• QUAND L’AVENIR COMMENCE DANS L’OMBRE

    — Alors que l’on parcourt les titres des journaux nationaux ou étrangers, nous avons toujours cette mauvaise impression du « déjà vu ou lu ». C’est que, contrairement à ce que l’on essaie de nous faire croire, les nouveautés dont on cherche à nous persuader qu’elles sont de récents plats, ne sont en fait que des mets maintes fois réchauffés. C’est que dans tous les pays, la vie à ses traditions qui résistent aux ans et qui ne veulent en aucun cas apporter le moindre bouleversement. On pourrait presque résumer notre histoire en une phrase :

    Un beau matin, le jour fut et depuis cet instant, rien ne changea dans l’esprit des hommes. Personne n’a osé déplacer une virgule aux choses de l’existence que le temps complice nous a laissés écrire. Quelle que soit notre position sociale, la plupart du temps, les espoirs s’évanouissent avant même d’avoir vécu. Pour apaiser nos malaises, en certaines régions on permet aux griots et aux troubadours de traduire les contes d’une autre époque en leur associant des images et des sons improvisés dans l’instant. Mais les lamentations sont toujours les mêmes. Les cithares et les balafons, indifférents aux regards des hommes, entonnent chaque soir leurs airs lancinants dont ils connaissent chaque parole et dont aucune note ne saurait manquer une corde, colportés par les tam-tams par delà la forêt et les océans.

    S’il était un fait nouveau qui mériterait d’être rapporté, c’est qu’en tous points du globe, les éléments indispensables à l’existence se meurent. Un peu partout, les portes sont grandes ouvertes aux audacieux que l’on encourage à chercher coûte que coûte les essentiels, privant les indigènes de richesses naturelles. Si les résultats sont trop longs à mettre au grand jour, des perspectives d’un autre genre sont concoctées par les apprentis sorciers. De cette agitation, et de cette révolution industrielle, nous avons le sentiment que, selon la formule consacrée, la montagne a accouché d’une souris. La finalité ne déroge pas à la règle. Les riches le seront toujours plus, tandis que les laissés pour compte s’appauvriront davantage. Chez les plus démunis, l’imagination restera le sport quotidien pour faire en sorte qu’une journée ne soit pas plus mauvaise que les précédentes.

    À l’image de ces femmes qui se dirigent vers le marché aux poissons parce que sur l’étal du boucher les quelques morceaux d’une viande douteuse sont inaccessibles à leur porte-monnaie, du fond duquel les menues pièces s’ennuient que de nouvelles ne les rejoignent pas ! La pauvreté est toujours plus supportable quand on est plusieurs à la partager. Le dégras que nous venons d’évoquer, fut, il n’y a pas si longtemps un quai à peine assez grand pour y accueillir les nombreux pêcheurs courageux qui osaient affronter les puissants rouleaux. Cela ressemble à des clichés d’un siècle passé. De nos jours, même l’océan se désole de ne pouvoir contenter les ventres criant famine. Le plus souvent, les filets  eux-mêmes semblent vouloir hurler à leurs propriétaires qu’ils sont devenus beaucoup trop importants et qu’eux aussi finissent par s’ennuyer dans une eau souillée par les déchets du monde entier qui sans cesse tournent en rond sur les mers. Les puissantes pirogues hauturières, en un temps pas si éloigné,  ne sont plus que de faibles concurrentes à des compagnies de pêche venues de partout dérober aux autres ce qu’ils ont épuisé chez eux.

    À regarder l’expression des femmes, on comprend qu’elles se disent qu’il est inutile d’aller plus avant. Les filets une fois de plus ont été remontés presque vides. Seuls quelques inconscients ou suicidaires se sont laissé piéger, las sans doute de ne plus trouver la nourriture qui leur permettrait de devenir de grands et beaux poissons enviés de tous. Aux clientes désabusées, ils n’offriront qu’un maigre squelette qui parfumera à peine les aussi discrets légumes ou la poignée de riz flottant dans une eau qui s’ennuie à bouillir dans une marmite d’un autre temps, sur des braises qui sont les dernières à ignorer la crise. C’est alors que l’on se prend à imaginer que ce n’est pas tout à fait par hasard que l’on porte les enfants dans le dos en certaines contrées. De cette manière, ils n’entendent pas distinctement le cœur de la mère battre de chagrin quand elle va au-devant des événements et aucun des frissons qui courent sur leur peau ne leur échappe. Ils n’ont pas à s’impatienter s’ils ne voient pas l’horizon s’abaisser de jour en jour, comme pour signifier qu’il n’est plus temps de laisser divaguer les espérances, et qu’il n’est pas utile qu’ils aillent marcher à la rencontre de la misère et de la pauvreté toujours grandissante. D’ailleurs n’ont-elles pas déjà pris place aux côtés des habitants, sous un même toit ?

    Si leur construction d’homme commence derrière la mère, c’est sans doute que l’on a estimé que leur vie doit réfléchir avant de leur permettre d’imprimer leurs traces dans le sable. On croirait qu’ils devinent, si jeunes, que l’on n’a jamais observé un fleuve remonter vers sa source, pas plus que l’on voit les vagues retourner à la mer après s’être acharnées sur la côte qui se dépouille sous leurs coups de boutoir. Dans certaines régions, c’est à l’heure où les estomacs crient famine que les minarets appellent à la prière qui nourrit l’âme. Il sera toujours temps au soir d’allumer le réchaud à charbon ou à pétrole pour inventer le repas, qui assurément contentera  d’abord les ventres avant l’esprit.

     

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