• LE RENOUVEAU

     

    – Je me souviens de cette lointaine journée où me regardant, tu me dis :

    – Oh ! Mon ami, sens-tu cet air doux, venu du sud ?

    – Bien sûr, te répondis-je. J’ai même cru un instant que c’était ton souffle tiède qui m’adressait des baisers. Il avait ta saveur et ton parfum, et j’ai fermé les yeux pour m’assurer que c’était bien de toi que me parvenait la bonne nouvelle. La forêt abandonnait déjà sa blanche tenue hivernale, découvrant des rameaux heureux de retrouver leur souplesse. Nous étions en lune montante, celle qui annonce que toute chose reprend vie. Certes, la nature exulte, mais toujours humblement, sachant qu’il suffit d’une nuit pour anéantir les espoirs d’un jour. Lentement, les sentiers par lesquels nous allions se dégagent, libérant une herbe qui n’en croyait plus ses tiges et ses feuilles.

    Comme chaque année, sans plus tarder, je me précipitais vers le lieu de notre rendez-vous. Le pont semblait ne pas avoir été trop malheureux des rigueurs saisonnières, si ce n’est que la mousse habillait chaudement les vieux bois afin qu’ils ne souffrent pas plus que la raison l’exige durant l’hiver venu du Grand Nord, disait-on dans les chaumières. Timidement d’abord, le torrent se frayait un chemin qu’il lui plut d’imaginer qu’il était nouveau. Puis, les glaces emprisonnant son onde se rompirent et se fendirent dans l’instant qui suivit les lugubres craquements annonçant une libération prochaine. Les eaux suffocantes ne perdirent pas une minute, trop heureuses de retrouver l’air libre. Déjà, elles bousculaient les îlots gelés avant de les submerger et de les emmener vers un pays inconnu. Le vent en profita pour forcir, faisant s’entrechoquer les ramures qui n’en demandaient pas tant pour se débarrasser de la neige qui prétendait choisir le moment qui lui convenait pour se laisser choir.

    Soudain, à l’extrémité de la rambarde du pont, une mésange se posa. Elle me considéra et jugeant que je ne présentais pas de danger, elle se mit à chanter. L’émotion fut telle, que je ne pus retenir mes larmes. Elles aussi avaient été prisonnières tout au long de cette saison qui oblige bêtes et gens à baisser la tête. L’oiseau me fixait, et continuait à m’offrir son concert. Bien sûr que je fus heureux de l’entendre, car à sa manière il me faisait comprendre qu’il en était fini des jours tristes, que l’espoir serait la première graine qui germerait à l’instant où le soleil en donnerait le signal. Lui succéderaient les travaux des champs, les appels des paysans se félicitant en se retrouvant par les chemins et les sentiers. Les semailles de printemps ne tarderaient plus. La nature entière était en joie. Les premiers bourgeons prirent le risque de libérer des feuilles tout étonnées de pouvoir défroisser leurs nouvelles tenues. Déjà, les oiseaux décidèrent de former leurs couples et choisirent les arbres qui abriteraient leurs nids et leurs couvées.

    J’étais perdu dans mes pensées quand soudain, un bruit étrange monta de la forêt. Bien qu’en connaissant la cause, il me surprit, car il se produisit à l’instant où, par habitude, je cherchais au loin ta silhouette se dirigeant vers notre pont. Le torrent, complètement libéré, charriait dans un mouvement d’humeur, les derniers obstacles qui avaient encore l’audace de le ralentir. Pêle-mêle, des troncs vaincus par l’hiver se brisaient sur des rochers en même temps que d’énormes blocs de glace. C’était l’annonce que faisait la nature aux éléments qui prétendaient vouloir enrayer sa marche vers les beaux jours. Instinctivement, je levais la tête et découvris un ciel qui avait revêtu pour l’occasion la couleur de ton regard. Un souffle précipita le passage de quelques nuages, et parmi eux, il me plut de reconnaître ton sourire. Comme à ton habitude, tu me fixais, avec cette expression d’une immense tendresse que nulle autre personne ne possède. Je n’eus pas besoin de fermer les yeux pour deviner les traits qui dessinaient ton visage. Je les connaissais pour les avoir soulignés du bout des doigts, et les avoir caressés des paupières dans nos moments d’intimes unions. Plongé dans mes souvenirs, je ne compris pas pourquoi le vent s’en prit au firmament. Craignait-il que j’exige qu’il te libère et qu’enfin nous puissions poursuivre notre passion ? De rage, il t’entraîna comme il le fit la première fois, loin, par delà nos forêts et nos montagnes, en lieu secret où jamais je ne pourrai te retrouver.

    Renouveau ; quel mot étrange ! puisqu’en moi il n’installe aucune saison qui me rapprocherait de toi, et que dans la prairie qui vit naître notre amour, jamais plus de fleurs n’aura un cœur aussi grand et doux que le tien, ni le parfum de ton corps, à la coupe duquel je bus au cours de nos nuits d’ivresses.

    Amazone. Solitude. Copyright 00061340-1


  • Commentaires

    Aucun commentaire pour le moment

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :