• ET AU BOUT DE LA PISTE, L’AMITIÉ 1/2

    – La piste serpentait entre les champs de cannes à sucre depuis quelques kilomètres, sans y rencontrer le moindre marcheur. Robert n’était pas absorbé par la conduite plus que l’attention ne l’imposait, un œil sur le paysage plutôt monotone, l’autre à chercher le trou le moins profond pour ne pas y laisser une partie de son véhicule. J’avais bien raison de penser que je retrouvais ma lointaine Afrique en débarquant de l’avion la semaine dernière, se dit-il, alors que le ciel venait de gratifier l’aéroport, et les environs d’une belle ondée tropicale, faisant remonter en sa mémoire, cette odeur particulière, que libère l’humus sur lequel pousse une forêt exubérante. Et sur ce continent, la sylve en était un à part entière. À l’Est, elle bordait un océan, pour en ourler un autre à l’Ouest. Elle occupait presque tout le territoire dont il s’apprêtait à en faire sa nouvelle patrie, si l’on exceptait une bande littorale et les cours d’eau, ici, plus importants que nulle part ailleurs. La plantation sucrière attendait les coupeurs de cannes, si hautes, que l’horizon s’en trouvait invisible.

    Soudain, à la sortie d’une longue courbe, un homme, fusil à l’épaule et machette à la main, s’arrêta net au milieu de la piste. Robert arriva lentement jusqu’à lui et stoppa.

    – Bonjour ! monsieur, êtes-vous l’un des heureux résidants de cette région quelque peu sauvage ?

    – Vous ne vous trompez pas, répondit le chasseur. Je reste à environ un kilomètre d’ici.

    – Voulez-vous que je vous y dépose, proposa Robert ?

    – Quand c’est gentiment demandé, on aurait tort de refuser, dit l’inconnu.

    Il s’installa dans la modeste 4 l, et comme un prélude aux quelques années qui suivirent, ce fut la première page d’une belle histoire.

    – Je suis Robert Bonaventure, arrivé depuis peu et à la recherche d’une maison à louer. En ville, un ami m’a indiqué qu’il devait s’en tenir une par ici.

    – Vous ne vous êtes pas trompé de chemin. Tout près de chez moi, il y en a une, en effet. Je suppose que c’est de celle-ci que l’on vous aura parlé. De toute manière, vous ne pouvez pas hésiter, car elle est la seule, et qu’il n’y a que des blancs qui l’ont occupée jusqu’à présent.

    – Elle recèle donc tant de défauts, qu’ils n’y restent pas, monsieur…

    – Excusez-moi, je ne me suis pas présenté. Vous êtes en présence de Claudio, Cécilius, annonça-t-il souriant, en prononçant Claodio. Pour répondre à votre question, je ne prétends pas qu’elle n’est pas conforme aux constructions modernes. Mais pour des gens qui ont l’habitude du confort, évidemment ce n’est peut-être pas le Pérou, je l’ai déjà entendu dire par chez vous.

    – Je vois que nos citations ne vous sont pas étrangères, Monsieur Claudius. Vous avez certainement résidé dans l’une des régions de notre vieux pays !

    – Soyez gentil, Robert, ne me donnez pas du monsieur. Pour tout le monde, je suis C. C. Et pour vous finir l’histoire, je préfère vous dire tout de suite que par ici, il n’y a pas la lumière, pas l’eau courante ni le téléphone. Voilà pourquoi ils ne restent jamais plus que quelques années. Mais dites-moi, vous êtes seul, ou votre famille est encore au pays.

    – Vous le devinez bien, C. C. Je suis là en éclaireur, en quelque sorte.

    – Et vous comptez résider définitivement, ou vous n’êtes que de passage ?

    – Si tout marche comme je l’entends, répondit Robert, j’espère même terminer ma vie dans votre belle région.

    – Mais êtes-vous fonctionnaire ? Cela ne me regarde pas, mais d’après ce que je sais, ils ne demeurent jamais longtemps par chez nous.

    – Non, je suis dans le secteur privé. En vérité, je venais pour être agriculteur, mais étant donné que ces messieurs me cherchent des problèmes, je me suis tourné vers le commerce. Si je décide de louer le logement près de chez vous, je vous préviens que ce n’est pas demain que vous nous verrez quitter les lieux. Au fait, je ne vous ai pas encore dit, mais mon épouse et nos trois jeunes enfants sont toujours sur le vieux continent. Si la maison me convient, au plus tard dans un mois, ils me rejoindront. Mais vous ne m’avez pas répondu, tout à l’heure, quand je vous ai demandé si vous étiez allé en France.

    – Oui, nous avons parlé d’autre chose. En effet, je suis allé faire la guerre, comme beaucoup de compatriotes de nos régions. Certains, hélas ! ne sont pas revenus. Mais, c’est le destin, n’est-ce pas. Dans de telles circonstances, la chance doit nous accompagner. Parfois, un ami à vous est touché alors qu’il ne se trouve qu’à deux ou trois pas de vous. Vous êtes triste, bien sûr, mais d’un autre côté, vous êtes cependant heureux d’être encore en vie. J’ai donc eu l’occasion de visiter, malgré moi, votre pays.

    – Vous a-t-il plu ?

    – Ah ! Oui, je m’y suis vite habitué. Partout des choses merveilleuses, de grandes villes, des montagnes ; enfin, toutes ces choses que nous n’avons pas chez nous.

    – Vous n’avez pas été tenté d’y rester ?

    – Non, Robert ; j’aime trop ma Guyane. Et chez nous, il n’y a pas ces saisons qui vous glacent le sang ! (À suivre)

    Amazone. Solitude. Copyright 00061340-1

     


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