• LA SCIENCE A L’ÉTAT PUR 5/6

    — Le voyageur qui était venu collecter des centaines d’informations estima ses ambitions revues à plus de modestie, voire une certaine humilité. Non qu’il ait subitement envie de renoncer à découvrir les éléments clés de l’existence qui était encore obscure dans les manuels parcourus sous d’autres cieux, mais parce qu’il était fasciné par le comportement de leur guide. Les précisions qu’il dispensait d’un naturel qui laissait à penser que si en certains lieux du monde on prétend que les garçons naissent dans les choux, il ne faisait plus de doute que cet homme aux multiples connaissances, ne s’était jamais demandé pourquoi ni comment, un beau matin, le jour l’avait accueilli au beau milieu de la forêt, sur un lit d’humus si épais et moelleux, qu’il en imprégna le corps de ce savant qui ignorait qu’il put en être un.

    Collecter des renseignements de la plus haute valeur ; tel était le but avoué du voyage de l’individu appartenant à une autre science. Cependant, il jugea que pour ce faire, il avait encore besoin de toute l’existence qui étalait sous ses pieds son chemin et ses mystères. Il venait de réaliser qu’il ne voulait pas se priver du précieux savoir et de la compréhension de l’indigène qui évoluait devant lui, et qui semblait n’être jamais à court d’informations. En fait, pour résumer en quelques phrases qui était le chef coutumier si proche de la nature, celui qui était au service d’une science diamétralement opposée, conclut qu’il n’était pas un homme ordinaire ; il était une encyclopédie vivante, qui, de sa vie, n’avait jamais fait autre chose que de regarder autour de lui et avait écouté avec la plus grande attention les chamans et ses parents. Avec étonnement, il comprit que cet homme à la connaissance dépassant l’entendement n’avait pas éprouvé le besoin de ne coucher son savoir sur aucune page. Il jugeait qu’aucun des mots qu’il utilisait ne lui appartenait. Il n’en était pas le propriétaire. Il n’était que l’humble dépositaire et à ce titre, il n’avait aucune raison ni même le droit de les tenir cachés et collés les uns aux autres, sur des feuilles à l’intérieur d’ouvrages dormants sous la poussière, oubliés sur des étagères trop hautes pour être accessibles à tous. À ce stade de ses réflexions, notre homme de lettres admit que de pareils mots, véritables fruits d’une longue et patiente observation, s’ils ne sont pas servis à aucun repas, hélas ! finissent par disparaître avec les ans, morts d’ennui de n’avoir pas été lus ni compris.  

    Trop peu de gens s’intéressent aux livres qui chantent la grandeur de l’âme de la nature et ceux qui se penchent sur elle, parfois, n’évoquent que sa beauté en passant sous silence ses souffrances. Cet éminent sage qui parlait à ceux venus de loin semblait les considérer avec bienveillance, comme un père regarde son enfant en qui il met ses espoirs, sachant que les ans qui lui sont impartis seront bien trop court pour réaliser la tâche immense qu’on lui avait confiée, tant chaque jour des éléments nouveaux frappent à la porte de la connaissance. Il commençait à admettre la curiosité de ces chercheurs appartenant à d’autres continents et leur besoin de consigner avec le plus grand soin page après page les informations recueillies.  

    Ils ont peur d’oublier, se dit-il, car sans doute que chez eux, trop peu de gens disent et partagent les trésors de la vie comme l’aiguille marque la durée du jour, seconde après seconde, inlassablement. S’il avait fait fait un effort pour comprendre ces gens, toutefois, il n’adhérait pas encore totalement à ce mode qu’ils ont de diriger le temps qui passe simplement, s’arrêtant sur chaque chose et sur chaque homme, avant de s’imprégner en son esprit. Pour lui, tout ce qui se trouvait consigné dans des livres ne pouvait qu’être dépassé. Il estimait que pouvait avoir la certitude de vivre, uniquement ce qui restait à tout jamais dans la lumière. Il n’y a pas des centaines de vérités dans la forêt ; seulement la vie et la mort.

    Il savait déjà que ces hommes avides de connaissances, sympathiques et attentionnés au demeurant, écriraient des choses qui ne seraient pas forcément exactes, car les mots employés ne refléteront pas toujours l’émotion et la réalité de la science naturelle, puisqu’elle n’en a besoin d’aucun, pour composer, grandir, muter et révéler ses intentions. Nul ne peut s’approprier ce que la forêt nous offre. Ce que nous lui volons ne peut se traduire que par le fruit de l’imagination, qui lui, n’a aucune saveur, ni couleur ni parfum. Quand on respecte les principes fondamentaux de l’existence, ils restent à jamais dans notre mémoire, appuyés au balcon de la pensée, attendant que les paupières se ferment pour s’animer à nouveau. (À suivre)  

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