• LA VIOLONISTE 2/3

    — Nous montâmes dans les combles de l’immeuble. Son père y avait aménagé une grande pièce, avec pour seule fenêtre celle que l’on nomme un chien-assis. La lumière qui pénétrait par cette issue donnait un caractère encore plus austère à la chambre cependant bien agencée et richement parée. Des draperies décoraient les murs totalement lambrissés, et le faux plafond était orné de volutes, de quarts de ronds et d’autres moulures et baguettes, les unes vernies, ou recouvertes d’une peinture qui les faisait paraître dorées. On se serait cru dans une magnifique salle d’un château d’un temps plus ancien. La pièce ne comportait pas de nombreux meubles, mais les présents avaient connu les mains adroites d’un ébéniste émérite. Le bois, à n’en pas douter, avait dû éprouver mille souffrances avant de livrer aux yeux émerveillés, des scènes de vie et des paysages à couper le souffle. Elle me demanda d’ouvrir la fenêtre basse qui donnait sur le toit et je découvris une partie de la campagne environnante.

    – Sens-tu ce petit air qui s’invite à notre réunion intime, me questionna-t-elle ? Il est notre complice, car il empêchera la symphonie que je vais interpréter rien que pour toi, de s’évader par delà le village.

    – Elle me pria de m’asseoir confortablement dans un fauteuil si moelleux que je n’osais y prendre mes aises, préférant garder les fesses sur le rebord, comme pour mieux m’échapper en cas de danger. Avec de grands soins, elle sortit le violon de son coffret dont l’intérieur était tapissé d’un tissu rouge, épais et douillet. Devant elle, elle dressa un pupitre et y installa un livret dont les pages étaient recouvertes de lignes et de signes particuliers.

    – As-tu quelques notions quant à la lecture de la musique, me demanda-t-elle, comme si cela eut été naturel que je le sache ?

    – Je ne répondis rien ; je me contentais de hocher la tête de droite à gauche.

    Délicatement, elle prit l’instrument et posa le menton sur l’emplacement réservé à cet effet, et, l’une après l’autre, pinça les fines cordes afin de vérifier qu’elles fussent parfaitement tendues.  

    Elle s’empara de l’archet, et après avoir passé la mèche sur un tissu spécial, elle demeura un moment immobile devant la partition. Instinctivement, les doigts de la main gauche trouvèrent leur place sur le manche ; la droite qui tenait la baguette sans hésitation se lança à la rencontre de la symphonie. À l’instant où la première note monta, soudain, il me sembla que le monde venait de s’arrêter. Profitant d’un silence, elle m’annonça un illustre compositeur dont je ne retins pas le patronyme. De toute façon, je n’étais plus attentif qu’à ce qui allait se passer.

    Enfin, je pouvais regarder sans risquer la moindre punition. Dans la pièce que je nommais un nid entre ciel et terre flotta une douce ambiance estivale. La belle demoiselle et son violon ne faisaient plus qu’un. Il me semble qu’à cet instant rien n’aurait pu les séparer, pas même un tremblement de terre. Il n’était pas que le bras droit qui faisait glisser la baguette sur les cordes dont les doigts montaient et descendaient le long du manche et parfois jusqu’à la table d’harmonie. Je compris alors que l’union de la demoiselle, son violon et son archet, offrait une âme à l’instrument qui semblait prendre vie au fur et à mesure que la musique naissait au contact de la mèche.

    Il n’y avait pas que les bras et les mains qui allaient et venaient. La jeune femme ondulait sur ses jambes comme si c’était son corps tout entier qui ordonnait le rythme. En fonction des passages qu’elle interprétait, par moment sa tête donnait l’impression de vouloir se détacher du tronc. Ses cheveux si bien coiffés prenaient des instants de liberté, s’ébouriffant et tombant sur son front, qu’elle rejetait violemment vers l’arrière.

    Des expressions changeantes dansaient sur son visage. Parfois, elles étaient de joie alors qu’en d’autres occasions, on pouvait croire que la musicienne souffrait. Ses yeux se fermaient sur des sons qui traînaient sur toute la longueur des cordes comme pour signifier qu’une tragédie était en train de se dérouler sous nos regards qui ne les voyaient pas.  

    À cet instant, il n’eut pas été déplacé que l’on prétende que c’était l’instrument qui laissait échapper ses larmes. J’étais intimement persuadé que lorsque la musicienne était au sommet de son art elle n’était plus la même personne. De profondes rides barraient le front de la jeune femme ; les yeux s’ouvraient si grands qu’ils donnaient l’impression de rechercher un coupable. Les miens allaient de la demoiselle à son violon, et j’étais heureux de voir son beau sourire,  comme si elle l’adressait à de nombreux spectateurs dans la modeste pièce, où résidait dans ces moments-là un bonheur immense.

    Je n’étais plus dans la maison, et du village j’avais fui vers un autre monde.  

    Malgré moi, mon corps ne pouvait rester en place et il accompagnait celui de la sublime interprète dont j’étais certain qu’elle ne me distinguait plus. Est-ce cela que l’on appelle entrer en transe ? Je n’en savais pas trop, mais je ne fis rien pour m’en dissuader. Je me sentais si bien et en parfaite communion avec les éléments ! Elle aussi était dans ce monde merveilleux, mais inaccessible à ceux qui n’en connaissent pas les secrets. C’est le moment que je choisis pour m’imaginer que devant moi, était une scène immense, sur laquelle pas moins de quarante musiciens ou plus accompagnaient la demoiselle, premier violon.

    Mon plaisir était d’autant plus grand que j’étais l’unique spectateur. J’éprouvais une réelle fierté, car pour la première fois, on me faisait un cadeau d’une inestimable valeur ! J’étais certain que les autres enfants qui étaient toujours à me chercher des querelles seraient jaloux si je leur disais les instants extraordinaires que j’étais en train de vivre.  

    Pour une fois, je décidais de ne rien dire à personne, gardant pour moi un secret dont je serai le seul à revisiter lorsque dans mon cœur il fera sombre et triste. (À suivre).

     Amazone. Solitude Copyright 00061340-1

     

     

         


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