• CONTES ET LÉGENDES DU POIS SUCRE

    LA NAISSANCE DES SAISONS 

    CONTES ET LÉGENDES DU POIS SUCRE

    L’HIVER

     

    – Dans l’âtre noirci des cheminées de pierres disjointes construites à la hâte, les flammes des bûches éprouvent la plus grande difficulté à éclairer l’espace fermé sur le monde extérieur. Mais pas seulement. Malgré ses efforts, le feu ne parvient pas à chauffer la pièce enfumée, faisant maugréer les habitants. Les plus audacieux disent qu’ils se brûlent devant, mais se gèlent le derrière. Mille fois, ils avaient prétendu apporter des modifications, mais ces dernières étaient toujours reportées au jour suivant. Déjà, les anciens, sages par définition, leur avaient fait la remarque, que ce qu’ils décrivent comme appartenant aux lendemains, est juste à côté, à trépigner sur le seuil de la chaumière. Alors, haussant les épaules, les plus jeunes remettaient du bois sur les braises.

    – Pas celui-ci, disait l’aîné ! Tu vois bien qu’il ressemble à de la paille ; il se consume trop vite. Va chercher celui qui a un grain fin, mais très serré et de couleur rouge. C’est le plus dur que nous ayons par chez nous, avec celui que l’on dit être du bois serpent.

    Traînant les pieds, l’enfant concerné se met en quête des bûches énumérées. Lorsque celles-ci rejoignent le foyer, d’abord, elles font savoir leur désaccord dans de grands crépitements. Comme pour se venger d’avoir été choisit, elles lancent des étincelles dans tous les sens, obligeant ceux qui se tenaient devant de se reculer. Toutefois, c’était une mince consolation, tandis que les flammes, déjà, entamaient l’écorce séchée. Quant aux hommes, leur peau étant si rêche que c’est à peine s’ils sursautaient quand les escarbilles se précipitaient sur eux comme un soldat sur son ennemi.

    C’était aussi l’époque des grands vents venus dont on ne savait où. Ils étaient si violents qu’ils jetaient à terre les ramures qui tentaient de leur résister. La bise glacée s’en prenait à la porte, comme pour l’enfoncer. Elle rageait et sifflait sans discontinuer. À force d’acharnement, elle finissait par trouver le trou de la serrure en émettant une stridulation si forte, qu’elle faisait frémir les résidants, qui, d’instinct, cachaient leurs mains dans la profondeur des poches de pantalon. Fier, le souffle faisait le tour de la maison, se posait sur les choses et les gens, s’infiltrant dans les habits mal assemblés.

    Dehors, plus par vengeance que par nécessité, le froid étreint tout ce qu’il touche. Bientôt, la glace s’empare des flaques que le vent a oublié d’assécher. La rivière elle-même qui pourtant coulait des jours tranquilles se retrouva prisonnière. La nuit prenait possession du monde beaucoup plus tôt et daignait céder sa place au jour qu’après de longues hésitations. Jusqu’à ce matin où les hommes stupéfaits virent que la neige recouvrait tout. Elle était si épaisse, qu’ils ne purent sortir qu’après avoir déblayé un chemin. Ils pensèrent que la planète devenue folle s’était égarée dans l’univers, car aucun bruit ne troublait le silence profond dans lequel ils ne se reconnaissaient plus. Ils imaginèrent que la vie avait disparu. Tout ce qui existait et qu’ils connaissaient parfaitement était absent. Dans la forêt, les arbres, surpris, en laissaient choir leurs branches comme des vaincus abaissent leurs armes. On eut cru qu’ils étaient trop vieux pour supporter le poids des ans. Certains troncs éclatent de désespoirs. D’autres, ne sachant pleurer, s’endorment à la façon qu’ont les anciens trop épuisés. Ils ferment les yeux pour l’éternité. Plus rien ne subsiste ; que l’oubli des choses, du temps et des événements.

    Alors, face à l’étonnement des gens, les érudits y vont de leur science.

    – Ne vous avions-nous pas prédit à maintes reprises que tout ce qui naît connaît sa fin ? Ce qui existe aujourd’hui se meurt demain. Parce que vous êtes ignorants, vous n’avez pas su déchiffrer les messages que le ciel vous a envoyés ! Si vous n’y prenez garde, vous allez bientôt rejoindre les oiseaux qui n’ont pas retenu les leçons que leur avaient enseignées les plus rusés. Ne croyant pas qu’ailleurs le bonheur pût être plus grand que chez eux, ils tombent des branches sur lesquelles ils espéraient trouver un insecte. Hélas ! Eux non plus n’ont pas su interpréter le changement qui se préparait. Seuls ceux qui ont anticipé en s’enfouissant profondément dans le sol ou dans le bois ont une chance de survivre.

    – Si vous connaissez tant de choses, pourquoi ne pas les avoir divulguées, reprocha-t-on aux devins ?

    – Nous l’avons fait, répondirent-ils en soupirants. Mais vous n’écoutiez pas, ou ne compreniez pas. Vous étiez encore à vous dorer dans les rayons faiblissants d’un soleil qui lui aussi, déclinait de jour en jour. Vous imaginiez que la félicité dans laquelle vous vous baigniez du matin au soir vous était acquise pour l’éternité. Sachez une bonne fois pour toutes que ce que l’on nous accorde trop facilement quand vous tendez la main droite, vous est repris de même de la gauche.

    Demain, je vous invite à découvrir le printemps.

     

    Amazone. Solitude. Copyright 00061340-1


  • Commentaires

    Aucun commentaire pour le moment

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :