• PRISONNIER DE MA LIBERTÉ

     Je me doute de ce que ce titre peut avoir d’étrange, car dès que le mot liberté est évoqué, c’est qu’à juste titre, de barreaux, il ne peut plus y en avoir. Cependant, il n’est pas qu’aux fenêtres exiguës des prisons, qu’ils ont été scellés, ni aux portes des demeures de nos cités modernes, pour empêcher aux indélicats d’y pénétrer. Je sais toute la tristesse de notre société qui, pour vivre en sécurité, n’a d’autres choix que de se réfugier derrière des grilles, alors que les mauvais sujets ne cherchent qu’à s’en extraire, en élaborant moult plans.

    Mais ce n’est pas pour vous parler d’établissements pénitentiaires que j’évoque la maison d’arrêt, mais pour vous entretenir de celui qui s’y trouve depuis si longtemps. Je vois déjà vos sourcils prendre la forme d’accents circonflexes, et vos yeux, s’ouvrir aussi grands que si vous découvriez une gazelle des sables, faire de la bicyclette sur le boulevard, et vos cheveux, se dresser alors que vous ne les avez enduits d’aucun gel. Non, je ne me morfonds pas dans une geôle humide, rassurez-vous. Je suis toujours dans la forêt, laquelle me retient auprès d’elle comme une bête à son piquet. Certes, de l’attache, je peux m’en affranchir à tout moment. Mais étrangement, ce n’est pas pour autant que je deviendrai un homme libre. Je ne le serai que de mes mouvements, mais pas de mon esprit. En effet, de lui, je suis un vieux détenu, puisque jamais je ne parvins à m’évader. Je peux même vous dire qu’il prit soin me maintenir au plus profond de ma cellule.

    À la réflexion, je me dis que je ne suis pas le seul dans ce cas, mais cela ne m’apaise pas pour autant, car en évoquant la liberté, immédiatement, se dessine devant nos regards ébahis des paysages extraordinaires, des aventures à vous couper le souffle, des sons et des images s’inspirant des torrents se libérant des montagnes à la fonte des glaces, ou à d’extraordinaires ballets merveilleux qu’interprètent les oiseaux dans le ciel.

    En fait, le prisonnier que je suis s’est laissé enfermer par ses vieux principes datant d’une autre époque, ce temps où lever les yeux sur la personne qui vous interpellait était déjà une faute à éviter. Puis, ce fut le tour des idées que nous ne devions en aucune manière dévoiler la moindre ligne. Cependant, me dis-je, ce caractère dont on me parle à longueur de jour, je dois bien le former, et un jour l’affirmer, si je veux que l’on me désigne comme un homme et non à un poltron ? Je me disais donc que ressembler au plus grand nombre de mes concitoyens n’avait aucune signification. En ma qualité de ressortissant de la campagne, je ne me voyais pas aller dans la vie comme nos bêtes le faisaient en troupeau. Mais là encore, je devais conserver par-devers moi mes sentiments. C’est alors que je pris conscience que dans l’esprit du jeune garçon que j’étais, on avait pris soin de le museler, de l’isoler et surtout de ne lui fournir que des informations sélectionnées. J’étais libre de penser ce que je voulais, mais dans le même temps, je devais me garder de donner mon avis. Je compris qu’autour de moi s’élevait une forêt de non-dits et que celle-ci s’épaississait à mesure que j’avançais dans la vie. Certes, elle ne m’empêchait pas de voir le soleil qui essayait de me convaincre de sa présence, mais étrangement, devant mon regard déconcerté, il se trouvait toujours un fût pour le diviser, comme si l’on cherchait à m’éloigner de lui.

    Puis, du fond de mon cachot, à la lisière des grands bois, les émotions se firent jour. Je compris qu’il n’y avait pas que mes pensées qui étaient mises à l’écart et interdites de séjour parmi les hommes. Dans sa cage, mon cœur, lui aussi connaissait les affres du désespoir. Je devinais bien qu’il avait besoin de s’exprimer, et plus encore d’aimer. Il voulait que quelqu’un s’intéresse enfin à lui, l’écoute et lui dise que la saison de l’affection était arrivée. Je sentais qu’il avait soudain envie de se faire poète, car depuis des années, il avait appris les mots que les papillons murmurent aux fleurs en venant les honorer. Mais, une fois encore, je pus libérer mes paroles ni faire valoir mes sentiments. Derrière moi marchait le chaperon, silencieux, mais qui imitait les gardiens aux galères. Discrètement, les yeux se rencontraient, en se désolant de ne pouvoir laisser transparaître la tendresse qui les habitait. Nos lèvres faisaient de même, n’osant dessiner des sourires en forme de cœurs.

    Une nouvelle étape se profila à l’horizon, avant de m’inviter à la rejoindre. Je pensais que j’allais enfin connaître à quoi ressemble la liberté. C’est alors que l’on m’expliqua de chercher à comprendre était le début de la désobéissance. Du pas que j’avais au dehors de ma prison, je dus en faire deux pour y retourner. Et il fut ainsi tout au long de la vie. Chaque fois que je m’exprimais, en fait je ne trouvais que les paroles que l’on avait préparées à mon intention, de même pour les situations. J’étais devenu l’objet non pas, de mes désirs, mais ceux des autres qui mènent le monde comme ils l’entendent. Alors, la tête basse, je rejoins la forêt, me disant, tant qu’à vivre dans une prison, au moins que celle-ci soit dorée.

    Amazone. Solitude. Copyright 00061340-1


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