• Juste un peu d'eau

     

     

    Juste un peu d'eau

    — Nous traversions une année particulièrement étrange. Dans nos contrées, il est une expression ancienne, presque devenue une légende qui traduit à merveille ce qu’était notre climat, avant que les désordres commencent à se faire ressentir :

    — Chez nous, prétendaient les anciens, il y a deux saisons ; une durant laquelle il pleut et l’autre où il pleut moins !

    — Autant vous dire que de l’eau, il y en avait plus qu’il était nécessaire. Nous ne la gaspillions cependant pas, contrairement aux idées toutes faites, il n’était qu’à disposer son seau sous la gouttière pour qu’il se remplisse en moins de temps qu’il en faut pour le dire. Bref, l’eau du ciel était partout. Les fleuves et les rivières songeaient à agrandir leur lit afin de contenir leurs flots, les bananes étaient heureuses, car ce sont de grandes consommatrices du précieux liquide. Les tarots et autres dachines rayonnaient de bonheur au-dessus de leurs buttes de terre. Les oiseaux étaient heureux, car jamais une flaque ne manquait pour le bain quotidien. Au risque de se déstabiliser, les végétaux ajoutaient une couronne de branches, puis encore une autre et ne se privaient pas d’agrandir leurs feuilles afin de respirer plus confortablement.

    C’est alors au moment où personne ne songeait que cela put s’arrêter, que les saisons sèches devinrent plus précoces et s’allongèrent ostensiblement. Elles n’étaient commencées que depuis quelques jours que déjà les hommes lorgnaient le ciel pour surprendre le moindre signe annonciateur de pluie.

    — Elle sera courte cette année, plaisait-il à quelques-uns de le croire et d’en persuader leurs voisins !

    Personne n’osait répondre, mais tous haussaient les épaules comme pour dire que ce n’était pas une information à retenir.

    Les jours se succédaient et donnaient raison aux pessimistes. La nature gorgée d’eau depuis trop longtemps n’avait pas jugé utile de se préparer au pire. Des saisons sèches, croyait-on l’entendre dire, nous en avons connu de plus sévères ! Nous n’en sommes plus à une près !

    Mais elle avait beau s’appliquer une certaine méthode que connaissent bien les anciens, de jour en jour elle n’allait pas mieux. Pareille aux hommes et aux animaux qui suffoquaient, son tour vint qu’elle fut obligée de transpirer abondamment pour se protéger de la chaleur.

    Elle transpira tant, qu’avec désespoir elle vit certains végétaux mourir asphyxiés. D’autres arbres aux racines traçantes sur la couche d’humus qui ne se souvenait plus si elle avait connu l’humidité se laissèrent dépérir.

    Le cœur de la forêt suffoquant sous les rigueurs d’un climat nouveau ne battait plus qu’au ralenti. Il n’était pas une nuit au cours de laquelle on n’entendait pas des géants s’effondrer dans la plus grande douleur, entraînant à leurs suites des innocents qui avaient eu l’audace de penser qu’ils pouvaient réchapper à la catastrophe. Des arbres qui se vantaient d’avoir un feuillage persistant eurent la désagréable surprise de voir leurs feuilles jaunir et tomber sans même essayer de tourbillonner, serait-ce pour amortir leur chute.

    Les fruitiers étaient désespérés. Leurs fruits au demeurant pleins de promesses se desséchèrent sur les rameaux. Ils se laissaient tomber sur le sol dur en faisant un bruit mat, comme une dernière plainte avant d’être oubliée par les uns et les autres acteurs de la vie ; jusqu’aux oiseaux qui les dédaignèrent, car ils n’étanchaient pas leur soif.

    Quand à la terre, brulée et craquelée, elle ressemblait à un puzzle gigantesque, dont les pièces s’écartaient un peu plus chaque jour. Le sol semblait agoniser sous un ciel indifférent. Nous penchant au-dessus de la terre blessée, tendant l’oreille, on pouvait l’entendre gémir. Elle demandait pardon à l’astre luisant, pour avoir été orgueilleuse à l’époque où avec l’aide des alizés, elle laissait onduler à sa surface une fine, mais élégante tenue faite d’herbes hautes, semblables à la chevelure légère d’une jeune fille.

    Il ne faisait plus de doute que la terre lézardée, en échange d’une pluie, offrait en d’interminables souffrances, son âme au ciel, au zénith duquel, le soleil pavoisait, se montrant chaque jour plus intraitable. Il était fier de montrer à la face du monde qu’il était le seul qui savait se passer de l’aide de quelqu’un ou de quelque autre élément.

    Au long des pistes, la poussière rouge de la latérite accompagnait longtemps le pas des hommes. Dans le lit des criques, seuls quelques trous offraient un dernier refuge aux poissons qui se retrouvaient alors à la merci des aigrettes et autres butors. Dangereusement, les puits atteignirent leur niveau le plus bas et chaque seau tiré se devait d’être économisé comme s’il était le dernier de la saison. Les rares mares ne suffirent plus pour les ablutions des oiseaux. Les plus forts en interdisent l’accès aux plus faibles qui ne trouveront après le départ des égoïstes qu’une eau boueuse, impropre au lissage des plumes, comme pour calmer les gosiers asséchés. Il leur faudra donc user de ruses pour trouver la seule fontaine des environs qui ne soit pas tarie.

    Pareil à tous les hommes, je n’aime pas cette saison qui fait souffrir la nature plus que de raison et qui transforme tout ce qui a encore la prétention d’exister, en être lymphatique et sans imagination. Alors, en tous points de la région, des prières s’élèvent pour que cesse l’agression du soleil et qu’à sa place, le ciel réinvente les couleurs grises annonciatrices de la pluie.

    Qu’importe qu’elle soit douce et fine, violente ou orageuse, la saison de la mousson sera alors accueillie en héroïne, qui aura délivré la terre de son pire cauchemar.

     

     

    Amazone Solitude  

     

     

      


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