• Naissance d'une légende 1/2

    — Il faut peu de choses pour que de l’imaginaire, naisse une histoire qui court pendant des siècles sous les grands bois, les savanes et les villages, s’arrêtant sur le seuil de chaque demeure.

    Comme toutes les pensées, à l’instant où elle voit le jour, elle ignore qu’elle sera suivie d’un premier mot qui jouera le rôle de la fondation de nombreuses lignes.

    Si nos paroles ne s’exportent pas au-delà de leur lieu d’apparition, il y a peu de chance pour qu’elle survive au temps. Il prend rarement en considération les appels à l’aide des uns ou des autres évènements qui naissent dans son giron. Mais, qu’un homme vienne à passer sur les lieux où se produit la nouvelle ou la matérialisation d’un phénomène particulier, la chose aura une chance de vivre et même de s’exporter au-delà de son milieu naturel. Mieux, il ira en s’amplifiant, chacun y apportant sa note personnelle afin de l’enjoliver alors que d’autres déroulent déjà une nouvelle route devant lui pour qu’il parcoure le monde.

    Notre Amazonie prête volontiers son décor d’une exceptionnelle beauté à tous ceux qui désirent faire vivre les choses qui paraissent inertes ou passives, alors qu’elles évoluent dans un milieu qui semble générer la vie. De plus loin où l’on peut remonter dans la mémoire, l’on découvre que les siècles ont été parcourus d’histoires dans lesquelles les animaux, les choses ou les végétaux ont revêtu les habits de l’homme. Animés, ils prirent plaisir à jouer avec les mots et pour notre plus grand émerveillement, ils enjambent les lignes, sautent de chapitre en chapitre. Il s’en trouve qui font sourire ; d’autres forcent le lecteur à verser quelques larmes, alors que certaines installent dans les esprits la crainte et parfois l’effroi. À l’instant où le griot ou le conteur interprète et mime les personnages auxquels ils donnent vie, il leur prête soudain un aspect si réel qu’ils semblent s’éveiller sous les yeux des spectateurs ébaudis. C’est alors que l’on se demande si les applaudissements sont adressés au narrateur ou aux personnages qui animent le conte.

    Qu’importe les gens à qui ils sont destinés. Incontestablement, ils sont réservés à chacun des acteurs, car, de toute évidence, sans le griot, bien des rêves, resteraient perdus dans l’Univers, à la recherche d’autres contes disparus avant d’avoir grandis, emportés par le chagrin de n’avoir pas connu la récompense des rires et de la joie qui s’installe dans les yeux et le cœur du spectateur ou de l’auditeur attentif. Les légendes ne naissent pas tout à fait par hasard. Elles ont un point commun avec la fumée, qui ne peut être sans le feu.

    Tenez, moi qui ai la chance quasi insolente de pouvoir parcourir les bois à longueur de journée, d’après ce que j’y découvre, je pourrai vous raconter mille histoires ou légendes différentes, si j’en avais le temps. C’est que la forêt est une chose vivante et qu’elle ne se lasse jamais de nous livrer ses sentiments et ses états d’âme.

    À peine les yeux se posent-ils sur un animal, un insecte ou un végétal d’apparence particulière qu’instantanément celui-ci me raconte son histoire qui fait s’animer le décor qui m’entoure. Ainsi, il y a peu de temps, au détour d’un layon, mon attention fut attirée par un remue-ménage peu ordinaire. L’air semblait prêt à exploser, les plaintes et les gémissements allaient grandissants, à la façon de ceux qui se libèrent enfin d’une colère trop longtemps contenue. Prudemment, mais curieux de nature, je me rapprochais.

    Lorsque la forêt manifeste, généralement c’est toujours aux hommes qu’elle adresse des reproches. Cependant, ce jour-là qu’elle ne fut pas ma surprise d’entendre que ce n’était pas après nous qu’elle nourrissait sa mauvaise humeur ; elle lançait des invectives à l’un des siens. Prise à partie par les autres résidents de la forêt, la malheureuse victime me regardait et à son air, je devinai qu’il me demandait de l’aider et de le défendre des menaces que ses voisins proféraient à son intention. C’est alors que je l’examinais de la tête au pied, que je compris qu’elle était différente de ses compagnons.

    Il était un arbre, certes, mais était encore affublé d’une ascendance animale. Réalisant ma surprise, il me dit avec suffisamment de tristesse dans le propos que l’on y découvrait un sanglot si long que l’on se doutait qu’il avait commencé un matin et depuis, il n’avait jamais pu s’éteindre :

    — Ainsi, toi aussi, tu vas te ranger de leur côté ? Ton comportement me laisse supposer que je ne puis compter sur toi pour justifier ma malheureuse personne auprès de mes amis les arbres !

    — Je ne puis te mentir, lui répondis-je ; ce n’est pas dans ma nature de ne pas dire ce que je pense. Mais ne t’en formalise pas pour autant.

    — Avant de décider de prendre part à un débat, il est bon d’en connaître les tenants et les aboutissants. Il est inutile d’essayer de démêler une pelote si l’on ne trouve pas le fil qui conduit à sa libération. Au cours de mes pérégrinations, j’ai croisé bien des arbres. J’ai vu des géants, des énormes et des malingres et même des nains. Le plus grand nombre avait leurs racines enfouies profondément dans la terre. D’autres les avaient en forme d’échasses afin de pouvoir vivre au-dessus des sols humides et d’autres encore étaient obligés de construire d’immenses contreforts pour conserver leur équilibre face aux coups de boutoir des vents déchaînés.

    Je le reconnais, dis-je en le regardant droit dans le fût. Un arbre au tronc prolongé de doigts, je ne l’avais jamais vu ! Je devine que les autres peuvent être effrayés et même qu’ils se posent des questions ! Serais-tu un mutant ?

    Il haussa les charpentes pour me faire comprendre que ce n’était sans doute pas le terme le mieux adapté. Affichant jusqu’à la feuille la plus éloignée un air réellement désolé, il me dit qu’il savait qu’il n’aurait pas assez d’une vie pour me raconter son histoire. Si tu veux que nous avancions, dis-je, tu pourrais commencer dès à présent ; ainsi ; les esprits s’apaiseraient et chaque matin je reviendrai écouter la suite de tes mésaventures, de telle sorte, qu’ensemble, nous pourrons remonter dans le temps et arriver à celui qui est la cause de tes malheurs. D’ailleurs, il y a longtemps que tu aurais dû commencer tes explications. Toi qui as traversé tant d’époques, tu devrais savoir qu’il n’est rien de plus désagréable pour ceux qui nous entourent d’avoir le sentiment qu’on leur cache quelque chose. C’est alors qu’ils inventent une l’histoire qui s’éloigne de la réalité, mais qu’ils apprécient, car ce sont eux qui l’écrivent comme s’ils en étaient les propriétaires, tandis qu’en fait, ils n’ont fait que voler ta vie. ( A suivre) .

    Amazone. Solitude. Copyright N° 00048010

     

     


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