• LES AMIS DE L’ÎLE AUX SINGES

     Il est parfois bien difficile d’expliquer à quelqu’un qui n’a jamais eu la chance de voyager dans certains pays tropicaux ou équatoriaux, ce qu’il en est, du quotidien en forêt. Nous sommes même tentés de ne rapporter que l’essentiel de nos pérégrinations, tant certaines situations peuvent paraître ubuesques. Qu’importe, cela ne change rien à notre propre plaisir, et quand mon esprit s’ennuie, j’aime qu’il aille récupérer au fond de ma mémoire certaines images, afin de les dépoussiérer. Aujourd’hui, il lui plut de me parler de nos amis de l’île aux singes ; donc, je ferme les yeux et me laisse transporter sur les îlets d’Armire, non loin des côtes guyanaises.

    Ah ! Quels merveilleux petits paradis, que ces morceaux de continent sud-américain apportés là par une main inconnue depuis la nuit des temps, à moins que l’océan se soit vexé par une soirée sans lune et qu’il ait demandé au Tout-Puissant de mettre à sa disposition quelques parcelles pour lui permettre de déposer tour à tour sa tendresse ou sa fureur ! Rassurez-vous, je ne vous ferai pas un cours d’histoire quand à ces bouts de Terre qui virent passer tant de gens différents. Cela fera l’objet d’une autre narration. Celle qui nous intéresse ce jour est celle de nos lointains cousins, espiègles, s’il en est.  

    On peut les aimer, les fréquenter, et les admirer, il n’en demeure pas moins que nous pouvons aussi les trouver exaspérants, à cause de leurs manières quelque peu désinvoltes. Il est vrai que nous n’allons pas à la même école, encore moins nous partageons notre société. Imaginez plutôt. Vous êtes confortablement installés dans le dernier songe, celui qui est toujours le plus beau tant il paraît être la réalité, ou le résumé de la journée qui occupera l’espace du lendemain, quand, soudain, vous sursautez. Un raffut indescriptible met votre cœur en alerte ; il bat la chamade jusqu’à ce que vous trouviez la provenance et la raison d’un tel tintamarre. Émerger d’un doux rêve n’est pas une chose aisée, vous l’imaginez, jusqu’au moment où enfin vos yeux sont accoutumés à l’environnement, que vos pensées sont libérées d’une histoire qui ne vous appartenez pas, brusquement, vous comprenez de quoi il ressort.

    Dehors, le jour tente un premier essai. C’est l’heure à laquelle les couleurs ne sont pas encore très bien définies ; mais concernant les singes, pour eux, il n’y a là, rien que des choses naturelles. Ils courent dans tous les sens, traversent la terrasse et même la maison, règlent des comptes que la nuit avait interrompus la veille. Les familles s’expliquent, se saluent bruyamment, car malgré tout, ils respectent certaines coutumes avant d’en venir aux mots indélicats. La raison de ces querelles ? Oh ! Comme certaines des nôtres lorsqu’elles portent sur la nourriture.

    Nous étions donc toujours allongés dans nos hamacs, lorsque tout à coup, un jeune a eu la mauvaise idée de dissimuler son butin auprès de vous. Qu’avait-il fait ! En moins de temps qu’il en faut pour le dire, c’est toute sa tribu qui sautait et inventoriait notre lieu de repos, sans précaution, vous le comprenez bien. Certains même s’essayèrent à quelques tiraillements de cheveux, puis de couvertures afin de mettre à jour le trésor. Tant pis, si vous portez des lunettes, vous les retrouverez peut-être plus tard. Bien qu’ils ne sachent pas lire, ils tournent les pages de votre dernier ouvrage dans la précipitation, ne soyez pas surpris d’entendre les mots se plaindre d’un pareil traitement. Bref, ils font tant et plus, que vous finissez par vous lever avant qu’il ne leur prenne l’envie de vous vider votre hamac.

    C’est alors que vous comprenez le comportement du premier jeune saïmiri. Ce n’est pas par hasard qu’il était venu dissimuler son trésor dans votre couchage. C’est qu’il avait plus confiance en vous qu’en sa propre famille. Toutefois, je me doute que vous vous seriez bien passé d’une telle loyauté. Qu’importe, le mal était fait, la maisonnée était réveillée, la journée en avait profité pour paraître complètement, il nous restait plus qu’à la traverser en jouissant de chaque instant, et en espérant de toutes nos forces qu’elle soit riche en évènements de toutes sortes.

    Pour revenir à nos amis les singes, contrairement à nous qui nous précipitâmes hors des forêts, eux y demeurèrent jusqu’à nos jours. À ce sujet, on peut déplorer que dans certaines régions de notre planète on les en chasse, réduisant leurs territoires à une peau de chagrin, dans le seul but de réaliser de colossaux bénéfices. Hélas, les grandes industries n’ont pas compris une chose essentielle. Lorsqu’ils auront détruit la nature, les hommes ne tarderont pas à la suivre, car sans elle, nous n’existerons plus. Sauf, qu’un jour, elle renaîtra, tandis que nous, nous ne serons plus à tout jamais.

    Bien que nous fréquentant, nos amis de l’île n’en demeurent pas moins des indépendants et c’est très bien ainsi. Ils ont compris depuis longtemps que prélever quelques friandises sur le compte de leurs cousins ne les oblige en rien. Ils nous font remarquer que toute notre vie nous courrons derrière notre liberté, alors qu’eux, passent leur existence à jouer avec. Leur plus grand bonheur, c’est de nous observer et de nous piller tout en se moquant de nous, sans attendre de nous tourner le dos. Cependant, comme nous le rappelle le dicton : aimons-nous les uns les autres, mais chacun chez soi, et l’amitié sera préservée.

     

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