• LES OMNIBUS DE LA VIE

     

    – Un matin, tandis que mes yeux s’émerveillaient des beautés du monde, une âme charitable me fit LES OMNIBUS DE LA VIEcomprendre que les lignes droites qui s’enfuyaient devant moi ne signifiaient pas qu’elles m’indiquaient qu’elles étaient la seule voie à suivre. Je devais me concentrer sur le minuscule chemin rehaussé que se partageaient les traverses, et que c’est après avoir relevé cela qu’on allait m’expliquer plus tard comment procéder pour partir vers la grande aventure. Je pris donc mon mal en patience, estimant que tant que la chaudière ne serait pas sous pression, ma locomotive ne pourrait pas démarrer, entraînant derrière elle un long serpent de wagons que je devais remplir à mesure que j’avancerai.

    D’abord, il me fallut comprendre ce que signifiait ce terme un peu particulier de routes, découvrant qu’il y en avait de douces, de rudes, et de tourmentées. C’est à cet instant que l’on me révéla que certaines lignes sont très droites, afin de ne pas dévoiler au marcheur qu’à l’horizon où elles semblent rencontrer sa voisine, elles se séparent, et le plus souvent cachent une difficile courbe qui nous masque l’avenir. Il y a aussi de celles qui gravitent les montagnes, dessinant sur leurs flancs des chemins sinueux, pendant que d’autres plongent vers les plaines en se dissimulant parfois sous de longs tunnels. Alors que je me renseignais sur la raison d’être des traverses, on me confia qu’elles représentaient les jours que je devais traverser. Elles et ils sont bien proches, m’exclamais-je !

    – Observe-les, me répondit-on. Une extrémité est la complice de l’aurore, et promenant ton regard sur sa longueur, elle te conduit au soir de la journée.

    – Mais alors, repris-je en montrant ma déception ; ils sont bien courts ! Comment vais-je me contenter de si peu de temps pour espérer construire une vie ?

    – Rassure-toi, me tranquillisa-t-on avec un sourire qui se voulut bienveillant. Se doutant que tu poserais cette question, quelqu’un fit en sorte de les rapprocher, certes, mais aussi d’en disposer la quantité nécessaire pour faire plusieurs fois le tour du monde. Cependant, ils sont rares, ceux qui en feront les allers et retours sans jamais s’arrêter. Je te mets en garde qu’en allongeant tu sois tenté de les franchir deux par deux. À chaque jour suffit sa peine, disent les anciens.

    – Pourquoi, m’inquiétais-je naïvement ? Serait-ce que nous ne supportions pas de voir toujours les mêmes paysages ?

    – Pas du tout, me répliqua-t-on. C’est que nous n’en avons pas encore parlé, mais sur le parcours de la vie, il y a beaucoup de gares où le train s’arrête. À certaines, tu seras tenté d’aller découvrir ce que les sourires des gens réceptionnant leurs familles ou des amis cachent de merveilleux. Tu te risqueras donc à descendre, bien que personne ne t’attende à cette station. Il ne faudra pas chercher à comprendre pourquoi tu le fais. Tu devras te contenter d’écouter ton instinct, car les pauvres individus que nous sommes n’obéissent qu’aux petites voix qui les guident dans les mystères de l’existence. Parfois, tu suivras un parfum parce qu’il éveillera en toi une douceur particulière. En d’autres occasions, tu te rendras en des lieux pensant qu’un ou une inconnue t’attend. Souvent, tu ignoreras les précédentes raisons qui te poussèrent à réagir ainsi, pour seulement t’accouder aux beautés du monde, logées dans le creux des montagnes, comme un bébé dans les bras de sa mère. Alors que le jour te surprendra à rêver, sur ta voie, des trains seront passés, des wagons se seront vidés ou remplis, des traverses auront été franchies, comme autant de jours écoulés.

    – Oui, je comprends que pour quelque temps je me suis égaré, et qu’à ma place, d’autres auront parcouru une partie des aubes qui m’étaient réservées.

    – Détrompe-toi. Rien ne nous est acquis ni ne nous appartient. Ce que nous avons négligé se représentera tôt ou tard. Ce que tu pensais être modeste aura eu le loisir de devenir grandiose, et ce qui te semblait être orgueilleux aura retrouvé son humilité. Cependant, en ta qualité de citoyen de monde, le désir de continuer ton voyage se fera pressant. Tu t’engouffreras dans le premier train s’annonçant, sous tes yeux rivés à la fenêtre, les paysages défileront. À travers eux, en filigrane tu découvriras de nouveaux visages. Certains t’attireront comme des aimants, mais d’autres, il te faudra les redouter. Néanmoins, aucun détail ne devra être négligé, car ils seront ceux qui construiront tes lendemains. Mais ils te seront indispensables pour remplacer les traverses usagées, ou au contraire pour allonger cette route sur laquelle tu veux continuer à mener ta locomotive vers l’avant.

    – Je comprends une chose, dis-je, avec un signe d’inquiétude dans la voix. Les deux rails que j’aperçois devant moi jamais ne pourront se rapprocher ? Je devrais donc marcher jusqu’au dernier soir de mon voyage, s’il existe toujours une gare ?

    – Ne te trouble pas, ami. Sans que l’on en sache la raison, parfois, à certains aiguillages, ce n’est pas la voie qui accompagnait la tienne que tu croiseras, mais une inconnue à laquelle tu joindras ton destin.

    Amazone. Solitude. Copyright 00061340-1

     


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