• LA ROSE SAUVAGE

    - Il n’est pas innocent si le printemps a décidé en ce jour particulier de laisser éclore sa première fleur. Il la désira à son image. Certes, il a eu une longue saison pour la penser et la préparer. Mille fois, il refit le dessin de ses courbes, autant d’heures furent nécessaires pour créer un cœur qu’il voulut parfait. Mais il lui fallut des jours et des semaines pour inventer les plus beaux pétales, sur lesquels il déposa le souffle du vent qu’il transforma en baisers.

    Puis vint le grand jour. Oh ! Pas n’importe lequel ; vous vous en doutez ! D’abord, il exigea que l’aube soit exemplaire. Il autorisa une légère brume, pour habiller la fleur d’un tulle aussi fin que la soie la plus rare. Dans les ramures de la haute sylve voisine, il imprégna le voile des fragrances des orchidées et il emprunta aux oiseaux leurs  merveilleux ramages afin de l’environner de la plus douce musique. Soudain, dans le monde qui semblait s’être retiré au-delà des frontières de la Terre, timidement, au milieu d’une savane où l’herbe s’était faite rase pour ne pas froisser la tenue de l’élégante qui frappait à la porte le sol se mit à onduler. Lentement, il s’ouvrit pour laisser le passage à celle qu’il devinait qu’elle serait la reine du jour. L’aurore avait stoppé son élan et le peuple de la nuit s’était confiné à la lisière de la forêt pour assister à l’événement. Le temps suspendit son vol à l’instant où la hampe fragile apparut à la surface. Doucement, elle s’éleva et déploya deux petites feuilles de part et d’autre de sa tige. On pensait alors que la plante écartait les bras pour remercier le ciel dans une longue litanie. La fleur venait de pousser la porte de la vie, et celle-ci l’accueillit avec bienveillance, déposant sur elle la toute première goutte de rosée. Les instants qui suivirent furent un enchaînement de démonstrations de ce que la nature sait faire de mieux. Elle ne se contente pas de donner l’existence, mais elle l’embellit de seconde en seconde. Ce qui n’était qu’une fragile plantule est devenu une tige forte, et le bouton terminal se gonfla à ce point que l’on devina qu’il allait éclater pour libérer son trésor.

    Penchés sur l’avènement de la première fleur, nous aurions pu entendre l’explosion du bourgeon lorsqu’il se sépara de celle qu’il protégea au long de la saison hivernale, des agressions du temps. Comme dans un ballet merveilleux, les pétales se défroissèrent à la manière d’une robe d’une jeune fille se rendant à son premier bal. La vie venait de produire un nouveau miracle. Dans la joie et l’extase, elle attribua un nom au printemps : rose des champs ! Je sais que cela peut paraître incongru, mais à cet instant, j’aurais voulu être la lumière où elle prit son premier bain. Mais j’aurais aussi souhaité être l’astre luisant pour donner sa couleur unique à son cœur qui s’offrait pudiquement aux désirs du temps. Puis l’aube engagea franchement sa marche vers le jour. Le ciel s’anima de nuages qui dessinèrent son visage et l’emportèrent autour du monde en faisant une ronde. Je devins même jaloux des rayons du soleil qui se faisaient insistants tandis que je rêvais, comme eux, de te caresser.

    Ô ! Petite fleur, m’écriais-je comme dans un élan de désespoir, alors que le papillon dans un ballet infernal faisait comprendre aux éléments qu’il venait de te choisir pour épouse et qu’il ne supportera aucun partage ! Pourquoi ne suis-je pas un insecte butineur, imaginais-je, pour te dire la grande amitié qui naît en moi et que je désire te léguer en héritage ? Pourquoi ne suis-je pas non plus un jardinier céleste ; je te multiplierais à l’infini pour tapisser le ciel de tes couleurs et l’air de ton parfum ! Alors, j’ai osé poser un baiser sur mon doigt et délicatement, l’ai mis sur ton cœur, afin qu’il connaisse le goût de l’amour. Le commun des mortels aurait dit qu’il n’a rien perçu. Mais pas moi ! J’ai nettement ressenti une légère décharge électrique qui fit parcourir sur mon corps des milliers de frissons, comme la mer envoie ses vagues caresser la plage.

    Entre toi et moi, une belle histoire venait-elle d’écrire ses premiers mots ? Ma fleur était donc capable comme moi, d’éprouver et transmettre des émotions ! N’y tenant plus, je m’agenouillais et avec toute la passion qui m’animait à cet instant, j’ai offert un baiser à ce cœur qui emprisonna mes lèvres de ses pétales transformés en une merveilleuse bouche. L’échange dura une éternité, me sembla-t-il ; à ce point que la nuit nous surprit, tandis que ma rose me supplia alors de ne pas l’abandonner. Délicatement, je la pris entre les doigts, puis je la posais sur ma poitrine, afin de lui faire entendre la musique que fait l’amour.

    À la maison, je la mis en bonne place dans un vase finement décoré qui  compléta à merveille sa tenue, et je lui souhaitais, en même temps que la bienvenue, une longue, et éternelle vie. Ma chère petite fleur, qui eut la merveilleuse idée de naître avant le printemps, je te fais le serment de ne jamais oublier ce jour et chaque année à pareille époque, dans l’aube blanchissante, j’irai dans la prairie pour admirer la venue de ma divine rose sauvage.

     

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