• Chut ! la nuit s'installe

    Chut ! la nuit s'installe

    — Voilà ! C’est fait ; depuis le matin, il nous l’avait promis et il n’est pas de ceux qui ne tiennent pas la parole donnée. Dans notre lointain petit coin du monde, le jour s’enfuit, mais avec en lui le sentiment du devoir accompli. La journée fut celle d’un ministre au programme toujours chargé. Toutefois, il fit de son mieux pour contenter tout le monde. Chaque élément se prêtant à ses caprices aura reçu son pesant de clarté et seules les fleurs fragiles sont restées sous les ombrages afin de ne pas ternir l’éclat de leurs pétales délicats.

    Sur la Terre, tout s’apaise, imitant l’enfant nouveau-né soupirant avant de s’endormir confiant, dans les bras de la mère aimante et attentive. Lentement, l’une après l’autre, non sans regret, les couleurs rejoignent leur place sur la palette. Le peintre peut bien attendre demain pour continuer les retouches du monde qu’il a ébauché depuis l’aube.

    L’herbe douce et parfois un peu folle sous les caresses du vent est heureuse de retrouver un peu de fraicheur. Elle va pouvoir remettre de l’ordre dans sa tenue en dehors du regard brûlant du soleil qui est prié d’aller briller ailleurs. Rancunier, il jure qu’il n’a pas dit son dernier rayon et promet de revenir très vite.

    — Je ne dors pas, crie-t-il aux Terriens ; je ne vous montre que mon mauvais côté ! S’il ne tenait qu’à moi, je vous priverais quelque temps de ma clarté ; ce faisant, vos pensées les rendrai-je sombres.

    Furtivement, sans rien déranger, le soir s’installe, et le couchant est pareil à la paix revenue sur le monde. C’est l’heure où la vie change de chemise. Le jour est semblable à l’ancienne lampe à huile dont il fallait rentrer la mèche pour baisser la clarté. C’est le moment où tout ce qui vit au grand jour doit sans tarder regagner sa demeure, son terrier ou son gîte où il restera attentif au souffle de la nuit. Malheur à l’oiseau dernier-né s’il est tombé du nid. Il fera le régal de l’un des « hôtes de ces bois ».

    L’homme doit se presser de quitter le layon s’il ne veut pas être rattrapé par les « Maskililis », ces petits hommes des bois venus d’on ne sait où et allant vers un pays que l’on ignore où il se trouve. On sait seulement que nul ne peut les croiser sans risquer de « démarcher », c’est-à-dire marcher à l’envers.

    Dans les eaux redevenues calmes, les poissons regagnent leurs roches et leurs trous. Il n’y aura plus de « demoiselle » à gober aujourd’hui. Doucement, la nuit enserre les choses et les êtres dans son voile fin et sombre. Dans les cases, l’heure de se rapprocher, de s’aimer ou de rêver a sonné, et les hommes parleront à voix basse pour ne pas incommoder la nuit qui réclame le silence, car elle n’aime pas être troublée.

    Il en sera des douleurs comme de la lumière ; elles iront en se faisant discrètes. Les arbres tendront leurs rameaux et leurs feuilles une dernière fois pour voler au temps encore un peu d’air frais avant d’expirer les mauvais effluves et relents du jour. Le fleuve se fait complice du ciel pour revêtir les couleurs du soir en retenant son flux. Il sait la lune coquette. Elle ne supporte pas de voir des rides ondulant sur son plus beau profil, tandis qu’au-dessus d’elle, les étoiles se disputent pour occuper la première place.

    C’est l’heure où les fleurs dispersent sans compter leurs parfums, dont je sais qu’ils sont comme le baume qui apaise, presque le médicament miracle qui endort la nature dans un dernier sourire, imitant le bonheur. Dans un instant, sans bruit, la nuit aura confondu la Terre et l’espace dans une même couleur, celle de l’oubli.

    Ce sera l’heure où sur l’onde les âmes des disparus flotteront et se presseront pour retrouver des lieux où ils avaient abandonné le bonheur. Discrets, ils feront le tour de nos demeures afin de trouver sur le rebord de notre fenêtre, à côté de l’assiette contenant leurs mets préférés, une parcelle de notre cœur et des étincelles de notre âme. 

     

    Amazone Solitude


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