• PETITE HISTOIRE DE L’OR

    – Avant d’aller plus loin dans mon propos, je tiens à vous rassurer. Ce n’est pas la main d’une personne de chez nous qui présente ce métal fiévreusement recherché par tant de monde, à tel point que souvent, notamment dans notre pays, cela tourne au pillage. Bon, n’en concluez cependant pas qu’il n’est qu’à se baisser pour le ramasser. Nous ne sommes pas non plus à la cueillette des champignons. Toutefois, si vous voulez mettre à mal une région, n’hésitez pas ; laissez courir la rumeur que l’or affleure la surface de la forêt, et vous aurez gagné. Les gens vont vite déserter les villes pour retourner à la campagne.

    En fait, c’est ce qui se passa chez nous, à l’aube de l’année 1855. Paradoxalement, quand on parle de la présence d’un filon, on ne peut s’empêcher d’imaginer la richesse, alors que ce fut la grande misère qui suivit l’exode de quasiment tout un peuple, vers ce qu’il pensait être la juste récompense après des années d’asservissement. La découverte de la première belle pépite sonna le glas du développement de la colonie.

    Du port de Cayenne, partaient à intervalles réguliers vers la métropole des navires aux flancs chargés d’épices de toutes sortes, de fruits tropicaux, de légumes et de bois précieux. Mais à la seule évocation de l’or, ce fut une véritable ruée, et même les ouvriers des campagnes n’attendirent pas pour eux aussi, se joindre au long cortège des orpailleurs. La nouvelle s’étant répandue comme traînée qui n’était pas de poudre, mais bien aux reflets scintillants sous le soleil, celle-ci, fit perdre la tête à beaucoup de gens dont jusque là, l’on pensait d’eux qu’ils étaient raisonnables. Hélas ! Dans leurs yeux, ne brillaient que les pépites soigneusement nettoyées, lançant des éclats qui eurent pour effet de les aveugler.

    Comme moi, vous savez que tout a un prix. Celui-ci fut particulièrement élevé, en vies humaines, matérielles ou familiales. D’abord, avant de songer à l’enrichissement, ce fut l’appauvrissement qui tint le haut du pavé. On s’équipa de canot pour remonter les fleuves et les rivières, seules voies d’accès aux sites prometteurs. Les fournisseurs d’outils en tous genres furent vite dévalisés, et en conséquence, devinrent les premiers à profiter de cette ruée, alors qu’ils n’avaient pas encore vu la moindre paillette. Peu après, on comprit que pour eux, le temps bénit était arrivé. Ils n’avaient pas besoin de fouiller la terre pour engranger le précieux trésor, puisqu’on leur servait sur un plateau, si j’ose dire, car tout se paya en poudre d’or. Bref, ils furent donc les premiers riches.

    Pendant ce temps, beaucoup abandonnaient leurs familles en leur assurant de revenir bien vite, les poches garnies. Vous vous en doutez, les désillusions furent nombreuses. Les promesses ne furent pas tenues. La journée de chercheur de métal jaune n’est pas une existence étincelante, n’étant retenue à la vie que par un mince lien n’étant autre que l’espoir, ce dernier s’effilochant de jour en jour. Il n’est qu’à aller à travers le pays pour comprendre que tout ne fut pas ce que l’on disait ou voulait laisser croire. Pour preuve, que l’orpaillage ne fit pas que des heureux ; vous découvrirez des noms de lieux-dits parfois explicites, même si en passant, l’un d’eux vous fait retrouver le sourire, car vous venez de croiser « Dieu merci ». Mais au fait, merci d’avoir trouvé, ou pour avoir permis au chercheur de garder la vie sauve ? Que penser de « Adieu-vat », et de celui de « bœuf mort » ou encore « Cent sous » et « Espérance » A la lecture de certains sites, on se doute que les rêves y furent abandonnés, le jour où les prétentions disparurent.

    À la rencontre de certains placers, on devine que les jours y furent bien différents. Il suffit de se rendre à « Placer trésor », « L’Amérique découverte », Dieu merci » ou plus loin, à « Délice » et bien d’autres. Il faut le préciser ; l’or ne fit pas que des malheureux ! Il permit à quelques-uns de devenir très riches et sans doute milliardaires. Il n’est qu’à se laisser compter l’histoire du plus célèbre d’entre eux. Il découvrait ses 80 kg/mois. Le succès ne tarda pas à lui monter à la tête. L’envie lui vint de carreler sa maison avec des pièces d’or. Le gouverneur de l’époque ne s’y opposa pas, mais il lui imposa de les disposer sur la tranche afin de ne pas marcher sur l’effigie de Napoléon III, empereur d’alors. Notre homme abandonna son idée ; cependant, monsieur au grand cœur, il donna de belles réceptions et autant de bals, et faisait distribuer des pépites aux dames, cachées dans des gâteaux, pareilles aux fèves des galettes des Rois. Il lui arrivait aussi, d’un geste ample, de répandre des pépites dans les pieds des danseurs. Sans jeu de mots, ce fut le temps pendant lequel la bourgeoisie marchait sur l’or.

    Hélas ! Les fortunes s’épuisèrent en même temps que les filons et notre milliardaire, pour ne citer que lui, finit dans la misère, en maudissant le pied de l’arbre où il avait découvert sa première pépite. À l’époque, il était heureux. Il faisait du charbon de bois qu’il revendait. Ainsi, vécu le bon Monsieur Vitalo, dont tout le monde connaît la très belle maison créole à Cayenne.

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