• QUAND DEMAIN SE FAIT ANGOISSANT

    – Mère, j’hésite à te confier les sentiments qui ne cessent d’agiter mon âme depuis quelque temps.

    – Ma fille, si tu crois que je ne me suis pas aperçue que depuis bien des mois, pour ne pas dire des années, ton esprit est encombré, alors c’est que tu ne sais pas encore que, parce que je suis maman avant d’être femme, j’éprouve les mêmes angoisses qui bousculent tes idées. Et si tu ne les exprimes pas, qui pourra soulager ta conscience ?

    – C’est que mes pensées sont tellement embrouillées, qu’elles m’effraient presque. Ce n’est pas un cerveau que j’ai dans le crâne, mais un écheveau bien emmêlé et que je ne trouve pas le bout qui me permettrait de le mettre dans le bon ordre.

    – Autant te dire de suite, ma Charlotte, que tu n’es pas prête à le découvrir, ce morceau, si tu persistes à le maintenir enfoui dans l’épaisseur de la pelote de laine livrée à elle-même. Et je ne puis être d’aucun secours, si tu ne prononces pas le mot qui nous ferait accéder à tous les autres.

    – Je suis certaine que tu vas te moquer de moi. Des filles de mon âge, je suis la seule qui n’a pas encore trouvé son âme sœur. Toutes mes amies sont fiancées ou mariées, et certaines d’entre elles sont d’heureuses mamans. J’en conclus donc que sans doute je ne suis pas ordinaire, puisque devant ma porte, aucun prétendant ne m’attend, et encore moins, trépigne d’impatience. Alors, il me vient une question : toi, avec un cœur si jeune, te serait-il arrivé pareille aventure ? Est-ce que toutes ces questions ont hanté ton esprit ? As-tu épousé papa rapidement, ou la vie a-t-elle été généreuse avec toi, avant de le rencontrer ? Tu n’es pas obligée de me répondre ; je comprendrai que tu veuilles garder intact ton jardin secret.

    – Ma chère fille ! Je reconnais bien là ton caractère anxieux, et ce désir de savoir qui se tient derrière la porte, avant même que l’inconnu se décide à frapper. Tes questions ne me dérangent pas. Bien que je ne sois pas une personne âgée, je puis te dire que de mon temps, nous ne nous posions pas toutes ces énigmes. Nous allions au-devant de la vie, simplement, avec, accrochés à nos lèvres, un sourire éclatant. Est-ce qu’il y eut des soupirants sur le seuil de notre maison ? Bien sûr, car comme le prétendait mon papa à cette époque, où éclot une jolie fleur, les papillons ne tardent jamais ! Cependant, nous ne nous laissions pas enivrer par le vol de ces chers lépidoptères, pas plus que par leurs beaux discours. D’ailleurs à ce sujet, mon père disait aussi que lorsque quelqu’un débite des flots de paroles, c’est qu’il cherche à noyer le poisson. En conséquence de quoi, il demeurait sur ses gardes et campait sur ses positions.

    – Mais cela ne t’empêcha pas de trouver celui à qui tu confias ton destin. C’est donc qu’il convenait à tes espérances, avant de plaire à ta famille. Tandis que moi, j’estime que nos jeunes gens sont un peu comme une sauce sans ingrédient ; ils sont fades. Leurs conversations sont pauvres comme une savane après un incendie. Ils ne semblent pas s’intéresser à l’avenir sinon celui qui dessine le lendemain, sans se préoccuper de ce que sera la semaine suivante. Ils me donnent l’impression de n’avoir fréquenté l’école que le jeudi, tant leur vocabulaire est dépouillé, alors que nous sommes en droit d’attendre d’eux qu’ils nous éblouissent au fil des phrases. Au lieu de cela, pas un mot ; aucune réflexion nous permettant de nous pâmer ! Et quand tu en trouves un qui pourrait se différencier des autres, il m’étouffe avec son savoir qui lui sort par tous les pores de la peau.

    – En fait, ma Charlotte, si je te comprends bien, tu le veux parfait, ayant sans doute les mêmes idées que toi. Mais cela va contre la loi de la nature, ma chérie. Ce sont les contraires qui s’attirent. Les aimants se repoussent. Donc si tu es nerveuse, un calme te conviendra. S’il est rêveur, à ses côtés il aura besoin de quelqu’un qui lui construira ses songes. Mais surtout, dans la corbeille du mariage, il vous faudra déposer beaucoup d’éléments de vos personnalités, car un couple idéal est celui dont les sentiments se complètent sans se faire de l’ombre. Il faut vivre intensément ensemble, mais aussi écouter ce que l’autre a à nous dire. Tu sais, ma chérie, l’existence n’est pas un cours de sciences naturelles, nous n’avons pas vocation à disséquer notre conjoint, et nous ne sommes pas non plus des mantes religieuses qui dévorent le mâle après le coït. Nous sommes faits pour évoluer dans une parfaite harmonie, partageant tous les instants. Tantôt, ils seront joyeux, parfois plus tristes. Mais nous devons les accepter comme ils se présentent.

    – Alors, je comprends que je ne suis pas prête à confier mon destin à quelqu’un. Vous allez devoir me supporter encore un moment !

    – N’élève pas la barre, ma fille. Tous les jeunes gens ne sont pas des adeptes du saut en hauteur. Il leur faut de l’entraînement, et il n’est pas impossible que tu deviennes leur professeur.

    – Il n’en est pas question, maman. Tu ne veux pas aussi que je leur tienne la main et que je change leurs langes !

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