• La chapelle pour refuge

    — Bien souvent, parce que la campagne est calme, on est tenté de croire qu’il ne s’y passe jamais rien, sinon des évènements anodins qui ne méritent pas que nous les traduisions. Cependant, sous le couvert des bois, des drames se jouent, des mystères se nouent, des hommes souffrent et des familles se meurent dans l’indifférence du plus grand nombre. Ainsi, en un lieu que l’on aurait pu croire qu’il existe que sur une autre planète, une jeune fille vivait à la cadence de ses songes. N’en déduisez pas pour autant que l’environnement fût d’une hostilité telle que les hommes l’avaient fui ou que l’on n’y découvrait jamais le bonheur ! Celui-ci, précisément, se rencontrait à chaque détour des sentiers, se tenait le plus souvent à l’extrémité des rameaux afin qu’il soit plus facile à cueillir.

    Mademoiselle Marthe, notre héroïne du jour, vivait heureuse dans un environnement que l’on crut être réservé à son exclusivité, tant on ne la différenciait pas des autres éléments. Elle était encore jeune et juste insouciante ce qu’il fallait pour ne pas laisser les problèmes de ses aînés s’emparer de son esprit. Elle était aussi belle et fraîche que les fleurs s’épanouissant en tous lieux. Elle aimait passer une grande partie de son temps à rêver, mais en restant à l’écoute de ce que lui murmurait dame nature.

    Elle prétendait ne pas avoir de préférence quand elle parlait des saisons. Chacune d’elles est bénéfique à tout ce qui vit, disait-elle. Même si j’avais un pouvoir extraordinaire, je ne toucherai à rien de ce que la main du créateur a mis à notre disposition. Bien sûr que rien n’était parfait ! Elle n’était pas sans se rendre compte des changements que le temps imposait sur les choses et sur les gens. Mais, se complaisait-elle à dire, on peut bien couper quelques branches à un arbre, qu’il aura toujours assez de racines pour puiser le meilleur du sous-sol !

    Le soleil avait tout juste fini de réchauffer l’air frais du matin qui avait laissé la nuit s’enfuir en restant caché sous le couvert de la forêt qu’elle partait à la conquête du nouveau jour. Tournant le dos à l’imposante bâtisse d’un autre temps, elle empruntait le labyrinthe des allées bordées de buis magnifiquement taillés. Ses pas la dirigeaient ensuite vers les vieilles écuries où s’ennuyaient quelques chevaux qui ne se faisaient plus d’idée quant à leur avenir. Pareils aux hommes qui ont vu courir sur leur peau tant de saisons, il ne leur restait que leurs souvenirs pour occuper les longues heures de la journée. Heureusement, leur passé était riche en évènements de toutes sortes et il leur arrivait même de ressentir des fourmillements dans les jambes lorsqu’ils se revoyaient aller au galop par des chemins poussiéreux ou boueux, mais menant toujours vers des gués où l’eau y était fraîche et si limpide que l’on pouvait apercevoir l’âme de la Terre remonter à la surface pour, de temps en temps, admirer le ciel aux couleurs changeantes.

    Laissant les chevaux à leurs rêves, elle prenait la direction des champs dans lesquels s’affairaient les métayers dialoguant avec les attelages éventrant la terre à longueur de temps.

    Elle rejoignait alors l’entrée du château, après avoir coupé par un bois dans lequel elle surprenait souvent des biches et des cerfs. Après avoir traversé l’allée centrale qui s’abritait sous le couvert d’ormeaux plus que centenaires, elle suivait un sentier qui conduisait vers une chapelle, elle aussi, d’un autre temps.

    À son grand regret, elle était le plus souvent fermée. Elle avait dû user de tous ses plus beaux sourires, avant que son père lui confiât la clef, afin qu’elle puisse s’y réfugier quand elle sentait la lassitude envahir son esprit.

    — Ma fille, lui avait dit un jour le châtelain  ; à trop fréquenter ce lieu de culte, vous finirez dans un couvent !

    Qu’importe ce qu’il pensait. Elle ne pouvait pas oublier que dans un passé pas si éloigné, le curé du village voisin venait souvent y célébrer un office qui réunissait sa famille et les gens des métairies. D’ailleurs, se souvenait-elle avec plaisir, c’était elle qui l’embellissait avec les fleurs de la propriété !

    Elle aimait se retrouver en la chapelle, restant de longues heures à méditer. Elle prétendait qu’en ce lieu de recueillement et de prières, elle se sentait comme par miracle entre ciel et terre. Elle se laissait flotter dans un silence que rien ne venait troubler. Elle se demandait parfois si les souffles discrets qu’elle percevait n’étaient pas ceux des âmes des gens qui avaient bâti le domaine en un autre temps. La chapelle portait le nom de saint Michel ; à l’intérieur se trouvait sa statue, terrassant le démon, comme l’avaient fait ses ancêtres partout où ils combattirent autour du monde. L’autel était modeste par la taille, mais des mains habiles l’avaient joliment sculpté. Les grands vitraux filtraient la clarté du jour pour la transformer en lumière céleste. La vierge, portant l’enfant Dieu dans ses bras, accueillait le nouvel arrivant, sous le regard attendri de Joseph qui lui faisait face. Il donnait toujours l’impression de vouloir descendre de son socle pour faire le tour du propriétaire. Dans le chœur, dominant l’autel, le Christ sur sa croix souffrait encore de mille douleurs. S’approchant, on pouvait presque l’entendre dire : « père ; pardonnez-leur ; ils ne savent pas ce qu’ils font ».

    Ainsi était la petite chapelle qui avait vu se poser sur ses pierres des années ; les unes heureuses, les autres plus tristes. Dès que l’on pénétrait sous sa voûte, on se croyait vraiment dans un sanctuaire et l’on sentait tomber sur les épaules, toute la puissance et la magnificence du ciel.

     

    Amazone. Solitude. Copyright N° 00061340-1


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