• QUAND L’HISTOIRE SE POURSUIT

    – Entre la terre et ses serviteurs, l’histoire a commencé depuis longtemps ; je dirai même depuis le jour où le ventre de l’humanité lui recommanda de tout mettre en œuvre pour le contenter. Alors, d’un morceau de bois qu’il transforma en une charrue approximative, l’inventeur, s’aidant de sa compagne ou d’un fils, ils éventrèrent le sol, pour en faire disparaître la brande qui le recouvrait. Mais il fallait bien du temps pour terminer le premier sillon, car tirer l’outil à main nue requérait beaucoup de force, cette dernière générant de vives douleurs, identiques à celle que l’on fouillait, mais qui se retenait aux racines, afin de ne pas se laisser découvrir. Oui, le champ avait peur de perdre son âme dans cette nouvelle aventure. Cependant, la récolte s’étant montrée généreuse, les paysans comprirent qu’ils devaient travailler de plus grandes parcelles. Alors ils eurent l’idée de fabriquer un matériel plus conséquent, et entreprirent de domestiquer un animal pour remplacer l’homme. Le résultat fut à la hauteur des espérances. On défricha, laboura, sema et engrangea.

    C’est alors que les premières dissensions virent le jour au sein des familles. Certes, les valets de la terre n’appartiennent pas à la même lignée ; pourtant, on les imaginerait issus d’une seule maison, tant leurs exigences se ressemblent, ainsi que leurs émotions quand ils parlent de leurs champs. Déjà, les plus jeunes critiquaient les aînés et leurs méthodes. Ceux-ci répondaient qu’ils avaient encore besoin de quelques ans pour apprendre et que le temps viendrait où à leur tour, ils seront en mesure de faire selon leurs manières de croire et de mettre en valeur leurs pensées. Mais, dans l’existence des hommes, les saisons se succèdent toujours plus vite, et sans considération particulière, elles poussent les ouvriers des campagnes vers la sortie. Ceux qui cherchaient à imposer leurs idées finirent par prendre le pouvoir. Ils s’acharnèrent ; exploitèrent de plus grandes surfaces, comprenant qu’ils pouvaient tirer un profit de leurs tâches, car tous ne désiraient pas être des paysans au service de la terre, il fallut bien qu’ils se nourrissent. Toutefois, les mains fouillant le sol, la tête baissée sur les travaux, ils ne s’aperçurent pas que leurs enfants s’épanouissaient au fil des printemps. Le jour vint où sans les avoir entendues ni apprises, les réflexions que les parents avaient adressées à leurs aînés leur revinrent brutalement. Une belle histoire ne commençait pas, c’est la précédente qui écrivait le chapitre suivant. Les agriculteurs d’alors ajoutèrent à leurs récoltes de nouveaux produits. Ils se lancèrent même dans l’élevage, comprenant que l’on ne pouvait puiser indéfiniment dans l’environnement sans risque d’épuiser le vivier naturel. L’humanité venait de faire un immense pas en avant. Mais tout à leurs calculs savants, ces paysans des temps modernes, comme ils se qualifiaient non sans fierté, du haut du sillon sur lequel ils contemplaient leurs œuvres, ne virent pas s’approcher leurs enfants qui les bousculèrent sans ménagement, au risque de leur faire perdre l’équilibre. L’heure de la remise en cause avait sonné. Les façons culturales d’antan avaient vécu. Il était l’heure de passer à autre chose. En un mot, ils donnèrent à comprendre aux anciens que s’ils ne pouvaient imposer leurs méthodes, ils considéraient être révolutionnaires, ils s’en iraient tenter leur chance ailleurs, dans tout autre domaine pourvu qu’ils ne les obligent pas à devenir des esclaves. Valet de la terre, oui ; tomber dans la dépendance, non ! Ils prirent donc le pouvoir plus qu’on leur céda.

    Mais les saisons n’entendant rien aux discours des individus imitèrent les pendules, à moins que ce ne fût l’inverse ; elles ne cessaient de tourner. Les nouveaux servants, pour gagner du temps, dételèrent la paire de bœufs, et les remplacèrent par des chevaux puissants et fougueux. La faux sans être définitivement abandonnée vit arriver les machines. On n’en finissait plus d’engranger. Les hommes n’étaient plus de simples paysans. Ils étaient devenus des commerçants, des comptables, des négociants. Ils succombèrent aux avances des apprentis sorciers qui leur firent croire que des engrais chimiques les aideraient à produire plus. Ils coupèrent les haies protectrices pour étendre les surfaces. Elles furent immenses, certes, mais exposées aux intempéries. Le vent s’en donnait à cœur joie, n’ayant plus d’obstacles à franchir. Les blés connurent l’injure de la verse. Alors, on créa des céréales à la tige plus courte. Mais du même coup, on diminua la qualité et le rendement de la paille. Bref, on venait sérieusement de jeter une poignée de sable dans l’engrenage d’une merveilleuse machine, celle qui se nomme mère Nature. D’inventeurs en apprentis sorciers, nous en sommes à notre époque, où, de nos fabrications saines, on en fit des aliments porteurs, et transmetteurs de maladies. Derrière chaque buisson se cache un nouveau règlement et les générations modernes ne peuvent que se tourner vers les aïeux s’ils veulent survivre. Il faut se décider à mettre un point final à l’histoire que les anciens commencèrent à esquisser il y a bien longtemps, car eux écrivaient lentement, afin d’en comprendre chaque mot.

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