• LETTRE DU FRONT ½

    Ma chère mère,

     

    – S’il vous plaît, d’imaginer que mon écriture est irrégulière, n’allez pas penser pour autant que ma main tremble à ce point que je ne puis la maîtriser. Cependant, avec beaucoup d’humilité, je vous avouerai qu’il n’est pas que les doigts qui se mettent soudainement à s’agiter lorsque dans la tranchée, nous nous faisons si petits qu’il me semble entendre ricaner les rats. Mes hommes et moi, parfois, il nous arrive de nous demander pour quelles raisons ceux d’en face en veulent tant à notre peuple. À moins qu’ils ne désirent s’emparer de notre pays que pour s’approprier son histoire et sa grandeur. Souvent, il me vient à penser que de toute notre famille, j’aurai donc été le seul à connaître la guerre ! Croyez bien que je n’en revendique nullement le privilège. Tant de haine est mise pour défendre ou conquérir un malheureux arpent de terre déchirée jusqu’aux entrailles par les obus et la mitraille ! Jamais une parcelle de territoire n’aura coûté plus cher en aucun pays du monde. Il nous est si difficile de quantifier le nombre exact de vies qu’il aura fallu pour occuper des boyaux et des tranchées qui sont semblables aux nôtres, à moins qu’elles le fussent précédemment, et perdus lors d’une bataille antérieure.

    Rien ne ressemble plus à une dépouille que celle allongée à ses côtés, alors qu’elle gît face contre terre, comme si elle ne désirait pas que l’on remarque les sillons laissés sur le visage, par les larmes dont on ne peut empêcher qu’elles coulent déjà à l’instant d’avant le grand saut. Qu’avons-nous donc de plus que les nos voisins, qu’à la fin nous ne voulions céder ? Nous ne sommes que des hommes qui ont tous une famille, qu’elle soit d’un bord ou de l’autre de la frontière ! Malgré les terribles épreuves qui les attendent, à aucun moment, les soldats des deux camps n’envisagent le pire. Sommes-nous inconscients à ce point qu’aucun de nous n’entrevoit qu’à l’instant suivant, il pourrait ne plus être ? Et pourtant, c’est par centaines que ces pauvres hommes abandonnent à la vie les leurs qui tremblent loin, dans leurs foyers.  

    Je sais mère que mon courrier n’est guère réjouissant.  

    Ma qualité d’officier me permet d’en dire sans doute plus que la censure l’autorise. Mais s’il ne se trouve personne pour expliquer ce que nous vivons, que retiendrait l’histoire à notre sujet, et des sacrifices que nous faisons pour défendre notre patrie ? Je ne connaissais pas celle qui se nomme ainsi, le ciel de notre pays étant si loin et surtout plus ensoleillé ! Pour être honnête, je vous avouerais mère, que j’ai été profondément déçu en découvrant le territoire de mes ancêtres ! Chez nous, le père, et les anciens nous en avaient dit tant de bien ! Ils ne tarissaient jamais d’éloges sur la paysannerie, les villes qui se regroupaient auprès du clocher, à deux pas des défunts dont le cimetière jouxte les églises.

    Il est vrai que je n’eus pas le plaisir de faire du tourisme, comme ils nomment ici les visites des lieux. Nous avons pris notre baptême du feu quelques jours seulement après avoir débarqué. Pour dire un mot de notre voyage, je ne vous cacherai pas que s’il ne fut pas déplaisant, à mon goût, il fut beaucoup trop long.  

    De nombreux compagnons furent éprouvés par ces trois mois passés à contourner le continent africain. Pour ces raisons de délais interminables et des escales à la sécurité incertaine, on nous a prévenus que nos permissions auront lieu sur le territoire. À ce sujet, je me demande si cela serait une bonne idée que je me rende à Saint-Malo.

    J’aurais bien aimé voir à quoi ressemble la contrée de mes ancêtres. Lointaine, certes ; mais notre famille néanmoins. Qui sait ; peut-être quelques descendants résident-ils toujours entre les murs de cette vieille ville ; il me paraîtrait judicieux d’essayer de faire connaissance afin de renouer le fil d’une histoire qui nous est commune ! Mais, je ne me fais pas de fausses idées. La position que j’occupe demande à ce que je garde la tête sur les épaules et que je ne m’égare pas sur des chemins de traverse. Il n’en va pas seulement de ma vie, mais surtout celle des hommes que j’ai sous ma responsabilité. Avoir d’autres pensées que celles ayant trait aux batailles est bénéfique sur le moral, mais nous devons nous interdire de fermer les yeux pour voir de quel côté elles  disparaissent, au moment où le clairon sonne un nouvel assaut.  

    Suis-je donc devenu si égoïste, mère ; ou est-ce la guerre qui me rend ainsi qu’à aucune ligne, je ne vous ai demandé des nouvelles de vous-même, de celles du Père et de tous les nôtres ? J’imagine cependant l’état de la plantation à cette saison où les fruits doivent faire ployer les branches des arbres dans le verger, et des caféiers. Je ne parle pas de votre chagrin. Je devine qu’il est grand de savoir votre enfant si loin en un pays sur lequel il ne pleut que des bombes et où les canons ne prennent jamais un moment pour respirer et refroidir.  

    Toutefois, je puis vous rassurer, ma chère mère.

    Je partage mes pensées entre vous et ceux qui nous ont toujours protégés. Je n’oublie personne dans mes prières, de sorte que je les sens auprès de moi pour me guider dans mes décisions.

    Mère, mon temps de repos touche à sa fin. Il me faut regrouper mes hommes et leur parler même s’ils préféraient que nous échangions d’autres choses que celles de la guerre. Cette nuit, nous changeons de place, pour nous rendre plus au nord, paraît-il. Je vous écrirai, sitôt que nous serons sur notre nouvelle position. Dites à Père que je ne l’oublie pas et que j’aurai tant à lui raconter lorsque je rentrerai au pays.

    Votre fils qui vous aime, mère, même si durant mes jeunes années je n’ai pas toujours songé à vous en faire part. Nos cœurs ne sont-ils pas semblables ? (À suivre)

    Amazone. Solitude Copyright 00061340-1

        

    Image glanée sur internet  

    S’il vous plaît de lire la réponse de la mère, merci de patienter jusqu’à demain

     

     


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