• EN ROUTE POUR L’ABATTIS 1/3

    EN ROUTE POUR L’ABATTIS  1/3    — Si depuis l’ère nous relatant la vie d’un temps si ancien, qu’il n’est plus inscrit dans aucune mémoire, bien des lunes se sont succédé. Il n’en demeure pas moins que les traditions n’ont rien perdu en chemin, et qu’au modeste grain de couac (manioc râpé puis desséché sur la platine dont les flammes lèchent le derrière) déposé au fond du sac, bien d’autres l’ont suivi afin qu’il se remplisse. Les premiers habitants ressemblent toujours à leurs ancêtres, et la plupart sont restés fidèles à leur environnement et si l’on y prend garde, il serait facile de les confondre avec les éléments qui les entourent. On pourrait en déduire qu’ils sont la branche intelligente de la nature, qui, malgré ses efforts, ne voulut jamais donner le pouvoir ni le savoir aux autres acteurs et figurants de la haute sylve. Pour se faire pardonner, elle dota les hommes qui la respectaient d’un instinct si développé, qu’il leur fût aisé de comprendre le message que chaque végétal ou animal portait en lui.

    C’est ainsi que les siècles s’ajoutèrent, sans qu’aucune modification notable ne fasse l’objet de profonds bouleversements au sein du peuple de la forêt. Le jardin vivrier sur brûlis est pratiqué comme il l’était il y a des années en arrière. Une parcelle de bois est couchée à l’intersaison. Elle est réduite à l’état de cendres durant la  sécheresse et immédiatement mise en culture, afin de profiter au plus vite des bénéfices d’une terre nouvelle et enrichie d’aucun produit de synthèse. Entre les gros troncs qui gisent un peu partout sur l’abattis, les plants et les légumes recouvrent rapidement le sol. Sur cette parcelle aux allures de jardin vivrier, les molécules chimiques de toutes sortes n’ont aucun droit de visite. La nature s’est toujours défendue seule contre les attaques de l’un ou l’autre de ses parasites et quand elle réclame de l’aide, la main de l’homme associé à son savoir est suffisante pour freiner les appétits gourmands des insectes, vecteurs de maladies. Pour chasser les indésirables, des feux produisant une fumée abondante sont allumés aux points stratégiques afin de décourager les plus audacieux. 

    Dès que la terre de la parcelle est devenue pauvre, une nouvelle est créée. Ainsi, par le principe des rotations, les ravages dus aux champignons n’ont pas le loisir de s’installer. Sur les anciens abattis, ne resteront que les végétaux qui n’auront pas pu être transportés, tels les arbres fruitiers. Les autres légumes seront exploités jusqu’à ce que plus aucune repousse ne se manifeste, et le site abandonné, la forêt retrouve sans tarder sa place.  

    S’il fut un temps où les chapounots, noms donnés aux villages, suivaient les jardins, il n’en est plus de même de nos jours, sauf dans les cas de force majeure.

    Les hommes, devenus sédentaires, ont établi leurs résidences le long des fleuves. Seuls les abattis sont itinérants. Ainsi, pour se rendre sur les lieux de production, sont-ils obligés d’emprunter les pirogues.

    Pour expliquer la solidarité qui est de mise chez les peuples premiers, la notion de propriété n’existe quasiment pas. Chacun et naturellement fils de la Terre et par extension, citoyen du monde. Ils sont comme le vent et l’oiseau, ils ignorent les frontières que ceux venus d’ailleurs ont tracées, sans que l’on comprenne pourquoi de telles divisions. Les exploitations et les biens sont collectifs et nul ne songerait à faire rétribuer son aide. De nos jours, un maître mot circule : le partage équitable ! En ces temps où dans de nombreux autres pays l’égoïsme connaît une extension grandissante, nous serions bien inspirés, si nous revenions à nos valeurs fondamentales. Mais là n’est pas mon propos.

    Ainsi, si vous le désirez, vous pouvez embarquer pour nous accompagner non pas à l’hypermarché de la région, mais en lieu plus vaste encore, puisqu’il est celui des cultures, écrin privilégié entouré d’une forêt, alors qu’aucun des hommes d’hier ne savait où elle finissait. Il n’y a que ceux des villages côtiers qui comprennent que son commencement est immédiatement après la dernière vague, comme si c’était l’océan qui l’avait rejeté sur le continent, un jour où il fut dépassé par sa grande bonté. C’est sans doute à celle-ci que la mer donna la générosité en héritage à la sylve. Soucieuse de respecter le pacte qu’elles conclurent un beau matin, elle ne se lassa jamais d’offrir le meilleur à ces hommes qui la chérissent avec la même attention acquise il y a des générations.

    Si certains fruits et légumes font partie intégrante du mode alimentaire, les Amérindiens sont avant tout de grands consommateurs de produits de la rivière. L’heure n’étant pas la préoccupation essentielle de ces peuples qui ont toujours vécu en harmonie avec leur milieu, à tout moment du jour on peut déguster un excellent blaff de coumarou ou toutes autres variétés de poissons. (Chez nous, on ne trouve pas moins de 435 espèces dans les criques, ou fleuves.)

    Il est facile de comprendre les raisons pour lesquelles la pratique de l’orpaillage clandestin avec ses rejets de mercure dans le réseau fluvial est devenue l’une des causes majeures de leur mal-être actuel. On chercherait à les éliminer, que l’on ne s’y prendrait pas autrement. Avant le retour vers le village, il ne faudra pas s’étonner si une partie de pêche est rapidement décidée.  

    Demain, si vous le désirez, nous débarquerons sur l’abattis, où nous passerons une journée à découvrir les végétaux et les méthodes de culture. (A suivre).

    Amazone. Solitude. Copyright n° 00061340-1

     

     


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