• LA JOURNÉE DU HOUX ½

    Dans la continuité des histoires de Noël

     

    La marâtre à l’enfant :

    – Avec le temps qu’il fait, où vas-tu donc encore courir ?

    – Chez mademoiselle Valadon.

    – Ce n’est pas une journée à jardiner.

    – Ce n’est pas pour travailler la terre, mais pour finir de tailler la haie.

    – Je vais lui dire deux mots à cette vieille. Je ne comprends pas que tu sois toujours fourré chez elle !

    – Tu n’en feras rien !

    – Et pourquoi, je m’en priverais ?

    – Parce que si tu m’interdis de me rendre chez elle, j’irai ailleurs, et que tu ne t’y opposeras pas, étant donné qu’ils m’offrent souvent quelque chose pour la famille.

    – Précisément ; elle ne te donne jamais rien.

    – Ça, c’est toi qui le prétends, car en fait elle m’accorde dix fois plus que tous les gens.

    – Et pourquoi ne le voyons-nous jamais chez nous ?

    – Parce que ce qu’elle me confie n’est pas transportable.

    – On peut savoir, ce qui ne peut être déplacé, mais qui semble tant te plaire ?

    – C’est un peu compliqué à comprendre, je pense.

    – Dis-moi que je suis une imbécile, pendant que tu y es !

    – Je n’ai rien prétendu de semblable. Je voulais seulement dire qu’elle m’offre de l’amitié, et ce sentiment me réchauffe le cœur autant qu’un feu de cheminée. Voilà ; tu vois, ce n’est rien que je puisse ramener à la maison. Mais il n’y a pas que cela. Elle m’apprend beaucoup de choses et j’aime l’écouter quand elle me raconte la vie d’avant. Bon, j’y vais, car elle doit m’attendre.

    Le jeune Robert n’eut pas le temps de refermer la porte sur lui, qu’il saisit au vol les dernières phrases prononcées :

    – Ah ! Celui-là, je ne sais pas ce que nous en ferons ! En tout cas, si le toit de la maison s’effondre, ce ne sera sûrement pas sur sa tête !

    Chez mademoiselle Valadon.

    – Tu as bien tardé, mon garçon ?

    – C’est la faute de la Françoise ; elle ne voulait pas que je vienne.

    – Et pourquoi cela ? Ne suis-je pas une dame fréquentable ? Tu sais, à mon âge, je ne pense pas être une personne de mauvais conseils. De plus, et c’est loin d’être un reproche que je lui adresse, mais une sorte d’explication à son inimitié à mon égard, elle est l’une des rares à qui je n’ai pas fait la classe. Elle et sa mère n’ayant découvert le village que durant l’époque douloureuse de la guerre. Ici, tout le monde me connaît et me salue, sans compter ceux qui viennent encore me trouver afin que je débrouille quelques affaires dont ils ne savent pas démêler les tenants ni les aboutissants. En souriant, je peux me vanter de les avoir vus user leurs fonds de culotte sur les bancs de leurs pupitres.

    – J’ai entendu parler de leur existence avant et au début de l’occupation. Il est vrai qu’elles ont souffert, mais je ne pense pas que ce soit une raison pour m’en vouloir. Après tout, elle n’avait qu’à me laisser où j’étais, si aujourd’hui je les encombre. Enfin, comme elle le fait pour d’autres, elle ne fait que me rendre la monnaie de ma pièce, puisque je ne l’aime pas, moi non plus.

    – Écoute-moi ; cessons d’alimenter le feu de la haine. Je vais te dire une bonne chose. Il est vrai que mère et fille ont connu une période bien compliquée et surtout qu’elles ont dû souffrir énormément. Mais nos propres blessures ne doivent pas être douloureuses pour les autres. Il est bien suffisant qu’ils voient nos cicatrices que nous ne pouvons pas toujours cacher. Pour le reste, ma philosophie est toute simple. Je prétends que la vie n’est  que la source des larmes ; chaque aurore naît de l’une d’elles qu’il nous plaît de nommer perle de rosée. C’est une façon comme une autre d’adoucir le jour qui suit.

    – C’est très beau, ce que vous venez de dire, mademoiselle. J’essaierai de le retenir.

    – Je vais te parler comme une ancienne institutrice que je suis. Si tu veux te souvenir des mots entendus, dès que possible, écris-les ; même cent fois, si cela te semble nécessaire. Mais pour revenir à ce qui nous intéresse, je suppose que tu n’as rien à faire dans le jardin aujourd’hui. Enfin, quand je dis rien, je me comprends. Il n’y a pas d’urgence dans les travaux. L’hiver n’en est qu’à ses débuts, et tu auras toute la saison pour ramasser le bois mort et le brûler, tailler les haies et quelques autres menues occupations. Par contre, ce qui me ferait plaisir, c’est que tu m’aides à préparer le sapin. Nous sommes bientôt à Noël, tu n’as pas oublié ?

    – Comment le pourrais-je, quand les filles de la Françoise n’ont que ce mot à la bouche !

    – As-tu une idée de ce qu’elles t’offriront ?

    – Vous n’y songez pas ! Déjà qu’à longueur de temps elles me répètent que je ne suis pas chez moi ! Pour le cadeau, ce sera, je pense, comme pour les autres années ; il n’y en aura pas. Toutefois, pour moi, ce n’est pas un gros souci. J’en reçois un tous les jours à l’instant où je mets le pied à terre.

    – Et quel est-il ?

    – La vie, cette offrande dont vous venez me dire tant de belles choses il y a quelques instants. Vous voyez, je n’ai pas encore fait les lignes auxquelles vous faisiez allusion, que déjà ma mémoire m’en restitue quelques mots.

    – Très bien, Robert. Et si nous parlions de décorations, maintenant ?

    Je ne demande pas mieux, mademoiselle. (À suivre)

     

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