans véritable raison alors qu’à l’ordinaire, cette besogne vous coûte à la réaliser, quand elle ne vous répugne pas ? L’instinct ne vous a-t-il pas dit parfois de vous mettre en route vers un ami et une fois auprès de lui, il vous avoue humblement qu’il vous attendait avec impatience, car sa santé, brutalement venait de se dégrader ? Ne vous êtes-vous jamais laissé guider comme si quelqu’un d’invisible tenait votre main ? N’avez-vous jamais été surpris par quelques décisions prises alors qu’auparavant vous n’auriez jamais osé franchir le pas qui vous séparait de certaines situations ? Je ne puis évidemment vous décrire tous phénomènes qui à force d’énumération, lasseraient votre lecture. Mais c’est à tous ces signes qui nous apparaissent anodins que nous comprenons que quelqu’un n’est jamais loin de nous ; s’il nous arrivait de laisser notre conscience s’engourdir, rapidement, l’invisible personnage, encore présent dans notre existence, nous rappellerait à l’ordre en nous dictant nos obligations et nos devoirs envers les uns ou les autres. Pourtant, les temps modernes s’efforcent de nous écarter chaque jour un peu plus de nos aînés. Ils tiennent à notre disposition une riche panoplie d’objets et outils inutiles, que l’on a su rendre indispensables afin d’occuper nos esprits toujours prêts à s’évader en des lieux inconnus et sous des cieux différents.

    Au contraire, dans notre famille, prenant le siècle à contre-pied, nos pensées ne nous conduisent jamais très loin de nos parents. Mieux, nous avons le sentiment que nous habitons le même espace de vie et qu’ils ne s’éloignent jamais de notre demeure, arrimés tels les navires en leur port. Dans chacune de nos citations, des mots leur appartiennent ou leur sont destinés tandis que bon nombre de nos soupirs leur sont adressés. Au fil des lignes que nous écrivons timidement, bien des phrases leur sont dévolues, alors que sans que nous ayons besoin de les en prier, ils marchent dans nos rêves et nos songes. Je ne doute pas que maintes choses sont leur propriété et il m’arrive fréquemment de me retourner, persuadé de la présence d’une personne, à tout le moins, sans doute l’avoir frôlée.

    En cette journée consacrée aux défunts, mais pas uniquement ce jour-là, car sous notre toit, de nombreuses bougies sont allumées sous les portraits de ceux qui ont mis tant de peine pour construire la vie telle que nous la traversons non sans difficulté. Si les petites flammes viennent à vaciller, c’est grâce à leur proximité et leur souffle léger, pour nous indiquer qu’ils ne sont jamais loin de nous.

    Mais il n’est pas qu’en notre demeure que les bougies laissent danser leurs timides lueurs dont certaines semblent nous dire combien grandes furent leurs souffrances avant de quitter le monde des vivants. Dehors, d’autres lumières brilleront dans le soir. Elles seront destinées aux âmes oubliées qui errent dans le ciel, comme elles le furent sur la terre. C’est alors qu’il nous plaira d’imaginer que le seuil de notre maison est pareil à un carrefour dans lequel de nombreuses personnes se retrouvent ce jour où elles étaient sans nouvelle des leurs.

    Soudain, les petites flammes s’animent, dansent joyeusement, crépitent pour nous dire qu’elles nous remercient de notre attention à leur égard et essaient de nous faire comprendre que plus jamais elles ne s’éloigneront des lieux où les présents associent les absents à leur quotidien.

    Amazone. Solitude. Copyright N° 00061340-1

     

     

     

     


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