• De vagues en vague à l'âme

    — Traverser l’océan alors que nous sommes sur un bateau apporte beaucoup plus d’émotions que si nous le survolons en avion. Vague après vague, tel un chemin chaotique, le navire semble épouser le flot, gémir de concert avec lui, plonger et remonter comme s’il revenait de l’enfer lorsque la mer est en colère.

    Le marin n’a guère le temps de se poser de questions concernant le pourquoi et le comment des mouvements de cette masse en perpétuel déplacement. Il doit à chaque instant guetter la vague traite qui veut le prendre en surprise, riant du bon tour qu’elle vient de jouer à l’homme qui doit déployer toute son énergie pour éviter de sombrer.

    Je ne sais pas s’il vous est arrivé de survoler ces étendues immenses qui isolent les continents, mais vues depuis le ciel, les considérations sont différentes de celles qui naissent dans l’esprit du navigateur sur son bateau qui paraît bien minuscule et fragile face aux démons et autres serpents de mer.

    Depuis le hublot, l’océan nous laisse admirer dans sa plus grande splendeur sa puissance et ses mouvements.

    Durant de longues heures, par un temps clair et parfaitement dégagé selon les saisons, aucun paysage différent ne s’offre au regard curieux du voyageur.

    Depuis le ciel, aucun creux, aucune élévation pour souligner cette immensité dont on devine à peine le déplacement.

    Pour cela, il nous faudra attendre l’approche des côtes. En l’occurrence, celles du continent sud-américain, facile à imaginer par la couleur de l’eau et son bel habit de verdure. Comme l’avion amorce sa descente, on peut apercevoir les frémissements de l’océan qui nous laisse croire qu’il se lance à l’assaut des terres, qui à cet instant lui dispute la vedette.

    Mais une surprise attend le voyageur. Souvent les clichés offerts aux touristes pour les séduire, offre des mers d’un bleu impeccable laissant deviner des fonds marins aux tons changeants, dans lesquels s’admirent les palmiers et autres cocotiers.

    Sur les côtes guyanaises qui bordent l’Atlantique, c’est l’inverse qui nous interpelle. Les eaux sont de couleur sombre, comme si elles cherchaient à nous dissimuler quelques vérités.

    La faute en revient à l’Amazone, qui, plus au sud, déverse chaque jour des millions de mètres cubes de sédiments arrachés au continent et qui s’attarde le long du littoral. Toutes ces boues constituent d’immenses plateaux de vase sur laquelle se fait et se défait la mangrove, véritable pouponnière d’une autre vie.

    Accentuant sa descente, l’avion nous permet maintenant de mieux comprendre les ondulations formées par le frémissement incessant de l’océan, nous donnant l’impression qu’il ressemble à une puissante respiration.

    C’est alors qu’il nous vient une question insistante, comme une obstination.

    Avons-nous un jour songé à ce que pouvait être l’existence d’une vague ?

    Née d’un banal trait barrant la surface de l’eau, elle s’élance à la découverte de l’océan, dont elle n’aperçoit rien.

    Alors elle enfle à la manière de quelqu’un qui se hausse sur la pointe des pieds pour voir ce qu’il se passe loin devant.

    À force de grossir, c’est bien connu, elle devient prétentieuse, excessive, grondante et mugissante cherchant à effrayer les plus petites qui l’empêchent de rouler plus vite.

    Beaucoup d’énergie pour rien ; cette puissance inutile et indomptable. Que sait-elle du jour dans l’aube duquel elle vit le ciel, ignorant même s’il avait un début et une fin ?

    Elle naît et meurt sous le soleil dont elle ne connaît rien de sa course folle. Elle croit seulement que parfois il est à cheval sur sa crête, tantôt dans le creux qui la sépare de ses voisines.

    De l’azur, elle ignore tout ; elle n’éprouve qu’une violente satisfaction à épouser l’onde, se laissant bercer selon son bon vouloir.

    S’approchant de la côte, la vague devine que son existence, soudain, touche à sa fin. Comme pour toutes les autres elle comprend qu’elles naissent dans la solitude et meurent dans l’indifférence, déchirées, dispersées et emmêlées dans les racines des palétuviers qui leur volent leurs âmes.

    Destin éphémère, qu’est celui de la vague, ignorant tout de la tendresse. Elle n’est appréciée que pour les émotions égoïstes qu’elle procure à celui qui glisse sur le rouleau qu’elle forme et qui ressemble à des conquêtes d’un autre temps.

    Lasses d’être des incomprises, jamais enviées et souvent redoutées, elles se révoltent parfois, semant la mort et le désastre.  

    Il est vrai que naître par hasard et finir médiocrement n’a jamais engendré le bonheur.

     

    Amazone. Solitude. Copyright N° 00048010

     

       


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