• LE COURRIER DES DÉSIRS

    LE COURRIER DES DÉSIRS

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    – Hé ! Ne poussez pas, derrière ! Je vous dis qu’il y a toujours de la place. Il est inutile de s’impatienter. De toute façon, il reste encore quelques jours. Vous pourrez même, si vous le désirez, écrire d’autres lettres, si de nouvelles envies vous venez à l’esprit.

    – Bonjour, monsieur le curé, comment allez-vous ?

    – Mes hommages, madame la boulangère ; je suis bien, je vous remercie. Juste une petite toux de saison ; mais rien de sérieux, je vous rassure.

    – Regardez nos garnements, ne sont-ils pas beaux et surtout disciplinés ?

    – Je ne puis le nier. Cependant, j’aimerais qu’il en soit de même pour le catéchisme, alors que le jeudi matin, ils sont si distraits et bruyants, que je me demande s’ils retiennent quelque chose de ce que je leur dis.

    – Bah ! Ne vous formalisez pas pour autant mon père. Si vous désirez qu’ils soient plus concentrés, avec eux, vous devriez vous y prendre différemment.

    – Madame, il n’y a pas plusieurs manières de leur parler de Dieu. Il n’existe pas des dizaines d’évangiles ; d’ailleurs, vous le savez, vous qui venez communier quand votre commerce vous en laisse le temps.

    – Ce n’est pas ce à quoi je pense, père Doyen. J’essaie de vous dire que si vous leur expliquiez la religion d’une autre façon, peut-être qu’ils seraient plus attentifs à vos propos. Et puis, sans chercher à vous fâcher, de tous vos discours il ne tombe aucun cadeau, pas une promesse, pas un jouet ! Comment voulez-vous qu’ils vous croient, ces pauvres chérubins ?

    – Je ne me laisserai pas embarquer sur ce chemin blasphématoire, madame. Dites-moi combien je vous dois ; voilà l’instituteur et je ne désire pas entamer de conversation avec lui. Nos idées sont à l’opposé les unes des autres. Par contre, en ce qui vous concerne, j’imagine que vous allez lui poser la même question.

    – Pour l’instant, je ne l’envisage pas. D’ailleurs, il est bien trop occupé à regarder ses élèves.

    – Et vous vous demandez ce qu’il pense, n’est-ce pas ? Je vous salue, madame, et je vous souhaite la bonne journée.

    – Bonjour, madame la boulangère, comment allez-vous ?

    – Vous êtes marrants, les adultes. Quand vous rencontrez quelqu’un, vous lui adressez toujours la parole qui semble destinée à chacun et à tous. Le curé qui vient de sortir m’a questionné de la même manière, en employant les mots identiques.

    – Ne vous vexez pas, voyons. La formule que vous citez est celle de la politesse. Elle est aussi celle que j’apprends chaque jour à ces enfants qui, je le constate, sont plus disciplinés devant une boîte à lettres qu’à leurs pupitres, ou en ma présence. Il est à croire que les objets inanimés les inspirent davantage que l’enseignement !

    – Permettez-moi de vous dire que la chose ne doit guère les stimuler. À travers elle, c’est le facteur qui est visé et à son sujet, je ne serais pas surprise qu’il y soit désigné un volontaire pour surveiller s’il fait la levée dans les temps.

    – Je ne peux évidemment pas vous donner les noms de mes cancres, mais j’espère que dans leur courrier il y a moins de fautes que dans les dictées ! Certains trouvent le moyen d’en faire une par mot, quand ce n’est pas deux !

    – Ne leur en tenez pas rigueur, allez ; tout le monde n’est pas destiné à devenir un savant ou un quelconque personnage important. Il nous faut des jeunes gens vaillants et en bonne santé pour les travaux de nos campagnes  qui ne se soucient pas du niveau d’études du garçon de ferme. Et puis, les vaches n’ont aucune notion de la lecture ; alors, à quoi bon se casser la tête ? Tenez, moi, sans vouloir me vanter, bien sûr, j’ai eu mon certificat, et à la surprise générale, j’étais la première du canton ! Je peux vous dire que tout le monde en fut très fier. Cela m’a servi à quoi, d’après vous ? À rester à la ferme. Heureusement que le Léon m’en a sortie, sinon, j’y serai encore !

    – Cependant, ce que vous avez appris en classe aujourd’hui vous est utile, dans votre boulangerie. Vous  accueillez les clients avec le respect dû à chacun. Je pense que la tenue de vos livres comptables est parfaite et que vous ne passez pas vos nuits à chercher des formules pour rédiger votre courrier.

    – Soyons modeste, monsieur l’instituteur. Nous concernant, ce n’est que la routine qui conduit notre vie. Nous savons nos besoins, et auprès de qui nous devons nous fournir. Depuis toujours l’argent que nous encaissons n’est pas notre bénéfice. Nous devons le diviser en trois ou quatre. Une part pour le minotier, une pour le marchand de bois, une pour le percepteur et s’il en reste, elle nous revient de droit. Et je peux vous dire qu’avec ou sans instruction, nous parvenons à faire la balance des choses. Mais je dois vous avouer mon sentiment présent ; j’aime voir ces bambins faire la queue pour poster une lettre à un individu qui n’existe pas. Ils lui confient leurs espoirs et cela m’émeut sans doute plus que de raison. Vous savez, il n’y a pas si longtemps, c’est devant chez nous que leurs parents se mettaient en ligne, avec, dans le creux de la main, le ticket contre lequel on leur donnait un pain. Et parfois, les larmes aux yeux, on leur répondait qu’il n’y avait plus de farine. Alors, laissons à ces enfants leur part de rêve. Ils apprendront toujours trop tôt que le père Noël n’est pas celui à qui ils songent. Il y a tant d’adultes, de nos jours, qui aimeraient encore confier leurs convictions en quelqu’un, et peu importe qu’il soit réel ou fictif.

     

    Amazone. Solitude. Copyright N° 00061340-1


  • Commentaires

    1
    Flo ..
    Samedi 9 Décembre 2017 à 08:44

    C'est le rêve qui nous fait avancer , cet écrit est magnifique .. 

     

    2
    Samedi 9 Décembre 2017 à 22:49

    Merci, chère amie lectrice, de vous être arrêtée un instant sur mes modestes pages. Oui, le rêve est important ; à ce point, que je n'ai cessé de les suivre toute ma vie. Et savez-vous ? Aujourd'hui, je ne les suis plus, je vis dedans !

    Merci encore et bonne fin de semaine à vous.

      • Flo ..
        Dimanche 10 Décembre 2017 à 10:39

        C'est une merveilleuse rèponse , comme vous maintenant je les vis à fond , sans en perdre une miette ..  Bon dimanche dans votre jolie verdure . Chez moi il neige .. 

    3
    Dimanche 10 Décembre 2017 à 21:01

    Je suis désolé pour vous, chère lectrice lointaine, quant à la neige. Mais elle est d saison, n'est-ce pas ? Pour ma part, la dernière que je vis fût en janvier 1986, lors d'un passage à paris. Depuis, je ne suis plus retourné en Métropole ! Cependant, enfant, j'ai vécu aussi ces périodes hivernales, puis plus tard, dans les Pyrénées Ariégeoises. Mais depuis une quarantaine d'année, nous sommes dans la verdure de la forêt guyanaise. Il n'y a qu'une saison, le printemps. Certes, il pleut beaucoup, mais rien à voir avec les pluies glaciales d'antan. Chère amie, je vous souhaite une belle fin de soirée et surtout, une très bonne soirée. En toute amitié, René.

     

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