• LE POUVOIR DES MOTS 1/2

    – Qu’as-tu à tourner en rond aujourd’hui, mon petit ? Depuis ce matin, tu ne restes pas en place. Tu vas, tu viens, tu descends, voilà qu’à l’instant tu remontes. À moins que tu aies quelque chose de particulier à me demander ?

    – Finalement, vous, les personnes âgées, vous devinez toujours tout ce qui encombre l’esprit des plus jeunes. Nous ne pouvons rien vous cacher, je me trompe ?

    – Oui, pas de beaucoup, car bien des éléments vous concernant nous échappent. Et veux-tu que je te dise, mon garçon, c’est très bien ainsi ? Nul n’a le droit de marcher dans les allées de votre jardin secret.

    – Sincèrement, tu crois que nous en avons tous un, grand-père ?

    – Bien sûr que tout le monde a le sien. Seulement, à ton âge, il manque encore de plantations, c’est-à-dire des sujets qui en occupent une place qui leur est définie à l’avance. Tiens, sans que tu me révèles d’informations importantes, je suis presque certain que tu ne parles pas de tout ce qui te passe par la tête à ta maman, ou à tes amis.

    – Ah ! Là, tu as raison. Mais c’est moins pour lui cacher quelque chose que la crainte qu’elle se fiche de moi.

    – En principe, une mère ou un père ne doit pas se moquer de ses enfants, car cela les forcerait à demeurer silencieux. Or, pour une parfaite entente et un bon équilibre familial, nous devons toujours mettre sur la table ce qui encombre nos esprits. Ensemble, nous trions et nous devons nous imposer une clarification de tous les sujets délicats, afin qu’ils ne le deviennent plus.

    – Oui, mais je crois que tout cela n’est que de la théorie, car encore faut-il que les parents aient un instant à nous accorder, pour ce faire.

    – Je me doute que parfois il est compliqué de trouver le moment idéal pour s’ouvrir aux autres. Nous devons chacun observer à quelle minute nous pouvons le faire. De votre côté, vous devez regarder avec attention le comportement de vos aînés. Si vous les jugez nerveux, inquiets, ou dépassés par une situation imprévue, et sans doute étrange, laissez-les à leurs préoccupations. Ils ne vous entendraient pas, ou il est fort possible qu’ils ne comprendraient pas le sujet de votre questionnement.

    – Tu sais, il me semble que chez nous, si je suis à la lettre ce que tu me dis, nous ne nous adresserons pas souvent la parole !

    – Non, mon enfant, tu fais une erreur d’appréciation ou d’observation. Quand la famille est réunie, il y a toujours un moment où les idées peuvent être débattues. Tiens, écoute : n’as-tu jamais entendu prononcer cette phrase, pendant un repas : « oh ! Un ange passe » !

    – Je crois que si ; j’ai déjà surpris maman à en faire la remarque.

    – Donc cela signifie qu’à l’instant où elle a annoncé ces mots, autour de la table, seules les pensées vagabondaient dans vos têtes. Je me demande même si ce n’est pas à cet instant précis que la porte de la conversation s’ouvre et que chacun doit être attentif à ce que les autres ont à dire.

    – Grand-père, dans notre demeure, parfois, j’ai le sentiment que l’ange passe beaucoup trop vite. Peut-être que l’odeur des aliments dans nos assiettes ne lui convient pas, car chez nous, il ne s’attarde jamais plus qu’il n’est nécessaire.

    – Tiens, tu me fais rire ! Tu sais, je crois que les esprits célestes n’ont pas de nez. Rien d’autre que la compagnie de ceux qu’ils aiment ne les attire. Cela dit, mon garçon, ne désirais-tu pas me demander quelque chose de précis, avant que nous nous égarions par des chemins de traverse ?

    – C’est vrai ; et je suis heureux que tu ne perdes pas le fil de la conversation.

    – Pour l’heure, et grâce à Dieu, la sénilité ne stationne pas encore sur le seuil de notre porte. Remarque, je te dirai que je ne suis pas pressé de l’accueillir. Alors, ces questions, elles viennent, ou tu préfères que l’ange se décide à nous rendre visite ?

    – Oh ! Tu sais, en fait ce n’était pas quelque chose d’extraordinaire. Je crois que cela ne mérite même pas que nous y portions quelque importance. Il y a tant de choses plus graves !

    – Je te laisse seul juge de tes réflexions, mon garçon. Cependant, souviens-toi qu’une idée qui tourne en rond dans ta tête jusqu’à te donner la migraine, c’est qu’elle a besoin de vivre. Alors, si tu ne veux pas qu’elle gâche le reste de ta journée, tu ferais bien de la mettre au grand jour.

    – Eh bien, voilà. Surtout, ne souris pas. Je me demandais si quelqu’un t’a déjà posé une question aussi saugrenue que la mienne, à savoir, si tu as une préférence quant au qualificatif que l’on emploie en te nommant. Les uns t’appellent papi, grand-père ou grand-papa. J’en ai entendu d’autres, quand ils s’adressent à toi, te donner de : l’ancien ! Alors, je me suis dit qu’avec l’âge, les personnes peuvent devenir sensibles et prendre ombrage de certaines réflexions. (A suivre)

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