• LA SCIENCE A L’ÉTAT PUR 4/6

    LA SCIENCE A L’ÉTAT PUR  4/6— Le savoir de l’homme qui ouvrait la marche commençait dès l’aube, alors que le soleil joue encore les équilibristes sur le mince fil de l’horizon séparant la nuit du jour. Certes, il ignorait les noms scientifiques des plantes, des arbres ou des animaux. Par contre, il connaissait les secrets des uns et des autres et pouvait parfaitement imiter le chant de l’oiseau qu’il désirait voir ou celui du gibier qu’il devait rapporter au village afin d’y être partagé. Au hasard du layon, il se penchait sur une herbe, semblait lui parler en la caressant et la flattant, comme on le ferait lorsque notre route croise celle d’un frère ou d’une sœur. Il n’avait pas quitté la fleur des yeux, qu’autour de lui, se pressaient déjà ceux qui voulaient que rien ne leur échappe, même si la chose en question est la plus simple qui soit. Les crayons crissaient sur les pages et les appareils photo fixaient à tout jamais l’image de la plante, de l’insecte ou de l’animal.

    Ignorant à cet instant qu’il était lui-même un immense savant, il s’adressait le plus naturellement du monde à un auditoire qui ne saisissait pas les raisons pour lesquelles  le végétal dont il vantait les vertus, a choisi cet endroit, plutôt qu’un autre, ni pourquoi il lui parlait avec une si grande déférence. Sans la cueillir, car il eut été alors la faire souffrir inutilement, il pinçait une partie de la plante entre ses doigts et se retournant vers les voyageurs suspendus à ses lèvres il annonçait : « ramie pisser ». Il fallait donc comprendre que la décoction des feuilles donnait un breuvage diurétique. Continuant son chemin, les curieux à ses trousses, il montrait un nouveau spécimen et instruisait, avec l’air de s’excuser de connaître, « tala », pour madame à chaque lune.  

    Passant d’un échantillon à son voisin, la journée s’avançait, tandis que l’heure de prendre un encas était largement dépassée. Mais qui eut songé à cet instant qu’une autre partie du corps devait se restaurer, sinon l’esprit qui ne se rassasiait pas de tant de culture. Dans une clairière, toutefois, ils firent une halte. De vieux troncs dont on annonça qu’ils appartenaient à des balatas effondrés lors d’une tempête servirent de bancs.

    Vous ne craignez rien, leur dit l’homme dont l’instruction n’était mentionnée dans aucun manuel. S’il vous arrive de repasser dans cent ans, ces troncs seront toujours là. Les termites ne se risquent jamais à se faire les dents dessus. Ils attendent que les champignons commencent le travail. Hélas, ceux-ci ne sont jamais pressés de s’installer à table.

    Pendant que les savants dégustaient leur galette de manioc accompagnée de viande de bois boucanée, le guide qui ne se souciait pas de son ventre trancha une liane « nivrée » ! annonça-t-il ! Bon pour piéger les poissons ! En compagnie de ses amis, il rentra dans la crique aux eaux tranquilles, et ensemble, ils frappèrent le végétal sur les rochers. Quand elle fût réduite à l’état de charpie, ils la laissèrent couler et le produit toxique se répandant dans le courant enivra les coumarous et d’autres espèces à ce point, qu’il devenait aisé de les attraper à la main. La démonstration touchait à sa fin et il était temps de se remettre en route, car l’apprentissage des choses de la vie ne souffre d’aucun retard.  

    Les modestes cours et les échanges reprirent, faisant une halte par ici, une seconde plus loin, et ainsi de suite, tout le long de la journée, dès l’instant où quelque chose de particulier devait être su et enregistré. Le guide détachait une feuille d’une plante, la froissait entre ses doigts et permit aux élèves  qui s’étonnaient toujours d’en respirer le parfum.  

    Contre les moustiques, expliqua-t-il. Désignant une nouvelle espèce végétale il dit qu’il était celui pour la guerre. Il fallait comprendre que les combattants s’enduisaient le corps de sa décoction et ils devenaient invincibles. Heureusement pour tous, de sanglantes batailles il y avait bien des lunes que les peuples de la forêt ne s’en livraient plus. Au nom de lutte armée, étrangement, personne ne s’étonna. Enfin, ils venaient de découvrir qu’ils avaient un point commun ; l’instinct qui pousse les hommes à défendre leur territoire comme les animaux le font du leur. Celui qui ne cessait de se poser moult questions se demandait comment cet homme qui n’était jamais allé en classe pouvait en si peu de temps dispenser autant de connaissances à ceux qui avaient passé de longues années le nez dans les ouvrages de toutes sortes. Il éprouvait une certaine fierté ainsi qu’un profond respect de constater que leur professeur d’un moment n’avait pas fréquenté l’école ! Il était là, un peu gêné au milieu d’élèves attentifs venus chercher des sommes immenses destinées à nourrir des recueils et des encyclopédies que bien peu de nos concitoyens prendraient la peine de consulter. (À suivre)

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