• Dans nos cœurs, méres vous resterez

     

    Dans nos cœurs, méres vous resterez— Dires que les années qui précédèrent les matins calmes, est sans doute un euphémisme, quand on sait qu’elles furent parcourues par la guerre et ses atrocités. Les souffrances furent telles, qu’elles contaminèrent les jours qui virent la paix s’installer, et même les ans qui suivirent. Le pays ayant été déchiré, séparé, fut long à se remettre de ses blessures. Les gens dont on espérait qu’ils seraient heureux de se retrouver après avoir reconquis la liberté n’en finirent pas au contraire à se diviser, entretenant un climat de suspicion plutôt que celui de la réunification. Les hommes cherchèrent un exutoire et ils le trouvèrent en la personne des plus faibles. Les jours sombres n’en finissaient plus de voir défiler dans leur morosité les femmes livrées à la vindicte populaire, le crâne rasé, parfois dans une nudité totale.

    Certains pensaient que les horreurs étaient enfin loin derrière eux, s’imaginant que la vie paisible pouvait définitivement reprendre ses droits et que le bonheur n’avait qu’à suivre les chemins tels des liens menant les hommes d’un village vers un autre.

    Mais c’était sans compter avec la haine et la rancune de certains individus. Ces femmes, qu’ils conduisaient comme un troupeau à travers les rues des villes et des villages, quels outrages avaient-elles commis pour mériter de tels châtiments ?

    Avaient-elles vendu des secrets à l’occupant ? Complaisamment, avaient-elles révélé des noms de personnes, révéler à l’ennemi des lieux stratégiques où que sais-je encore ?

    Non, rien qui mérita pareil outrage. Le crime que l’on dénonçait avait un caractère plus humain que ceux perpétrés par les hommes durant toutes ces années, y compris ceux qui s’érigeaient en juges afin de mieux dissimiler leurs propres trahisons.  

    Dans le bruit des canons, de la mitraille et des privations, un jour, ces femmes dont la plupart étaient des mères, un matin s’étaient réveillées lasses. Elles avaient osé dérober au temps un instant de bonheur. Elles avaient tendu la main, pour, de leurs doigts, écorcher un ciel bas et obstinément gris.

    Elles voulaient s’assurer que derrière ce rideau hideux il existait encore un morceau de ciel bleu et pour une fois, elles revendiquaient leur part.

    Dans le chaos qui régnait alors et où plus rien ne ressemblait à une quelconque logique, elles avaient fermé les yeux à la tristesse pour ne pas troubler l’amour fugace qui avait frappé à la porte de leur demeure.

    Qui sinon elles, étaient à même d’expliquer que les corps de femmes ne sont pas faits pour de l’existence, n’en connaître que les souffrances quotidiennes ?

    Qui aurait pu expliquer aux bourreaux que les yeux n’étaient pas que la source des larmes amères et que les frissons courant sur la peau pouvaient être générés par un sentiment plus noble que celui de la peur au ventre ?

    La soumission ; elles auraient pu révéler bien des secrets à son sujet. N’avaient-elles pas été soumises jusqu’à ce soir maudit où l’on vint chercher leurs hommes pour les livrer à une guerre qui n’était pas la leur ?

    Alors elles s’étaient effacées au profit de l’enfant dernier né qui pleurait au fond de son berceau ou du plus grand qui réclamait dans un sommeil agité le père absent.

    Bien sûr, qu’elles avaient juré fidélité pour le meilleur et pour le pire. Mais il n’était écrit nulle part que le pire devait être servi à tous les repas et ce jour paraissait loin, comme dans une autre vie où elles ne seraient jamais allées.

    Les promesses et les espérances avaient suivi les hommes dans les soirs de la guerre et bon nombre d’entre elles sont restées en des lieux inconnus et froids.

    Celles que l’on avait condamnées sans même prendre le temps de les juger défilaient sans rien dire, entre des rangées d’hommes dont les insultes fleurissaient le langage. Comme par magie, certains devenaient forts alors qu’au plus fort des combats, ils avaient disparu.

    D’autres se tenaient un peu en retrait, car ils savaient que quelques-unes de ces femmes humiliées pouvaient les reconnaitre. Ils étaient tels des chiens poltrons, aboyant avec la meute en prenant soin de ne pas approcher pour ne pas prendre les coups. Ils attendaient que la proie fût vaincue pour venir disputer leur part du festin. On prétend à juste raison que le temps épuise les souffrances jusqu’à leur totale disparition. Mais les plaies resteront toujours sensibles et se rouvriront à la première alerte.

    Femmes, qui avaient eu l’audace de lever les yeux au ciel, qui avaient affronté les tremblements de terre qui s’en sont suivis, vous devez savoir que vos sacrifices n’ont pas été vains. Quelque part autour du monde, il est des hommes qui se tiennent dans l’ombre, mais qui sont fiers de vous avoir aimées. Ces hommes ce sont vos enfants que l’on a si longtemps montrés du doigt. Eux n’étaient fautifs d’aucun délit, mais trop souvent on leur a fait supporter le poids de ces années douloureuses.

    La douleur ressemble en cela à la richesse, qu’elle est héréditaire et nous ne nous sommes pas crus autorisés à dilapider notre héritage. Sachez seulement, mères, que vous êtes dans nos cœurs et que vous y resterez à jamais.

    Amazone Solitude

     

     


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