• L'apprenti sorcier

     

    L'apprenti sorcier— Dans la grande salle de la ferme où l’âtre soufflait encore son haleine de cendres refroidies, entre le père et son jeune fils le dialogue était déjà lancé, ignorant le jour qui depuis un moment frappait à la fenêtre. Le père, penché sur le foyer, tentait de ranimer des flammes qui se voulaient timides. Il n’était pas contrarié, non, tout juste surpris que ce garçon qu’il avait à peine vu grandir lui parlât de nouveautés et de méthodes modernes conduisant à révolutionner l’agriculture. Toujours au-dessus du foyer, sans se retourner il interpella le jeune homme :

    — Ton grand-père, qui se tenait toujours éloigné des apprentis sorciers, disait toujours : 

    — Surtout, ne brusque pas la terre. Laisse la décider. Elle sait mieux que nous ce qui est bon pour elle. Ce dont elle a le plus besoin, c’est qu’on la laisse respirer en paix. Il suffit de tendre l’oreille pour l’écouter vivre, et ouvrir l’œil pour voir quand elle est heureuse. L’agriculture n’est pas compliquée si l’on a compris cela, on la rendra toujours heureuse. Le secret, je peux bien te le révéler : ce qu’elle aime avant tout, c’est sentir la douceur de ta main et plus encore lorsqu’elle se laisse aller entre tes doigts.

    — Se retournant vers son fils il lui demanda : qu’aurais-tu répondu toi à cet homme qui parlait comme un ingénieur ?

    Sans même prendre le temps de réfléchir, le jeune dit sur un ton qui ne souffrait pas d’être interrompu, toutefois sans arrogance :

    — D’abord, je lui aurais dit ce qu’il avait envie d’entendre.

    — Tu as raison, grand-père ! À cette déclaration, je suis certain qu’il aurait été content. Je sais bien que la terre devine mieux que nous ce qui est bon pour elle ou non. Mais je suis sûr qu’elle ne refuserait pas un petit coup de main. Elle aussi, elle aime quelques douceurs. J’aurai continué ainsi :

    En somme, elle est comme toi, à force de vous côtoyer vous avez fini par vous ressembler. C’est sans aucun doute pour cela que vous vous entendez si bien. Tu aimes ton bon petit vin qui accompagne le repas, tu apprécies ton eau de vie de cerises avec ton café chaud et fort. À ces plaisirs s’ajoute celui de la pipe bourrée avec des gestes attentifs qui dénotent une longue habitude, assis devant la cheminée où tu finiras par sommeiller un moment.

    — En fait Grand-père, si l’on réfléchit bien, toi non plus tu n’as pas besoin de ces menus plaisirs. Mais tu les apprécies et ils te rendent serein puisque si souvent tu t’endors, même que la pipe s’éteint pour ne pas te déranger. Ce que je crois, aurai-je ajouté, c’est que la terre ne refuse jamais un petit coup de main. Elle aussi a besoin de ces bonnes choses pour souffler un peu.

    Le Père écoutait son fils en souriant. Il avait sa petite idée sur les raisons qui poussaient le fils à vouloir marquer de son empreinte le domaine sur lequel s’étaient épuisées des générations avant eux. Ils avaient tant donné les uns après les autres, qu’on ne savait plus qui de la terre ou des gens faisaient le plus d’efforts pour se ressembler. Mais le temps d’alors n’était pas aux profits.

    On restait sur la terre par amour, parce qu’on l’aimait passionnément, comme un enfant aime sa mère. Loin des esprits était le dessein de l’agriculture moderne, presque artificielle, avec des substances si étranges qu’elles empoisonnent le milieu naturel. Regardant son fils à la dérobée, le père comprit que l’on venait d’entrer dans une ère nouvelle. Des enjeux considérables étaient engagés et rien ni personne désormais ne ferait reculer le processus engagé, hormis la sagesse des hommes.

     — À l’étage, des pas incertains résonnèrent, indiquant que les sabots et les pieds qui les investissaient n’avaient pas terminé de faire connaissance.

    — Oh ! La mère, s’écria le chef de maison, alors qu’elle faisait son entrée dans la grande pièce : viens vite écouter. Dans la discrétion de la nuit, on nous a livré un nouveau « grand-père la science ». Et je peux te dire qu’à l’ancien, il ne doit rien ! Plus fort que lui, il est ! L’autre, il marchait dans le sillon de sa connaissance, le nouveau y baigne complètement.

    — Résigné, mais pas convaincu, il se rendit à la raison du plus jeune. La terre n’était pas seulement à lui, mais à leur famille et il serait bientôt l’heure de la transmettre. Il savait que les modifications ne concernaient pas uniquement les campagnes, il était donc inutile de vouloir résister au changement qui avançait, imperturbable, vers eux.

    — C’est entendu ! dit le père, en signe de ralliement. Allons pour les nouveaux produits. Ils nous aideront peut-être à défaut de nous enrichir.  

    La suite, nous la connaissons. Le Grand-père, bien avant eux, l’avait deviné.

     

     Amazone. Solitude.


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